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KAAMELOTT

Comme dans le cas des Simpson, il semblerait qu'il y ait une certaine difficulté pour certaines personnes à apprécier Kaamelott. Alors que le phénomène est largement dû, pour les premiers, au graphisme très particulier et aux visages jaunes, je hasarde l'hypothèse que ce qui gêne au premier abord dans Kaamelott, c'est le relatif réalisme des décors et des costumes, lequel laisse sans doute attendre autre chose qu'une approche humoristique. C'est d'ailleurs tellement trompeur qu'Alexandre Astier a lui-même fini par s'y tromper et s'est pris de plus en plus au sérieux dans les derniers "livres" de sa série.

Quoi qu'il en soit, sans être totalement génial ou essentiel, cela mérite le détour. Tout n'est pas du même niveau, mais la plupart des comédiens sont excellents et les épisodes mettant en scène des personnages comme Perceval ou Merlin sont généralement très drôles. C'est d'ailleurs ce qui m'a permis d'adhérer assez rapidement, le premier épisode sur lequel je suis tombé étant un de ceux où Perceval impose au cabaretier un de ses fameux jeux du Pays de Galles avec des règles à la con, des troncs d'arbes comme jetons et 57 jets de dés à chaque tour (57 jets consécutifs ... à moins d'avoir 57 dés et de les lancer avec un seau, bien sûr).

Autre spécialité de Perceval, le vocabulaire :

- l'Ankou est décrit comme un type "un peu agaçant" ("qui se voit dans la nuit")

- "psychologique" désigne "tout ce qu'est à la campagne"

- "incandescent, c'est : qui peut accaparer des objets sans ressurgir sur autrui."

- Perceval est souvent "victime des colifichets".

- Perceval le Gallois croit parfois qu'il s'appelle Provençal le Gaulois.

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Livre II, "Spangenhelm". Comme chacun cherche à se souvenir d'éventuels compagnons morts au combat, Galessin finit par dire :

- Ah, si, y a l'autre, là ... Celui avec une tête de con, toujours en train de bouffer.

Karadoc, sincèrement interloqué :

- Ben non, ch'suis là, moi !... Ch'suis pas mort au combat !

(et Galessin précise, sans le contredire : "Non, mais encore un autre".)

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Alexandre Astier me semble généralement être un acteur efficace mais au registre limité. Pourtant, on ne peut que l'admirer dans l'épisode du Livre IV intitulé L'Usurpateur, où il incarne l'enchanteur Elias ayant pris la forme d'Arthur. On ne découvre la vérité qu'à la fin, mais il suffit de revoir l'épisode pour constater qu'Astier y joue effectivement Elias, en imitant les expressions de Bruno Fontaine. C'est assez impressionnant.

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Saison VI - Après un début un peu laborieux, de bons moments tout de même, ne serait-ce que grâce à des acteurs comme François Rollin (à propos du roi d'Armorique surexcité : "Moi non plus, je comprends rien. Faudrait qu'il sorte un peu de la systématique ironique, parce que là c'est effet de style sur effet de style ... on n'en saura pas plus !"). Mais on pourrait avantageusement supprimer tout le remplissage concernant la vie romaine d'Arthur avec les peu intéressants Manu Payet et Emmanuel Meirieu (en particulier le second, qui porte un nom de parasite nuisible).

Au bout du compte et malgré ses défauts, cette saison a le mérite de réussir à augmenter la cohérence interne de la série, (re)créant un passé qui n'est pas en contradiction avec les saisons précédentes et qui parfois même les éclaire, mais augmentant également la cohérence entre la série et le mythe arthurien, lesquelles semblent pourtant impossibles à rapprocher, à superposer, totalement. Mais le défi que s'est lancé Astier semble être de les faire se rejoindre autant qu'il le pourra. Le personnage de Perceval, par exemple, s'est enrichi d'une psychologie, d'un passé, tout en restant lui-même sur le plan de la fonction comique. On n'imagine toujours pas qu'il puisse un jour dégoter le Graal, si ce n'est par accident, mais cette éventualité est déjà moins improbable. La saison VI se termine sur la possibilité d'une rédemption, celle d'Arthur mais aussi celle de ses chevaliers les plus médiocres, face au danger. Le pari est risqué mais intéressant. A suivre ...

