B
Jean-Sébastien BACH
(1685-1750)
En redécouvrant au XX° siècle l'esthétique baroque du XVII°, on en a fait un concept intéressant et pratique, dont l'opposition avec le classicisme est généralement assez fructueuse. Pourtant, le terme de baroque appliqué à la musique de l'époque, et en particulier à celle de Bach, peut laisser sceptique, du moins si on considère l'esthétique baroque au sens large et intemporel plus que le baroque historique. Pour faire court, la musique de Bach semble un modèle d'équilibre et de symétrie qu'on rapprocherait plus volontiers de l'esthétique classique. Outre que cela nous montre bien qu'un concept n'est qu'une catégorie permettant de classer grossièrement des choses qui sont en réalité infiniment plus complexes, je crois que la caractère baroque de la musique de Bach est en réalité davantage sur la partition que dans l'oreille de l'auditeur. La technique de composition de Bach est foncièrement baroque si l'on considère les jeux artificiels et complexes auxquels il se livre sur la partition, son goût pour le canon et la fugue par exemple, ses innombrables variations, son exploration mathématique des combinaisons de notes, ses reprises inversées d'une même série de notes (horizontalement, verticalement, en long, en large et en travers), tout cela est bien typiquement baroque. Mais pour celui qui se contente d'écouter, le résultat est d'une telle pureté, d'une telle simplicité apparente, d'une telle maîtrise, d'un tel équilibre, qu'il semble en effet correspondre à des critères plutôt classiques. Peu importent d'ailleurs ces catégories. Toute la grandeur de Bach est là : un art absolument consommé, mais qui ne se laisse même pas percevoir ; un génie qui efface ses traces derrière lui au lieu de les exhiber, pour ne laisser entendre que le résultat.
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Cantates d'église
Il y a bien sûr des tas d'autres oeuvres de Bach qui méritent le détour (Concertos Brandebourgeois, Suites pour violoncelle, Art de la Fugue,... pour nous limiter aux plus connues, ou encore les concertos pour deux claviers et plus), mais il se trouve qu'actuellement, en bon esprit psycho-rigide, ce sont les cantates que j'écoute ou réécoute de manière systématique (ce pourrait être pire : je pourrais les écouter par ordre alphabétique des titres).
Petite sélection personnelle :
- BVW 42, en particulier la sinfonia initiale.
- BVW 91, en particulier l'aria-duetto (5° section).
- BVW 95, en particulier l'aria pour ténor (4° section).
- BVW 140
- BVW 143 (2° section)
- BVW 180 (1° section)
- et évidemment BVW 147, pour son imparable choral "Jésus, que ma joie demeure".
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Il va de soi que si un génie musical comme Bach vivait à notre époque, il ne composerait pas du tout la même musique. On peut toujours se livrer au jeu un peu vain de se demander ce qu'il ferait, mais je serais tenté de dire, en faisant abstraction de ses origines, de son milieu, de son parcours personnel, en considérant uniquement son oeuvre, que si l'on cherche aux XX°-XXI° siècles un musicien aussi talentueux, tant comme interprète que comme compositeur, avec une production aussi riche, aussi abondante et aussi variée, avec un véritable talent mélodique, avec un intérêt pour toutes les formes de musique de son temps, un nom s'impose, dans un genre a priori très différent de celui de Bach : Prince.
Jean-Pierre BACRI
(1951-2021)
Juste quelques remarques, avant de trouver de futures occasions de reparler de cet excellent acteur et dialoguiste (au même titre bien sûr qu'Agnès Jaoui), pleinement découvert en ce qui me concerne dans Mes Meilleurs Copains (cf. films à réhabiliter).
Bacri emploie parfois des mots délicieusement datés. Dans Didier, on appréciera son fameux précepte éducatif à l'intention d'Alain Chabat, qui l'importune pendant qu'il mange :
- On ne quémande pas !
Mais il s'exprime aussi comme cela dans la vraie vie et dans un bonus DVD on peut l'entendre appeler un t-shirt un "tricot".
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Contrairement à ce que disent les cons, Bacri ne joue pas toujours le même personnage : il explore très subtilement toutes les variations possibles de ce personnage, de film en film.
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Cuisine et dépendances et Un Air de famille sont parfaits ; les films suivants de Bacri et Jaoui sont bons, mais plus inégaux. Un Air de famille est une merveille d'un bout à l'autre : chaque réplique porte et l'interprétation est dun délice constant, en particulier celle de Bacri, même quand il ne dit rien, son air accablé étant à lui seul un régal.
