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Pier Paolo PASOLINI (1922-1975)

Si des films comme Théorème (qui n'est guère plus, au fond, qu'une adaptation cinématographique de la chanson des Trois Orfèvres) n'ont jamais réussi à m'intéresser, je garde en revanche des souvenirs visuels très forts de ses films plus "exotiques", en particulier de ses Mille et une nuits et de sa Médée. Un étrange mélange de naturel (par les décors et le jeu des acteurs en particulier) et d'artifice (dans les costumes et accessoires). Ces films offrent des images qui ne ressemblent à rien de ce qu'on connaissait avant de les voir, des spectacles jamais vus et fascinants, comme on en trouve aussi dans le Satyricon de Fellini.

 


La Planète des Singes

Contrairement aux films, qui sont pour la plupart quelque peu traumatisants (nous nous souvenons tous, j'imagine, de l'apparition de la Statue de la Liberté, par exemple), la série télévisée est beaucoup plus apaisée. On ne peut guère lui reprocher d'être stressante : on sait que les héros s'en sortiront toujours, ils se cachent efficacement derrière le moindre buisson, entrent sans difficulté chez Zaïus en son absence, etc. Loin d'être une fuite perpétuelle, leur errance semble circulaire car ils sont toujours plus ou moins à la même distance de Central City, d'où Urko peut arriver rapidement dès qu'ils sont signalés quelque part et où eux-mêmes peuvent aller si besoin est. C'est un petit jeu bien rôdé plus qu'une traque terrifiante, mais ce n'est pas désagréable, d'autant plus que Roddy McDowall prend visiblement beaucoup de plaisir à reprendre son rôle de Cornélius devenu Galen (il paraît qu'il aimait beaucoup rentrer chez lui en gardant sa tête de singe au volant de sa voiture).

 


PLATON, Gorgias

Je me suis surpris à apprécier ce dialogue, sans doute parce que les interlocuteurs sont ici de force à maintenir l'intérêt des échanges, contrairement aux carpettes que l'on rencontre dans la plupart des autres textes de Platon ("cela est merveilleusement exact, Socrate !").

 


Bruno PODALYDES (né en 1961)

Liberté-Oléron. Certains éléments au début évoquent assez Tati et les Vacances de monsieur Hulot, en particulier le traitement des dialogues, parfois inaudibles. Mais la suite est plus outrancière et inquiétante : on passe étrangement de Tati à une sorte de remake bien français de Mosquito Coast

Comme un avion. Très agréable, hédoniste, plein de charme, d'humour, d'humanité. Sandrine Kiberlain parfaite. Bruno Podalydès, déjà apprécié dans des seconds rôles, confirme son talent de comédien, même s'il lui faut doublement ramer pour faire oublier son frère, mais aussi son quasi-sosie Bruno Salomone.

Bécassine est un film extrêmement plaisant, qui réussit à être à la fois frais et charmant et, d'autre part, plein de sous-entendus particulièrement grivois.

Bancs publics. Le casting du film semble réunir quasiment tout le cinéma français contemporain. Il ne manque guère que Depardieu (Depardieu père : sa fille y est, elle), mais personne ne va s'en plaindre.

 


The POGUES

Groupe mythique des années 80, mêlant le punk-rock à la musique traditionnelle irlandaise et joyeusement emmené par Shane McGowan, qui faillit dans sa jeunesse appartenir aux Clash, mais même les Clash le trouvaient visiblement un peu trop défoncé pour être fiable. C'est donc avec les Pogues que McGowan a prouvé ce dont il était capable (avant de sombrer hélas depuis dans un relatif désoeuvrement), à savoir, outre une personnalité et une présence scénique assez personnelles, de superbes morceaux de folk-rock.

Les deux meilleurs albums du groupe sont à mon goût Rum, Sodomy & The Lash (en particulier avec des bijoux comme Sally Mac Lennane, I'm a man you don't meet every day, The Sick Bed of Cuchulain,...) et le suivant, If I Shoulf Fall from grace with God, contenant d'autres joyaux tels que Lullaby of London, Turkish Song of the Damned, Fairytale of New-York, Thousands are sailing,... L'album démarre sur les chapeaux de roues avec la chanson éponyme qui fait exploser sa joyeuse énergie dès les premières notes. Je me souviens encore avec émotion de la première fois où j'ai entendu ces premières notes, après avoir attendu durant des semaines la sortie de cet album.

Parmi les morceaux de Shane McGowan dans sa période "Popes" (groupe recréé après son éviction par les autres Pogues) : Mother Mo Chroi.

Dans un style très proche des Pogues, l'Ecosse produisit à la même époque un groupe qui n'eut malheureusement pas le même succès, The Men They Couldn't Hang.

