THE UNOFFICIAL JOHN DOGGETT's BLOG

ART

Sous-sections : LITTERATURE - MUSIQUE - CINEMA - PEINTURE



DE LA PROTECTION DES ARTISTES CONTRE LE MONDE MODERNE (essai de Michel e-keum de Mont@igne sur le téléchargement et le droit des auteurs)


MINIMUM VITAL

Les oeuvres majeures du XX° siècle, à mon goût : Proust et Borges, si l'on veut approfondir. Mais celui qui se contenterait, plus simplement, de lire tout Corto Maltese et d'écouter tout Brassens, celui-là aurait déjà tous les éléments en mains pour vivre mieux.


"Il faut concevoir son oeuvre comme si l'on était immortel et y travailler comme si l'on devait mourir demain." (Littré)


HISTOIRES DE CONS

Ambitionnant de devenir le Gérard Genette des histoires de cons, j'ai commencé à jeter les bases de leur analyse et d'une nomenclature permettant de les classer. Cf. au bas de cette page.

Pas au bas de cette page-ci, au bas de la page donnée en lien, ne soyez pas cons.


CULTURE AU POINT MORT

Après l'explosion de créativité liée à la libération des esprits dans les années 60-70 (explosion qui, artistiquement, a produit le pire, mais aussi le meilleur), nous vivons à présent dans un monde de créativité alentie, lourde, vaine, répétitive, stérile. Dans le meilleur des cas, nous avons de très bons artisans, qui explorent habilement les profondeurs et les frontières de formes préexistantes.

En un sens, c'est une véritable chance pour les artistes de demain. Desproges disait que "L'Histoire, pour un jeune, c'est la période qui va d'hier soir à demain matin". Mais ceux qui sauront surmonter cette répugnance pour le passé, qui daigneront prendre des leçons dans ce vaste passé qui a précédé leur naissance, y découvriront que la médiocrité contemporaine n'est pas une fatalité et y trouveront des exemples qui pourraient bien les aider à faire bientôt mille fois mieux que les pseudo-artistes d'aujourd'hui.

Et on peut évidemment en dire autant en matière d'humour (qui, depuis sa mort il y a vingt ans, a su égaler Desproges ?) et de pensée (n'insistons pas sur les principaux "philosophes" de notre temps, occupés à cautionner les valeurs dominantes avec une servilité inouïe en démocratie).


ORIGINALITE

Gérard Genette (Figures I, "La littérature comme telle"), reprenant la pensée de Valéry : "Ce qui paraît nouveau n'est le plus souvent qu'un retour à une forme délaissée depuis longtemps, à la limite depuis toujours."


EPATE-BOURGEOIS

Gombrich, dans la conclusion de son Histoire de l'Art constate : "Depuis le XIX° siècle, bien des artistes ont prétendu qu'ils poursuivaient un juste combat contre les conventions étouffantes en exaspérant le bourgeois. Mais entre-temps, le bourgeois a, hélas, découvert qu'il est très divertissant d'être choqué."


MORALE ET MYSTICISME

Même si j'accorde beaucoup d'importance aux critères esthétiques, je sais bien que mes jugements sur les oeuvres dépendent également en partie de leur dimension morale : ainsi, la violence d'Orange mécanique fait partie de la réflexion morale proposée par le film, alors que la violence d'autres films semble purement "gratuite" (ou plus exactement : "payante"). Evidemment, j'exclus de cela tout ce qui relève du moralisme, morale préfabriquée et dogmatique, si typique d'un certain cinéma (et plus encore d'une certaine télévision) made in US.

A l'inverse, mais ça n'a rien de paradoxal, je reste extrêmement fermé à toute oeuvre à prétention "mystique", sauf si elle peut être appréciée en-dehors de cet aspect (2001, par exemple, pour rester chez Kubrick, n'est pas pour moi un film mystique, même si je conçois que d'autres puissent le percevoir ainsi). J'aime les oeuvres qui contribuent à une réflexion lucide sur la vie, ainsique celles qui répondent par leur beauté à l'absurdité de l'existence. Mais dès que ça essaye de près ou de loin de nous fourguer des balivernes ...

Mais s'il y a des oeuvres qui se prêtent éventuellement à une approche mystique (je laisse au rebut celles qui s'y prêtent obligatoirement), il y en a aussi dont le mysticisme est totalement absent : le cinéma de Tati, par exemple, purement concentré sur la transfiguration du réel par la vision qu'on pose sur lui, c'est-à-dire grâce à la poésie ou à l'humour (les deux à la fois dans le cas de Tati). Pour moi, il n'y a que ça : l'Art véritable n'est rien d'autre.


