D
DANTE (1265-1321)
Par goût du paradoxe, Borges a soutenu que le Paradis de Dante était aussi beau et passionnant que le reste de la Divine Comédie. Hormis des catholiques et peut-être des gens très sensibles à la poésie de la langue italienne (ce qui était peut-être le cas de Borges, même s'il avoue qu'il a - tout comme moi - découvert et un peu appris l'italien uniquement par cette lecture), je ne vois pas qui peut s'enthousiasmer pour cette lourde "théologie pour les nuls". On y trouve quelques beaux passages descriptifs, mais on est très loin des splendeurs poétiques de l'Enfer, et même du Purgatoire, lequel mérite également d'être lu, après quoi, on peut s'arrêter là : je ne finis pour ma part le Paradis que pour savoir qui est l'assassin, mais je n'y retrouve vraiment pas le plaisir des deux premières parties.
Borges a beau dire et vouloir bousculer les évidences, l'Enfer est un lieu littérairement plus intéressant que le Paradis et il en est ainsi dans le poème de Dante, d'autant plus qu'Enfer et Purgatoire permettent une véritable narration.
Les moments forts sont nombreux, notamment dans l'Enfer et je me contenterai de renvoyer à la scène sidérante du chant XXV.
***
La poésie de la Vita Nuova passe assez bien également, même en traduction. Mais on peut être surpris par la manière dont Dante tient à « expliquer » chacun de ses poèmes en indiquant ses divisions et en reformulant ce dont parle chacune d'elle, une paraphrase qui semble a priori totalement inutile mais qui tient sans doute à la perception de cette poésie à son époque, à la nécessité de clarifier les éventuels détours rhétoriques. Le chapitre XXV est intéressant sur ce point puisque Dante y explique que ses textes en vers rimés sont de la poésie en langue vulgaire au même titre que les vers mesurés de la poésie latine, et qu'à ce titre il est loisible d'y prendre certaines libertés comme de personnifier l'Amour.
Jean-Pierre DARROUSSIN
(né en 1953)
En revoyant Notre Histoire de Blier (un régal), j'ai réalisé que j'avais vu et apprécié pour la première fois Darroussin dans ce film, mais sans faire ensuite le lien avec l'acteur "découvert" dans Mes Meilleurs Copains.
DAVE (né en 1944)
De sa discographie, on retiendra en particulier ces trois albums : Dave (premier album, en 1975), Dave (troisième album, en 1977) et Dave (neuvième album, en 1993).
***
"Hélène, ça rime à quoi
De vivre au Sud pour avoir froid ?"
Quant à L'Année de l'Amour, c'est une chanson extrêmement engagée, pour du Dave. Il a dû se faire admonester, le pauv' Dave ! C'est peut-être bien pour ça qu'on ne l'a plus entendu pendant des années. Il dérangeait trop de monde : on l'a fait taire !
Josée DAYAN (née
en 1943)
J'attendais beaucoup de la nouvelle adaptation par Josée Dayan des Rois maudits, à cause des décors de Philippe Druillet qui est un génie. Hélas, Josée Dayan, qui à ce que je vois n'est pas une génie, fait passer en accéléré des nuages orangés par dessus lesdits décors en espérant faire mode : c'est hyper kitsch et nul, pour tout dire.
L'interprétation est globalement lamentable, la plupart des acteurs récitent leur texte sans avoir l'air d'y croire.
Quelques dialogues savoureux par ci par là (pour ça, je suppose qu'il faut dire merci à Maurice Druon). Au moment de l'incendie du chateau, Robert d'Artois, à travers la grille qu'il vient de faire retomber, lance à sa tante qui sort des flammes et s'approche très paisiblement (agacée certes, et même assez remontée, mais pas affolée le moins du monde) de ladite porte pour voir qui a fait le coup, seule évidemment car le réalisme doit être absolu :
- Ce château sera ton bûcher ! Avant le jour, je cracherai sur ta charogne, Mahaut de Bourgogne ! lance donc Robert Torreton, ce à quoi Jeanne Moreau de Bourgogne (qui, elle, se donne à fond en croyant qu'elle joue dans un vrai film) répond en éructant avec flamme sa tirade allitérée :
- Robert ! Salissure de ma race ! Salissure de la race de Saint Louis ! J'aurai ta mort, Robert ! Je te tuerai de mes mains ! Et ma haine te suivra en enfer !
Cela étant (si bien) dit, elle rentre dans les flammes avec dignité.
Comme je parlais à quelqu'un de Tchéky Karyo dans les Rois Maudits, je m'entends répondre " je croyais qu'il était mort". J'ai vite compris qu'il s'agissait d'une confusion avec Ticky Holgado, lequel, dans le rôle de Philippe le Bel, aurait été une erreur de casting certaine.