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Dans Cherchez Hortense, où il joue le film d'un conseiller d'Etat (Claude Rich) :
- Entre nous, tu as des rapports simples avec ton père ?
Bacri : Ben, j'ai des rapports simples avec personne, et surtout pas avec mon père.
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Le Sens de la fête. Dialogues savoureux, interprétation impeccable : un film tout à fait agréable à voir. A condition de ne pas trop se pencher sur son idéologie. Comme déjà dans Intouchables, Nakache et Toledano font un film humainement sympathique, mais dont le sous-texte idéologique l'est beaucoup moins. Plus ultralibéral et plus loidelajungliste qu'il n'y paraissait, Intouchables dénonçait l'assistanat au nom du courage individuel manifesté par un individu (par ailleurs extrêmement riche, ce qui aide un peu …) face au handicap. L'inspirateur du film milite d'ailleurs aujourd'hui contre l'euthanasie, considérant visiblement que si un individu (en l'occurrence lui, par ailleurs toujours aussi riche) affronte son malheur, tout le monde est sommé d'en faire autant.
Même réussite humaine et psychologique dans le Sens de la fête, mais, au lieu de la neutralité idéologique qui s'imposait pour ce type de film choral, domine l'idée que les patrons ont bien du mérite de faire ce qu'ils font, persécutés qu'ils sont par l'URSSAF et trop indulgents envers leurs salariés, évidemment plus incompétents, stupides ou pénibles les uns que les autres. Faire jouer ce patron par Jean-Pierre Bacri, lui faire tenir notamment ce discours poujadiste sur l'URSSAF, n'est évidemment pas l'aspect le moins douteux de ce film.
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Un gros blaireau rend hommage à Jean-Pierre Bacri.
Le BALEINIE
Le Baleinié (trois volumes à ce jour) est un Dictionnaire des tracas, écrit par Christine Murillo, Jean-Claude Leguay et Grégoire Œstermann, et publié au Seuil. En vrac, cela recense des choses comme :
- belgoyer : se pencher pour ramasser ses clefs et faire tomber stylo, lunettes, monnaie et téléphone portable.
- miasliquer : s'asseoir sur son chat.
- breudeune (n.f.) : disparition des symptômes le temps de la visite chez le médecin.
- canaper : arriver à l'heure mais arriver en sueur.
- poutskov (n.m.) : chapitre 2 d'un roman russe que vous relisez pour la troisième fois pour vérifier si "Katioucha", "Macha", "Maria Fedorovna" et "ma petite Douchenka" sont bien la même personne.
On peut regretter que les noms soient inventés le plus souvent à l'intuition euphonique plutôt que selon l'étymologie, mais l'essentiel du plaisir est évidemment dans les définitions. A ce propos, il faudra prévoir un mot pour désigner le "fait de lire le Baleinié en s'efforçant stupidement de retenir les noms eux-mêmes".
Honoré de BALZAC (1799-1850)
Préface du Père Goriot
"Comme si l'on pouvait répondre gravement à des observations bouffonnes, et s'armer d'une hache pour tuer des mouches."
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La Muse du département
Rapports amusants entre l'avorton avare et sa jeune épouse Dinah, "femme supérieure".
"Quand sa femme entamait la question de la traite des nègres, ou l'amélioration du sort des forçats, il prenait sa petite casquette bleue et s'évadait sans bruit avec la certitude de pouvoir aller à Saint-Thibault surveiller une livraison de poinçons, et revenir une heure après en retrouvant la discussion à peu près mûrie." (188)
"Il était difficultueux et processif en affaires comme tous les nains, mais toujours en douceur." (192)
Et lorsqu'elle utilise la froideur pour stimuler sa générosité :
"(il) attacha sur sa femme ses yeux fixes comme ceux d'un chat qui, devant un trouble domestique, attend la menace d'un coup avant de quitter la place." (195)
Le récit de Gravier pose le problème du discours direct dans un récit enchâssé dans un autre. Ici, ce n'est absolument pas réaliste. Gravier ne peut pas raconter l'histoire ainsi, comme s'il reproduisait textuellement pendant des pages le discours du médecin, employant pendant si longtemps un "je" qui ne le désigne pas
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La Rabouilleuse
Trouvant en Maxence un ex-officier égoïste, cynique et brutal, Joseph Bridau le compare ainsi à son frère :
- Ce Maxence est le second tome de Philippe.