ANARCHISTES HUMANISTES

Curieusement (?), mes artistes préférés ne sont pas forcément les plus engagés à gauche. On sait bien qu'un engagement trop présent gâche souvent une oeuvre artistique ; d'autre part, comme l'a souligné Proust dans son Contre Sainte-Beuve, l'individu et son oeuvre sont deux choses différentes, et c'est ce qui me permet de vénérer le poète qu'est Baudelaire tout en trouvant déplorables certains propos de l'individu Baudelaire (sur George Sand, sur les Belges, et sur bien d'autres choses)

Mes cinéastes préférés (Kurosawa, Eastwood, Kubrick, Tati,...) pourraient sans doute être regroupés sous l'étiquette "anarchistes humanistes". Méfiants et réticents à l'égard de toute forme de pouvoir et de toute atteinte à l'individu au nom d'une collectivité ; assez lucides cependant quant à l'imperfection de l'homme, voire à sa bassesse, pour considérer l'Etat comme un mal nécessaire et ne pas exalter un libertarisme niais ; assez humanistes pour croire malgré tout que l'homme est parfois capable également du meilleur. Ni l'anarchisme militant, irresponsable et sectaire, ni l'anarchisme de droite qui refuse totalement de croire en l'homme. A des titres et à des degrés divers, ceux que j'ai cités semblent correspondre à cela.


O TEMPORA !

Artistiquement, notre époque est pitoyablement exsangue, vouée à l'imitation plus ou moins médiocre des génies passés. J'y songeais tout à l'heure en écoutant Piaf, sublime dans Les Amants d'un jour : à notre époque, il n'y a plus guère de gens de cette force, juste une ribambelle d'ineptes qui vont reprendre des chansons de Piaf à la Star Ac ou dans un concert caritatif. En écoutant A l'Enseigne de la fille sans coeur, je repensais à l'église de Honfleur, et donc au Moby Dick de John Huston, et je me disais qu'aujourd'hui, plutôt que de nous laisser revoir ce chef-d'oeuvre ou d'en créer de nouveaux, le cinéma serait capable d'en faire un remake. Un remake du Moby Dick de Huston ! Avec des effets spéciaux plus efficaces, et tout ! Quelle connerie ! Même avec de très grands acteurs contemporains, quel intérêt de refaire ce que Huston et Gregory Peck ont magnifiquement réussi ? Nous vivons une époque où la créativité semble largement épuisée, peut-être parce que le XX° siècle a été celui de toutes les transgressions et que tout ce qu'on pouvait faire d'intéressant a, dans les grandes lignes, désormais déjà été fait. Une époque rongée par le commerce, vouée à la reprise et au remake, donc. Une époque incapable de susciter l'enthousiasme et la passion, en politique aussi bien qu'en art. Mais comme à toute chose malheur est bon, consolons-nous : une époque sans grandeur et sans génie est une époque infiniment risible.

Donc rions !

PS : Le développement qui précède manque évidemment totalement d'objectivité et de mesure. Toute époque est bien entendu massivement dominée par les médiocres et nous avons simplement oubliés ceux qui entouraient Piaf et Huston. Mais qu'on se reporte simplement à la chanson française des années 60, et l'on verra bien ce que je veux dire. 


PLAISIR ET EXPERIMENTATION ARTISTIQUE

Ecoutant avec plaisir le superbe Requiem de Victoria, ainsi que des madrigaux de Marenzio, je me disais que j'aimais décidément beaucoup la musique de cette époque, sans parler des canons, fugues, etc... alors que les expérimentations de la musique contemporaine, quoique parfois intéressantes, me laissent assez froid. Et je pourrais étendre cela, mutatis mutandis, à tous les arts, peinture, littérature (avec une préférence pour les décennies précédant et suivant 1900), cinéma (surtout celui du milieu du XX° siècle) : en tous cas, dans tous les cas, de moins en moins d'intérêt pour les plus récentes expérimentations.

"L'art est long", certes, mais "le temps est court". J'imagine qu'explorer la musique contemporaine est important pour qui veut avoir plaisir (et/ou reconnaissance) à composer, mais pour un auditeur uniquement soucieux de plaisir, c'est une autre affaire. Question expérimentations, un tel individu, non-créateur, pourra éventuellement se contenter de ses propres expérimentations, par exemple regarder 2001 ou Playtime sans la bande-son, remplacée par une musique de son choix.


DANGER DE L'OEUVRE D'ART

Intéressant développement de Michael Edwards sur le mythe de Dédale chez Ovide :

- l'oeuvre créée pour contenir et enfermer un monstre.

- l'abus d'ambiguïtés (de fausses pistes, pour créer un labyrinthe)

- le fait que l'auteur lui-même a du mal à sortir de son oeuvre.

L'art peut être perçu comme trop peu important (jeu vain et superficiel) ou comme trop important (un univers supérieur à la vie réelle, dans lequel on se laisse enfermer).


