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Quentin TARANTINO (né en 1963)

 

Jackie Brown

Jackie Brown n'est sans doute pas son film le plus intéressant d'un point de vue narratif, (surtout si on le compare à Pulp Fiction), mais c'est sans doute le seul film de Tarantino d'où se dégagent quelques personnages dotés d'assez d'humanité pour que le spectateur s'y attache, en l'occurrence Jackie Brown (Pam Grier) et Max Cherry (Robert Forster).

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Kill Bill

Détails que je n'avais pas remarqué à la première vision : Michael Parks interprète à la fois le shériff (vol.1) et Esteban (vol.2), tandis que Gordon Liu interprète le chef des Crazy 88 (vol.1), puis Pai Mei (vol.2).

Evidemment, le vol.2 est un beau film, plus profond que le vol.1, mais vaut-il la peine d'introduire de la profondeur dans un film de ce genre ? On sent que Tarantino a voulu montrer qu'il était capable de faire autre chose, et c'est plutôt réussi, en particulier toutes les scènes avec David Carradine, mais dans le contexte ça reste totalement artificiel. Il a eu raison de le faire, après tout, puisque le résultat est très honorable, mais cela donne finalement envie de regarder les deux films dans le désordre, histoire de finir sur le plaisir stupide mais sans prétention du vol.1, avec son gigantesque et insensé combat final.

Cela dit, comparé au final de Crazy Kung-Fu, celui de Kill Bill 1 semble bien lourd.

Et puis Tarantino, brillant mais sans grandeur, sans propos, sans génie, et surtout sans éthique, commence à épuiser ses recettes et tente de compenser cela par une surenchère dans la violence complaisante, démagogique et putassière.

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Sin City n'est pas à proprement de lui mais de son camarade Rodriguez (auteur d'ailleurs de quelques excellents films d'action, tels que la série du Mariachi ou, dans une moindre mesure, The Faculty). Cependant, le film est symptomatique de cette évolution : une esthétique kitsch destinée à enrober une daube régressive au discours ultra-réac. Le principe du film est finalement de présenter des méchants tellement méchants qu'on trouve tout naturel que les héros usent à leur encontre des plus abjectes tortures : c'est exactement le discours des plus ardents partisans de la peine de mort, de ceux qui estiment qu'elle n'est même suffisante car "ils ne souffrent pas assez".

Si l'on estime que c'est surestimer les intentions d'un Tarantino que de parler de crypto-fascisme, on mettra tout ça sur le compte de l'inconscient, ou plus exactement de l'inconscience, et on se limitera à observer la place et le rôle des femmes dans ce film pour comprendre immédiatement qu'on a affaire à la mise en scène (brillante et coûteuse) de leurs fantasmes les plus régressifs par des ados attardés.

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Inglourious Basterds est incontestablement un très bon divertissement, avec de grands moments de suspense. Cela dit, même s'il n'est pas fait pour être pris au sérieux, il n'en véhicule pas moins (comme je le craignais dès l'origine au seul énoncé de son sujet et malgré l'indifférence des commentaires critiques sur ce point) une idéologie assez malsaine. Sans s'en rendre compte, très certainement, je suis prêt à l'admettre. Le film met à égalité dans la cruauté les nazis et ceux qui les combattent. On objectera que ces derniers, Brad Pitt en tête, sont plus amusants, mais Hans Landa aussi est un personnage amusant. D'ailleurs, les personnages de nazis y sont presque tous sympathiques d'une manière ou d'une autre, effet d'ailleurs quasi-inévitable lorsqu'on emploie un acteur comme Daniel Brühl. La volonté de ne pas être trop manichéen est louable en soi (même si on se demande ce qu'elle vient faire dans un film par ailleurs délibérément outrancier et caricatural), mais le contraste entre la plupart des nazis et les "basterds" (qui de leur côté manquent singulièrement de complexité) finit par créer des effets de contraste qui ne sont sans doute pas volontaires mais n'en sont pas moins problématiques, de façon assez comparable à ce que j'évoquais à propos de Sin City.