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Michel Zink, dans son cours du 12 février 2014, observe que les aventures arthuriennes ne commencent qu'après la pacification du royaume de Logres et prennent fin avec le retour de la guerre, concluant qu'un roman arthurien "c'est un roman scout, c'est un jeu de piste".

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Kaamelott : Premier Volet. Ensemble agréable, même s'il faut avouer que les pitreries de Perceval et Karadoc passent mal la rampe du cinéma (ou sans doute plutôt celle du changement de tonalité globale, car elles passaient déjà moins bien dans les dernières saisons de la série). Clovis Cornillac est parfait, mais disparaît malheureusement un peu vite de l'intrigue. Je note en particulier la scène où il envoie un de ses deux sbires crétins rattraper Arthur à la nage ; l'autre bat des bras bizarrement : "Mais je croyais qu'il savait nager, lui ! - Oui oui, il sait nager, mais il nage comme ça."

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Dans un intéressant entretien avec Natacha Polony au sujet de la connerie, François Rollin la définit principalement (ça vaut ce que ça vaut, mais ce n'est pas absurde) comme inadéquation entre nos actions et nos objectifs. Ce qui amène à considérer qu'on peut être ridicule sans être con, ce qui est justement le cas du personnage du roi Loth qu'incarne Rollin dans Kaamelott : plutôt stratège, le roi Loth fait rire surtout par son côté pontifiant et ses citations latines approximatives, lesquelles ne sont pas du tout en inadéquation avec son objectif (épater les cons qui l'entourent).


Franz KAFKA (1883-1924)

Envie de relire Kafka, et en particulier son roman qui m'a le plus impressionné, Le Château. Rien que d'y repenser, avec des souvenirs pourtant très vagues quant aux détails, je retrouve un moment le malaise permanent et délicieux que m'avait procuré cette lecture. Malaise qu'Orson Welles a d'ailleurs parfaitement restitué dans de nombreuses scènes de son adaptation du Procès.

Fascinante atmosphère de malaise, de cauchemar, d'incohérence, qui se rapproche en partie des Carnets du sous-sol de Dostoeivski.


Elia KAZAN (1909-2003)

Sur les Quais

Je n'accroche décidément guère au cinéma de Kazan, d'autant que son épisode maccarthyste ne m'aide pas à le juger plus favorablement. J'ai beau me dire que Sur les Quais dénonce la corruption du syndicalisme, j'ai du mal à ne pas y voir carrément une façon de mettre en doute la possibilité d'un syndicalisme intègre. L'ambiguïté est d'autant plus nette que le combat n'est pas conduit par un hypothétique syndicaliste honnête et révulsé, mais par un prêtre. Même si Karl Malden est formidable dans ce rôle, le discours cul-bénit de son personnage n'en est pas moins gênant si c'est la seule alternative que le film de Kazan trouve à nous proposer. On ne dit pas aux dockers de se révolter parce que le syndicat devrait être à leur service au lieu de les exploiter, mais parce qu'ils sont "frères en Jésus-Christ". Avec ça, on va aller loin !

Belle fin, tout de même. Et puis Brando, au début, a cette phrase qui n'est pas sans me ramener à la thématique du bluff, lorsqu'il demande, à propos du curé :

- C'est quoi, sa combine ? Tout le monde a une combine, voyons ! Il ne fait pas ça pour rien !

 


Omar KHAYYAM (XI°-XII° siècles)

 

Le vin a la couleur des roses.

Le vin n'est peut-être pas le sang de la vigne, mais celui des roses.

Cette coupe n'est peut-être pas du cristal, mais de l'azur figé.

La nuit n'est peut-être que la paupière du jour.

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Aussi rapides que l'eau du fleuve ou le vent du désert,

Nos jours s'enfuient.

Deux jours cependant me laissent indifférent :

Celui qui est parti hier et celui qui arrivera demain.