 


Roman POLANSKI (né en 1933)

Chinatown

L'ouverture est brillante. Après un générique typique de film noir, on découvre un couple batifolant en noir et blanc dans la nature et on entend un gloussement de plaisir. Mais on s'avise très vite que les personnages sont fixes. La caméra recule, on comprend alors qu'il s'agit de photos, et que le gloussement, en réalité de stupeur contrite, vient de celui qui les regarde. La caméra recule encore et on découvre les doigts de cet homme, et par la même occasion que le film est en couleurs.

Pirates !

Le chef-d'oeuvre du film de pirates. Le Corsaire rouge de Siodmak, également fabuleux, mérite évidemment la deuxième place, mais son registre est plus limité à la fantaisie parodique, alors que le Pirates de Polanski est à la fois drôle et réaliste. Rien n'est plus jubilatoire que le Captain Red interprété par Walter Matthau, en particulier lorsqu'il prend sa voix geignarde de tartuffe mielleux (version française : Henri Virlojeux, tout de même !) :

Le lieutenant espagnol : Peut-être n'appréciez-vous pas les rats espagnols ?

Red : Au contraire, monsieur ! Nous en pensons merveilles !

A son jeune compère La Grenouille qui lui affirme "Moi, je me bats contre les Espagnols pour l'honneur, pas pour l'or !", le Captain Red rétorque : "Un homme se bat pour ce qui lui manque le plus."

J'apprends grâce au documentaire du DVD (enfin sorti après tant d'années d'attente !) que le rôle du Capitaine Red devait initialement revenir à Jack Nicholson, qui n'a pas pu être engagé car Universal avait lâché le producteur. D'où Walter Matthau, et on se demande presque, avec tout le respect dû à Nicholson, si ça n'a pas été finalement une excellente chose pour le film. On risquait de ne voir que Nicholson (sur)jouant (délectablement, sans doute) un pirate, alors que Walter Matthau est tout simplement le Capitaine Red (et il y fait merveilles).

 


Natacha POLONY (née en 1975)

M(me) le Président, si vous osiez ... 15 mesures pour sauver l'école

"... les savoirs de base qui, selon Condorcet, empêchent celui qui les possède de tomber sous la dépendance d'autrui."

"L'école a préparé le terrain (à TF1 et consorts) en "nettoyant" de la culture scolaire tout ce qui pouvait faire barrage à l'attrait pour la bêtise et la facilité, en valorisant systématiquement l'immédiateté, la nouveauté, contre la mémoire et le passé."

"L'apprentissage des savoirs élémentaires, l'apprentissage de la citoyenneté éclairée - et le mot "éclairée" est ici essentiel pour le distinguer d'un vague catéchisme à base de débats citoyens - et l'apprentissage du sentiment d'humanité, car s'instruire et se cultiver contribuent à l'estime de soi et à l'amour de l'humanité."

"Selon l'expression de Laurent Lafforgue, "on est dans l'ordre du stimulus, pas de la compréhension" (...) Et quand ces jeunes gens, devenus adultes, seront ingénieurs, ils ne pourront qu'appliquer des formules, pas en inventer de nouvelles."

"On a tendance en outre à confondre savoir et information. et à baptiser "nouvelles compétences" le fait de se servir d'une souris, alors qu'en parallèle, comme le note Philippe Barret, inspecteur de l'Education nationale, dans un livre pourtant incroyablement mesuré, La République et l'école, les élèves "ont du mal à trouver la ville de Brioude dans un atlas, tout simplement parce que certains instituteurs ne veulent plus leur faire apprendre par coeur l'alphabet, exercice jugé dégradant." Sans rire ! Nouvelles compétences, donc, mais sans l'appui des savoirs de base, comme si l'on prétendait construire une maison sans fondations, en commençant par le toit."

"Mais il y a plus grave : faute de leçons de grammaire rigoureuses, les élèves ne maîtrisent plus les modes comme le conditionnel. Ce qui signifie que nos jeunes, les futurs bâtisseurs de ce monde, l'avenir de nos sociétés, ne savent plus se placer dans une situation d'hypothèse. Ils ne possèdent plus le monde par leur langage, ils ne peuvent pas créer une fiction, peser différentes options. La conséquence est inévitable : pour eux, seule une parole d'autorité viendra donner sens au monde. Nous fabriquons de futurs petits soldats d'un chef charismatique ou d'une cause exaltante."

"Cette forme de complaisance qui consiste à croire qu'on va intéresser les jeunes en leur parlant d'eux-mêmes a des conséquences sur leur capacité à prendre du recul vis-à-vis du monde qui les entoure. L'école a oublié qu'elle devait avant tout dépayser, faire découvrir l'ailleurs, l'avant, l'autre, pour donner un oeil critique sur l'ici et maintenant."

