U-V


VAGABOND, manga de Takehiko Inoué

Le dessin est superbe, varié, avec parfois de superbes paysages minutieusement construits d'un trait fin et produisant un effet quasi-photographique. Le contenu, à savoir la jeunesse du légendaire Miyamoto Musachi, exalte évidemment plus ou moins bêtement le goût du duel au sabre et la volonté de se mesurer en permanence à ses congénères. La grande originalité réside toutefois dans la narration incroyablement dilatée, elle-même "vagabonde" : parfois, un ou deux volumes sont totalement consacrés au déroulement d'un seul duel et, au bout de quinze volumes, le récit revient des années en arrière pour suivre durant plusieurs tomes le trajet d'un nouveau personnage, le héros Miyamoto Musashi ne faisant que passer durant ces volumes.

 


Philippe VAL (naissance vers 1952, naufrage moral vers 2007)

 

"Toute la grandeur de la démocratie vient de ce qu'elle s'applique à des gens qui ne la méritent pas."

"Aimer l'autre, le désirer, aller ensemble assez loin dans une intimité secrète pour éveiller les sens, avoir le courage de se révéler capable d'une grande liberté, accepter aussi, comme un don, la liberté que l'autre exprime, faire ce chemin de la connaissance d'une personne bien différente de nous-mêmes, arriver à baiser comme des voyous entre gens honnêtes, tout cela demande du temps, de la patience, de l'imagination, autant de choses non matérielles sans lesquelles nos vies seraient celles de cochons dans leur bauge."

... écrivait-il jadis dans Charlie-Hebdo, avant de se mettre au service de Sarkozy et de l'Europe ultralibérale, de diriger France Inter comme un cochon dans sa bauge et d'en virer des humoristes comme le procureur Pinard expédiait Baudelaire et Flaubert au tribunal des bourgeois offusqués, lesquels bourgeois, Brel l'a déjà signalé, sont justement comme des cochons (dans leur bauge, aurait autrefois précisé Val).

 

Mon Chien

"Comme s'il savait depuis toujours

Que ce qu'il reste de nos vies

Ce n'est rien d'autre que l'amour

Qu'on a donné et qu'on a pris."

***

RESISTANCE

 

Hypocrite spectateur, mon semblable, mon frère ... Parlons nous franchement !

Le monde est cruel, barbare, injuste ? C'est pas nouveau.

Il a atteint des sommets dans l'horreur au XX° siècle ? C'est vrai.

La course du monde est chaotique. Y a-t-il ou non progrès ? Allez savoir !

Mais du plus loin qu'on observe l'humanité, il y a toujours eu des collabos de la barbarie, et des résistants qui luttent pour un peu plus de civilisation.

Alors, avouons le une bonne fois pour toutes. Lutter, résister aux chasseurs, aux aficionados, aux fascistes, aux requins ultra-libéraux, aux crétins vulgaires de la télé, aux pollueurs, aux empoisonneurs, à la bêtise au front de taureau qui emperlait de sueur les tempes de Flaubert ; avouons le, dégommer les traditions imbéciles, les coutumes assassines, ... ça détend !

Ca donne un sens à notre vie.

Ne prétendons pas nous sacrifier. Mais au contraire, avouons le plaisir, et parfois la joie, que l'on a à affronter la Bête.

L'écrivain, le chanteur, le poète, le dessinateur, le philosophe, qui s'échinent à faire reculer la laideur, sont heureux de faire ce qu'ils font, avec les armes, non-violentes, qu'ils ont choisi. Ils sont fiers de se battre, avec des formes, des idées, des mots, des sons, quand d'autres en sont encore à recourir à la violence physique pour sortir du moindre de leurs dilemmes.

Avouons qu'on ne se sacrifie jamais à une cause, à moins d'être un curé ou un imbécile.On tire une justification joyeuse de nos vies à tenter de mettre au monde quelque chose qui nous plaît à la place de quelque chose qui nous déplaît.

Résister rend heureux !

C'est la soumission à l'inacceptable qui est désespérante.

