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Clint EASTWOOD

Page spéciale.


Umberto ECO (1932-2016)

"L'être humain est une créature proprement extraordinaire. Il a découvert le feu, bâti des villes, écrit de magnifiques poèmes, donné des interprétations du monde, inventé des images mythologiques, etc. Mais, en même temps, il n'a pas cessé de faire la guerre à ses semblables, de se tromper, de détruire son environnement, etc. La balance entre la haute vertu intellectuelle et la basse connerie donne un résultat à peu près neutre." (in N'espérez pas vous débarrasser des livres)

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Dans un article de 1980, Crise de la crise de la Raison, et, comme bien d'autres textes recueillis également dans la Guerre du faux, encore largement actuels, Umberto Eco analyse la tendance intellectuelle, alors naissante et aujourd'hui triomphante, qui consiste à rejeter Raison et Lumières au prétexte de leurs limites ou de leurs échecs (quand on ne les accuse pas d'être responsables de tous les maux du XX° siècle). Son texte commence ainsi :

"Il m'est arrivé de lire dans un hebdomadaire une phrase d'un célèbre romancier qui affirmait que, comme la raison ne suffit plus à expliquer le monde dans lequel nous vivons (*), nous devons avoir recours à d'autres instruments. Malheureusement, l'interviewé ne précisait pas de quels instruments il s'agissait et laissait le lecteur libre de penser aux choses suivantes : le sentiment, le délire, la poésie, le silence mystique, un ouvre-boîtes, le saut en hauteur, le sexe, les intraveineuses d'encre sympathique."

Au fil de son argumentation, Eco laisse percer ça et là un agacement réconfortant :

"Flanquons des coups de pied à qui vient nous dire qu'il a la vision immédiate de l'Absolu et vient nous l'imposer."

"Ce que je continue à considérer comme irraisonnable, c'est que quelqu'un me soutienne, par exemple, que le désir l'emporte toujours sur le modus ponens (**) (ce qui serait même possible), mais pour m'imposer sa notion de désir et pour réfuter ma réfutation, qu'il essaie de me prendre en contradiction en utilisant le modus ponens. J'éprouve le désir de lui fracasser le crâne."

(*) : quelqu'un (j'entends : un défenseur de la Raison) a-t-il d'ailleurs jamais prétendu un jour que la raison permettait désormais de tout expliquer ?

(**) : le modus ponens est une règle de base du raisonnement selon laquelle, lorsque je considère que "si A alors B", s'il s'avère que A est vrai, alors B l'est aussi. Le modus ponens ne garantit pas la vérité de nos conclusions, mais fixe du moins une règle logique minimale à nos raisonnements.

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Lector in fabula :

"Prenez les histoires policières de Rex Stout et interprétez le rapport entre Nero Wolfe et Archie Goodwin comme un rapport "kafkaïen" : c'est tout à fait possible. Le texte supporte très bien cette utilisation, on ne perd ni le divertissement de la fabula ni le goût final de la découverte de l'assassin. Prenez maintenant Le Procès de Kafka et lisez-le comme une histoire policière. Légalement, c'est permis mais textuellement cela produit un piètre résultat. Autant se rouler des joints de marijuana avec les pages du livre, ce serait bien meilleur."

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Les Limites de l'interprétation

"Si un ordinateur produisait, avec la naïve intention de faire une métaphore, patarasse de redan frits, nous aurions des difficultés à en donner une interprétation métaphorique adéquate, en l'état actuel de nos connaissances linguistiques et de la tradition intertextuelle."

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Dans la lignée de ses Cinq Questions de morale, Umberto Eco a poursuivi sa réflexion stimulante à la lumière de l'évolution des choses depuis le 11 septembre 2001. Cela s'intitule : A Reculons, comme une écrevisse, c'est publié chez Grasset.

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J'ai déjà signalé l'intéressant parallèle établi par certains entre sarkozysme et bonapartisme. Mais, à la lecture d'Umberto Eco, il me semble évident que la ressemblance joue surtout avec Berlusconi. Même genre de pitre médiatique et fascisant. Eco relève en particulier dans le "système Berlusconi" la technique consistant à occuper le terrain médiatique en déclarant au moins une chose par jour, quitte à se contredire régulièrement. C'est d'ailleurs une technique de vente : accumuler le maximum d'arguments, même contradictoires, concernant votre produit, car le pigeon finira forcément par trouver, dans la masse, l'argument qui le touche personnellement et il ne retiendra que celui-là.