MELANGE DES CULTURES

J'aime beaucoup la version qu'a donnée Ridan du fameux poème de Du Bellay "Heureux qui comme Ulysse". Version d'autant plus multi-culturelle qu'elle peut, me semble-t-il (je suis médiocrement compétent dans ce domaine), se danser en an-dro.


ROMANTISME

Jean-François Zygel définissant le Romantisme, dans son émission sur Chopin : "On arrive, on ouvre son ventre, on sort les tripes, et on en parle."


CRITIQUE

La critique négative d'une oeuvre, aussi justifiée soit-elle, est une perte de temps : à quoi bon parler longuement de ce qui n'en vaut pas la peine ? Cette forme de critique n'est donc bien souvent qu'un moyen de pouvoir asséner une opinion qui se veut pénétrante, exigeante et si possible originale. A quoi bon, pour épater la galerie (mais sans doute la question contient-elle ici sa réponse), perdre son temps à décortiquer ce qui n'en vaut pas la peine plutôt que de savourer les oeuvres réussies (rares par rapport à l'ensemble de la production, mais encore bien trop nombreuses pour occuper agréablement une seule vie humaine) ? A la limite, le seul travail critique qui vaille est celui qui nous permet de mieux comprendre comment l'oeuvre fonctionne et nous touche. Et encore ! On se demande parfois si cette analyse est toujours utile pour enrichir notre plaisir, tant elle est le plus souvent redondante par rapport à l'oeuvre elle-même.


LES MOTS NOUS MANQUENT POUR ...

Dans un livret de CD du concerto pour clarinette de Mozart, un certain Erik Smith, après en avoir fait l'historique, l'analyse ainsi : "Il serait vain de vouloir décrire une telle oeuvre : si les mots le pouvaient, nous n'aurions point besoin de musique."

Bien vu. Mais si les mots ne le peuvent pas, avons-nous besoin d'Eriks Smiths ?


ART ET BLUFF

Certaines expérimentations artistiques n'ont d'autre but que de prouver que leur auteur est capable de transgresser les "limites" (limites du bon goût généralement, plus faciles à transgresser que celles du génie humain). La vie est trop brève pour que l'on perde son temps à admirer des cons narcissiques : une vie ne suffit déjà pas à explorer pleinement tout ce qui dans le domaine de l'art nous émeut et/ou nous intéresse vraiment. L'avant-garde juste "pour le principe", l'avant-garde pour l'avant-garde, a sans doute un intérêt pour ceux qui croient en une quelconque révolution (que l'art d'avant-garde aurait selon eux l'improbable capacité de favoriser) ou pour ceux qui ressentent le besoin d'épater une quelconque galerie. Mais pour qui se contente de vouloir "vivre heureux en attendant la mort", l'art véritable (d'avant-garde ou non) suffit.

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Remarque différente mais complémentaire en un sens, concernant moins l'avant-garde que des formes d'art plus populaires, en particulier le cinéma. Il semble qu'on assiste aujourd'hui plus que jamais à un effacement délibéré du passé, des précurseurs. L'art s'est toujours construit sur le meurtre des pères, c'est normal : on ne crée vraiment qu'en dépassant ce qui a déjà été fait auparavant. Mais ce meurtre se déclarait, s'exhibait, se jouait : on se démarquait des anciens en soulignant bien qu'on s'en démarquait.

En revanche, à notre époque d'expansion de l'inculture (sous couvert d'expansion de la "culture-Jack-Lang"), inutile de se donner la peine de dépasser quelque prédécesseur que ce soit. Face à un public qui ne sait quasiment rien de ce qui a pu se faire avant sa naissance, non seulement la référence est inutile, mais on peut même se permettre de refourguer (en plus médiocre et en plus facile) les idées géniales du passé en les faisant passer pour siennes. Les gens qui s'extasient aujourd'hui sur le moindre film esthétisant qui leur semble terriblement "original" seraient sans doute sidérés devant un film d'Orson Welles (mais le génie pur exige du spectateur un effort initial dont nous sommes de moins en moins capables).

Jean d'Ormesson présenta il y a quelques années un de ses romans comme extrêmement original. Il ne faisait pourtant qu'y reprendre, à sa médiocre sauce, des procédés narratifs inventés jadis par d'autres, en particulier par Joyce. Mais comme personne ne lit Joyce, il pouvait y aller au culot et passer pour un écrivain original, voire génial (or je rappelle que nous parlons ici de Jean d'Ormesson !).

Autre exemple : des élèves, confrontés aux Ruines circulaires de Borges, où un homme découvre que la réalité où il vit n'est qu'un rêve, affirment, sans souci de la chronologie, qu'il a piqué l'idée dans Matrix. Il faudrait d'ailleurs encore remonter de Borges à Descartes, etc.