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Ursule Mirouët
Dans ma foulée balzacienne, j'ai fait succéder celui-ci à "la Rabouilleuse". Encore une affaire d'héritage, sauf que voilà cette fois une bondieuserie à la con, copieusement agrémentée de mesmérisme (pourquoi se priver !).
Balzac est tout de même un sacré guignol, pas réaliste pour un rond, lorsque (en sus de ses swedenborgeries, immodérément utilisées pour faire avancer l'intrigue) il fait écrire à Zélie Minoret une lettre remplie de fautes d'orthographe pour le moins improbables. Echantillons : " ... vien de phaire haupozition o Traitsaur" (= vient de faire opposition au Trésor !).
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César Birotteau
La lecture, entamée directement après avoir fini l'Odyssée, produit une drôle d'impression, comme si la scène initiale (Mme Birotteau se réveille en sursaut après un songe et s'affole de ne pas trouver son mari à ses côtés) était une sorte d'écho de la scène quasi-finale de l'Odyssée (la nuit des retrouvailles d'Ulysse et de Pénélope). Un écho burlesque et dégradé, évidemment, mais justement, cette fois, on est bien dans le roman moderne (*).
Pas mal de choses amusantes. Outre l'affaire de la Légion d'Honneur qui donne lieu à radotage, il y a une belle confrontation entre César et Mme Madou (pg 101-102). Voir aussi la tirade de Claparon pg 146 : "(...) Vous ne vous figurez pas combien les canaux nous occupent ! et cela se comprend. Le gouvernement veut des canaux. Le canal est un besoin qui se fait généralement sentir dans les départements et qui concerne tous les commerces, vous savez ! Les fleuves, a dit Pascal, sont des chemins qui marchent. Il faut donc des marchés. Les marchés dépendent de la terrasse, car il y a d'effroyables terrassements, le terrassement regarde la classe pauvre, de là les emprunts qui en définitive sont rendus aux pauvres ! Voltaire a dit : Canaux, canards, canaille ! Mais le gouvernement a ses ingénieurs qui l'éclairent ; il est difficile de le mettre dedans (...)"
210 : les deux premiers paragraphes, en particulier ces formulations : "en laissant tomber son journal que Birotteau ramassa quoique ce fut le Constitutionnel" et "avec l'inflexibilité d'un Minos qui avait passé le Styx du commerce en quittant le quai des Morfondus".
(*) : Fait curieux, l'Odyssée et César Birotteau sont conjointement pris comme exemples par Genette dans son Discours du Récit (Figures III). Simple coïncidence, car, même si j'avais déjà lu le texte de Genette longtemps avant ces deux lectures successives, cette succession fut a priori le simple fait du hasard.
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Beatrix
25. A propos de Guérande : "Cette charmante petite ville est donc l'Herculanum de la Féodalité, moins le linceul de lave. Elle est debout sans vivre, elle n'a point d'autres raisons d'être que de n'avoir pas été démolie."
Hormis cette formule, ce roman n'a rien qui le rende véritablement intéressant, et encore moins indispensable. Sa mise en place descriptive de plus de 100 pages devient très vite d'autant plus indigeste qu'elle semble peu utile à l'intrigue à venir, mais surtout cette intrigue et la psychologie des personnages sont invraisemblables : une manipulation sentimentale digne (en beaucoup plus fade) des Liaisons dangereuses, mais orchestrée par des personnages qu'on nous présente comme vertueux (la complaisance de la mère de Calyste, après le portrait qui a été fait d'elle, est particulièrement saugrenue).
Je m'obstine cependant et, agréable surprise, la troisième partie s'engage plutôt bien, avec l'introduction au premier plan et sous forme épistolaire d'un personnage nouveau, Sabine de Grandlieu, laquelle, en plus d'être psychologiquement un peu plus crédible que la bande de zozos déjà en place, fait preuve d'une vivacité rafraîchissante (comme à la page 346 : "j'étais dans le drame d'une jeune femme apprenant officiellement qu'elle devait son mariage aux dédains d'une vieille blonde.")
262. "Peut-être une des plus grandes jouissances que puissent éprouver les petits esprits ou les êtres inférieurs est-elle de jouer (tromper) les grandes âmes et de les prendre à quelque piège."