***
Bien plus intéressantes sont les récentes adaptations par Josée Dayan de plusieurs romans de Fred Vargas, ainsi que la série Capitaine Marleau, avec, dans les deux cas, la présence en guest stars de grands comédiens et comédiennes, généralement excellent.e.s, même Gérard Depardieu pour une fois. L'humour est déjà présent dans les Fred Vargas, comme dans cette scène de photocopieuse, mais évidemment plus encore dans Capitaine Marleau, où Corinne Masiero, quasiment en roue libre, s'en donne à coeur joie, comme ici ou bien encore là. Il y a dans les intrigues policières de cette série (outre le fait qu'elles sont souvent tirées par les cheveux) une fréquente empathie pour les coupables, souvent eux-mêmes des victimes en quête de vengeance. Le résultat, sans doute involontaire, est que Marleau semble inutilement cruelle et blessante envers eux pour le seul plaisir d'une vanne. On goûterait davantage son cynisme s'il s'appliquait aux assassins que traque Columbo, qui sont, eux, généralement arrogants et imbuvables. Mais ne boudons pas notre plaisir.
Gilles DELEUZE
(1925-1995)
Dans son interview-abécédaire :
- Il y a par exemple un animal qui reconnaît son conjoint sur son territoire, mais qui ne le reconnaît pas s'il le rencontre à l'extérieur.
- Quel animal ?
- Je ne sais plus quel animal ... Faut m'croire.
***
- Tu as fait de la boxe aussi, je crois ?
Deleuze : Oh noooooon ! J'ai fait un peu de boxe, mais on m'a fait mal, j'ai arrêté tout de suite.
Demi-savants
Au moment de l'affaire Dreyfus, Maurice Barrès (qui lui même n'était pas la moitié d'un connard) écrit : « Rien n'est pire que cette bande de demi-intellectuels. Une demi-culture détruit l'instinct sans lui substituer une conscience. » Sans même commenter l'ineptie de pareils propos dans leur contexte, ils font inévitablement penser à ceux de Blaise Pascal, autre idéologue réactionnaire, concernant ce qu'il appelle les « demi-savants ». Les motivations de Pascal sont sans doute un peu moins nauséabondes, mais la logique est la même : discréditer l'usage de la Raison au bénéfice d'une idéologie débile. Bien sûr, Pascal a en partie raison : une culture incomplète peut conduire à des aberrations. Oui, mais toute culture est forcément incomplète, toute démarche intellectuelle est un effort vers une meilleure compréhension des choses mais n'implique pas pour autant la certitude d'avoir tout compris. Bien sûr, le « demi-savant » qui croit détenir la vérité existe : Homais et bien d'autres personnages réels ou imaginaires le montrent. Mais ce demi-savant qui croit détenir une vérité définitive n'est pas plus con que le croyant qui pense de même, et même sans doute l'est-il tout de même un peu moins car sa démarche intellectuelle s'arrête trop tôt, certes, mais elle a du moins le mérite d'exister.
Demi-savant ne veut pas dire grand chose : il est difficile de quantifier la démarche intellectuelle. On peut tout au plus déplorer qu'elle s'arrête trop tôt et trop facilement. Pascal a raison de critiquer ce type de personnages mais il le fait pour de mauvaises raisons, persuadé qu'il est que l'homme véritablement intelligent, conscient des limites de la Raison, ne peut qu'y renoncer au bout du compte pour revenir aux pseudo-vérités de la religion, avec sans doute cette idée que l'homme vraiment intelligent « sent » bien que la vérité est là. Tissu de conneries, évidemment. Avoir conscience des limites de la Raison doit inciter à la prudence, à la remise en question permanente, mais certainement pas déboucher sur le retour à l'adhésion « instinctive » aux balivernes qu'on cherche à nous imposer.
On peut être un demi-savant et en avoir conscience, mais surtout il y a suffisamment d'exemples qui nous montrent qu'on peut être un très grand savant et ne pas pour autant revenir à la foi. D'ailleurs, lorsqu'un homme très intelligent revient vers la foi, ce qui arrive bien entendu, ce n'est jamais par l'usage de son intelligence mais parce qu'il a laissé ses sentiments, ses peurs, prendre le pas sur son intelligence, chose dont n'importe quel demi-savant ou abruti complet est également capable, chose qui n'a rien à voir avec le degré de savoir d'un individu.
Jacques DEMY (1931-1990)
De même que, comme la plupart des gens encore au début des années 80, je prenais alors Clint Eastwood pour un crétin fascisant sans avoir vu un seul de ses films, j'ai longtemps eu de forts préjugés contre Demy et ses personnages qui parlent en chantant, préjugé trop fort pour que je me hasarde à voir un film de Demy. Et puis je suis tombé, certainement par hasard, en tous cas en cours de route, sur le film magique et coloré que lui a consacré Agnès Varda, Jacquot de Nantes. Film-révélateur et film-révélation, qui m'a permis d'accepter d'entrer dans l'univers si particulier de Jacques Demy, où l'apparente niaiserie est toujours intelligemment teintée d'humour.
Je n'aime pas tout Demy avec la même force, mais même les films auxquels j'adhère le moins facilement, comme Les Parapluies de Cherbourg, ont un charme certain (et il faut voir, dans ce film, les deux personnages avancer dans la rue, lui poussant un vélo, le tout sans remuer les jambes ! mais même en riant de ça, on ne rit pas de Jacques Demy).