 


Jacques TATI (1907-1982)

 

Jour de Fête est nettement moins parfait que les films suivants de Tati : la vieille à la chèvre qui commente tout, quoique pittoresque, semble assez peu utile au film, par exemple. Mais l'ensemble a tout de même un charme fou et, surtout, il y a ça et là quelques scènes mémorables : celles du type en deuil ("Alors, on se prépare ? C'est la fête ! Ah ah !" ... mais tout le génie de la scène est évidemment dans son cadrage qui ne révèle le mort qu'après cette réplique du facteur), celle de la vitrine du charcutier prise pour un chamboule-tout, ...

Sans avoir pour autant à me plaindre de ma propre existence, je serais tout de même tenté de dire que les vacances les plus jubilatoires que j'aie connues sont indéniablement celles de M. Hulot, avec feu d'artifice impromptu, partie de tennis inoubliable, etc. A noter les participations exceptionnelles du sculpteur César (dans le rôle d'un campeur barbu dont la camarade se fait porter son sac à dos par Hulot) et de Lionel Jospin (dans le rôle du jeune trotskyste qui saoûle vacanciers et autochtones avec ses théories politiques).

 

Mon Oncle et Playtime (en attendant les autres ...) sont enfin sortis (ressorti après "épuisement" pour le second) en DVD. Les ayant revus il y a peu de temps encore, je me suis contenté de regarder les bonus, mais le moindre extrait présenté (pour Mon Oncle, le poisson sortant du cabas et se retrouvant face à un chien, le type éclaboussé en deux étapes, le cavalier ami de la voisine avec sa bombe - chapelière autant que sonore - sur la tête, sans parler de mon personnage favori, celui du cantonnier censé balayer la rue) donne envie de revoir tout le film. C'est vraiment inépuisable, et inusable.

 

Parade et Jour de Fête me plaisent de façon plus inégale, sans me bouleverser d'enthousiasme, mais entre les deux, la "tétralogie" de M. Hulot est absolument géniale, sublime et jubilatoire.

Parade est beaucoup moins fort, en raison de sa nature et de ses conditions de tournage pour la télévision (sans parler des costumes d'époque, un véritable festival seventies). Mais cela reste un film agréable à voir et on y trouvera en particulier un impressionnant numéro de jonglage en couple qui simule à un moment la perte de contrôle imminente (cf. Alain et mon projet pour les trapézistes soucieux d'originalité), ainsi qu'une reconstitution irrésistible par Tati de la façon dont on jouait au tennis en 1900.

 

Playtime est certainement plus difficile d'accès que les autres et peut laisser perplexe dans un premier (et même dans un deuxième) temps, mais quel bonheur de chaque seconde une fois qu'on a réussi à y entrer !

 

Trafic est peut-être (très) légèrement inférieur aux trois précédents, mais il contient au moins deux scènes qui sont parmi les plus drôles que je connaisse, celle où M. Hulot tente de remettre en place du lierre sur une façade après l'avoir largement arraché sans le vouloir, et celle où il explique à la jeune femme que ce n'est pas son chien qui a été écrasé, mais une veste en poils de hippie (plus exactement, une veste de hippie en poils), en faisant joyeusement subir à ladite veste les pires traitements, sous les yeux horrifiés de la pauvre femme qui continue à croire qu'il s'agit de son chien. Evidemment, tout ceci n'est pas drôle tel que je le raconte et ne le devient que lorsqu'on voit ce qu'en fait Jacques Tati.

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J'aime plutôt ce que font Jérôme Deschamps et Macha Makeieff, mais je les trouve un peu gonflés d'avoir imposé leur univers (et pas de façon très intéressante) dans la présentation du menu du DVD de Mon Oncle. Cette femme qui glousse en annonçant les rubriques, c'est assez navrant et ça donne une image totalement fausse des films de Tati.

Le bonus-documentaire "Tout communique" est en revanche très intéressant et bien fait. De plus, il contient une scène hilarante qui a été coupée au montage (on se demande pourquoi) : deux ouvriers portant une longue échelle essaient d'avancer sur le sentier sinueux des Arpel : évidemment, c'est rigoureusement impossible.

Mêmes commentaires pour la réédition "Deschamps" des Vacances de M. Hulot : de très bons bonus, par exemple "Souvenirs de Vacances" (interviews de divers réalisateurs, Annaud, Leconte,...), mais une présentation "à la Deschiens" assez envahissante (comme si le génie de Tati ne méritait pas que l'on s'efface un peu devant lui).