Lutter contre le Front National par exemple, n'est pas déprimant : c'est se résigner à lui qui est mélancolique.Alors je pose la question : si la Résistance n'était pas joyeuse, au nom de quoi résisterions-nous ?

Et puis y a des petites satisfactions.

De temps en temps, la Résistance, ça marche !

La France, par exemple, au XVIII° siècle, était un pays de culs-bénits. C'était De Villiers Über Alles ! C'était Christine Boutin Macht Frei ! Et puis ... arrivent les philosophes des Lumières ! Voltaire et son fameux Dictionnaire Philosophique, qui a eu un succès considérable à cette époque-là et qui a contribué à changer les mentalités. L'unique but du Dictionnaire Philosophique : foutre en l'air les dogmes du christianisme ! Desserrer l'emprise des religieux sur le pays semblait une utopie et pourtant ... de résistance en résistance, de Voltaire en Hugo, de Hugo en Zola, arriva la date fatidique de 1905 : séparation de l'Eglise et de l'Etat ! Et depuis la France est un pays laïc !

Et la peine de mort ? Qui en 1973 pouvait affirmer qu'un jour la peine de mort serait abolie, non seulement en France, mais dans toute l'Europe ? Et on en a fait, des concerts, des bouquins, des articles, en faveur de l'abolition ! Et nous n'étions qu'une minorité ! Mais une minorité agissante. Et la peine de mort fut abolie.

Et c'est vrai pour des choses qui peuvent paraître plus dérisoires. Le Paris-Dakar par exemple ! Cette merde néo-colonialiste de crétins milliardaires qui défoncent les routes du Tiers-Monde avec leurs tas de feraille qui coûtent des millions en se laissant pousser un peu de poil de cul sur les joues pour ressembler à Indiana Jones ! On n'était qu'une petite poignée de tiers-mondistes à gueuler contre cette connerie ! Eh bien ils n'osent même plus partir de Paris, maintenant, les lâches ! Un coup ils partent de Bordeaux, un coup ils partent de Grenade, une fois ils sont même partis directement de Dakar ! Je sais pas ce qu'ils ont foutu pour aller à Dakar, ils ont dû faire le tour du périphérique !

Ils sont ridicules. Ils le savent. Ils sont foutus.

Et pareil pour les chasseurs ! On arrivera un jour ou l'autre à leur envoyer dans les pattes une réglementation européenne qui les obligera à ne tirer qu'avec des pistolets à eau ! Et encore, à eau tiède, pour pas que les lapins s'enrhument !

La résistance, ça marche.Certains nous disent : "Oui, mais ... vous êtes combien ? Cent ? Mille ? Un million ? C'est dérisoire !"

Mais non, ce n'est pas dérisoire ! Ce sont toujours les petites minorités qui ont poussé la bonne grosse connerie majoritaire au fond de la falaise !

Résister, c'est vivre !

Nos neurones ne nous enivrent qu'en fonctionnant.

C'est leur engourdissement soumis qui nous tue.

L'air sinistre que prennent ceux qui défendent les grandes causes est la preuve de leur hypocrisie curaillonne. Il faut se méfier des philosophes qui ne rient jamais. Généralement, ils vivent plus longtemps que leurs disciples.

- Philippe Val, "Hôtel de l'Univers" (1999) -

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Sur la déplorable évolution de Philippe Val, voir Blog thématique.