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Un peu de pain, un peu d'eau fraîche,

L'ombre d'un arbre et tes yeux !

Aucun sultan n'est plus heureux que moi.

Aucun mendiant n'est plus triste.

 


Abbas KIAROSTAMI (1940-2016)

 

Le Vent nous emportera

Très beau film, mais quel dommage qu'on ne voie pas mieux et plus souvent l'allure d'ensemble de ce village étonnant.

Le vieux médecin déclare : "Contempler la nature est mieux que jouer au jacquet ou ne rien faire."

 

Où est la maison de mon ami ?

Très beau film également, particulièrement fascinant lors de l'errance quasi-fantastique dans les rues, la nuit.

 


Il était une fois ... l'Epopée de KERET, roi des Sidoniens

Dans le résumé qu'en fait l'Encyclopédie Universalis, on apprend que le dieu El donne ses consignes au héros pendant son sommeil, lui promet qu'il épousera la fille du roi d'Edom et qu'il "esquisse de la jeune fille un tel portrait que le bonheur réveille Keret". L'épopée de Keret aurait, dit-on, influencé la chanson J'ai encore rêvé d'elle du groupe Il était une fois.

 


KING HU (1931-1997)

Touch of Zen et plus encore Raining in the Mountain sont, dès l'ouverture magnifiquement filmés. En outre, dans Touch of Zen, les combats impliquant ceux que je qualifierais (à l'instar de Sganarelle) de "moines bourrus" sont assez stupéfiants, si tant est que l'on puisse parler de combats puisqu'il s'agit en fait d'opposer à une attaque violente une réponse aussi sereine qu'efficace, par exemple en saisissant entre ses doigts la lame d'un sabre qui arrive droit sur vous (ne pas essayer chez soi).

La manière dont King Hu, dans l'ouverture de Touch of Zen, filme bâtiments et végétaux fait qu'on est presque déçu de voir des personnages faire irruption sur l'écran. Le début du film est d'ailleurs une mise en place assez laborieuse de l'intrigue et des personnages et on trouvera bien encore quelques longueurs ou lourdeurs ça et là par la suite, mais le film n'en mérite pas moins le détour, ne serait-ce que pour les scènes de "combat zen".

La façon dont les personnages surgissent et se croisent dans les différents espaces du monastère de Raining in the Mountain en fait une sorte de pièce de Feydeau (sans amants dans les placards, certes) teintée de bouddhisme et de kung-fu. L'espace labyrinthique du monastère n'est pas sans rappeler l'effet produit par le décor d'Epouses et concubines, de Zhang Yimou. On notera aussi la superbe calligraphie du générique, la tendance de King Hu à filmer ses éléments végétaux en premier plan et, à la 51° minute, un drôle de kung-fu : une baffe dans la gueule au type qui a piqué la boîte.

L'Hirondelle d'or, revu récemment, s'il n'atteint pas les sommets de Touch of zen et de Raining in the Mountain, est bien meilleur que dans mon souvenir. Avec les moyens modestes de l'époque, quelques beaux combats, quelques belles scènes et décors (la vue sur la rivière et l'auberge au petit matin).


Takeshi KITANO (né en 1947)

Beaucoup aimé, malgré quelques lourdeurs, son adaptation de Zatoichi, pleine d'humour, de folie, de situations improbables et de tolérance, sans parler d'une danse finale assez étonnante.

L'Eté de Kikujiro m'a un peu déçu. Ca se traîne parfois en longueur, l'humour y est assez lourd. Mais il y a quelques très beaux moments de poésie (l'homme-pantin, les visions finales de théâtre nô sur fond étoilé,...) et surtout une merveilleuse petite rengaine musicale au piano de Joe Hisaishi qui ferait passer n'importe quoi.


Masaki KOBAYASHI (1916-1996)

 

Seppuku (Hara-Kiri)

Très sombre, le film, avec sa narration en flash-backs, distille durant plus de deux heures une tension absolument incroyable.