Peau d'âne est d'une inventité formidable, mais mon préféré reste indéniablement, malgré mon agacement initial face aux mélodies souvent toutes pareilles de Michel Legrand, Les Demoiselles de Rochefort, leurs mélodies bien identifiables (pour une fois !), leurs couleurs insensées, la séquence d'ouverture avec les parapluies, l'humour noir et prémonitoire (un tueur en série nommé Subtil Dutroux), un optimisme et une joie de vivre auxquels personne ne peut adhérer sérieusement et auxquels le film nous fait pourtant adhérer, Gene Kelly exceptionnel, des décalages savoureux entre le fait que les personnages chantent et le contenu de ces chansons, ... Sur ce dernier point, tout le monde connaît dans la chanson des "Soeurs jumelles" les vers fameux au sujet de leur mère :
"Elle voulait de nous faire des érudites
Et pour cela vendit toute sa vie des frites."
Mais mon passage chanté favori reste celui de l'essayage des robes en lamé rouge :
"Attends une minute !
Tu n'as pas peur que ça fasse un peu pute ?"
Voir aussi les flics, chantant :
"Ne restez pas là ! Circulez, soyez chics !
- Nous ne voulons pas vous être antipathiques.
- Ne nous forcez pas à vous cogner dessus à bras raccourcis."
L'ambiance des Demoiselles est totalement inédite et improbable, et c'est une ambiance dans laquelle, sans y croire, on a pourtant envie de se replonger régulièrement, pour le bonheur qu'elle nous procure. Car c'est évidemment un de ces films qu'on pourrait, je crois (comme le 2001 de Kubrick, comme la tétralogie Hulot de Jacques Tati, et comme quelques autres), voir et revoir indéfiniment sans jamais se lasser.
***
A y regarder de plus près, les personnages avec lesquels nous sympathisons si aisément dans ce film sont en réalité plein de défauts déplaisants. Sans même parler des forains, de Maxence avec son jeu de mots stupide, de Boubou en colère qui jette son cartable, les soeurs Garnier ont souvent un caractère déplorable et se soucient d'ailleurs moins d'Art que de réussite personnelle au moyen de l'Art. Mais bien sûr, tout le talent de Demy est dans ce paradoxe.
***
Jean Douchet observe que, tandis que les autres cinéastes de la Nouvelle Vague rejettent le studio et sortent filmer la rue, Demy fait une chose assez étonnante : il transforme la rue en studio, il la repeint, la redécore, la rend artificielle.
***
Le Sabotier du Val de Loire, magnifique de simplicité et d'humanité. Suivi d'autres courts métrages de Demy, Ars et la Luxure (où l'enfer est représenté de façon bricolée, mais assez étonnante).
La Baie des anges n'est certainement pas le film de Demy que je préfère, ne raffolant ni de Jeanne Moreau ni des histoires de jeu. Même en me souvenant que je l'avais découvert avec plaisir, je craignais un certain ennui en le revoyant, mais ce n'est pas le cas, c'est malgré son sujet un très bon film. Dès le début, on est frappé par ce long mais rapide travelling arrière du générique sur la promenade des Anglais.
Model Shop, intéressant en tant que rareté, mais plus sombre que le très beau film qu'est Lola (donc on retrouve ici l'héroïne), et le cadre américain (une Californie de 1969 dont le décor et la texture de l'image évoquent un peu le superbe Breezy de Clint Eastwood), sans parler de la langue, se prêtent peut-être moins bien à l'univers de Demy.
Une chambre en ville. La première scène est très impressionnante et contient par ailleurs un slogan dont je m'étonne qu'il ne soit pas davantage repris dans les manifs, en particulier ces dernières années : "Police, milice ! Flicaille, racaille !"
Parking se laisse voir surtout pour ses trouvailles visuelles, en particulier pour la représentation des enfers. Mais le concept intéressant qui consiste à faire d'Orphée une rock-star tombe un peu à plat : parce que Demy en fait plutôt une sorte de troubadour médiatisé, parce que les chansons de Legrand ne sont pas adaptées, et surtout parce que Huster chante lui-même (et qu'il n'a pas vraiment de voix).
Trois places pour le 26. Même si la personne de Montand m'est antipathique, c'est un film qui a beaucoup de charme. Plus que les scènes se passant au théâtre, ce sont les scènes extérieures qui me plaisent car elles retrouvent assez largement l'esprit des Demoiselles de Rochefort, par l'atmosphère, les décors, les costumes,... et Mathilda May danse très bien.
DERRICK
Plus déprimant que Derrick ?
Les pubs diffusées après Derrick (pubs médicales ou funéraires, bande-annonce du Malade imaginaire avec Christian Clavier,... de quoi se flinguer !)
Pierre DESPROGES
(1939-1988)
De ses interviews littéraires rocambolesques de Sagan ou de Jean-Edern Hallier à la quotidienne et télévisée Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède, de ses chroniques radio à ses one-man-shows, en passant par son Almanach et ces quelques ouvrages indispensables que sont le Dictionnaire superflu à l'usage de l'élite et des bien nantis ou le Manuel de savoir-vivre à l'usage des rustres et des malpolis, Pierre Desproges est un des plus grands humoristes impopulaires de tous les temps. A peu près à la même époque, Coluche était un grand humoriste provocateur mais populaire. Desproges a toujours pris les gens à rebrousse-poil, en permanence dans le second degré et l'ironie, et souvent dans l'humour le plus noir, à la manière d'un Jonathan Swift suggérant de manger les enfants des pauvres.