Dans un autre bonus, on attire l'attention sur le fait que, dans la merveilleuse scène de la gare, les voyageurs trimbalés de quai en quai par l'inoubliable voix du haut-parleur ressortent toujours dans le même ordre.

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Stéphane Goudet souligne que le traitement du son par rapport à l'image chez Tati a essentiellement pour fonction de donner ou redonner au monde une certaine "inévidence".

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Une chose que je ne supporte absolument pas, ce sont les oeuvres à prétention mystique : cette auto-satisfaction dans l'erreur (ou du moins dans ce qu'on devrait aborder avec un peu plus de prudence), cette volonté d'entraîner un public dans une bouffée délirante ! Seule une minorité d'oeuvres de ce type trouve grâce à mes yeux, ce sont celles qui n'imposent pas l'approche mystique, mais peuvent être abordées et comprises également d'une autre manière. Quel rapport avec Jacques Tati ? Aucun, justement. Tati est l'exemple même d'une absence totale de prétention mystique, d'un art purement concentré sur la transfiguration poétique et humoristique du réel par la force du regard qu'on pose sur lui : or l'Art, et la vie, ce n'est que cela. Le reste est vanité.


Bertrand TAVERNIER (1941-2021)

Que la fête commence

Merveilleux film, superbement dialogué et interprété, notamment par Marielle qui campe un Pontcallec tenant moins du héros breton que de l'escroc truculent. Fait remarquable : la musique du film, d'ailleurs excellente et (forcément) tout à fait adaptée, a été composée par le régent Philippe d'Orléans lui-même.

Tavernier et Noiret, se souvenant des difficultés qu'ils ont eu à faire produire le film, expliquent qu'on leur assurait que les films historiques ne marchaient pas du tout, leur citant pour preuve Les Charlots mousquetaires (par ailleurs un des moins pires films des Charlots, mais c'est une autre affaire).

 


André TECHINE (né en 1943)

 

Les Roseaux sauvages

Etonnant comme, grâce aux personnages et à la complicité qui réussit à s'installer entre eux, pas toujours aisément, chacun peut retrouver dans ce film des échos de sa propre jeunesse, et cela malgré l'ancrage historique très précis. On peut d'ailleurs en dire autant, dans un registre différent, plus nettement humoristique, du Péril jeune de Klapisch, d'ailleurs réalisé également pour Arte, à la même époque et dans le cadre de la même série sur les "années lycée". Autre point commun d'ailleurs, la présence dans les deux films de la formidable Elodie Bouchez.

Admirable basculement de l'incompréhension à une ébauche d'amitié. La tension s'accumule jusqu'à la chute et à la blessure de François qui tente de s'interposer entre Mariani et Serge : à ce stade, on pense basculer clairement dans le drame, mais il n'en est rien. Réveil de François et brève explication avec Mariani, et là, enchaînement sur une séquence incroyablement insouciante où, sur fond de "Runaway" (la version originale du "Vanina" de Dave, pour situer l'atmosphère dans laquelle on se retrouve tout à coup), on voit Serge jouer au rugby tandis que, sur les gradins, Mariani (cravaté) et François se gavent littéralement de crêpes.

De même, la relation entre Serge et François, malgré la motivation très différente de chacun, n'est jamais malsain, manipulateur, et il en naît même une amitié qui aurait pu sembler improbable au départ. Tout le film illustre finalement l'idée que les individus peuvent servir de ponts les uns entre les autres, pour dépasser leurs oppositions. Intellectuels ou non, de gauche ou de droite, hétérosexuels ou homosexuels, chacun ayant, du fait de ce qu'il est, des affinités avec certains et des difficultés avec d'autres, les quatre personnages finissent pourtant par tous s'accepter. Idée positive sans être niaise, parce que la mort est très présente dans le film et qu'il ne s'agit pas de dire que la vie est belle mais qu'elle l'est davantage si nous faisons l'effort de mieux vivre ensemble. Autre aspect important pour éviter l'écueil de la niaiserie, la position intransigeante d'Elodie Bouchez, lors de sa conversation avec François au sujet de Mariani : "Non ce n'est pas le diable parce que le diable n'existe pas : par contre, les fachos ça existe et moi ça ne me fascine pas du tout." En acceptant plus tard Mariani, elle n'acceptera en rien ses idées, mais acceptera simplement de comprendre l'individu malheureux qui se raccroche à ces idées-là simplement parce que les hasards de la vie l'ont placé en situation de se raccrocher à cela plutôt qu'à autre chose.