Rebellion

Le film est esthétiquement et moralement magnifique. Seppuku est certainement plus impressionnant, mais plus glaçant, plus désespéré, sans cette beauté morale assez inattendue, non pas dans l'héroïsme mais dans l'amour paternel. Très belles images en noir et blanc, symétrie des architectures mêlée à un aspect abrupt des paysages qui évoque un peu les westerns italiens de la même époque. Toshiro Mifune est formidable dans son rôle de samouraï jusqu'alors soumis (à son seigneur comme à son épouse) mais qui décide de faire primer coûte que coûte le bonheur de son fils et de sa bru sur les considérations hiérarchiques auxquelles il a jusqu'ici aveuglément obéi. "C'est en voyant votre amour, leur dit-il, que je suis devenu un être humain. Pourquoi, cette fois-ci, n'ai-je pas courbé l'échine ? Pas seulement par colère contre cette injustice, mais aussi parce que je suis ému par votre amour, et par la beauté qui en émane. Moi, l'amour, je ne l'ai jamais connu, et vous, vous renoncez ?"

Il y a également dans le film Tatsuya Nakadai, futur interprète de Kagemusha et de Ran, qui "remplacera" Mifune chez Kurosawa, après avoir plusieurs fois été son adversaire dans les films de celui-ci. Nakadai raconte que Mifune et lui ayant picolé la veille, ils ont tourné leur duel final avec une mémorable gueule de bois.

Derrière leur violence, ces deux films sont pleins d'une humanité qui se heurte (avec panache) à l'inhumanité absurde du système social : sur ce point, j'ai toujours préféré Rebellion, dont le propos est extrêmement touchant, mais sur le plan narratif, Seppuku est une merveille de tension prête à exploser (et quand ça explose,...)

 

Kwaïdan

Si j'ai bien compris, c'est le seul film en couleurs de Kobayashi. Eh bien, en tous cas, dès le générique, on peut dire qu'il en a profité et qu'il s'est fait plaisir avec les couleurs !

Le film est superbe, et beaucoup d'éléments annoncent nettement Rêves de Kurosawa (qui était apparemment un grand ami de Kobayashi).

Mais il faut bien avouer qu'un type comme Kobayashi, totalement obnubilé par la symétrie, aurait été totalement inapte à réaliser un film des Charlots.

***

Kobayashi a également réalisé une trilogie interminable (579 mn) mais sublime, La Condition de l'homme, avec Nakadai.


Stanley KUBRICK (1928-1999)

2001, l'Odyssée de l'espace

J'ai beau chercher, y a-t-il un seul film qui soit d'une perfection et d'une beauté aussi insensées que 2001 ?

Dès lors qu'on a cessé de vouloir à tout prix "comprendre", dès lors qu'on le considère simplement comme ce qu'il est, à savoir un poème visuel, c'est le plus beau film jamais réalisé.

Dans le documentaire A Life in pictures, Jack Nicholson raconte :

- Stanley m'a dit qu'à la première de 2001, 241 personnes ont quitté la salle pendant le film ... Et je suis sûr qu'il les avait comptées !

Nous sommes loin bien sûr des réjouissantes pitreries de son Docteur Folamour, mais il y a ça et là quelques discrètes touches d'humour, Floyd lisant les interminables consignes des "toilettes en apesanteur" ou encore le revirement de l'ordinateur Hal après que Bowman a finalement réussi à rentrer sans casque dans le vaisseau (scène époustouflante) et arrive furibond, bien décidé à déconnecter cette machine qui vient déjà de tuer son équipier : "j'ai pu faire quelques erreurs ces derniers temps, je le reconnais, mais tout va rentrer dans l'ordre, etc."

2001 est peut-être un des rares (peut-être le seul) vrais films de science-fiction, les autres étant en réalité également, voire avant tout, des films d'action. Ici, la science-fiction est pure : elle se passe largement d'action, elle est essentiellement observation (avec de nombreuses scènes mettant superbement en valeur les conséquences de l'apesanteur, là où la majorité des films de SF préfèrent ne pas en tenir compte pour ne pas entraver l'action), contemplation, méditation. Un stylo qui s'échappe d'une poche et flotte ... des personnages qui marchent naturellement et paisiblement au mur ou au plafond, alors que la caméra, restant dans sa position de départ au lieu de s'adapter à leur point de vue, nous oblige à voir ces étrangetés et à nous en émerveiller ...