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Eco cite les conseils adressés à Cicéron par son frère lors de sa candidature à la fonction de consul. Très modernes, les conseils : ne surtout pas aborder les vrais problèmes politiques, promettre tout et son contraire car de toute façon les électeurs ont la mémoire courte, se soucier avant tout de l'image qu'on donne, etc.

Puis, Eco rappelle que peu après, César allait mettre en place les bases du remplacement de la République, fondée sur le consensus, par un régime fondé sur le coup d'Etat. Et de conclure :

"On ne peut donc s'empêcher de penser que la démocratie romaine a commencé à mourir lorsque ses hommes politiques ont compris qu'il n'était pas nécessaire de prendre les programmes au sérieux, mais qu'il suffisait de s'appliquer à paraître sympathique à leurs (comment dire ?) télespectateurs."

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Umberto Eco, toujours, à propos de l'hégémonie culturelle de la gauche, dénoncée par la droite :

"Si l'on pouvait évaluer l'hégémonie culturelle en termes de poids, j'aurais l'impression que la culture dominante d'aujourd'hui est mystique, traditionaliste, néospiritualiste, new age, révisionniste. Il me semble que la télévision consacre beaucoup plus d'espace au pape qu'à Giordano Bruno, à Fatima qu'au massacre nazi de Marzabotto, à Padre Pio qu'à Rosa Luxemburg. Dans les mass media, il circule désormais plus de templiers que de partisans."

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Ayant lancé, auprès des opposants à Berlusconi, une campagne de boycott de tous les produits dont la pub était diffusée sur une des chaînes le soutenant (soit ses chaînes privées + les chaînes publiques, autant dire toutes) (*), Eco reçut un envoi anonyme qu'il décrit avec un amusement visible. Un article de presse rapportant son initiative était assorti d'un message mystérieux ("Ce que tu fais à autrui, attends-toi à ce qu'autrui ...") et d'un exemplaire d'un de ses vieux livres, La Definizione dell'arte, dont la couverture et toutes les pages impaires (soit 154 pages) avaient été rageusement couvertes au feutre rouge du mot "merde".

(*) : il explique par ailleurs fort bien que c'est le seul moyen d'atteindre Berlusconi et nous devrions nous inspirer de ces réflexions face à son clone français.

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Eco rappelle à notre époque crétine une vérité de bon sens : une pédagogie de l'anti-racisme qui repose sur le constat (et l'acceptation) des différences et non sur leur négation.

« Objection possible : nous ferons cela à Florence, mais le feront-ils aussi à Kaboul ? Objection parfaitement étrangère aux valeurs de la civilisation occidentale. Nous sommes une civilisation pluraliste parce que nous acceptons que, chez nous, soient élevées des mosquées, et nous ne pouvons y renoncer seulement parce qu'à Kaboul on met en prison des propagandistes chrétiens. Si nous le faisions, nous deviendrions nous aussi des talibans. Le paramètre de la tolérance des différences est certainement l'un des plus forts et des moins discutables, et nous jugeons que notre culture fait preuve de maturité parce qu'elle sait tolérer les différences, et que sont des barbares ceux qui appartiennent aussi à notre culture et ne les tolèrent pas. Point à la ligne. Autrement, ce serait comme décider que, si dans une certaine région du monde il y a encore des cannibales, eh bien, nous irons les manger, et comme ça ils apprendront. »


Blake EDWARDS (1922-2010)

The Party

Encore un excellent film à revoir, non seulement pour Peter Sellers, mais aussi pour le serveur-sommelier de plus en plus saoul. On peut notamment se repasser indéfiniment la scène où il sert la salade à pleine main et ce qui s'ensuit : altercation avec son supérieur, chute, tandis que Peter Sellers répond à sa voisine qui demande si Bombay est en Inde « Oh yes, that is very much in India » tout en se tartinant la main.