On appréciera également, dans le Dictionnaire et l'Almanach, le talent de Desproges pour légender une même image de manières très variées.
Desproges était un des plus grands humoristes qui soient. Comme Coluche, sa mort trop précoce a laissé surgir une quantité d'ersatzs plus ou moins oubliables (eux).
Cela dit, la provocation facile a tellement envahi les medias depuis cette époque qu'on peut se demander si la provocation radicale mais élégante d'un Desproges aurait le même impact aujourd'hui, si elle ne risque pas de passer pour fade et trop cérébrale pour un public habitué aux provocations pseudo-extrêmes (en réalité sans grande portée) d'un Michael Youn ou de ce qu'on appelle "l'esprit Canal+".
Un des rares à avoir été aussi (réellement) percutant que Desproges, en plus politisé, c'était Patrick Font, avant cette affaire de moeurs qui l'a plus ou moins réduit au silence. Difficile de mesurer ce qu'on a perdu avec cette affaire. C'était, je crois, l'époque de Jospin et de la gauche plurielle, l'époque du grand affadissement, du grand engourdissement (cf. gourde ; cf. Ségolène Royal).
***
"En amour, on est toujours deux : un qui s'emmerde, et un qui est malheureux."
"L'Histoire, pour un jeune, c'est la période qui va d'hier soir à demain matin."
***
DESPROGES EST VIVANT
Tel est le titre d'un documentaire réalisé par Riou et Pouchain. L'ensemble est très bien fait, hormis l'idée saugrenue de confier une partie de la narration à Antoine de Caunes. Celui-ci émaille évidemment son propos de remarques amusantes, évoquant "ce gros con de Stéphane Collaro dont la naturelle vulgarité suinte déjà sous le goître balladurien naissant" ou encore l'interview de Sagan, "une séquence célébrissime que l'on ne se lasse pas de revoir et que certains ne se lassent pas de piller." Tout ceci serait assez drôle venant de Desproges lui-même, mais on se demande si Antoine de Caunes a la légitimité nécessaire. Lorsqu'il évoque l'écriture de Desproges, "un écrivain, un vrai, avec un style comme rêveraient d'en avoir la quasi-totalité des rigolos de service", on sent bien que c'est pour lui qu'il laisse la porte entr'ouverte. Quelle présomption ! Et de continuer à distribuer les bons et les mauvais points, à asséner ses certitudes, avec toute son arrogance d'humoriste de gauche, "tendance" et bien-pensant ... Alors, oui, bien sûr, Collaro n'est qu'un gros con et Mezrahi un plagiaire d'autant plus indigne qu'il est médiocre ! Nul n'en doute. On ressent pourtant presque l'envie de les défendre face à la bonne conscience et à la suffisance d'Antoine de Caunes, dont le talent est certes réel, mais aussi très relatif, en particulier si on le compare justement à celui d'un Desproges, comparaison écrasante. Pas plus que Collaro ou Mezrahi, De Caunes n'a échappé dans sa carrière à la vulgarité ou au ressassement : seulement, chez lui, cela semble plus acceptable et moins ringard parce que c'est fait dans le si fameux "esprit Canal",... cet "esprit Canal" qui aurait fait vomir Pierre Desproges.
Mais inutile de s'apesantir sur cette erreur de casting ; revenons plutôt encore et toujours à Desproges lui-même, dont je découvre grâce à ce documentaire cette intervention que je ne connaissais pas. On l'appréciera mieux en se souvenant qu'à l'époque les lettres de plaintes émanant de catholiques offusqués n'étaient pas rares. C'est de cette rhétorique-là que se moque ici Desproges.
"C'est une lettre ouverte à Monseigneur Lustiger.
Cher Seigneur,
Qu'il me soit permis de m'indigner ici véhémentement contre les insupportables attaques portées régulièrement, à la télévision, à mon athéisme militant par vos camarades de goupillon. Il est intolérable, un siècle après la séparation de l'Eglise et de l'Etat, dans un pays qui pousse la laïcité officielle au rang d'institution nationale, que des anti-athées hystériques accaparent l'antenne de la télévision le dimanche matin, avec des émissions intitulées, je cite, La Messe du dimanche, dans laquelle les minorités athées, non-priantes, non-bigotantes et mal bêtifiantes, sont méprisées et bafouées (et je pèse mes mots) au profit de grotesques manifestations incantatoires d'une secte en robes dont le monothéisme avoué est une véritable insulte à Darwin, aux religions gréco-romaines et à ma soeur qui fait bouddhiste dans un bordel de Kuala-Lumpur.
Voilà. Et je précise que j'envoie par ce même courrier une copie de cette lettre à Dieu et que ça va chier."
***
Desproges, parlant en interview de Francis Lalanne et de Poivre d'Arvor : "Les semi-cons sont les plus dangereux. Les cons totaux ils sont irrécupérables, mais les semi-cons qui ne sont pas forcément gâchés ... Je suis sûr qu'il y a des gens qui pensent que Poivre d'Arvor est un personnage intéressant, par exemple."
"Parler d'humour juif, c'est aussi raciste que de dire que les arabes sont des fainéants." De même, il raconte qu'il a été sidéré d'entendre Anne Sinclair (une amie et une antiraciste convaincue) déclarer qu'elle n'aurait certainement pas pu tomber amoureuse d'un non-juif : "C'est comme de dire : je ne donnerais pas ma fille à un nègre."