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2023. Quelqu'un m'a rappelé que Patrick Font, après ses déboires avec la Justice, avait dit à E.M. que Val aurait très bien pu avoir le même genre de problèmes. Cela me fait penser à cette histoire du traître et du héros racontée par Borges et qu'on retrouve à peine modifiée chez Hugo Pratt dans un épisode des Celtiques situé en Irlande : un homme se sacrifie en acceptant de passer pour un traître parce que cela doit servir la cause qu'il défend. Imaginons ceci... Après l'arrestation de Font, des gens importants font comprendre à Val qu'il pourrait bien lui arriver des bricoles à lui aussi, à moins qu'il ne s'engage à se rallier progressivement à la cause du système ultralibéral en place, l'intérêt étant évidemment de pouvoir le présenter comme un homme de gauche autrefois très radical mais rallié à eux en devenant raisonnable avec l'âge. Mais imaginons également que Val, coincé mais dégoûté par ce chantage, l'accepte tout en décidant d'en faire trop, de devenir un des plus répugnants propagandistes du libéralisme, un des plus ignobles censeurs d'humoristes (avant la mère Van Reeth) des médias de service public, bref un des plus dégueulasses bonshommes qui soient, tout ça pour rendre encore plus dégueulasse la cause qu'on l'oblige à défendre, alors que lui reste secrètement attaché aux valeurs qu'il défendait autrefois avec Font... Et Val serait donc, non pas un traître, mais un véritable héros. Bon, évidemment, je ne crois pas du tout à cette hypothèse ou élucubration, mais l'idée est... étonnante, non ?

 


Paul VALERY (1871-1945)

Avec son intérêt obsessionnel pour la vie de l'esprit et son étonnant personnage cérébral de M. Teste, Valéry est un penseur passionnant, et souvent drôle. Quelques citations :

"Si les regards pouvaient enfanter ou tuer, les rues seraient remplies de femmes enceintes et jonchées de cadavres."

"Dieu créa l'homme et, ne le trouvant pas assez seul, lui donna une compagne pour lui faire mieux sentir sa solitude."

"La politique fut d'abord l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. Elle est devenue l'art d'interroger les gens sur ce qu'ils ignorent."

"Le beau est ce qui désespère."

"L'amour consiste à être bêtes ensemble."

"Les sots croient que plaisanter c'est ne pas être sérieux."

Mais c'est aussi évidemment un très grand poète. Trop formaliste peut-être, abusant parfois de rimes riches un peu faciles ou d'allitérations un peu trop sensibles, mais malgré tout un très grand poète, classique, sonore, sensuel. Il faudrait citer intégralement Les Pas, La Pythie, Le Cimetière marin, Ode secrète, Le Rameur et surtout Les Grenades. Je me contenterai de citer ce dernier, agrémenté de quelques vers tirés d'autres poèmes de Charmes.

LES GRENADES

 

Dures grenades entr'ouvertes

Cédant à l'excès de vos grains,

Je crois voir des fronts souverains

Eclatés de leurs découvertes !

 

Si les soleils par vous subis,

O grenades entre-bâillées,

Vous ont fait d'orgueil travaillées

Craquer les cloisons de rubis,

 

Et que si l'or sec de l'écorce

A la demande d'une force

Crève en gemmes rouges de jus,

 

Cette lumineuse rupture

Fait rêver une âme que j'eus

De sa secrète architecture. 


"Tout m'est pulpe, tout amande,

Tout calice me demande

Que j'attende pour son fruit."

(Aurore)


"Pressens autour de toi d'autres vivants liés

Par l'hydre vénérable ;

Tes pareils sont nombreux, des pins aux peupliers,

De l'yeuse à l'érable."

(Le Platane)


"Filles des nombres d'or,

Fortes des lois du ciel,

Sur vous tombe et s'endort

Un dieu couleur de miel."

(Cantique des colonnes)

Ce toit tranquille où marchent des colombes,

Entre les pins palpite, entre les tombes ;

Midi le juste y compose de feux

La mer, la mer, toujours recommencée (...)

Comme le fruit se fond en jouissance,

Comme en délice il change son absence

Dans une bouche où sa forme se meurt (...)

L'âme exposée aux torches du solstice,

Je te soutiens, admirable justice

De la lumière aux armes sans pitié (...)

Composé d'or, de pierres et d'arbres sombres,

Où tant de marbre est tremblant sur tant d'ombres (...)

L'insecte net gratte la sécheresse (...)

Ils ont fondu dans une absence épaisse,

L'argile rouge a bu la blanche espèce (...)

Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre !

(Le Cimetière marin)

 


"Dormeuse, amas doré d'ombres et d'abandons,

Ton repos redoutable est chargé de tels dons,

O biche avec langueur longue auprès d'une grappe."