Sur le problème de la distinction entre savoir et opinion, sur le retour de la supersitition et des croyances diverses chez les jeunes : "On a vu des jeunes de 15 ou 16 ans demander à leur enseignant si le Marsupilami existait." Une enseignante en lycée professionnel (dont 50% des élèves refusent d'admettre la théorie de l'évolution des espèces, précise : "Il ne s'agit pas d'intégrisme, c'est plutôt ce qu'on appelait autrefois la "foi du charbonnier", une très grande simplicité doublée de superstition." Natacha Polony commente : "Sauf que le charbonnier d'autrefois, à 18-20 ans, ne sortait pas de quinze années passées dans le système scolaire."

"C'est sur cette inculture que se greffe, non pas le retour à Dieu, mais la superstition, la représentation magique de la réalité."

"Le rejet du savoir n'est plus seulement le fait d'élèves en situation d'échec scolaire. il serait faux de croire que les proies de l'obscurantisme sont les seuls enfants des milieux défavorisés. Les enfants des classes moyennes et supérieures n'échappent pas au phénomène. "Activité intellectuelle" est devenu un gros mot, la pratiquer est mal vu dans notre société. Dans la mesure où les élèves ne maîtrisent plus la langue, ils n'ont plus les moyens de s'approprier le savoir, et du coup le rejettent. Tous les vieux démons sont alors à la porte."

"Il est un savoir qui n'a rien de rassurant, c'est le questionnement philosophique. Le rôle de l'école, telle que pensée par Condorcet, était de faire aimer aux jeunes gens cette inquiétude. Or, l'école du XXI° siècle se veut rassurante à tout prix. En fait, c'est l'institution scolaire elle-même qui produit aujourd'hui de l'obscurantisme."

"Il ne s'agit plus de promouvoir les savoirs, mais uniquement les valeurs auxquelles mènent ces savoirs (...) Le retour de Dieu à l'école va de pair avec un enseignement qui ressemble de plus en plus à du "catéchisme citoyen". Une pensée n'est valide que si elle est reliée à une autre pour former un raisonnement, c'est tout l'apport des Lumières. A l'inverse, la juxtaposition d'idées assénées est de l'ordre de la pensée mythique ou religieuse."

"A force de leur répéter que l'essentiel est l'expression de leur ego, les jeunes gens en restent à la profération la plus simple de leur moi. On leur a donné la parole sans leur donner les mots. Et qui n'a pas les mots ne saurait déchiffrer le monde. Un autre, n'importe quel autre, le fera pour lui."

Meirieu condamne le "mimétisme mortifère", Polony traduit : "Ce mimétisme, c'est celui qui voudrait que l'enfant apprenne le raisonnement logique de l'adulte, que l'enfant sorte de ses préjugés et de ses croyances. Dans cette vision des rapports enfant-adulte, l'apprentissage est du côté de la violence, de l'intolérance : extraordinaire renversement."

"Ce n'est plus seulement la télévision qui produit des esprits assoupis, c'est l'école qui ne fournit plus aux esprits les défenses pour rejeter l'abrutissement."

"Le dogme est formel : le savoir ne s'acquiert plus par la répétition, mais par l'imprégnation, par l'infusion progressive et sans douleur. La pédagogie de la tisane."

"Si la méthode globale a été abandonnée après avoir occasionné des catastrophes, les thèses et préconisations des chercheurs en sciences de l'éducation et spécialistes de la lecture sont toujours à l'oeuvre. Et ses petites soeurs, méthodes semi-globales, mixtes ou naturelles fleurissent d'autant plus facilement que la méthode syllabique pure est, elle, quasiment interdite par les inspecteurs et formateurs de l'Education nationale."

"Revenir à ces méthodes traditionnelles fondées sur l'expérimentation et la répétition, la confrontation aux objets, instaurer des horaires de langue française et de calcul suffisants, bannir les méthodes inductives qui, sous prétexte de laisser l'enfant découvrir lui-même le savoir, le font tâtonner et perdre son temps."

"En fait, toute la question est de savoir si une tête bien faite peut se passer d'être bien pleine. Et si enseigner autrement peut dispenser d'enseigner. C'est-à-dire de transmettre un certain nombre de connaissances."

"L'obsession (des didacticiens) est de traduire le produit des recherches universitaires dans les programmes scolaires du primaire et du secondaire sans jamais s'être interrogés sur la différence majeure qui peut exister entre un enfant de 8 ans et un étudiant chercheur."