IRONIE

Le problème de la perception de l'ironie a conduit à la proposition d'un point d'ironie, mais surtout à la création effective d'une signalisation de l'humour qui a prospéré sur internet : lol, ;-),... La question doit sans doute être considérée historiquement : quelle infime minorité lisait au XVIII° les grands textes utilisant l'ironie ? Combien l'auraient comprise à l'époque s'ils avaient pu lire ces textes ?

Cela dit, ne simplifions pas. On trouvera toujours des lecteurs a priori cultivé qui ne perçoivent pas l'ironie d'un texte, et il existe d'autre part et depuis toujours des formes d'ironie populaire, comprises par tous. C'est donc avant tout une question de force et d'évidence du signal, signal qui gagne à être verbal plutôt que de se réduire à une lourde ponctuation spécialisée (comparable aux rires intégrés dans les sitcoms), mais signal qui, lorsque l'ironie est particulièrement poussée, risque toujours de ne pas être perçu par tous. Lorsque l'auteur a fait correctement son travail en fournissant un signal minimal (car il est facile de reprocher au public de n'avoir pas perçu l'ironie lorsque l'on n'a rien fait pour la rendre perceptible : on se procure ainsi à très bon compte un sentiment de supériorité), la faute en revient au lecteur trop peu attentif. Question d'habitude, d'entraînement, d'éducation.

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Il y aurait toute une étude à faire sur la difficulté à percevoir humour et ironie à travers les âges. On doit bien admettre qu'un humour qui a besoin d'être souligné est un bien étrange humour, mais qui donc n'a pas expérimenté au moins occasionnellement la difficulté de faire passer certaines plaisanteries par écrit sans risque de malentendu ?

Deux pistes de réflexion qui me semblent importantes :

- la démocratisation de la lecture : ce n'est pas que les gens d'aujourd'hui sont moins capables qu'au XVIII° siècle de saisir par exemple l'ironie extrême mais très peu signalée (coefficient de lolité proche de 0, l'énormité du propos tenant lieu de signal) d'un Montesquieu dans son fameux réquisitoire contre l'esclavage, c'est simplement qu'à cette époque seule avait l'occasion de lire ce texte une infime minorité alphabétisée et déjà habituée, déjà rompue, à ces jeux de l'esprit (du moins à ce niveau de complexité dans l'ironie, car il me paraît évident que des formes simples d'ironie - "ah ! c'est malin !" - ont toujours été utilisées et parfaitement comprises dans les milieux même les moins cultivés). Le problème serait donc simplement qu'on présente aujourd'hui des textes usant d'une ironie complexe à un nombre bien plus grand de gens : il est donc assez naturel que plus de gens qu'autrefois y semblent hermétiques. Cela dit, la diffusion "massive" de ces textes étant liée à une diffusion supposée massive de l'éducation et de la culture, ce nombre plus grand d'individus devrait logiquement être en mesure de les comprendre. Il y a donc surtout à la base un problème d'habitude et d'éducation. Il va de soi qu'une éducation au rabais, fondée sur l'élimination maximale des difficultés et des complexités, ne laisse qu'à une élite restreinte d'élèves curieux le soin d'explorer ce genre de choses et maintient la majorité dans une totale incapacité à les saisir.

- la question de l'oralité : la difficulté à percevoir l'ironie dans un e-mail est peut-être partiellement liée à l'oralité du style qu'on y emploie généralement, ainsi qu'à la lecture plus rapide qui en est faite. Le texte écrit n'a jamais disposé des signaux d'ironie que peuvent constituer à l'oral un regard, une mimique, une intonation : un texte littéraire va tâcher de compenser cela par d'autres moyens. Mais se donne-t-on assez cette peine lors de l'écriture d'un mail ?

Accessoirement, le problème se complique davantage lorsque l'ironie devient instrument de bluff, manière d'affirmer une supériorité intellectuelle illusoire à travers une communication délibérément trop cryptée pour être comprise par qui que ce soit.


LIMITES DU RIRE

Si l'on cessait de juger choses et gens à l'aune de ses propres habitudes, si l'on se risquait à tenir compte systématiquement (maladivement ?) de la souffrance de tous quels qu'ils soient (et non uniquement du seul intérêt du clan restreint des gens qui comptent pour nous), alors ce que l'on appelle communément (et improprement ?) "humour" dans la vie sociale deviendrait quasiment impraticable, ne laissant plus la place, au mieux, qu'à l'auto-dérision et à la satire des seuls puissants.