(La Dormeuse)


De sa grâce redoutable

Voilant à peine l'éclat,

Un ange met sur ma table

Le pain tendre, le lait plat (...)

- Calme, calme, reste calme !

Connais le poids d'une palme

Portant sa profusion !

(Palme)

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Dans Variété II, cette intéressante description d'un voyage en train :

"Tout à coup, il me semble que le Temps commence ; le Temps se met en train ; le train se fait modèle du temps, dont il prend la rigueur et assume les pouvoirs. Il dévore toutes choses visibles, agite toutes choses mentales, attaque brutalement de sa masse la figure du monde, envoie au diable buissons, maisons, provinces ; couche les arbres, perce les arches, expédie les poteaux, rabat rudement après soi toutes les lignes qu'il traverse, canaux, sillons, chemins ; il change les ponts en tonnerre, les vaches en projectiles et la structure caillouteuse de sa voie en un tapis de trajectoires."

Les vaches-projectiles ne sont pas sans préfigurer une scène fameuse du Sacré Graal des Monty Python ou encore l'aventure bien réelle de la vache volante. Ajoutons simplement que l'essai dont est tiré ce passage est intitulé Le Retour de Hollande.

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Signalons ce vers malencontreux tirés d'Ebauche d'un serpent :

"Toi qui l'enfermes d'un sommeil

Trompeusement peint de campagnes"

Voilà qui n'est pas évoquer la première version (ensuite corrigée en "puisqu'Horace est romain") de ce vers de Corneille :

" Je suis romaine hélas ! puisque mon époux l'est."

Toutefois, je ne me risquerais pas à affirmer qu'un type comme Valéry (Paul, en tous cas : je ne m'avancerais pas concernant François) a pu écrire cela de façon totalement involontaire.

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Variétés I et II

"Au sujet d'Adonis". Intéressantes réflexions sur la contrainte en art. L'idée qu'une liberté sans résistance n'est que facilité, etc.

"Préface aux Lettres Persanes", fragment H : hypothèse réac mais intéressante.

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"L'Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues : il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines."

"L'Histoire justifie ce que l'on veut. Elle n'enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout et donne des exemples de tout."

 


Gus VAN SANT (né en 1952)

Il y aurait à dire à l'occasion sur des réussites comme Elephant ou My Own Private Idaho. Mais Van Sant est aussi l'auteur d'un film étrange et fascinant sur deux types perdus dans le désert, Gerry. Et dans ce film se trouve une scène assez sidérante, une scène de feu de camp qui peut évoquer celle de My Own Private Idaho, mais beaucoup plus étrange, en fait. Dans cette ambiance sereine, où chaque mot se détache, l'un des personnages raconte à l'autre comment il a failli conquérir Troie, comment il avait réussi à développer sa civilisation, mais comment les choses ont mal tourné pour lui. Evidemment, il parle d'un jeu vidéo, mais il détaille les choses, et d'une façon si posée, que le résultat est étonnant.

 


Fred VARGAS (née en 1957)

Petit Traité de toutes vérités sur l'existence

Délectation absolue. Tout en glissant tout de même au passage quelques vérités qu'il n'est jamais inutile de rappeler, Fred Vargas écrit tout sauf un traité, se vautrant dans les digressions les plus éhontées et les plus saugrenues (dans l'esprit du Tristram Shandy de Sterne ou du Jacques le Fataliste de Diderot), menant agréablement en bateau le lecteur qui aurait la naïveté d'attendre le traité définitif promis, pseudo-projet qu'elle saborde avec la plus aimable auto-dérision. On est dans une modestie à la Montaigne, celle qui lui fait écrire à l'intention du lecteur, dès la première page des Essais : "Ce n'est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain. Adieu donc." Fred Vargas ne se prend jamais au sérieux, son livre est superbement drôle, ... et pourtant, au bout du compte, on se demande si, un peu comme Montaigne, derrière la modestie du propos, elle n'a pas réussi tout de même à exprimer l'essentiel, qui consiste bien moins en des "vérités" qu'en un état d'esprit face à l'existence.