"L'élève qui sort de l'école primaire sans savoir conjuguer un verbe ou poser une division a peu de chances de trouver le moindre intérêt aux six fonctions du langage chez le linguiste Jakobson."

"L'imprécision, le flou artistique et la volonté quasi délibérée d'exempter les élèves de tout réel travail d'apprentissage sont les causes scientifiques de la destruction progressive de l'école. Et le ferment d'une a-politisation de la jeunesse, privée de repères historiques et d'une vision critique de son époque."

"Au nom de l'égalité, on a détruit l'ascenseur social et désespéré les classes populaires. Mieux ! Comme le collège unique échoue à donner aux enfants la culture commune qu'autrefois leur donnait l'école primaire, certains envisagent à mots couverts un "lycée unique" : l'acharnement thérapeutique vire à la rage."

"Il faut, après conception de nouveaux programmes rigoureux et clairs, interdire les bouleversements perpétuels dont le seul but est de masquer la baisse des exigences et de rendre impossible toute comparaison qualitative, même sur dix ans."

"L'académie de Rennes obtient tous les ans les meilleurs résultats aux différents examens nationaux. Elle a pourtant été rappelée à l'ordre il y a trois ans par les instances nationales parce que ses enseignants employaient des méthodes d'apprentissage jugées trop traditionnelles."

"Pourtant, la sélection (en faculté) existe déjà, mais comme elle ne se fait pas sur le mérite, elle emploie d'autres moyens. Grandes écoles, facultés semi-privées, dans le supérieur plus encore que dans le secondaire, les inégalités n'ont jamais été aussi criantes."

Sur les IUFM :

"Les enfants ne sont pas des élèves mais des "apprenants". Ils ne jouent pas au ballon, ils utilisent un "référentiel bondissant", dit "aléatoire" si c'est un ballon de rugby, et ne fréquentent pas une cour de récréation, mais un "espace intersticiel de liberté". Et "l'espace-classe est le lieu de rencontre de l'objet-livre et de la personne-élève."

"Chacun a son anecdote : les trois heures passées sur "l'organisation d'un premier cours" ... trois semaines après la rentrée, la question cruciale de savoir quelle couleur utiliser pour les corrections (le rouge n'est-il pas trop violent ?)"

"Tel autre évoque les séance de psychanalyse collective, dont le but principal est d'expliquer au jeune enseignant que, si un élève est en difficulté, c'est que lui, professeur, a mal fait son travail. Entendez : n'a pas respecté les dogmes du constructivisme et de la pédagogie inductive, n'a pas organisé d'activité "ludo-éducative" (...) A côté de cela, un jeune stagiaire professeur des écoles peut sortir de l'IUFM et prendre en classe une charge de CP sans avoir jamais eu la moindre formation à l'apprentissage de la lecture."

"La rhétorique est connue : nous allons dans le mur, accélérons. Si l'école française d'effondre, c'est parce qu'elle n'est pas allée assez loin dans les expérimentations pédagogiques."

"La formation des jeunes enseignants est le biais par lequel les Frankenstein de la pédagogie moderne ont entrepris de mettre à bas le vieux modèle français d'enseignement. Ce qu'expriment clairement certains formateurs, quand ils expliquent à leurs stagiaires que leurs aînés, Dieu merci, partiront bientôt à la retraite avec leurs vieilles méthodes et leur conception si ringarde du savoir."

"... les pressions qu'exercent certains formateurs sur des jeunes gens inquiets de remplir leur mission et en quête de recettes et de conseils, d'autant que ces conseils s'accompagnent parfois de réprimandes ou de menaces à l'égard de ceux qui contestent le bien-fondé de certaines formations, comme la reptation sur moquette." (NB : ramper sur la moquette permet pourtant, je cite, "d'apprendre à se mouvoir dans l'espace-classe")

 


Francis PONGE (1899-1988)

Le Parti pris des choses

Au milieu de tous ces textes magnifiquement ciselés, celui qui parle du "gymnaste" est assez détonant. Extraits :

"Comme son G l'indique le gymnaste porte le bouc et la moustache que rejoint presque une grosse mèche en accroche-coeur sur un front bas. Moulé dans un maillot qui fait deux plus sur l'aine, il porte aussi, comme son Y, la queue à gauche (...) Pour finir il choit parfois des cintres comme une chenille, mais rebondit sur pieds, et c'est alors le parangon adulé de la bêtise humaine qui vous salue."

Dans "Faune et flore", à propos de l'extension spatiale des végétaux : "...comme si chacun de nos désirs nous coûtait l'obligation désormais de nourrir et de supporter un membre supplémentaire. Infernale multiplication de substance à l'occasion de chaque idée ! Chaque désir de fuite m'alourdit d'un nouveau chaînon !"