Je suis frappé aussi par le côté Playtime (1967, deux ans avant) de ce film. Il y a d'ailleurs aussi un peu de Mon Oncle dans la maison et des Vacances dans la voiture pétaradante du héros.

Un documentaire m'apprend qu'un nombre incroyable de gens ont failli mourir sur ce tournage lorsque la mousse envahit la maison, la mousse fournie par les pompiers de l'aéroport étant conçue pour arrêter l'oxygène.

L'acteur qui interprète Wyoming Bill Kelso raconte que, chose rare sur un tournage, les acteurs qui n'avaient plus de scènes à jouer pour la journée restaient tout de même sur le plateau pour assister au tournage et aux improvisations de Sellers.

Qu'as-tu fait à la guerre, papa ?

Par bien des aspects, ce film de 1966 peut avoir inspiré De l'Or pour les braves, jubilatoire comédie de 1970 avec Clint Eastwood. Le ton est ici moins cynique, plus bon enfant, et on n'y trouve pas non plus les mêmes anachronismes, mais il s'agit également, dans un décor villageois finalement assez semblable, de transformer la guerre en farce. Chez Blake Edwardes, chaque situation saugrenue une fois admise en entraîne une pire encore, jusqu'à ce que l'ensemble devienne totalement délirant. Que les américaines fraternisent aisément avec des soldats italiens qui ne demandent qu'à se rendre, qu'ils passent la soirée à jouer au poker et que certains y perdent leur uniforme (que les italiens sont ravis d'échanger contre les leurs, qu'ils jugent défraîchis), soit ... la plaisanterie est banale. Mais lorsque le lendemain un officier des services de renseignements débarque et qu'on ne trouve d'abord à lui présenter qu'un groupe d'italiens en uniforme américains, parfaitement ahuris et qui restent heureusement muets, la situation devient extrêmement savoureuse. Mais ce n'est qu'une étape, l'escalade continue, puisque des avions d'observation vont donner l'illusion aux états-majors américain et allemand que l'on se bat avec acharnement à Valerno ...

Inégal mais sympathique, ce film contient de grands moments, parfois dans de toutes petites choses, comme ce capitaine italien à la Mastroianni qui, au milieu d'un village en liesse, tout sourire, accueille les américains en annonçant qu'il a bien l'intention de capituler sans combattre pourvu qu'on attende le lendemain et la fin de la fête, et qui, tout en expliquant cela à son homologue américain psycho-rigide et abasourdi, ne peut s'empêcher de se distraire régulièrement de cette conversation pour embrasser à pleine bouche la belle brune qu'il tient dans ses bras.


Albert EINSTEIN (1879-1955)

"Je méprise profondément ceux qui aiment marcher en rangs sur une musique : ce ne peut être que par erreur qu'ils ont reçu un cerveau, une moelle épinière leur suffirait amplement."


ELIEN (175-235)

La Personnalité des animaux

La Personnalité des animaux est d'une lecture très agréable, constituée qu'elle est de petites notices sans le moindre classement et sans la moindre rigueur scientifique, d'où une variété et une fantaisie qui évoquerait presque le Livre des êtres imaginaires de Borges. Les titres des rubriques sont souvent involontairement drôles : Ingéniosité et férocité du poisson croqueur - Philanthropie du chacal - Sexualité débridée et funeste du capiton (c'est un poisson) - Suicide calculé de la crevette de marais - Convivialité de l'hirondelle - Prérogative des chèvres en matière de respiration - Pragmatisme des crocodiles - Lucidité des pigeons (ce dernier titre prenant en français un côté assez paradoxal).

 


Gad ELMALEH

La Vie normale (spectacle)

"Les deux styles que je préfère en peinture, c'est l'impressionnisme et le crépi."

"Renvoyez moi ça à cette adresse, avec un petit coup de Stabilo Boss sur mon nom, ça mange pas de pain !... J'adore cette expression. Comme si le Stabilo Boss il va manger du pain."

Son spectacle suivant, L'autre c'est moi, est beaucoup plus inégal. Retenons tout de même cette phrase :

"T'as déjà essayé d'avoir une conversation avec un enfant de trois ans ? C'est comme si tu parles avec un mec qu'est bourré, sérieux, c'est pas possible !"