Il y a d'ailleurs une façon de lire ce livre comme un roman, puisque l'auteur de ce "traité" laisse de plus en plus le récit de sa vie parasiter la réflexion théorique, en particulier avec l'attente impatiente d'un message de l'homme "de sa vie". Narrativement, c'est très intéressant, ces interférences, d'autant que bien entendu les réactions réelles de l'auteur (ou narrateur ?) sont en relative contradiction avec ses conseils théoriques. Mais c'est justement ça, la vie, non ?

"La vie du cerf, dans son absurdité crasse, est affligeante. Au faîte de cet édifice navrant règnent les singes, qui poussent l'art de l'agitation stérile et de la bagarre à des sommets que seul l'homme, on l'a compris, peut dépasser aisément. Je ferai ici une exception pour un orang-outan mâle que j'eus la bonne fortune de pouvoir observer longuement et qui, posé sur son cul pendant vingt-quatre heures, s'occupa exclusivement avec des gestes fort lents à coiffer sa tête d'une salade, à l'en ôter, à s'en coiffer, à l'en ôter. Ce singe hors du commun, utopiste, anarchiste et méprisant les bagarres sauvages qui se livraient dans son dos, présentait toutes les marques d'un esprit contrôlé en proie à la méditation sur les mystères de la vie."

"S'agissant de l'amour, (ma mère) adopte volontiers une attitude circonspecte, examinant la chose d'assez loin, avec la prudence qu'on revêt pour lire un tract émanant d'une secte d'hallucinés."

"Un type qui boude depuis 30 000 ans la créature qu'il préfère est caractériel."

 

Critique de l'Anxiété pure

"Suite" un peu moins savoureuse (car tournant inévitablement un peu au procédé) du génial "Traité de toutes vérités sur l'existence". On y trouve tout de même un excellent passage sur les "économistes surfins", et ce petit rappel de quelques chiffres fondamentaux (pg 96) :

4% des 250 plus grandes fortunes mondiales feraient vivre l'Afrique entière.

10% feraient vivre le monde entier.

Estimation un peu différente (plus récente ?) de Yann-Arthus Bertrand : 4% de la richesse cumulée des 225 plus grosses fortunes (qui totalisent 1000 milliards de dollars) suffiraient à assurer l'accès à une éducation, une alimentation correcte et des soins de base à toute la population de la planète.

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Est-ce une fatalité pesant sur les noms en V qui rend leurs porteurs décevants ? Toujours est-il qu'après Philippe Val, ce sont les positions récentes de Fred Vargas qui laissent à désirer, puisqu'elle soutient, avec de bonnes raisons et de louables intentions certes, mais avec, en mettant les choses au mieux, une inquiétante naïveté, le mouvement pseudo-écologiste et véritablement libéral du méprisable Cohn-Bendit. Que cela ne nous empêche cependant pas de la lire ...

 


Paul VERLAINE (1844-1896)

A la relecture, je me rends compte que j'ai longtemps sous-estimé Verlaine, assez injustement. Si son propos me paraît toujours un peu mineur par rapport à celui d'un Baudelaire ou d'un Rimbaud, il faut avouer qu'il est à peine inférieur à eux en matière de génie musical. Tout est magnifique à entendre dans les Poèmes saturniens. Des choses comme "Il bacio", par exemple, ou, je ne sais pas trop pourquoi, les derniers vers de "Dans les bois" (l'originalité de l'image ? les allitérations et la progression par ajouts dans le dernier vers ?) :

"Sous un fourré, là-bas, des sources vives

Font un bruit d'assassins postés se concertant."

(... font un bruit d'assassins. Postés. Se concertant.)

En revanche, je n'ai pas pu pousser bien loin la lecture de Sagesse, tant Verlaine y sombre dans la niaiserie bigote.