Proêmes

Dans Les Ecuries d'Augias, Ponge déplore, comme souvent, la manière dont le langage lui-même est contaminé par la "pensée" dominante. Ayant évoqué "nos amis de lycée qui sautèrent à pieds joints de la philosophie et une fois pour toutes dans les huiles ou le camembert", il écrit ceci : "ces gouvernements d'affairistes et de marchands, passe encore, si l'on ne nous obligeait pas à y prendre part (...) si tout cela ne parlait pas si fort, si cela n'était pas seul à parler. Hélas, pour comble d'horreur, à l'intérieur de nous-mêmes, le même ordre sordide parle, parce que nous n'avons pas à notre disposition d'autres mots ni d'autres grands mots (ou phrases, c'est-à-dire d'autres idées) que ceux qu'un usage journalier dans ce monde grossier depuis l'éternité prostitue." Belle formule ensuite pour définir la mission poétique : "Il ne s'agit pas de nettoyer les écuries d'Augias, mais de les peindre à fresque au moyen de leur propre purin."

Autre texte très intéressant, Rhétorique :

"Je suppose qu'il s'agit de sauver quelques jeunes hommes du suicide et quelques autres de l'entrée aux flics ou aux pompiers. Je pense à ceux qui se suicident par dégoût, parce qu'ils trouvent que "les autres" ont trop de part en eux-mêmes. On peut leur dire : donnez tout au moins la parole à la minorité de vous-mêmes. Soyez poètes. Ils répondront : mais c'est là surtout, c'est là encore que je sens les autres en moi-même, lorsque je cherche à m'exprimer je n'y parviens pas. Les paroles sont toutes faites et s'expriment : elles ne m'expriment point. Là encore j'étouffe.

C'est alors qu'enseigner l'art de résister aux paroles devient utile, l'art de ne dire que ce que l'on veut dire (...) Cela sauve les seules, les rares personnes qu'il importe de sauver : celles qui ont la conscience et le souci et le dégoût des autres en eux-mêmes. Celles qui peuvent faire avancer l'esprit, et à proprement parler changer la face des choses."

Parmi les réflexions inspirées par le Mythe de Sisyphe :

"Lorsqu'à propos du donjuanisme Camus écrit qu'il faut épuiser le champ du possible, il sait bien pourtant que l'on n'épuise jamais la plus petite parcelle du champ. Lorsqu'il évoque la possibilité de cinquante maîtresses, il sait bien qu'on n'en possède jamais absolument une seule. S'il s'agit du résultat qui consiste à obtenir l'abandon momentané d'une maîtresse, comparable à celui qu'on obtient de son voisin de table en prononçant les mots : passez-moi du sel (et un tel résultat suffit bien - qu'on m'entende - à justifier le langage) alors nous sommes d'accord."

"Il me semble que ceux qui forcent la créature à baisser la tête ne méritent de cette créature au moins que le mépris. Si faible soit-elle. Et d'autant plus qu'elle est plus faible."

"Le suicide ontologique n'est le fait que de quelques jeunes bourgeois (d'ailleurs sympathiques)."

"Dire que le Monde est absurde revient à dire qu'il est inconciliable à la raison humaine. Cela ne doit amener aucun jugement ni sur la raison (impuissante) ni sur le monde (absurde). Le Triomphe de la raison est justement de reconnaître qu'elle n'a pas à perdre son temps à de pareils exercices, qu'elle doit s'appliquer au relatif. De quoi s'agit-il pour l'homme ? De vivre, de continuer à vivre, et de vivre heureux. (...) Il n'est pas tragique pour moi de ne pas pouvoir expliquer (ou comprendre) le Monde (...) Ce qui seulement est tragique, c'est de constater que l'homme se rend malheureux à ce propos. Et s'empêche par cela même de s'appliquer à son bonheur relatif."

***

De l'art de renouveler intelligement le langage et la compréhension des choses. Partant de l'image traditionnelle des yeux fenêtres de l'âme : "Les yeux pourtant ne sont pas des fenêtres. Mais des sortes de périscopes. Par eux la lumière n'entre pas dans le corps."

 


Didier PORTE (né en 1958)

Quelques extraits de ses chroniques sur France Inter.

* En 2006, Pascal Sevran ayant dit à Sarkozy, lors d'une émission de Drucker : "J'ai toujours été de gauche, mais il faut reconnaître que vous êtes quelqu'un d'honnête et d'efficace, etc.", Porte commente : "Surprenant en effet de la part de quelqu'un qui a passé tant d'années à disputer à Baltique les bâtons que lui lançait François Mitterrand."