Et puis il y a la légéreté et le naturel des dialogues :

"C'est n'importe quoi, ce maillot de bain, j'ai l'air d'un canari !

- Ouais, c'est vrai, t'aurais dû le prendre rouge, comme au Parti.

- C'est désolant comme humour, François, tu deviens vraiment con."

 

Les Egarés

Pas tout à fait aussi formidable que les Roseaux sauvages, mais très bien tout de même, et je suis impressionné par le talent précoce de Grégoire Leprince-Ringuet (également très impressionnant chez Tavernier dans la Princesse de Montpensier).

 


TERMINATOR

Je ne reviens pas a priori sur les trois premiers films de la saga, tous efficaces, avec une mention spéciale pour l'extraordinaire Terminator 2, ses retournements et son humour.

Trop éloigné de l'univers et des personnages initiaux, Terminator Renaissance était assez décevant, même si, comme à son habitude, Christian Bale parvenait, mine de rien, à rendre le film un peu plus intéressant.

 

Terminator Genisys

Ce film est au départ une grande déception. Etrange idée, de vouloir tout reprendre depuis le début. Quel intérêt, au lieu d'un nouvel épisode, de faire un simple remake du premier film, avec à la fois quelques variantes et des scènes refilmées plan par plan à l'identique ? Bien sûr, les moyens techniques font que c'est visuellement plus beau que l'original (de fait assez terne de ce point de vue, pour ne pas dire carrément laid et "années 80" en diable, notamment quant aux looks de Sarah Connor et de sa colocataire), mais enfin on piétine, et en plus, forcément, on change d'acteurs (à l'exception notable de Schwarzenegger, dont le retour semble le seul véritable événement du film) ...

Et puis on se rend compte que non, ce n'est ni un remake ni une variation, mais un bouleversement total à partir de l'apparition de Sarah Connor, une véritable réécriture ludique permettant de jouer avec les différents aspects des films précédents en redistribuant toutes les cartes, bien plus complexe que le banal remake qu'on craignait de voir, extrêmement tordu même et plus que jamais ! "Quel bordel dans nos têtes !" disait John Connor dans Terminator 2 : eh bien il n'avait encore rien vu !

Le personnage de flic interprété par J.K. Simmons apporte une touche sympathique et humoristique, mais c'est surtout le vieux Terminator qui est très drôle. Lorsqu'ils le retrouvent après un voyage vers le futur, Kyle et Sarah ont un doute :

Sarah : C'est bien toi ?

Terminator : Je suis un T800. Je n'ai pas la capacité mimétique de passer pour quelqu'un d'autre.

Kyle : C'est lui. On bouge.

 

Terminator Dark Fate

Pas désagréable, mais ça manque un peu de nerf, les paradoxes temporels sont un peu fumeux et on a souvent l'impression de revoir tel ou tel précédent volet ... A ce compte, Terminator Genisys, qui se présentait au départ comme un remake, était infiniment plus original dans sa façon de dévier et de proposer tout autre chose.

 


Johnnie TO (né en 1955)

The Mission : action efficace et originale, parsemée d'humour, un régal en son genre.

Breaking News : Excellent film également, avec une très belle (quoique secondaire) pirouette finale.

 


J.R.R. TOLKIEN (1892-1973) / Peter JACKSON (né en 1961)

Le Seigneur des Anneaux

Il paraît que Tolkien pensait à l'anneau comme symbole du machinisme. C'est vrai que cette interprétation de l'histoire fonctionne parfaitement, mais on peut tout de même la trouver un peu contestable et réactionnaire, c'est dommage. Car, après tout, la machine n'est pas un mal en soi, tout dépend de l'usage qu'on en fait. Je m'obstinerai donc à ne voir dans cet anneau qu'un symbole à la fois moral et politique, un symbole du pouvoir et de ses effets corrupteurs.