Jules VERNE (1828-1905)

 

Michel Strogoff

La série, évidemment un peu datée, reste agréable à suivre. Quelques réserves toutefois quant à l'histoire elle-même. D'abord, le héros est à la solde du tsar tandis que le « méchant » Ogareff veut instaurer une république : chechez l'erreur ... Ensuite, toutes les difficultés que rencontre Strogoff résultent du fait que le tsar lui interdit, sous un prétexte assez fumeux, d'accomplir sa mission en tant que courrier officiel, sans quoi on peut supposer que malgré quelques risques et trahisons potentielles, il irait beaucoup plus vite.

 

Deux Ans de vacances

Revu également dans la série dans années 70. Le rythme est un peu lent et les figurants assez mous ; à l'ouverture, sur le port, des types transportent des sacs avec un manque d'énergie évident et les prétendus marins m'ont l'air, le plus souvent, de faire à peu près n'importe quoi, tirer sur n'importe quelle corde, tourner un truc, etc. J'observe également que dans le casting essentiellement roumain ici, hongrois dans Michel Strogoff, mais qu'on s'est débrouillé pour dénicher (ou est-ce réellement involontaire ?) là un sosie de Jacques Fabbri (le fonctionnaire Roublov), ici un cuisinier du bord qui est un faux Michel Simon mâtiné de Francis Lax (+ un des deux pirates, sosie par anticipation, sosie prophétique, de Renaud bouffi et alcoolique dans sa version contemporaine macroniste … ou sosie d'Arno à n'importe quelle époque). Cela tient tout de même assez bien la route, grâce au sens de l'aventure de Verne, à sa capaciter à élaborer des péripéties (même s'il semble que la série mélange en réalité plusieurs de ses romans, le résultat demeure narrativement efficace).

 

Mathias Sandorf

Bien qu'assez prévisible, cela se laisse lire sans déplaisir. C'est un hommage assumé à Monte-Cristo, mais un hommage affaibli, notamment parce que les méchants n'y sont pas assez méchants. Dès le départ, si leur motivation est la seule cupidité, ils dénoncent au fond un véritable complot politique et non de complets innocents : du point de vue de l'Autriche, leur action est positive (et quand on considère que l'indépendance de la Hongrie n'a guère mené à notre époque qu'à l'émergence de nuisibles comme Orban ou Sarkozy, on peut douter de son utilité). Ensuite, tandis que le héros vengeur revient couvert de milliards, ses ennemis, eux, sont tellement nuls qu'ils ont déjà perdu tout l'argent qu'ils ont gagné en le dénonçant.

Jules Verne a une imagination fertile, mais le sens du suspense narratif lui manque un peu. Il fournit bien trop d'éléments pour que la révélation concernant Sava ait la moindre chance de surprendre encore le lecteur. Je me dis cependant que le fait de savoir avant de commencer à le lire qu'il s'agissait d'une sorte de nouveau Monte-Cristo a dû me gâcher en partie certains rebondissements … d'un autre côté, si je n'en avais pas entendu comme d'un roman à la Monte-Cristo, je n'aurais sans doute jamais eu l'idée de le lire.

 

L'Ile mystérieuse

Rien de très « mystérieux » dans les trois premiers quarts du roman : on reste dans un récit de naufrage de type Crusoé, si ce n'est que grâce à l'ingénieux ingénieur les solutions sont vite trouvées à tous les problèmes qui se posent ; mais enfin le récit est suffisamment bien conduit pour que le lecteur y prenne tout de même plaisir et intérêt. En revanche, il y aurait beaucoup à dire sur la vision du monde que tout cela révèle : il y avait certes bien pire à l'époque, mais la nature et les animaux sont clairement au service des humains « colonisateurs », lesquels, même si leurs rapports sont très cordiaux, sont eux-mêmes nettement hiérarchisés : le chef incontesté, les deux intellectuels de moindre envergure, puis les exécutants (le marin et le « nègre » Nab), personnages sympathiques et traités avec sympathie mais non sans condescendance. Quant au chien, il n'est pas certain qu'il relève d'une catégorie (même légèrement) inférieure à celle des deux derniers personnages cités …

Verne pratique ici le retour balzacien des personnages, avec Nemo bien sûr mais aussi avec le naufragé Ayrton sorti des Enfants du Capitaine Grant. Plus intéressant encore, le récit d'Ayrton (parlant de lui à la 3° personne avant de révéler qu'il est lui-même le personnage dont il vient de raconter l'histoire) préfigure (inspire peut-être) la Forme de l'épée de Borges, qui perfectionnera le principe en rendant la révélation finale plus surprenante (ici, elle ne l'est guère).