D'un autre côté, ce comique qui repose sur le rassurant sentiment que nous avons de la supériorité du cercle auquel nous appartenons par rapport aux gens dont nous rions, en nous donnant l'illusion que nous ne sommes pas nous aussi de bien pauvres choses dont la condition misérable est seulement plus ou moins bien voilée par un certain nombre d'illusions sociales, et bien ce comique-là est après tout une technique de survie plutôt efficace (sans parler de l'humour comme arme). C'est un peu comme la prédation : on peut trouver un peu abject que les bestioles passent leur temps à s'entrebouffer, mais sans ça pas de survie des individus et de l'espèce. Alors que faire ? Il reste, loin du "comique mondain" (celui qui crée du lien rassurant etre A et B, éventuellement entre A et A, au détriment de C), le véritable l'humour, celui qui est "la politesse du désespoir" (Oscar Wilde ?) et qui sert, comme le disait Desproges à "vivre heureux en attendant la mort". Mais voir les choses ainsi, c'est exactement comme refuser la prédation : c'est faire peu de cas de la survie et du dynamisme de notre espèce, de notre nation et autres balivernes qu'il convient, paraît-il, de perpétuer.

"Oh you're no fun anymore !" comme se plaisaient à répéter à tous propos les Monty Python.


COMIQUES PAS DRÔLES

Peut-on rire de tout ?

Certainement, mais le problème, c'est que lorsqu'un pseudo-humoriste sans talent essaie de faire rire sur un sujet déprimant, il le rend encore plus déprimant.


BETE ET MECHANT

Il y a quelques décennies se développa une forme d'humour que l'on peut qualifier, en référence à Hara-Kiri, de "bête et méchant". "Bête" était mis par antiphrase et on s'abstenait, par modestie, d'ajouter "... mais drôle". Aujourd'hui, beaucoup de ceux qui s'inspirent de cet humour (ou, pour mieux dire, qui exploitent ce filon) relèvent d'un courant qu'on pourrait qualifier de "transgressif, bête et méchant". "Transgressif" est mis par ironie et on s'abstient, par modestie, d'être drôle.


ILIADES ET ODYSSEES

Il semble que ce soit Raymond Queneau qui ait suggéré que tout roman était soit une Iliade, soit une Odyssée (il déclare avoir entendu Michel Butor évoquer l'Iliade dans cette optique, mais pas l'Odyssée). Riche idée, mais qu'il explique de façon assez discutable, selon une opposition sans grand intérêt ni pertinence : soit un récit où un individu se détache sur le fond de l'Histoire (l'Iliade, à cause du rôle d'Achille), soit un récit centré sur le destin d'un personnage (l'Odyssée). J'ai toujours cru (mais peut-être est-ce parce que j'ai trouvé cette opposition chez un autre auteur, Borges peut-être ?) qu'il s'agissait plus simplement (mais plus efficacement) d'opposer les récits de l'affrontement aux récits du voyage et de l'expérimentation. Et je m'y tiendrai donc.


LA REMONTEE DU FLEUVE

Si l'on accepte la classification schématique en récits de l'affrontement (type Iliade) et récits du voyage (type Odyssée), il y a dans le second genre une sous-catégorie essentielle et fascinante qui est "la remontée du fleuve". Alors que le plaisir de l'Odyssée vient de la variété (déplacement erratique de lieu en lieu et rencontres diverses), il s'agit ici au contraire d'un crescendo, d'un enfoncement progressif et étouffant dans l'Inconnu. Relèvent entre autres de ce genre : Au Coeur des Ténèbres de Conrad, devenu Apocalyse Now au cinéma ; Aguirre et Fitzcarraldo de Werner Herzog (on notera au passage que dans Fitzcarraldo, Sarah Bernhardt est supposée être interprétée par Jean-Claude Dreyfus !) ...

Curiosité : African Queen inverse le mouvement et redescend le fleuve.


LA PLATITUDE DU JOUR

Une oeuvre d'art réussie est toujours un habile mélange de tradition et d'innovation.


ART DE L'ENCENS

La poésie et la musique doivent avoir quelque chose à faire avec le souffle, le spiritus, le vent, l'impermanent, le passager, le non-analysable, l'ondoyant, comme les parfums. A ce propos, j'ai appris récemment l'existence dans la culture japonaise du Koh-Do (Voie de l'encens) qui est un art comparable pour l'olfaction à ce qu'est la musique pour l'ouïe, ou si l'on préfère rester prudent dans ses comparaisons, à ce que sont l'oenologie et la gastronomie pour le goût. C'est un phénomène culturel extrêmement raffiné, avec des jeux complexes consistant à reconnaître des encens différents et à composer des poèmes sur chacun d'eux.