 


TOLSTOÏ (1828-1910)

Guerre et Paix

Tome III, 2° partie, Chapitre XXXI : Pierre se retrouve plus ou moins adopté par des artilleurs. "Le sentiment de perplexité hostile à son égard céda peu à peu la place à une sympathie cordiale et amusée, semblable à celle que les soldats éprouvent pour les animaux : les chiens, les coqs, les chèvres et autres, qui les suivent. Ils (...) lui donnèrent un sobriquet : "notre monsieur" et ils plaisantaient gentiment entre eux à son sujet."

 


John Kennedy TOOLE (1937-1969)

La Conjuration des imbéciles

Sans doute un des livres les plus drôles de tous les temps. Un de ces rares livres qu'à peine terminés on a envie de relire immédiatement tellement on y est bien. Et la traduction française est en outre excellente : elle rend parfaitement (Borges dirait sans doute : "mieux encore que dans l'original") tout le sel comique du langage de cet incroyable héros qu'est Ignatius J. Reilly. Ignatius est un gros américain égocentrique et mal fagoté de la Nouvelle-Orléans, qui, après des études d'histoire médiévale s'est tourné vers l'inactivité physique agrémentée d'imprécations perpétuelles contre les turpitudes du monde moderne : pour résumer, il adore passer des heures devant des programmes télévisées débiles pour le seul (?) plaisir d'en dire le plus grand mal. En prime, il joue de la lyre, pratique l'onanisme à l'aide d'images mentales pour le moins stupéfiantes et note dans des cahiers ses réflexions catholiques et royalistes sur le monde (mais il est tout de même sympathique, puisque il défend ces positions grotesques aux Etats-Unis). L'endettement soudain de sa mère va l'obliger à trouver du travail, horreur suprême, d'autant que son corps est pourvu d'un anneau pylorique qui se referme dangereusement dès qu'il est contrarié. Voilà pour situer l'essentiel, mais le roman est rempli également de personnages secondaires assez mémorables (en particulier la vieille Miss Trixie), la plupart de ces personnages tournant plus ou moins autour du héros, s'en rapprochant peu à peu, pour culminer à la fin dans une scène où tous les éléments finissent par se rejoindre : la construction, qui peut sembler lâche durant le roman est en réalité parfaite et tous les éléments finissent par trouver leur justification. Mais peu importe d'ailleurs, ce qui compte c'est le comique permanent. On est un peu chez Rabelais, dans l'énormité, mais sans les longueurs. En fait, ça ne ressemble à rien de connu, c'est une succession de scènes sidérantes (une des plus grandioses étant sans doute la "révolution" organisée par Ignatius dans un de ses lieux de "travail" successifs, au cours de laquelle il se fait un étendard d'un drap pour le moins douteux, ou bien encore la manière dont, devenu marchand ambulant de hot-dogs et déguisé en pirate, il s'en prend à une exposition de peinture organisée par des rombières, ou encore ...)

Et puis il y a la dimension tragique, qui ne nuit en rien à la force comique du roman mais qui lui ajoute une profondeur. D'abord le suicide de Toole, dont personne ne voulait du roman (c'est l'insistance de sa mère auprès des éditeurs qui permit finalement sa publication). Et surtout le fait qu'on sente que Toole est Ignatius (J.K. Toole devient I.J. Reilly, Reilly étant comme Toole un nom typiquement irlandais), ou plus exactement que Toole a conçu Ignatius, ce personnage a priori incroyable et délirant, comme une sorte de caricature de lui-même. Ignatius J. Reilly a sans doute été une thérapie pour son auteur, de même qu'on peut supposer que Molière a créé son Misanthrope parce qu'il sentait qu'il était en train de devenir comme lui : et c'est ce qui fait d'Alceste et d'Ignatius des personnages comiques aussi forts, parce que ce ne sont pas que des fantoches méprisables, parce qu'on sent que, derrière la caricature, leur auteur ne peut s'empêcher d'avoir une certaine tendresse pour eux, puisqu'ils ne sont jamais que l'image de ce qu'il craint de devenir.