419. "Doué de cette sorte d'esprit qu'il faut appeler réflecteur, il s'appropriait les saillies d'autrui, celles des pièces de théâtre ou des petits journaux par la manière de les redire ; il semblait s'en moquer, il les répétait en charge, il les appliquait comme formules de critique ; enfin sa gaieté militaire en assaisonnait si à propos la conversation, que les femmes sans esprit le proclamaient homme spirituel, et les autres n'osaient pas les contredire. Ce système, Arthur le poursuivait en tout ; il devait à la nature le commode génie de l'imitation sans être singe, il imitait gravement."
447. "Du Guénic se ferait hacher et hacherait sa femme pour Béatrix ! Et vous croyez qu'on retire facilement un homme quand il est au fond du gouffre de la crédulité ?... Mais, madame, le Iago de Shakespeare y perdrait tous ses mouchoirs."
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Ferragus
Dans sa préface (1831 ou 1833), Balzac note la tendance de l'époque aux titre étranges, sans clarté : "renoncer aux bénéfices que procure l'apparente bizarrerie des titres sur lesquels se fondent aujourd'hui de légers succès."
Ch. I : "Il y a les poètes qui sentent et les poètes qui expriment, les premiers sont les plus heureux."
"Aimer sans espoir, être dégoûté de la vie, constituent aujurd'hui des positions sociales."
"(...) sans prévoir qu'un jour la Banque (...) s'assiérait sur le trône."
Bande Dessinée
A ceux qui doutent que la Bande Dessinée puisse être, parfois, un neuvième art, il faut conseiller de lire Hugo Pratt (et les aventures romantico-cyniques de Corto Maltese), Winsor McCay (et les rêves baroques et colorés de Little Nemo), Daniel Goossens (dont l'humour entremêle et fait exploser les discours), Schuiten et Peeters (et leurs Cités obscures aux architectures vertigineuses), Jiro Taniguchi (dont le trait respire la sérénité et dont L'Homme qui marche rend à qui le lit l'envie de regarder le monde autour de lui) (*), Philippe Druillet (en particulier pour sa version SF du Salammbô de Flaubert), sans parler d'un classique comme Hergé.
Parmi les auteurs contemporains, n'oublions pas Chris Ware, mais aussi l'étonnant Brecht Evens (en particulier les Noceurs et les Rigoles), extrêmement original et dont le style coloré et déformé évoque la peinture d'Ensor. Magnifique et très original également, Here (Ici) de Richard McGuire.
(*) : Je ne connais pas assez l'histoire de la B.D. pour affirmer qu'il est le premier à avoir utilisé ce procédé, mais Taniguchi a une tendance intéressante à cadrer parfois en plongée une pièce typiquement japonaise, à cloisons, faite de lignes horizontales et verticales très nettes, d'une façon qui lui permet de jouer avec toutes les diagonales ainsi créées.
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Dans ses études théoriques sur la bande dessinée, Benoît Peeters appelle "case fantôme" une case qui n'existe pas, mais que beaucoup de gens ont cependant en mémoire parce qu'une ellipse a été particulièrement bien préparée et réalisée. Il cite l'exemple d'une chute du capitaine Haddock dans Tintin au Tibet, à l'aéroport : on le voit juste avant la chute, puis on le retrouve dans l'avion en train de se faire panser. Il ajoute que le fait d'avoir vu auparavant des tas de cases dans lesquelles Haddock se casse la gueule favorise évidemment l'illusion d'avoir vraiment vu cette case fantôme.
Il est l'auteur entre autres d'une passionnante analyse détaillée et case par case, sur le modèle du S/Z de Barthes, des Bijoux de la Castafiore, intitulée Les Bijoux ravis.
Baron noir
Série pas mal faite mais assez déplaisante dans l'esprit dès le départ avec ces politiciens cyniques qui pensent que « les gens veulent un patron », le tout vaguement dénoncé (?) par des scénaristes sans doute à peine moins cyniques. C'et intéressant au moins sur certains aspects du fonctionnement politique et des basses manœuvres, visiblement bien documenté sur tout cela, mais assez peu cohérent et vraisemblable par certains aspects. Ajoutons que les romances à la con qui s'ajoutent à cela n'ont pas le moindre intérêt, qui plus est avec un acteur aussi peu charismatique que Kad Merad.
Enfin bon, d'un autre côté : Niels Arestrup, tout de même.