Pour ceux qui ont de l'argent à investir dans le Koh-Do, signalons cet intéressant produit au tarif tout aussi intéressant (2940 euros, soit 84 euros le bâtonnet). Je ne donne l'adresse que pour les éventuels sceptiques qui me soupçonneraient d'avoir inhalé de l'encens précieux de façon abusive.

http://www.encens-de-qualite.com/encens-du-monde/encens-precieux-kyara.html

On notera avec profit les 10 vertus de l'encens :

Ouvre l'esprit à la spiritualité

Purifie le corps et l'esprit

Libère l'esprit trop occupé

Développe l'esprit d'éveil

Compagnon dans la solitude

Apporte la paix dans l'agitation

Même en abondance on ne s'en lasse pas

Même en petite quantité on s'en satisfait

Le temps n'altère en rien ses qualités

S'utilise quotidiennement sans risque

Avec d'autant plus de profit que cette liste peut tout aussi facilement s'appliquer à diverses choses ou gens : les considérations politico-économiques de Steevy, la musique, l'Amour, l'amour, la littérature, mes cours, Gilles Lapouge le vendredi sur France-Culture, et autres activités plus ou moins condamnées par le Vatican


SAVOIR DIRE

De plus en plus d'acteurs (mais j'idéalise peut-être un passé qui m'est inconnu) semblent incapables de dire des vers correctement. J'ai récemment emprunté avec gourmandise un CD sur lequel Gérard Desarthes lit des poèmes de Rimbaud : il est indéniable que Gérard Desarthes a une très belle voix, mais il lit cela n'importe comment, sans aucun respect de la métrique et des enjambements, et parfois même sans visiblement se soucier de comprendre ce qu'il lit. De manière générale, les textes qui sont lus sur une station a priori sérieuse (quoique dirigée de 1999 à 2005 par Laure Adler) comme France Culture, le sont de façon épouvantable (*). J'aurais tendance à relier cela à l'importance disproportionnée que notre monde contemporain donne aux interprètes, ce qui incite ceux-ci à se soucier davantage de leur ego que des oeuvres qu'ils sont supposés servir. Cette façon de cultiver sa voix et sa diction pour charmer les oreilles (syndrome du "on pourrait l'écouter des heures lire l'annuaire"), mais de se contrefoutre absolument du texte qu'on lit, semble caractéristique des acteurs actuels. D'ailleurs y a-t-il encore de grands acteurs aujourd'hui, de la dimension d'un Jouvet, d'un Michel Simon (**), d'un Blier, d'un Noiret,... ? Certainement pas le stupide et ressassant Depardieu qui n'est qu'instinct et qui tourne de plus en plus en rond. Même Michel Serrault semble désormais tourner en rond.

En tous cas, on pourra comparer ces lectures ineptes avec les trois poèmes de Paul Fort (L'Enterrement de Verlaine, Germaine Tourangelle, Petit Verglas) enregistrés par Georges Brassens. On ne peut pas dire pourtant que Brassens ait une voix extraordinaire, mais on sent ici quelqu'un (un auteur lui-même) qui aime et qui comprend les textes qu'il dit et qui s'efface totalement à leur profit, bref un véritable artiste.

Autre régal : les textes dits par Eugène Green avec la prononciation du XVII° siècle, en particulier les Contes de Perrault.

(*) : De même pour Michaël Lonsdale lisant l'essai De l'Amitié, de Montaigne. Une voix somptueuse, idéale pour lire Montaigne, mais Lonsdale se trompe carrément sur des mots, se souciant visiblement peu de comprendre ce qu'il lit, et ça ne semble gêner personne puisqu'on publie ça alors que certaines phrases n'ont plus aucun sens.

(**) : Qu'on l'écoute par exemple lire le début du Voyage au bout de la nuit ! Extradordinaire ! Tout comme les lectures de Céline par Pierre Brasseur et Arletty


SAVOIR DIRE (SUITE) : LUCHINI ASSASSINE LA FONTAINE

J'attendais beaucoup de la voix de Luchini disant La Fontaine sur un CD. Encore une sacrée déception ! Liaisons, métrique, et même signification, rien n'est respecté. Pourtant capable de porter haut de tels textes, Luchini se contente de faire du Luchini. Enregistrement bâclé, visiblement, sans deuxième prise lorsque Luchini (qui semble découvrir certains textes au moment de les lire) se trompe dans son texte, choisit un tempo en totale contradiction avec ce qu'il dit,... Prétendant rendre la culture plus populaire, Luchini se fout apparemment de la rendre compréhensible. Il se dit visiblement que la seule magie de sa diction sans pareille est bien suffisante pour épater tous ces peigne-culs. Ce n'est pas La Fontaine qu'il s'agit de promouvoir, c'est Luchini, en tant que "grand acteur cultivé et merveilleux lecteur des grands textes". Imposture.