Les images de l'espace sont dans ce film incroyablement crédibles par la qualité d'imitation des maquettes et des trucages, qualité admirable pour l'époque, et sont en même temps rendues parfaitement irréalistes (irréalisables) par leur beauté, laquelle suppose des moyens techniques de tournage impossibles en 1968 comme aujourd'hui. Là où de mauvaises images vidéo de type document amateur auraient pu créer l'illusion réaliste, Kubrick choisit (heureusement !) une perfection formelle qui dénonce l'artifice. Cela rejoint ce que je disais du Roman de la momie, que Gautier s'amuse à présenter comme un manuscrit antique retrouvé, mais qu'il compose dans son propre style, magnifique mais parfaitement anachronique. Pour créer l'illusion d'un document antique, il lui aurait fallu dans l'idéal (équivalent de la vidéo de mauvaise qualité dont je parlais) présenter un texte incomplet, plein de formules lourdement redondantes et d'obscurités insurmontables. Dans les deux cas, le choix de la beauté formelle dénonce l'artifice (l'Art), mais on ne saurait s'en plaindre !

 

The Shining

Splendeur visuelle : l'hôtel, le labyrinthe, les paysages, .... et la manière dont Kubrick les filme.

Le contenu me parle moins. Même si Kubrick dépasse largement les lois du genre, ça reste un genre dont je ne suis pas amateur, et je ne prise guère ces personnages tous plus irrationnels les uns que les autres qui font monter eux-mêmes la tension au lieu de s'asseoir autour d'un verre pour désamorcer leurs conflits (mais bon, s'ils faisaient cela, il n'y aurait plus de film, je l'admets).

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Un détail très secondaire par rapport au film lui-même (et qui pourrait s'observer aussi ailleurs, à commencer par la réalité quotidienne). Le film joue beaucoup sur les répétitions avec variations : de scènes, de lieux (l'enfant roulant à travers les couloirs, mais à des étages différents à chaque fois), mais surtout de paroles (en particulier "redrum", mais bien sûr aussi l'étonnant contenu du roman écrit pas Jack Torrance). Lorsque le brave Scatman Crothers arrive à la rescousse, il répète (ce qui est assez naturel en soi dans une telle circonstance, du moins pour un anglophone) "Hello ?" et "Anybody here ?", et il le fait sur divers tons, en modulant. Et il semble en effet que personne, obligé de répéter vingt fois la même phrase, ne le ferait vingt fois exactement de la même manière, comme une machine. Inconsciemment, au bout de quelques répétitions, nous ressentons le besoin d'en combattre l'automatisme (perçu comme ridicule ou/et angoissant) en y introduisant des variations. Naissance de la musique !

 


Akira KUROSAWA (1910-1998)

"Créer une oeuvre est la plus belle des choses." (Akira Kurosawa)

Revu les Sept Samouraïs. Takashi Shimura, avec son éternel visage de poisson-chat, est incroyable de bonté. Je repense à son sourire inattendu dans la Légende du Grand Judo, lorsque le héros, son adversaire, a le genou de son kimono qui craque juste avant le combat (combat qu'on attendait terrible ), un sourire qui a l'air de lui dire : "Bah ! Pas grave !". Une scène sublime faite avec un rien.

Revu Ran également. J'ai réalisé peu auparavant que Tatsuya Nakadaï jouait le "méchant" samouraï dans Sanjuro : des années après et des grimaces en plus, reste le même regard étonnant. Ran est un film dont on peut revoir isolément certaines scènes, comme autant d'oeuvres d'art. J'ai souvent revu la seule scène des flèches enflammées qui arrivent dans le donjon et sifflent autour de Tatsuya Nakadai assis en tailleur. L'autre jour, j'ai été frappé par les premières images du film : des groupes de 2 à 4 cavaliers, immobiles dans le paysage, observant … dans le premier de ces plans, ils sont 4 et tournés dans 4 directions différentes.