Une adaptation pour la télé française avec Omar Sharif m'a laissé le souvenir d'images impressionnantes d'objets futuristes sur une plage. Ce que j'en ai retrouvé sur internet me semble aujourd'hui plus kitsch qu'impressionnant, en tous cas elle semble désormais quasiment introuvable. Il existe, entre autres adaptations, un film de Cy Endfield, auquel s'ajoute, pour les animaux géants, le charme des animations de Ray Harryhausen. On est tout de même loin de Sindbad ou des Argonautes : il y a notamment un crabe géant (plutôt effrayant) et un poulet ou dindon géant (plutôt ridicule). A chaque fois, après avoir combattu le monstre comestible, les naufragés s'en mettent plein la panse. S'ajoutent ensuite à cela d'improbables scaphandres dont le casque et la réserve d'air dorsale ont la forme d'un énorme coquillage et une ville engloutie comportant des temples grecs et des statues égyptiennes, cela en plein Pacifique. Mais le dernier quart d'heure est tout de même assez impressionnant, avec éruption volcanique et renflouage d'un bateau pirate.

 


Alexandre VIALATTE (1901-1971)

Desproges a toujours reconnu ce qu'il devait à l'influence des chroniques de Vialatte, tant sur le plan de l'humour et de la digression saugrenue que sur celui du style, dense et ciselé. Malgré quelques prises de position non seulement réactionnaires (au fond, quel grand écrivain et quel grand humoriste ne l'est pas, ne serait-ce qu'un peu ?) mais parfois un peu douteuses (sur la guerre d'Algérie, par exemple), la lecture des chroniques de Vialatte est indéniablement savoureuse.

J'avais autrefois découvert Vialatte (si l'on excepte ses traductions de Kafka et inspiré en cela par Desproges) à travers le recueil Eloge du homard et autres insectes utiles. J'y reviens avec les Chroniques des grands micmacs.

On y trouve l'observation de "phénomènes purement exceptionnels" tels que des "dames âgées, assez voûtées, coiffées de chapeaux extraordinaires (...) qui remontaient au crépuscule dans les petites rues de la capitale. Les rues à forte pente. A Montmartre ; dans le cinquième ; ou alors la Butte-aux-Cailles. Mais particulièrement autour du Panthéon" : elles "se mirent un jour à remonter les pentes (et ne les redescendirent jamais). Il y en eut une grande abondance. Le lendemain deux ou trois ; le surlendemain aucune. Elles disparurent en vingt-quatre heures, comme le yoyo. Ensuite il y eut des naines sur le boulevard Blanqui. Arrogantes. Avec une grosse tête. Les cheveux frisés. Le nez aquilin. Vêtues avec une grande recherche et coiffées de chapeaux prétentieux (...) Avec de hauts souliers lacés qui montaient presque jusqu'aux genoux. On les vit par intermittences. Puis elles disparurent complètement."

"Rien n'est plus beau à voir que l'homme sur les montagnes quand il mange avec ses enfants du lapin mort, dans des assiettes en plastique bleu. Il a les mollets nus et des sandales romaines. Il se grise d'idéal, il tranche le cervelas, il fait circuler la bouteille. Il jette au vent les épluchures de saucisson."

"Il est hardi, et même peut-être téméraire, de vouloir juger d'un petit homme vert comme d'un balayeur du XIII° ou d'un épicier enrichi par les malhonnêtetés patientes d'une vie féconde en menus larcins."