***
Dans un documentaire plus récent de Riou et Pouchain, Pierre Desproges : je ne suis pas n'importe qui, Philippe Meyer estime que Desproges est "aux antipodes de ceux qu'on présente aujourd'hui comme des humoristes et qui sont des carpettes, des gens qui sont à plat ventre devant toutes les idées reçues."
***
Dans son réquisitoire contre Cohn-Bendit au Tribunal des Flagrants Délires :
"Il faut vous y faire : pour cette génération, Pétain, Cohn-Bendit ou Yves Montand, c'est du passé. Au reste et à y regarder de plus près, quelle différence y a-t-il vraiment entre Pétain et Yves Montand ? A la réflexion, il y en a une : Pétain, lui, au moins, il ferme sa gueule. Il donne pas son avis sur la Pologne quand on lui demande de chanter Les Feuilles mortes."
***
Le Petit Reporter
Recueil des "brèves" publiées par Desproges dans l'Aurore à ses débuts de journaliste. Pas aussi franchement drôle ni aussi noir, mais contenant des passages réjouissants, et toujours avec ce style typique de Desproges, clair mais élégant, précis, soucieux du mot qui suffit à créer l'effet. C'est déjà écrit en orfèvre, on ne peut pas changer ou bouger un seul mot. Quelques exemples :
Fruité - Mme Galozzi, une aimable ménagère sarde, donnait des leçons sexuelles appliquées à des adolescents de son village, en échange d'oranges. Elle montrait une telle passion pour ces agrumes qu'on l'a mise en prison pour deux ans et demi.
Fumant - Au cours d'une pénible scène de ménage, dans sa maison de Santiago, au Chili, Luis Gonzalès a mis le feu à la penderie de sa femme. L'incendie s'est communiqué à tout le quartier, et cinquante personnes sont maintenant à la rue. Bonne nouvelle : Gonzalès n'est plus fâché avec sa femme.
Olé - Aux termes d'une nouvelle loi communale, les policiers de Malaga dresseront désormais contravention aux commerçants qui feront des fautes d'orthographe dans les textes de leurs panonceaux réclames. Il ne reste plus qu'à trouver les policiers qualifiés.
Débile - Au Texas, où les gens se demandent pourquoi le reste de l'Amérique les trouve grotesques, un idiot du village a été condamné à trois mille ans de prison pour meurtre.
Onze contre un - Un remarquable crétin a volé l'autre jour un car de police dans une rue de Londres. Il y avait onze flics dedans.
Pas le moral - Le quartier-maître Leon Louie, de l'US Navy, a été condamné à deux mois d'arrêt de rigueur pour avoir lancé une tarte à la crème à la figure de son lieutenant. Pour sa défense, Louie a précisé qu'il n'avait aucun grief contre son supérieur, et qu'il avait simplement voulu amuser ses camarades dont le moral laissait à désirer. Les juges ont répondu qu'ils n'avaient aucun grief contre Louie, et qu'ils avaient simplement voulu l'enfermer pour amuser les officiers dont le moral laissait à désirer.
Et tout et tout - Si vous appréciez l'éclectisme en littérature, achetez donc la revue Réveillez-vous, des Témoins de Jéhovah. Au sommaire d'un récent numéro : "Comment plaire à Dieu à l'école", "Que faut-il savoir sur les pneus", "Jésus est-il réellement monté au ciel", "Qu'est-ce qu'un aquarium ?"
Vos papiers - Le marché noir des faux papiers a pris une ampleur inquiétante aux USA. Au point qu'on va créer une brigade spéciale pour lutter contre les falsificateurs d'identité. C'est en tous cas ce qu'a déclaré à la télé un type qui prétendait être le chef de la police de Washington.
Philip K. DICK
(1928-1982)
La science-fiction est un genre qui s'est construit sur des principes et des potentialités fascinantes. Comme la plupart des genres narratifs, elle a donné lieu à une littérature abondante et plus ou moins intéressante. A côté de Norman Spinrad, plutôt spécialisé dans une sorte de "socio-politique-fiction", l'un des très grands auteurs de science-fiction est Philip K. Dick. Ses récits extraordinaires et vertigineux, centrés autour des problèmes de l'identité, de la remise en cause du réel perçu, ont d'ailleurs inspiré de très bons films de science-fiction (Minority Report, Total Recall, Planète hurlante, sans parler du sublime Blade Runner). Leur force est de mêler à un contexte de science-fiction à la fois cette atmosphère angoissante d'incertitude permanente (le summum dans ce domaine étant sans doute Ubik) et un grand réalisme qui réussit à rendre tout à fait crédible le quotidien des personnages. L'oeuvre est abondante, et c'est tant mieux : quand on a commencé un roman de Philip K. Dick, il est quasiment impossible de s'en extraire tant on est happé dans cet univers. Toutefois, je déconseillerais fortement d'en lire plusieurs à la suite, afin de limiter les risques de plonger soi-même dans la paranoïa et la schizophrénie.
Parmi ses romans les plus fascinants, outre Ubik ou Le Maître du Haut Château qui sont bien connus : L'Oeil dans le ciel et les Pantins cosmiques.