La Forteresse cachée pose un peu le problème de la relativité de l'humour : ça peut parfois sembler très lourd. Mais il y a une très belle fin, avec le général ennemi : c'est d'ailleurs un des éléments du film qui a inspiré Star Wars.

Les films noirs sont également passionnants, même très longs comme Les salauds dorment en paix ou l'extraordinaire Entre le ciel et l'enfer. Dans ce dernier, on notera, dans le cadre d'une enquête policière minutieusement reconstituée, la remarquable analyse musicale effectuée par un employé de tramway, qui lui permet de situer un appel téléphonique d'après le bruit de la rame.

Sombres, mais magnifiques également, l'Ange ivre, Je ne regrette rien de ma jeunesse et surtout Vivre, avec un Takashi Shimura à son sommet, mais aussi une construction narrative et des détours assez inattendus.

Dans L'Ange ivre, deux acteurs fabuleux (les inévitables Mifune et Shimura). La conclusion du médecin me laisse tout de même sceptique : il semble considérer que Matsunaga ne pouvait décidément pas changer, sans voir que c'est (peut-être) aussi pour lui, pour lui rendre service, qu'il risque sa vie pour tuer Okada (suicide assistant ?)

Les Bas Fonds : plus éparpillé entre les divers personnages et intrigues, mais très beau film, en particulier pour le personnage du vieux pèlerin, à la fois lumineux et roublard.

Kurosawa, à qui on demandait lequel de ses films il préférait : "Aucun de mes films ne m'a jamais complètement satisfait. A chaque fois, je me dis que je ferai mieux la prochaine fois. Donc ma réponse sera : mon prochain film."

Parlant de Yojimbo : "Le cinéma nous présente toujours des gentils qui se battent contre des méchants ; alors que dans la réalité on trouve plus souvent des méchants qui se battent contre des méchants."

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Parmi les bonus fournis avec un film de Kurosawa en DVD, un documentaire intitulé Cent ans de cinéma japonais, réalisé par Oshima. On y voit furtivement un pauvre extrait de Kurosawa, mais quasiment toute la filmographie d'Oshima. On n'est jamais si bien servi ...

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Après l'échec de Dodes'kaden, Kurosawa a fait une tentative de suicide. En essayant d'imaginer la manière dont on envisagerait son oeuvre s'il était mort à cette date, on peut supposer qu'elle comptait déjà assez de chefs-d'oeuvre pour lui assurer de durer. Mais nous aurions dû nous passer de splendeurs comme Ran, Rêves ou Kagemusha. Et de Dersu Uzala, son film suivant, qui obtint l'Oscar du meilleur film étranger en 1976 (en tant que film soviétique, d'ailleurs ...)

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Après la pluie, film écrit par Kurosawa, réalisé après sa mort par Takashi Koizumi. On y perd sans doute visuellement, mais c'est tout de même un beau film, porté par Akira Terao qui campe un samouraï souriant. Belle scène de festin dans l'auberge, avec chants et numéros divers (notons cette chanson : « ma belle-soeur avait si froid qu'elle s'est chauffé le derrière au poêle ; elle s'en est sentie si bien que le poêle s'est mis à crépiter de partout »). Intrigue intéressante par la suite, avec quelques belles scènes de combat (souvent retenu, façon Touch of zen) et une fin ouverte mais pleinement satisfaisante dans les deux cas : s'il est rattrapé et engagé par le seigneur, tant mieux … mais si l'autre le rate, c'est sans doute encore mieux …


Emir KUSTURICA (né en 1954)

La scène du dîner-pendaison est la scène d'Arizona Dream que Kusturica a montée en premier. Il était si fier du résultat qu'il appelait tous les gens qui passaient dans les couloirs des studios de Billancourt en disant : "Eh ! Venez voir ! J'ai fait une scène géniale !". Sa productrice Claudie Ossard était obligée de le raisonner comme un enfant : "Mais enfin, Emir, c'est pas bien ! Faut pas montrer le film comme ça avant qu'il soit fini ! Faut pas montrer des morceaux tout le temps !"


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