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La suite de sa carrière est plus pathétique que drôle : amours monégasques, publicités bancaires, plagiat d'artistes américains,...


LES ENVAHISSEURS

Sans être ni très profonde ni très fantaisiste, la série Les Envahisseurs est assez efficace et finalement pas si répétitive que dans mon souvenir, où je m'imaginais y voir et y revoir à l'infini de petites villes à moitié désertes, des routes tout aussi désertes hormis quelques policiers en moto particulièrement louches et des centrales électriques reconverties en centres de régénération pour envahisseurs. En réalité, les cadres et les scénarios des épisodes sont très variés et il n'y en a pas vraiment deux qui se ressemblent. Même le fameux discours introductif concernant un introuvable raccourci semble (en tous cas dans la VF) varier un peu à chaque fois (suite des investigations ici).

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"La Soucoupe volante" est sans doute un des meilleurs épisodes de la série. Son scénario est excellent. Mais mieux vaut le voir en V.O. tant Ann Francis est mal doublée.

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Les derniers épisodes sont dans l'ensemble moins fascinants.

On y trouve ceci. Edgar Scoville, histoire de dire quelque chose, résume ainsi la priorité du groupe de lutte contre les Envahisseurs :

- Nous devons calculer à quelle distance est leur galaxie, pour calculer combien de temps il leur faudra pour venir jusqu'à nous. A partir de là, nous pourrons commencer à agir.

Vraiment n'importe quoi !

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Le fait que David Vincent soit architecte n'est sans doute pas un hasard. Il y a une vraie importance, une vraie fonction, de l'architecture, en particulier moderne et industrielle, dans l'atmosphère de la série.


EPICTETE (I°-II° siècles)

Sur les sceptiques :

Tu te réfutes toi-même tous les jours. Ne vas-tu pas laisser tomber ces froides argumentations ? Quand tu manges, où portes-tu ta main, à la bouche ou à l'oeil ? Quand tu te baignes, où entres-tu ? Quand appelles-tu la marmite un plat ou la cuillère une broche ?

Si j'étais l'esclave d'un de ces gens, quand bien même je devrais être fouetté tous les jours au sang, je n'arrêterais pas de le tracasser : "Garçon, un peu d'huile dans le bain !" Je prendais de la saumure et j'irais la lui verser sur la tête. "Qu'est-ce là ? - J'ai eu une représentation indiscernable de celle de l'huile ; elle était toute semblable, je le jure par ton Génie ! - Apporte-moi de la tisane." Je lui apporterais une pleine tasse de vinaigre. "Ne t'ai-je pas demandé de la tisane ? - Oui, maître, c'est bien de la tisane. - Mais n'est-ce pas du vinaigre ? - Qu'est-ce d'autre que de la tisane ? - Prends et sens ; prends et goûte ! - Qu'en puis-je savoir, puisque nos sens nous trompent ?" Que j'aie seulement trois ou quatre camarades d'accord avec moi et je le forcerais à se pendre ou à changer d'avis.

Sur les grandeurs :

Quand j'entendrai quelqu'un se féliciter d'être estimé par César, je dirai : Que lui est-il échu ? Un poste de préfet ? De procurateur ? Mais lui est-il tombé en même temps le jugement que doit avoir un préfet ? Ou la manière dont doit se comporter un procurateur ?

On lance des figues et des noix ; les gamins se les disputent et se chamaillent entre eux ; les adultes non ; ils tiennent le geste pour enfantin. Si l'on jetait des coquilles, les enfants eux-mêmes ne les ramasseraient pas. On distribue des préfectures : aux enfants de voir ! On distribue de l'argent : encore pour les enfants ! Des commandements militaires, des consulats : que les enfants se les arrachent, qu'ils se voient fermer les portes au nez, qu'ils endurent les coups, qu'ils baisent les mains du donateur et de ses esclaves ! Pour moi, ce sont des figues et des noix.

Quoi ? Si une figue tombe par hasard dans mon giron ? - Je la prends et je la mange, mais je ne me baisse pas pour la ramasser.

 


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