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Quelques notes de relecture et extraits :

La force de la mise en place, la façon dont les hasards vont converger pour donner de plus en plus d'ampleur aux événements,... Ce roman commence comme une baignoire qui déborde et finit en déluge cataclysmique. Etape par étape.

"Il semblait que son être entier fût sur le point d'exploser, l'arrachant à ses semi-botillons de daim gonflés."

"Le dernier dimanche où elle l'avait contraint à l'accompagner à la messe, il s'était effondré deux fois sur le chemin de l'église et s'était effondré une fois encore pendant le sermon sur la paresse, roulant sous les bancs et créant un remue-ménage fort embarrassant."

Racontant son fameux voyage en autobus Greyhound : "Quand nous (...) abordâmes les collines qui moutonnent dans les environs de Baton Rouge, j'ai commencé à craindre que quelque rustre primitif ne balance des bombes contre le car. Ils adorent s'en prendre aux véhicules qui sont, à leurs yeux j'imagine, des symboles du progrès."

Mme Reilly au jeune homme rencontré par hasard dans le bar de Lana Lee :

"Pourquoi ne restez-vous pas jusqu'au spectacle ?

- Ouais, approuva la blonde. Restez voir un peu de cul et de nichons.

- Maman, dit froidement Ignatius, je crois bien que tu es en train de prodiguer des encouragements à ces gens inimaginables."

Puis, à l'arrivée de la patronne :

"Nous voyons bien que nous ne sommes pas les bienvenus. Nous irons boire dans d'autres établissements.

- Au poil, répondit Miss Lee. Cassez-vous. Les clients comme vous, c'est le baiser de la mort."

Et le lendemain, passant un savon à Darlene : "Tous les jours j'essaye de t'expliquer le genre de clientèle dont nous avons besoin ici. Et quand je rentre je te trouve en train de manger des saloperies sur mon comptoir avec une vieille dame et un gros con."

Darlene : "Mon cacatoès a attrapé un rhume hier soir, Lana. C'était épouvantable. Toute la nuit il a pas arrêté de me tousser dans l'oreille."

Quelques grands moments dès les premiers chapitres : le récit de l'entrevue à Baton Rouge avec le vol de la canadienne et le retour en taxi, Ignatius malade obligeant le chauffeur à rouler très lentement ("La police l'a arrêté deux fois pour conduite en dessous de la vitesse minimale imposée sur l'autoroute. La troisième fois, ils lui ont retiré son permis taxi.") ; la scène de l'accident de la Plymouth recevant le balcon effondré,... et nous n'en sommes ici qu'au tout début, beaucoup reste à venir, en particulier le morceau de bravoure qu'est la lettre écrite par Ignatius à Abelman.

A propos de Miss Trixie gardant sa visière de celluloïd verte en quittant le bureau : "Le dimanche, il lui arrivait de la porter pour aller à l'église, l'ayant prise pour un chapeau. Elle l'avait même portée aux funérailles de son frère, où elle lui avait été promptement arrachée de la tête par sa belle-soeur qui était nettement plus alerte et vaguement plus jeune qu'elle."

Ignatius écrivant au sujet de l'usine des Pantalons Lévy : "Si seulement le Smithsonian Institute avait le pouvoir d'emballer sous vide cet atelier et de le transporter dans la capitale des Etats-Unis avec l'ensemble de ses travailleurs figés, chacun, dans une attitude de travail, les visiteurs de ce musée d'un goût douteux ne manqueraient pas de déféquer dans leurs criardes tenues de touristes."

 


Paul-Jean TOULET (1867-1920)

Auteur généralement inconnu des vers célèbres :

"Dans Arles, où sont les Aliscans,

Quand l'ombre est rouge, sous les roses,

Et clair le temps,

Prends garde à la douceur des choses,

Lorsque tu sens battre sans cause

Ton coeur trop lourd,

Et que se taisent les colombes:

Parle tout bas si c'est d'amour,

Au bord des tombes."

... mais aussi de pas mal d'autres :

Molle rive dont le dessin

Est d’un bras qui se plie,

Colline de brume embellie

Comme se voile un sein,

 

Filaos au chantant ramage —

Que je meure et, demain,

Vous ne serez plus, si ma main

N’a fixé votre image.