Saison 2. Toujours très bien fait et même, du moins à première vue, plutôt mieux dans les orientations politiques qui se dessinent, notamment autour de la laïcité. Et François Morel en pseudo-Mélenchon n'est pas du tout dans la caricature.
Le problème, c'est qu'à force de petits décalages modifiant ou idéalisant les choses au nom de la fiction, on finit par exemple par comprendre que le personnage extrêmement sympathique interprété par Hugo Becker représente en fait Manuel Valls (dont on n'a gardé que la défense de la laïcité, dissociée de l'aspect néolibéral qui fait que, chez Valls, cette laïcité mise en avant pour cacher le reste perd tout son sens). Quand on considère que l'un des scénaristes de la série est Thomas Finkielkraut, on s'en étonne moins. Je passe (au nom de la fiction, qui n'est pas exactement, même ici, la réalité) sur le fait que Rickwaert est inspiré par Julien Dray ! Je passe aussi (parce que ça n'engage que lui) sur le fait que, si François Morel incarne son personnage avec dignité, il ne s'en est pas moins répandu dans les médias contre Mélenchon en disant que son personnage était moins agressif, moins narcissique, etc. (*)
(*) Quand François Rolin est venu parler d'humour chez Finkielkraut, j'ai trouvé qu'il avait tort de jeter une imprécise suspicion sur un de ses collègues, « qui était plutôt à droite, mais qui en venant travailler à France Inter s'est mis à se créer une image d'homme de gauche à laquelle il a sans doute fini par croire lui-même » (je retranscris en substance). J'ai trouvé malsain de la part de Rolin de dire ça, surtout sans citer de nom parce que ça peut laisser penser à plusieurs personnes, même si j'ai évidemment pensé à Morel. A présent que je constate que c'était sans doute bien lui et qu'en plus ça n'avait rien de diffamatoire, j'en veux moins à Rolin.
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Le film Présidents (2021), d'Anne Fontaine, repose, un peu comme Baron noir, sur une vision inepte et plutôt PS-friendly de la politique : Hollande y est certes souvent ridicule, mais sympathique, et présenté comme un brave type trahi par des Valls et des Macron. Mais malgré cela, comme Baron noir, ça fonctionne tout de même, dans un registre différent bien sûr, celui de la comédie. C'est absolument délectable, les dialogues sont savoureux et surtout les deux acteurs sont excellents, en particulier Dujardin qui, sans chercher une véritable ressemblance physique, réussit magistralement à évoquer Sarkozy.
Charles BAUDELAIRE
(1821-1867)
Faire des classements est toujours un peu stupide et arbitraire, mais j'ai tendance à considérer Baudelaire comme la pointe extrême du génie poétique français. Tout ce qui se trouve avant ou après Baudelaire présente quelques faiblesses plus ou moins frappantes : trop artificiel ou trop prosaïque, trop précieux, trop pédantesque, trop obscur, ou encore trop dégoulinant de lyrisme, trop verbeux dans le cas de la plupart des Romantiques. Evidemment, on est également très très haut avec un Villon, un Nerval, un Rimbaud, un Valéry, un Prévert, un Ponge, ou dans un genre semi-poétique, un La Fontaine ; mais Baudelaire atteint, en vers comme en prose, un point de perfection. Et ce en dépit du caractère réactionnaire et mystique du personnage : il ne faut pas se laisser aveugler par les faiblesses de l'individu (d'autant que sa religiosité prend en général des formes pour le moins sulfureuses).
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A la fin des Phares, Baudelaire, sous un discours religieux qu'il est facile de laisser de côté, définit merveilleusement le rôle de l'Art dans l'existence humaine :
Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité.
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Quelques passages concernant les chats.
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Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides ?
(Réversibilité, XLIV)
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"Tu ressembles parfois à ces beaux horizons
Qu'allument les soleils des brumeuses saisons."
(Ciel brouillé, L)
Outre le fait que les soleils "allument" les horizons, outre la comparaison a priori étonnante de la femme à un horizon (mais on retrouve cette association de la femme à un paysage dans L'Invitation au voyage), l'essentiel, stylistiquement, semble ici tourner autour du flou visuel (brumeuses) ou temporel (elle ne leur ressemble que parfois) ; on est dans un univers de nuances et de variations, qui sont encore accentuées par les nombreux pluriels : y a-t-il tant de saisons brumeuses dans une année ? et surtout, pourquoi plusieurs soleils allumant plusieurs horizons, si ce n'est parce que le spectacle n'est jamais tout à fait le même ?