* A propos d'un rapport réalisé par des gens de TF1 pour améliorer les chaînes du service public (de quoi je me mêle ? on croit rêver !) : "Avec des conseils pareils, France 3 en a encore pour longtemps à diffuser des séries allemandes avec des chiens-loups ou des détectives octogénaires." (mai 2008)

* A propos du Festival du cinéma américain de Deauville : "Excellente idée ! Nos amis américains ont tellement de mal à vendre leurs films et leurs séries télé à travers le monde, que la moindre des choses c'était de leur donner un ptit coup de pouce ! Les pauvres ! Ca me donne une idée : si on organisait un salon du textile chinois à Valenciennes ?"

* Octobre 2008 : "Avant-hier, à la question d'Ali Baddou "Comment expliquez-vous qu'on trouve instantanément des dizaines de milliards pour secourir les banques, alors qu'on n'a pas trouvé une poignée de millions pour résoudre la crise alimentaire qui ravage le Tiers-Monde depuis des mois ?", Xavier Bertrand a quand même eu le culot de répondre : "Parce que ce monde marche sur la tête." Eh ben ! C'est bien de s'en rendre compte après avoir contribué à lui maintenir les pieds en l'air depuis aussi longtemps, camarade !"

***

Juin 2009 : Danièle Gilbert

Didier Porte, commentant la carrière de Danièle Gilbert : "A elle toute seule, elle incarne les années Giscard, Georges Marchais fermant son clapet à Elkabbach, les rouflaquettes de Michel Delpech, la R12 Gordini, Raymond Barre, le slogan "en France on n'a pas de pétrole mais on a des idées" (...), les petites annonces de Libération, les premiers cinémas porno, les pubs pour Hollywood chewing-gum à la télé, etc. etc. Tout est là-dedans, mes amis ! Y compris Raymond Barre !"

A propos de la Ferme Célébrités : "Je compris que votre vengeance allait être terrible. Elle le fut effectivement. On vous vit en chemise de nuit, au réveil, sans maquillage, en train de vous brosser les dents dans l'abreuvoir de Pompon, le percheron priapique. On vous devina sous la douche en plein air avec Daniel Ducruet en train de vous frotter le dos avec je ne sais quoi (...) et surtout on vous écouta en pleine conversation philosophique avec la dénommée Eve Angeli, surnommée depuis la Schopenhauer des trépanés : et ça, c'était violent."

Quant à la bague de Ré : "un attrape-gogo censé donner bonheur et prospérité à ceux qui l'achetaient, l'équivalent en bijouterie de Sarkozy en politique."

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Octobre 2009 : Fabrice Santoro. "Quel effet ça fait, Fabrice, d'avoir été le seul tennisman français à avoir soutenu Sarkozy, avec Henri Leconte ? On a l'impression d'appartenir à une élite non ?."


Hugo PRATT (1927-1995)

Page spéciale.


Terry PRATCHETT (1948-2015)

Sans être d'une lecture indispensable, ses romans d'héroïc-fantasy parodique sont très agréables. Le premier, La Huitième Couleur, est savoureux, avec au final une scène de lancement de fusée particulièrement impressionnante (d'autant qu'un des personnages est sorti de la fusée mais s'y raccroche tout de même au dernier moment et part avec elle sur la gigantesque rampe-toboggan qui l'entraîne par-delà le Disque-Monde.

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Le Huitième Sortilège est plus plaisant encore. Notons ce dialogue entre le héros octogénaire Cohen le Barbare et le touriste Deuxfleurs :

- Qu'estche qu'elles jont, mes dents ?

- J'ai cru remarquer qu'elles ... euh ... n'occupent pas la même position géographique que votre bouche.

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La Huitième Fille

"Le regard décidé de la fillette eut le même effet sur son rire qu'un seau de lait de chaux lancé à pleine vitesse sur un comique de music-hall."

A propos des titres que se donnent les mages ("Il est de Huitième Niveau, un mage à trente-trois degrés"), la sorcière Ciredutemps déclare : "Ils se donnent tous du Haute Seigneurie par-ci et de l'Impérial par-là, ça fait partie du jeu. Même les magiciens sont pareils, on pourrait au moins croire qu'ils ont plus de jugeote, eh ben non, faut qu'ils en rajoutent dans le genre : l'Incroyable Barjo et Doris."

"(...) jusqu'à ce qu'elle découvre, très haut, une tête en silhouette sur le ciel étoilé. Son propriétaire s'efforçait à l'évidence d'avoir l'air cauchemardesque, mais il en avait rajouté. L'aspect général était celui d'un poulet mort depuis deux mois, mais des défenses de phacochère, des antennes de papillon de nuit, des oreilles de loup et une corne de licorne gâchaient l'effet horrifique. Le tout avait une allure d'assemblage maison, comme si le propriétaire avait entendu parler d'anatomie mais dominait mal son sujet."