CONTRE LE THEÂTRE

Quelques tentatives d'explication à mon manque d'intérêt pour le théâtre (outre le problème de diction évoqué ci-dessus, et outre les raisons purement subjectives telles que mon manque de goût pour la foule) :

- Le théâtre est un art "impur" au sens où l'oeuvre naît d'un travail collectif et non du génie ou du talent d'un seul artiste. Plus exactement, il ne nous donne accès à l'oeuvre de l'artiste que par la médiation d'interprètes, lesquels (tant acteurs que metteurs en scène) ne sont pas forcément sympathiques et sont parfois plus soucieux de leur ego que de l'oeuvre. Le théâtre me semble également plus propice aux jeux de pouvoir que, par exemple, le roman ou la poésie. Cela dit, les mêmes remarques pourraient plus ou moins être faites sur la musique et le cinéma, pour lesquels cela me pose pourtant nettement moins problème, peut-être parce que la médiation de l'interprète y est moins pesante.

- D'autre part, la tendance au dépouillement de nombreuses mises en scène m'ennuie copieusement. Il paraît d'ailleurs que cette tendance vient essentiellement, en France, de Jacques Copeau, lequel était catholique, fut vichyste durant l'Occupation et voyait dans ce retour à l'essentiel du théâtre une réponse au cinéma. Eh bien, j'aime mieux le cinéma, voilà.

- Peut-être aussi suis-je rebuté par le lien originel du théâtre avec le sacrifice, avec la religion, avec l'exaltation, avec la communion collective. Le roman, démarche individuelle, réaliste et analytique, est davantage tourné vers la compréhension, l'intelligence du monde, la froide lucidité plutôt que l'enthousiasme d'une quelconque foi (en Dieu, en la communauté, en le théâtre,...)


ET DES TACHES DE VINS BLEUS ET DES VOMISSURES ...

"Carmen" de Francesco Rosi est un film produit, entre autres, par Dassault. Cela me choque autant que la dédicace à Francis Bouygues du "Little Buddha" de Bertolucci.

Que des vautours de l'industrie et des marchands de mort ressentent le besoin de se racheter un peu à leurs propres yeux en finançant des projets culturels de qualité ou des oeuvres humanitaires, pourquoi pas ! Mais il y a une indécence totale à le dire, à le montrer, à souiller une oeuvre d'art en y associant pour l'éternité son putain de nom faisandé.


AMSTERDAM

Devant le palais royal, un écossais en costume joue du bag-pipe, enchaînant morceau sur morceau et ne faisant de rare pause que pour se griller une cigarette : une sorte de Charly Oleg des Highlands. Impressionnant !

Musée Van Gogh en travaux, partiellement déplacé dans une annexe du Rijksmuseum. Expo de satuaire asiatique également. A noter que les statuers indonésiennes ont parfois les moustaches du commissaire Valentin, dans les Brigades du Tigre. Et les cambodgiennes sont les seules statues à présenter des lèvres épaisses, plutôt sensuelles.

Trop peu de temps pour le Rijksmuseum lui-même. Quelques Vermeer luisants, Rembrandt, de superbes marines avec des galions au port, en plein combat ou pris dans la tempête. Et les salles du rez-de-chaussée consacrées au mobilier, avec des meubles splendides de luxe, de calme et de volupté et une petite salle présentant de très belles tabatières. Les assiettes et les vases me gonflent vite, mais j'adore les tabatières.


PASSERELLES ET VIOLONCELLES

Tombé sur la fin d'un reportage concernant Yo-Yo-ma chez les bushmen. Un vieux type (sorti d'où, je ne sais, sans doute un autre violoncelliste ... ?) compare les cultures à des passerelles :

"C'est bien là le problème du monde. Il est plein de ponts que les gens ne traversent pas : ils les prennent pour des barrières."


ZEN

Dans La Pratique du zen, de Taisen Deshimaru (intéressant, mais souvent sottement religieux), ce passage plutôt poétique :

"Que nous arrivions en ce lieu,

même si nous regardons tout le jour,

c'est comme si nous n'avions pas d'yeux,

même si nous écoutons toute la nuit,

c'est comme si nous n'avions pas d'oreilles.

Mélodie d'une harpe sans cordes,

ou d'une flûte sans trous,

cette musique émeut les coeurs les plus froids,

son harmonie bouleverse l'esprit le plus ironique."


BELLES LEGENDES CELTES

Dans le livret de leur Album "Causeway" (1995), Arty McGlynn et Nollaig Casey racontent l'origine légendaire de la Chaussée des Géants. Le géant irlandais Finn McCool l'a construite au-dessus de l'océan pour permettre au géant écossais Bennandonner de venir l'affronter en combat singulier. Voyant arriver Benandonner et le jugeant trop gigantesque à son gré, Finn McCool prit la fuite et se déguisa en bébé au berceau. Impressionné par ce qu'il crut être le bébé de Finn et évaluant d'après cela les dimensions du père, Benandonner prit la fuite à son tour, détruisant la Chaussée derrière lui pour empêcher Finn de le suivre.