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"Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or ! (...)
Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encore vierge,
Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! Il est trop tard !"
(L'Horloge, XCIV)
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Un des paradoxes baudelairiens consiste à triompher de la douleur et de l'angoisse en décrivant leur pleine et entière victoire, en les exposant sans les atténuer, mais de façon poétique. L'Horloge, par exemple, dit incontestablement le triomphe du temps destructeur. "Tantôt sonnera l'heure (...) où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard !". Ce moment arrivera en effet. Pour tous. Fatalement. Et pour tous il sera réellement trop tard. Et pourtant, si l'on devait mourir juste après avoir lu ce texte, quelque gâchis qu'ait pu être notre vie par ailleurs, on pourrait s'estimer heureux de partir après avoir lu un aussi beau texte. Triomphe de Baudelaire, donc. Comme toujours.
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"Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses
Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal." (L'Idéal)
Dans ces vers, "roses" peut aussi bien désigner des fleurs que des nuances de couleur, ce qui fait qu'on peut ensuite lire "mon rouge idéal" comme un adjectif suivi d'un nom aussi bien que comme un nom suivi d'un adjectif.
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"Je préfère au constance, à l'opium, au nuits,
L'élixir de ta bouche où l'amour se pavane ;
Quand vers toi mes désirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis." (Sed non satiata)
Et cet autre évocation du baiser dans Le Serpent qui danse :
"Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants
Quand l'eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,
Je crois boire un vin de Bohème,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D'étoiles mon coeur."
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La tendance au "qu'importe !" (Enfer ou Ciel, etc.) semble concentrée dans des poèmes ajoutés à la première édition (Le Voyage, Hymne à la Beauté).
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En prose :
"Bientôt on interdira le citoyen qui ne sait pas faire fortune."
"Etre un homme utile m'a toujours paru quelque chose d'extrêmement hideux."
"Je n'ai besoin, pour ma jouissance, de la misère de personne."
"Ensuite on fit apporter de nouvelles bouteilles, pour tuer le Temps qui a la vie si dure, et accélérer la vie qui coule si lentement."
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A son voisin le baron Pichon qui lui faisait des remarques sur le bruit, Baudelaire répondit : "Je fends du bois dans mon salon, je traîne ma maîtresse par les cheveux. Cela se fait chez tout le monde et vous n'avez nullement le droit de vous en occuper."
Ingmar BERGMAN (1918-2007)
Sonate d'automne
Liv Ullmann raconte qu'Ingrid Bergman s'opposait souvent à Bergman, qu'elle était sans doute la première actrice à oser lui résister. Les deux actrices se sentaient assez en désaccord avec le discours culpabilisateur (en particulier pour les femmes) du film (puisque la mère sacrifie en quelque sorte sa famille à sa carrière). Lorsqu'après avoir entendu l'incroyable déversement de haine de sa fille, Ingrid Bergman devait lui demander de la serrer fort, elle a d'abord refusé carrément de jouer la scène en disant :
- Je ne peux pas. J'ai plutôt envie de la gifler.
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE
(1737-1814)
Paul et Virginie
Pour expliquer que celui qui fait pousser du blé rend davantage service aux hommes que celui qui écrit un livre : "Le meilleur des livres, qui ne prêche que l'égalité, l'amitié, l'humanité et la concorde, l'Evangile, a servi pendant des siècles de prétexte aux fureurs des Européens. Combien de tyrannies publiques et particulières s'exercent encore en son nom sur la terre ! Après cela, qui se flattera d'être utile aux hommes par un livre ?"
C'est faire un peu vite de l'Evangile "le meilleur des livres" et ne pas voir que c'est son caractère dogmatique qui en fait un livre potentiellement nuisible. On voit mal par exemple comment les Essais de Montaigne pourraient servir de prétexte aux fureurs de qui que ce soit.
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"Ainsi des plantes faibles s'entrelacent ensemble pour résister aux ouragans." (pg 148, Folio). Jolie phrase, résumant bien l'état d'esprit des personnages, mais exprimant bien aussi ce qu'il m'arrive de penser sur l'éventuel bienfait des sentiments dans un univers absurde et sur une planète lancée dans l'espace à 30 km/seconde.