J'ai connu tardivement la vie de cet auteur, que je prenais jusque là pour une sorte de Borges jonglant avec des idées complexes de façon totalement distante et maîtrisée. Et en effet, sa technique narrative est parfaitement maîtrisée, mais lui-même était en réalité très fortement impliqué dans les troubles de l'esprit qui constituent le fond de son oeuvre. Dans la dernière partie de sa vie, il semble avoir nettement sombré dans la folie et il exposait des théories totalement délirantes. La majeure partie de son oeuvre, la plus intéressante, est bien sûr celle où il n'avait pas encore basculé, où il explore ses démons en les maintenant à distance et en les mettant somptueusement en forme.
***
L'humour n'est pas ce qui domine habituellement chez Dick (quoique ...), mais il n'est pas absent. Par exemple, dans Les Machines à illusions (mais c'est un texte écrit en collaboration avec Ray Nelson), cette réflexion d'un type sur la nouvelle monnaie mise en circulation sur terre par les envahisseurs venus de Ganymède : "Aucun mortel de bon sens n'aurait osé toucher aux saloperies qu'ils avaient émises à la place, tellement on voyait que c'était du toc ; qui voyait-on dessus, par exemple ? Le Président Johnson ? Staline ? Pas du tout ! Les Gany étaient allés farfouiller dans les poubelles de l'histoire pour en ramener les portraits (...) de farfelus tels que Kant, Socrate, Hume et autres zombies du même acabit."
Humour également dans la nouvelle Ah, être un Gélate ..., qui sort du style habituel de Dick et est assez savoureux.
Parmi ses autres nouvelles, mentionnons également l'ultra-paranoïaque Les Assiégés, de même que l'assez drôle Les Défenseurs, où des robots censés se battre à la place des humains réfugiés sous terre à la surface d'une Terre détruite par la guerre, plus intelligents que lesdits humains, ont en réalité jugé préférable de ne pas faire la guerre du tout et passent leur temps :
- à détruire les armes qu'on leur fait parvenir depuis le sous-sol où elles sont massivement produites,
- à fabriquer des maquettes de villes et à les détruire pour fournir aux humains des images de la « guerre ».
Très drôles également, Projet Argyronète et l'Orphée aux pieds d'argile.
Projet Argyronète. En gros, des technocrates et ingénieurs du futur ont lancé un projet spatial inspiré du texte d'un "prescient" du XX° (ils appellent ainsi les auteurs de science-fiction de cette époque, qu'ils prennent pour des prophètes) et, comme il leur manque un truc pour que ça marche, le texte dont ils disposent restant trop flou à propos de ce détail technique, deux d'entre eux sont envoyés en 1954 pour enlever le "prescient" auteur du texte lors d'une convention de science-fiction, en adoptant ce qui, selon leurs historiens, est la mode masculine pour cette époque, à savoir une barbe descendant jusqu'à la taille, des moustaches en guidon de vélo et une perruque rouge vif.
Nouvelle assez passionnante : l'Ancien Combattant. La situation créée (un vétéran ramené en arrière dans le temps mais sans le savoir, et qui parle aux gens d'une guerre interplanétaire qui n'a pas encore commencé et qui verra la destruction de la Terre) est intéressante, mais surtout elle pourrait déboucher sur des issues très diverses.
Dans Un Auteur éminent, le protagoniste emprunte pour aller travailler un tunnel de transport par lequel les piétons, en faisant quelques mètres, se retrouvent 250 km plus loin. Pratique, mais là n'est pas le fond de l'affaire. Le type remarque un jour par hasard dans ce tunnel un petit défaut de la paroi, par lequel il découvre des petits bonshommes vivant de l'autre côté dans un univers parallèle. Il observe, puis un jour il décide d'entrer en contact en glissant par cette faille un papier contenant un texte. La nouvelle vaut par l'étrangeté de son point de départ, mêlant banalité (le trajet quotidien d'un employé) et fantastique, mais aussi par son humour, puisque l'initiative du personnage aura des conséquences assez inattendues.
L'inconnu du réverbère est infiniment plus sombre, sans doute est-ce un des textes les plus sombres et les plus glaçants de Philip K. Dick. Je m'en tiens ici aussi au point de départ : dans une petite ville américaine, un des habitants voit un homme pendu à un réverbère dans le petit square de la ville, s'en étonne mais constate que tout le monde à part lui a l'air de s'en foutre et de trouver ça normal. Il comprend peu à peu qu'une invasion extra-terreste a eu lieu, que les habitants sont remplacés un par un et qu'en attendant ils ont tous été conditionnés pour ne pas réagir, sauf lui qui au moment où c'est arrivé travaillait dans sa cave. Le pendu sert justement à repérer quelqu'un qui aurait échappé au conditionnement car il serait le seul à réagir. J'en ai déjà dit beaucoup mais ça ne s'arrête pas là : reste à s'échapper et à prevenir quelqu'un dans la ville voisine ...