Les livrets de Tannahill Weavers sont eux aussi plein de récits instructifs.

* L'histoire de Lucy Cassidy : "For 20 years, she was married to a man who had a severe drinking problem : he only had one mouth" (ça passe moins bien en français : elle était mariée depuis 20 ans à un homme qui avait un sérieux problème avec la bouteille : il n'avait qu'une seule bouche")

Un jour, son mari trouve au fond d'un tiroir une belle somme et trois balles de golf. Il la félicite d'avoir fait toutes ces économies, mais est intrigué par les balles. Lucy lui explique qu'il y a parfois des nuits où elle souhaite avoir "a bit of fun, too" et où, lorsqu'il rentre tard et saoûl, roulant des yeux à la porte de la chambre en disant "the next time that bed comes 'round, I'm getting on", eh bien elle va chercher du réconfort auprès de leur voisin golfeur, qui lui donne à chaque fois une balle en souvenir. Et elle conclut son explication : "Et une fois que j'en ai douze, je revends le lot une livre."

* A la bataille de Prestonpans (1745), le général anglais Johnnie Cope fut si effrayé par le son des cornemuses de ses adversaires écossais qu'il s'enfuit directement et rentra en Angleterre bien avant ses troupes. Quand on lui demanda pourquoi il avait couru si vite, il répondit que c'était parce qu'il ne savait pas voler.

* Dream Angus est le marchand de sable écossais. Il a une bouteille de whisky avec lui. Le temps qu'il finisse sa bouteille, les enfants peuvent s'endormir. S'ils ne sont pas endormis au bout de ce laps de temps, il les assomme avec la bouteille vide.

***

Autre légende. La déesse celte Brigit rencontre onze lépreux cherchant à boire. Elle a de l'eau à leur offrir, mais se dit que c'est l'occasion de faire un miracle : elle plonge sa main dans l'eau et la change en bière.


DEFENSE ET ILLUSTRATION DES QUATRE SAISONS

Je déteste ces cons qui assènent péremptoirement que (par exemple) les Quatre Saisons de Vivaldi ne méritent pas d'être écoutées car trop fréquentées, trop rebattues, trop "populaires", finalement. Jean-Bernard Piat, dans son excellent Guide du mélomane averti, recense en s'en moquant ce genre de jugements.

Je ne conteste absolument l'établissement de jugements de valeur portant sur les oeuvres d'art. Même si chacun a le droit de prendre son plaisir où il le trouve, y compris dans des oeuvres médiocres, il me paraît sain de rester conscient du fait qu'une pièce de Shakespeare a plus de valeur culturelle qu'une pièce de Feydeau (même si celle-ci peut constituer un excellent divertissement). Ce n'est qu'une question de lucidité et non une obligation morale : chacun a tout à fait le droit, tout en reconnaissant la supériorité de Shakespeare, de se contenter des pièces de Feydeau, voire des films de Max Pécas. Mais celui qui prétendrait que tout se vaut et que Max Pécas a autant de génie que Shakespeare, celui-là serait un répugnant individu, ou éventuellement un ex-ministre de la Culture ultra-démagogue et prêt à vendre père et mère pour retrouver une fonction gouvernementale.

(Passons. Ne tirons pas sur des gens qui sont déjà moralement morts.)

Donc, chacun est libre de ne pas fréquenter les plus belles oeuvres et de se contenter d'oeuvres médiocres, du moment qu'il ne prétend pas tout mettre sur le même plan. Mais rien de tel en ce qui concerne les Quatre Saisons. Ces concertos ne sont absolument pas inférieurs en quoi que ce soit au reste de l'oeuvre de Vivaldi (je recommande cependant vivement le Concerto pour cordes RV 159). Ils sont au contraire l'exemple d'une oeuvre à la fois belle et appréciée du grand public. Car c'est leur réussite esthétique qui fait leur large succès, en particulier leur richesse mélodique (je laisse de côté les trouvailles pseudo-imitatives qui peuvent parfois laisser sceptique). La condamnation dont font l'objet les Quatre Saisons, comme d'autres grandes oeuvres aimées d'un vaste public, n'est que l'expression aigre d'un snobisme attaché à se démarquer de la masse, y compris lorsque la masse a raison. Il est évidemment intéressant de découvrir, chez Vivaldi et ailleurs, d'autres oeuvres moins connues, mais ce n'est pas une raison pour cracher sur les Quatre Saisons.

Et ce que je dis là est valable aussi pour le Canon de Pachelbel (même s'il n'est pas réellement de Pachelbel : on s'en fout, c'est beau).


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