Enki BILAL (né en
1951)
Tout est formidable dans l'oeuvre de Bilal, y compris ses films. Côté bande dessinée, je découvre sa magnifique tétralogie tératologique du Sommeil du Monstre. Le premier volume (1998) imagine une coalition des intégristes des trois grands monothéismes pour reprendre la main en éradiquant le savoir, la science, la culture, par le terrorisme. C'est une fiction (et une fiction superbement menée), mais je ne crois pas que l'idée soit si absurde. Après ce premier tome extraordinaire, le deuxième, et plus encore les deux derniers, sont un peu moins forts : le propos se disperse, devient étrangement creux. Reste heureusement le talent graphique de Bilal et ses inspirations poétiques, qui font que cela vaut tout de même la peine de lire tout le cycle.
Karen BLIXEN (1885-1962)
Contes d'hiver
Dans L'enfant rêveur, une anecdote sur un hôtel où les moins fortunés dormaient sans lit, "une corde sous les bras" (ce qui s'appelle donc "dormir debout"), mais purent échapper plus facilement à l'incendie que ceux qui dormaient dans un lit.
Dans la même nouvelle, après la mort de l'enfant : "Pourtant, malgré tristesse et regrets, les survivants éprouvèrent au bout de quelques temps un vague soulagement, comme il arrive toujours à la disparition d'un idéaliste."
Dans le dernier conte : "La vie et la mort sont deux cassettes fermées à clé ; chacune contient la clé de l'autre", dit un mendiant persan.
Un peu plus loin : "L'homme et la femme sont deux cassettes fermées à clé, (etc.)". Bien joué, Blixen !
Georges BLOND
(1906-1989)
La Grande Aventure des Océans
J'ignorais en le lisant que son auteur avait été une ordure collaborationniste, mais enfin c'est un livre intéressant, plein d'infos et d'anecdotes, pour ceux qui aiment la mer.
Lors de l'évasion de Jean Bart et Forbin du fort de Plymouth, Vaux-Minars, trop gros pour passer, trompe durant des heures les sentinelles en imitant "les voix des évadés tenant une conversation animée."
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14 juin 1919. Lors de la première traversée transatlantique sans escale en avion (Lindbergh, en 1927, est le premier à traverser en solitaire), l'un des deux pilotes, Arthur Whitten Brown, est obligé de sortir, cinq fois de chaque côté, gratter avec un canif le givre qui bloque l'arrivée d'essence.
"L'acrobatie ne m'a jamais tenté, déclare-t-il plus tard. Et cette exhibition à 2600 mètres au-dessus de l'Atlantique, à 160 km/h et sans même un public appréciateur, m'a paru tout à fait dénuée d'intérêt."
The BLUES
BROTHERS
John Landis explique qu'il n'a pas réussi à obtenir un effet de play-back correct avec certains artistes comme Aretha Franklin parce que ceux-ci avaient pour habitude de ne jamais chanter une chanson deux fois de la même façon. Mais peu importe finalement, quand la musique est aussi formidable.
Anecdote de tournage. Un soir, John Belushi étant tout à coup introuvable, on se lance à sa recherche, hors des studios. Quelqu'un l'a vu aller vers le quartier voisin. On fait presque toutes les portes et on finit par arriver chez un type qui répond : "Ah oui, Mr. Belushi est là, il dort sur le canapé." Après explication, il s'avère que le type est un parfait quidam, chez qui Belushi est entré au hasard en disant : "Bonjour, je suis John Belushi, vous me connaissez, je pense ? Voilà, je suis fatigué : j'aimerais me faire un sandwich et ensuite dormir un peu."
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En revoyant le film, je remarque, dans un rôle secondaire de flic en uniforme, une tête connue. Après consultation de l'Internet Movie dataBase (essentiel pour toutes les questions inessentielles comme celle-ci), je constate qu'il s'agit tout simplement de Steven Williams, alias Mr X. dans les X-Files.
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BLUES BROTHERS 2000
On prend (autant que possible) les mêmes et on recommence, mutatis mutandis, les néo-nazis devenant des mafieux russes, etc. Le résultat est évidemment inférieur au premier épisode, mais sympathique pour les amateurs, plein d'un charme nostalgique, et bien entendu de cascades et de musique. Cette fois, dans le rôle du flic noir avec une tête connue, c'est Joe Morton (Miles Dyson dans Terminator 2) qui s'y colle, en chef de la police demi-frère (contre son gré) d'Elwood Blues.