Quelques mois ou années après avoir lu cette nouvelle, l'image du square, celle du pendu, ainsi que l'essentiel de la situation de départ, me sont revenus en mémoire mais de façon plutôt visuelle et sans que j'en retrouve l'origine. Plus exactement, j'ai immédiatement songé que ce devait être un épisode des Envahisseurs, série à l'atmosphère particulièrement pesante et inquiétante, même si certains détails dont je me souvenais à propos de cette histoire me semblaient tout de même passablement glaçants, même pour une série comme les Envahisseurs. Recherchant en fonction des titres et des résumés, je finis avec bien du mal par trouver un candidat possible et par le revoir en accéléré : la petite ville et l'inévitable square y étaient bien, mais nul pendu et une histoire bien moins terrible que celle dont je me souvenais. C'est alors que j'ai pensé aux nouvelles de Dick, lues plus ou moins à l'époque où je revoyais les Envahisseurs, d'où sans doute cette confusion. J'en ai profité pour relire cette nouvelle, plus effroyable encore que dans mon souvenir.
La dernière période de Dick, plus mystique, m'intéresse a priori beaucoup moins, mais les nouvelles de cette période sont souvent drôles, plus fantaisistes, même si elles sont aussi parfois plus absconses.
Les Pré-Personnes pose particulièrement problème : très réussi sur le plan narratif, posant même des questions intéressantes, cela se présente tout de même comme un réquisitoire contre l'avortement.
***
"Nous sommes bien dans la Caverne de Platon. Le problème, c'est que les films qu'on nous passe sont pourris." (Correspondance)
Charles DICKENS
(1812-1870)
"Si je pouvais en faire à ma tête, continua Scrooge d'un ton indigné, tout imbécile qui court les rues avec un gai Noël sur les lèvres serait mis à bouillir dans la marmite avec son propre pudding et enterré avec une branche de houx au travers du coeur." (Un Chant de Noël)
DIE HARD
A une exception près, voilà une série de films d'action bien ficelés et efficaces, qui acquièrent même une dimension supplémentaire lorsque le héros est amené à constituer un duo improbable avec un quidam qui passait par là, Samuel L. Jackson dans le troisième film (Die Hard with a Vengeance), Justin Long dans le quatrième, douze ans plus tard (Live Free or Die Hard), dans lequel McClane dégomme un hélicoptère avec sa voiture envoyée dans les airs, au prétexte qu'il n'avait plus de balles ... Ce sont certainement les deux meilleurs films de la série. Autre aspect sympathique de Live Free or Die Hard, le personnage interprété par Kevin Smith et les échos que cela suscite puisque Justin Long, outre des prestations amusantes dans Dodgeball ou auparavant dans l'excellent Galaxy Quest, a sans doute atteint les sommets de sa puissance comique avec le personnage de Brandon St Randy dans Zack et Miri font un porno, réalisé par Kevin Smith un an après ce Die Hard.
Cela se gâte malheureusement avec le cinquième film, A Good Day to Die Hard. La délocalisation de l'action en Russie et la situation de départ s'éloignent du schéma habituel et relèvent davantage d'un Mission Impossible, mais admettons ... L'action est bien là, mise en scène de manière moins efficace, un peu confuse dans son montage trop rapide, mais cette énième histoire de relation père-fils dans le cinéma américain, outre que ce thème obsessionnel finit par gonfler tout le monde (en tous cas, moi), est loin de parvenir à remplacer les amitiés improbables évoquées plus haut et qui étaient devenues un des ingrédients essentiels de ces films. Sans cela, les scènes d'action s'enchaînent un peu mécaniquement. Le résultat est à peine divertissant (quelques belles cascades), pesant et assez pontifiant, très loin du charme des films précédents. De plus, dès qu'on considère le scénario d'un peu près, il est plein d'incohérences. Le retournement "final" est intéressant, mais il n'a pas été sérieusement préparé et ne colle pas avec certains épisodes précédents.
Stanley DONEN
(1924-2019)
Un Américain à Paris
Le personnage de Gene Kelly explique qu'il est particulièrement difficile pour un peintre de se séparer de son oeuvre : "Un écrivain, un compositeur, en garde un exemplaire, mais un peintre n'a que l'original."
Juste avant d'être présenté aux Jansens :
"Who are the Jansens ?
- Magazine illustrators.
- What are they like ?
- Death."
John DOS PASSOS
(1896-1970)
Manhattan Transfer
J'ai enfin commencé à lire ce roman acheté jadis parce que présenté comme un chef-d'oeuvre par un personnage du film (depuis bien oublié) Les Années Sandwiches. En fait de chef-d'oeuvre, je reste pour l'instant sur ma faim. Cela évoque une sorte de sous-Ulysse (de Joyce), foisonnant (d'une manière assez accablante) de personnages sans autre lien entre eux que géographique, et dont l'intérêt m'échappe (pour l'instant ?).
Deux choses toutefois :
* ces propos d'un personnage : "Oh ! il est tordant ... Il a un petit air vieillot ... quel enfant démodé !"
* le trouble vague créé par les mots suivants, présentant un nouveau personnage : "Elle a mis sa robe de serge bleue (etc.)" La phrase me fait penser au Mariage insolite de Marie la Bretonne chanté par Tri Yann. Dans les deux textes, il est question d'un effort pour se parer, que le passé composé permet de relier au moment de l'action : "elle a mis" décrit la tenue présente du personnage et en même temps souligne l'effort de toilette préalable (ce que ne ferait pas "elle avait" ou "elle portait"). Effort évoqué discrètement par le texte, donc, mais effort récompensé ? Tout est là, je crois, car évidemment il ne peut pas l'être vraiment et durablement, au bout du compte, tout s'avérant tôt ou tard vain et éphémère, à commencer par la beauté, fragile en elle-même et fragile dans le regard de l'autre. C'est ce qui rend ces quelques mots anodins si tristes.