***

Pratchett fait dire à son personnage de la Mort : "Les humains ont besoin de croire à ces petits mensonges (le Père Porcher, la Fée des Dents,...) pour pouvoir ensuite croire aux grands : la Justice, le Devoir,..."

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Je ne sais d'où Wikipédia tire ceci, mais je recopie donc tel quel ce passage de l'article, dont la formulation me semble digne de Terry Pratchett :

"Il est important de signaler que traditionnellement, les relations entre la Cité et l'Université de l'Invisible ont toujours été marquées par une volonté de coopération. C'est-à-dire que l'Université consent à tout ce que la ville lui demande, pendant que de son coté la ville s'applique à ne jamais rien demander. Par exemple, la ville n'a jamais réclamé la moindre piastre d'impôt.

L'Université de l'Invisible est sans doute le seul endroit d'Ankh-Morpork où les pouvoirs du Patricien sont presque nuls. Théoriquement, le Patricien peut convoquer l'Archichancellier et celui-ci doit en théorie s'exécuter. Toutefois, l'Archichancellier peut également transformer le Patricien en un petit reptile et le faire rebondir sur les murs."

 


Jacques PREVERT (1900-1977)

"Avant Freud, tous ceux qui étaient cons n'étaient pas au courant ; maintenant ils le savent et ça les rend méchants."

Paroles

"Où donc est-elle, ma petite Barbara, qui donnait de l'herbe aux lapins et des lapins aux cobras ?"

"C'est vraiment la grande horreur, les dents, les vieillards et les portes claquent de peur."

Relire "Cet Amour".

William Blake cité par Prévert : "De même que la chenille choisit pour y poser ses oeufs les feuilles les plus belles, ainsi le prêtre pose ses malédictions sur nos plus belles joies."

Fatras

"Je suis heureuse

Il m'a dit hier

Qu'il m'aimait

Je suis heureuse et fière

et libre comme le jour

Il n'a pas ajouté

que c'était pour toujours."

"Il n'y a pas cinq ou six merveilles dans le monde, mais une seule : l'amour."

***

Voyage Surprise

Un des délectables films réalisés par Prévert et son frère Pierre, sans doute le plus drôle, avec le farfelu vieillard Sinoël qui ne cesse de scander son slogan éponyme. Une scène des plus mémorables est celle où Marcel Perez, déguisé en restaurateur turc pour saboter le voyage-surprise, sert (et drogue) en réalité les deux flics qui sont à la recherche du trésor de Strombolie, lesquels en déduisent qu'il s'agit d'une tentative d'empoisonnement de la part des terroristes et font une allusion à la Strombolie ("il verra que nous ne sommes pas dupes !"), avant de partir. Perez, revenant dans la salle vide, court à la porte et gueule :

- Quoi ! Mais je m'en fous, moi, de la Strombolie !

Passe à ce moment devant sa porte le terroriste républicain strombolien (Etienne Decroux), qui suit les flics avec un vélo. Il s'arrête, empoigne Perez :

- Qu'est-ce que vous osez dire, misérable ?

et le jette violemment sur une table, qui se brise.

Autre grande scène, celle du théâtre. Les voyageurs, qui se croient en prison alors qu'ils sont dans le décor des Evasions de Latude, commencent à brailler (surtout une) : "Nous sommes innocents !", pour le plus grand plaisir du public. Le bordel absolu qui s'ensuit après le lever du rideau, avec chant de révolte strombolien et coup de feu ("Ils sont nombreux ! et bien organisés !" commentent cependant les méchants, bluffés), ainsi que toute la scène de combat au château, forment un ensemble des plus réjouissants.

Il va de soi que ces quelques notes sont incompréhensibles hors-contexte car le seul moyen de comprendre quelque chose à ce film est de le voir (et encore !).


PRIEUR & MORDILLAT, L'Apocalypse

Troisième série documentaire de ce duo, après Corpus Christi et L'Origine du Christianisme. Toujours aussi passionnant, malgré une réalisation on ne peut plus austère. C'est une fois encore plein d'informations et d'hypothèses intéressantes. On reste concentré sur la parole des divers spécialistes. Seul aspect un tant soit peu "ludique" : des pages de manuscrits anciens filmées entre les interventions.

L'Apocalypse comme texte anti-paulinien (écrit par un judéo-chrétien contre les pagano-chrétiens de Paul, qualifiés de "Synagogue du Diable").