 

 

Derrière les deux tours qui gardent son manoir,

Entre son fou qui raille et sa dame au cœur ferme

Le roi boit.

Tout à coup une voix crie : « on ferme ! »

Nous tombons.

Quelqu'un clôt le couvercle.

Il fait noir.


 

Toute allégresse a son défaut.

Si vous voulez que je vous aime,

Ne riez pas trop haut.

 

Voici que j’ai touché les confins de mon âge.

Tandis que mes désirs sèchent sous le ciel nu,

Le temps passe et m’emporte à l’abyme inconnu,

Comme un grand fleuve noir, où s’engourdit la nage.


 

Jardin qu'un dieu sans doute a posé sur les eaux,

Maurice où la mer chante et dorment les oiseaux.

"Il n'y aurait rien à dire contre les fêtes si elles emplissaient seulement la journée de leur éclat et de leur tapage. Mais elles empiètent sur la nuit, et c'est ce qu'il y a d'intolérable, car la nuit a été donnée à l'homme pour qu'il se repose de l'homme, pour qu'il puisse un peu vaguer sous le ciel sans être affecté par la vue de son haïssable prochain, jouisse à sa fantaisie de la vue des choses inanimées et silencieuses et ignore durant quelques heures le fracas des orchestres et les hurlements de la politique."

 


TREME (David Simon)

Je craignais que Treme ne soit moins intéressant que The Wire, mais, outre le plaisir d'y retrouver deux acteurs de la série précédente, le début est tout à fait enthousiasmant : réalisation efficace, grande présence de la musique,... Le générique présente notamment des murs et des photographies délavés par l'inondation, cela produit parfois des images étonnamment belles et cela exprime à la fois le thème (la vie après la catastrophe) et la valeur de l'art qui transcende ce malheur ("de la boue à l'or" ...)

Diversité et qualité de la musique. Pas de véritable intrigue, certes, mais des personnages pour la plupart très attachants, hormis deux têtes à claques : Davis McAlary au début (mais on finit par s'habituer à ses excès) et surtout Sonny (mais ses exploits durant la catastrophe nuancent un peu son côté imbuvable).

A la saison 2, on a perdu John Goodman, mais aussi les plus belles images du générique. Mais ça n'a trop d'incidence sur le reste ... Toutes les intrigues ne sont pas d'un égal intérêt, mais le personnage du chef Lambreaux joué par Clarke Peters est absolument délectable par son obstination grincheuse (qui le rapproche de son rôle dans The Wire, où il excellait également) et par ses rapports conflictuels mais drôles avec son fils. J'apprends sur Wikipédia qu'il a aussi joué Othello au théâtre en 2011, avec Dominic West dans le rôle de Iago.

 


TSUI HARK (né en 1950)

Il était une fois en Chine est un peu long à se mettre en place, mais la fin contient d'impressionnants combats, en particulier sur des échelles mobiles.

Il était une fois en Chine II, plus orienté vers le comique, est très agréable aussi. A noter l'utilisation du mobilier du consulat durant l'attaque de celui-ci (ou comment transformer la boule en bois d'une rampe d'escalier en ballon de football).

Zu, les guerriers de la montagne magique est également assez drôle, en particulier dans les séquences initiales, plus "réalistes" (tout est relatif). Après, ça devient un peu bordélique. Dans son interview-bonus, Tsui Hark dit des choses intéressantes sur le fait de penser "en trois dimensions" et de pouvoir ainsi tout appréhender, alors qu'une pensée purement linéaire allant d'un point à un autre finit par s'arrêter dans une impasse ou par tourner en rond.

La légende de Zu, remake du précédent, est une splendeur visuelle, en dépit de son intrigue confuse. J'en dirais à peu près autant de Seven Swords, magnifique à regarder, mais à l'intrigue quasi-incompréhensible.

Quant à son Detective Dee (et à ses suites), il est clinquant, cascadant et caracolant à souhait.

Dragon Gate, la légende des sabres volants comporte un certain nombre d'éléments confus, comme souvent, mais des personnages intéressants, de l'humour et bien sûr du très grand spectacle (un méchant qui reçoit sans broncher - et sans blessure - une tasse en pleine poire, puis le même qui se bat avec Jet li dans les airs au coeur d'un ouragan).


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