Vers la fin, l'anecdote de l'homme mort pour avoir voulu garder son chapeau de paille sur la tête et le délire que cela inspire à Jimmy : "On enterre Saint Aloysius de Philadelphie, vierge et martyr, l'homme qui a voulu porter un chapeau de paille avant la saison."
L'ensemble continue à me laisser perplexe. Intéressant, mais rien d'exceptionnel. Deux scènes très impressionnantes toutefois, reconstituant un monologue intérieur précédent un accident, avec Gus McNiel au début et Anna à la fin. On sent un gouffre s'ouvrir dans les deux cas.
L'extrême fin, ouverte, avec Jimmy Herf partant sans but mais heureux simplement de se sentir exister et de savourer en prime tout le saugrenu de l'existence (Saint Aloysius toujours), est plaisante.
Fiodor DOSTOIEVSKI
(1821-1881)
Malgré une idéologie religieuse consternante, Dostoievski a un sens de la narration et de l'atmosphère qui rendent ses romans passionnants, y compris et surtout des pavés comme Crime et châtiment ou Les Frères Karamazov.
Le plus étonnant et le plus fascinant de tous reste cependant les Carnets du sous-sol (le titre varie selon les traducteurs). Après une première partie plus théorique, la seconde met en scène le narrateur, névrosé complet qui passe d'un sentiment à l'autre, se montre lamentable dans ses rapports aux autres, s'enferre dans ses maladresses et ses erreurs,... Personnage à la fois outré et excessif, mais dans lequel on est obligé de se reconnaitre malgré tout dans la mesure où ce qu'il amplifie, ce sont des moments d'égarement ou de honte que tout le monde a pu vivre. J'apprends sans véritable surprise que ce texte a fortement marqué Paul Schrader (scénariste de Taxi Driver) et Martin Scorsese (son réalisateur).
Pierre DUBOIS (né en
1945)
J'ai découvert Pierre Dubois avec ses commentaires réjouis et réjouissants sur les pirates au cinéma dans un documentaire intitulé A l'abordage, mais il est avant tout elficologue, spécialistes des fées, lutins, elfes, etc. Son écriture gourmande, sonore, dense, rabelaisienne, peut paraître un peu indigeste à trop forte dose, comme celle de Noël Godin dans son Anthologie de la subversion carabinée, mais c'est bellement écrit. De plus, Dubois a parfois tendance, comme le Borges du Livre des Etres imaginaires, à mêler ses inventions personnelles aux créatures qu'il recense (sans parler d'une tendance, elle aussi borgesienne, à l'érudition fantaisiste).
Ainsi, dans sa Grande Encyclopédie des Lutins, on notera la présence du Borlô, qui est "un nain fol et médiocre de la tête faisant beaucoup de vains discours et moult tapages pour se hausser au lignage des roys. Mégalomane et dangereux, il a trouvé désormais sa place parmi les Baveux, Babilleurs et Orateurs politiques."
A propos du Processionnaire (mi-chenille, mi-lutin), Dubois évoque les moines lutins des "monastères dissimulés dans des cercles de souches d'arbres creux reliés entre eux par tout un réseau compliqué de galeries souterraines (...) auteurs austères d'ouvrages rébarbatifs sur la genèse elfique (...) Ces menus cagoulins étaient recrutés dès la naissance par des maîtres caducs (...) Ils avançaient à la queue leu leu, tête encapuchonnée et baissée, lèvres closes, respirant à peine, de peur de tomber saouls morts, pafs, gris, noirs, enivrés à fond la cagoule par l'inhalation foudroyante d'une goulée trop hâtive de brise parfumée. Ainsi allaient-ils recueillis, tous orifices serrés, prudemment."
Bruno DUMONT (né en
1958)
P'tit Quinquin. L'ensemble laisse un peu perplexe. Certes, les deux flics sont plutôt drôles, mais on se demande tout de même si Dumont n'est pas allé chercher deux mecs bourrés pour les laisser ensuite en roue libre et s'il est bien charitable d'en rire. C'est encore plus flagrant avec les deux prêtres, plus improbables encore mais même pas drôles. Plus gênant encore, la question du racisme telle qu'elle apparaît manque pour le moins de clarté. Restent quelques scènes d'anthologie, comme le dialogue du commandant avec le procureur.
Jeannette parvient à susciter une sorte de vague sidération devant son étrangeté, mais enfin l'exercice est assez stérile (ou, s'il relève d'une intention "spirituelle", c'est encore pire). Peut-être est-il au fond assez facile de produire de l'étrangeté en faisant réciter du Péguy à des acteurs non professionnels sur de la musique électro. On n'est au fond pas si loin de Clavier disant du Saint-John Perse en string : ce n'était pas beaucoup plus intéressant, mais ça avait le mérite d'être plus bref. On peut tout de même sauver quelques belles scènes, comme celle des saintes apparitions, qui s'adonnent à des danses hindoues.