L'idée que l'incendie de Rome aurait pu être effectivement le fait de sectes chrétiennes estimant qu'elles devaient agir pour aider Dieu à renverser Rome et installer son Royaume. En tous cas, on peut supposer que des chrétiens ont pu manifester de la joie devant ce qu'ils prirent pour le début de la Fin des Temps.

Dans un ancien récit du martyre de Perpétue (à la première personne, apparemment), cette phrase incroyable, après que Perpétue ait signalé l'arrivée de très beaux éphèbes venus l'assister dans son combat contre l'Egyptien : "Alors je fus débarrassée de mes vêtements et je devins un homme."

Irénée de Lyon justifie la conservation de quatre évangiles (alors que n'en garder qu'un seul pouvait a priori sembler plus sérieux) en disant que ce sont les hérétiques qui n'en gardent qu'un (les gnostique suivent plutôt celui de Jean, les judéo-chrétiens celui de Matthieu, Marcion celui de Luc). L'Eglise, elle (à cette époque), accepte une relative "polyphonie" (outre la valeur symbolique du 4).

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PS1 : Il est peut-être intéressant de noter que le passage du christianisme attendant l'apocalypse imminente à un christianisme institutionnel installé dans la durée (et la trahison de la plupart de ses idéaux de départ) n'est pas sans évoquer l'évolution des idéologies socialistes, de la croyance à la chute imminente du capitalisme jusqu'à Ségolène Royal et autres pantins. Intéressant à condition d'y voir une sorte d'évolution fréquente (fatale ?) des idéologies plutôt que pour en tirer des conclusions loufoques ("le socialisme est une religion, une secte") devant lesquelles on connaît cependant des gens qui ne reculeraient pas.

PS2 : Dans Corpus Christi, le chercheur Malcolm Lowe ressemble étrangement à Tryphon Tournesol.


PRINCE (1958-2016)

Jadis opposé à Michael Jackson (quoiqu'infinimement plus intéressant sur le plan musical, cf. Bach), Prince a apparemment fini par entretenir des relations amicales avec ce rival. Une anecdote circule selon laquelle il a été question que tous les deux chantent Bad en duo, mais Prince aurait soulevé un problème insoluble en demandant lequel des deux allait chanter les mots "your butt is mine" ... Plus navrant, Prince a fini par adhérer comme Michael Jackson à la doctrine farfelue des Témoins de Jéhovah.

L'oeuvre est riche et diverse, peut-être inégale, mais enfin on y trouve tout de même quelques morceaux superbes comme Paisley Park, Gold, Guitar, All The Midnights In The World, Lion of Judah, et j'en passe, sans obblier les chansons écrites pour d'autres comme Manic Monday pour les Bangles, dont on peut signaler cette reprise par Billie Joe Armstrong (autre génie mélodique contemporain) avec Susanna Hoffs.

Le film Purple Rain (1984) "bénéficie" d'une esthétique très 80's et d'un scénario sans grand intérêt (les aspects sentimentaux et familiaux sont particulièrement ennuyeux), mais il vaut du moins pour la musique et même pour Prince en tant qu'acteur, qui ne se débrouille pas si mal.

 


Prison Break

La série est captivante malgré ses défauts et elle est encore enrichie à partir de la saison 2 par le personnage d'Alex Mahone, magistralement interprété (même si les quelques autres rôles où j'ai pu voir William Fichtner étaient bien plus ternes) et qui vole presque la vedette à Scofield.

Mais parlons des défauts ...

Outre l'idéologie assez conformiste (l'éternelle "famille" américaine) qu'ils défendent, les scénaristes n'hésitent pas, pour entretenir et renouveler le suspense, à négliger le réalisme, notamment sur le plan de la psychologie (au gré des besoins du scénario, certains personnages présentent des visages différents et peu compatibles) et de la temporalité : il est fréquent que deux actions supposées se dérouler en parallèle, en montage alterné, aient en réalité des durées totalement différentes, le cas le plus fréquent (mais non le plus choquant) étant bien sûr, dans la saison 1, la rapidité avec laquelle Michael Scofield, parti se balader dans les canalisations, rejoint sa cellule juste avant que le gardien aperçu par son codétenu n'arrive à leur cellule : le temps que l'un traverse un couloir, l'autre arpente je ne sais combien de galeries, ressort par un trou et se couche paisiblement.

Autre incohérence : ces agents secrets à l'efficacité terrifiante, capables de retrouver quelqu'un en un temps record, mais qui, en cas de besoin (du scénario), deviennent quasiment absents pour laisser les personnages qu'ils traquent vaquer à leur aise.


Marcel PROUST (1871-1922)

Page spéciale.


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