"Quant au monsieur que les pilules guérissent parce qu'il a profité sagement du bon conseil de son voisin, ses photos ne sont pas ce qu'il faudrait. Il ne devrait pas se contenter de se raser et de mettre un faux-col propre pour se montrer différent dans la photo APRES de ce qu'il était dans la photo AVANT. Tout le monde sait ce qu'est un faux-col propre, et même, parfois, un faux-col sale. Il devrait avoir pris des bonnes joues, l'oeil brillant, le poil dru, l'air terrible, la tête d'un monsieur qui peut casser un fer à cheval entre ses doigts d'une seule pression. Crrac !... Voilà ce qu'il devrait devenir pour donner envie à chacun de manger tous les matins dix boîtes des petites pilules. On devrait trembler à le voir si vif et vigoureux. Mais qu'en est-il ? Avant il a l'air d'un comptable, après il a l'air d'un caissier. Ou inversement. Comme tout le monde."

"J'ai vu un monsieur vendre des règles à calcul en expliquant qu'elles étaient imperméables. Dieu sait ce que le calcul y gagnait. Moi, non. Mais tout le monde les achetait. L'humanité se compose sans doute de gens qui ne calculent que sous l'eau, n'additionnent que dans les naufrages, ne soustraient jamais qu'à la nage, et ne multiplient qu'en plongée."

"Cyril Constantin, qui est un peintre surréaliste, vient de mettre au point le "pinceau rotatif" actionné par l'air comprimé, dont l'hélice terminale pivote à quinze cents tours-minute. On voit le progrès sur Michel-Ange."

"On savait déjà que chaque Français a deux enfants virgule dix-sept. Ces deux enfants virgule dix-sept l'attendent à la sortie de l'usine et l'aident à poser son chapeau. Ils lui donnent les joies de la famille. Mais la statistique prouve aussi qu'il y a un zéro un Français dans chaque pièce d'une maison française. Un Français virgule zéro un. Un centième de Français en plus. Qui habite à nos côtés. Qui nous suit dans chaque pièce. Qui ne nous lâche pas d'un pas. Je ne peux plus vivre avec ce nabot de sept cents grammes. Il m'exaspère. Je ne me sens plus chez moi."

En 1964, Vialatte cite ce qu'écrit une fillette de 12 ans : "Ma mère m'a dit de faire de l'anglais en seconde langue, je l'étudierai. Car ma mère est mon guide. Elle a organisé mon avenir. Je serai secrétaire, car secrétaire mène à tout. Maman m'installera comme sténodactylo auprès d'un homme très riche, pas trop jeune (s'il est marié, ce n'est pas grave, il y a à notre époque le divorce). Donc je le séduirai et il m'épousera. Je suis comme l'oiseau dans la tempête. Mais sur les ailes de ma mère, j'arriverai au port (...) Ma mère m'aime, elle est bonne, instinctive. Elle édifie mon avenir ; je me fie à elle car elle a le sens des réalités." Et Vialatte commente : "Par conséquent : prendre l'anglais comme seconde langue et faire divorcer le vieux patron. En attendant qu'une autre fillette, conseillée par une sage maman, fasse de l'anglais comme seconde langue, etc. C'est l'âge d'or pour les vieux patrons. Ils n'ont qu'à attendre sur le môle. Les mamans leur apportent leur enfant sur leurs ailes (...) La femme, délivrée des servitudes abominables qui l'obligeaient au temps de Molière ou de la comtesse de Ségur à épouser le vieillard implorant que lui imposait sa famille, peut enfin désormais aller chercher au nid le barbon qui ne voudrait pas d'elle, l'arracher à ses héritiers, le ramener pantelant au pied de sa machine à écrire."

"Les poètes arabes, consultés (pour définir l'homme), le comparent à la fois à une horde d'antilopes, à un raisin qui vient de mûrir dans un vallon et à des franges de ceinture rouge ; que sais-je ? "A un jeune homme tout jeune que le Prophète a façonné de sa main." Interrogés sur sa valeur, ils nous ont dit qu'il valait "plus que trois baudriers placés entre l'épaule et les tresses". En sommes-nous vraiment plus savants ?" Vialatte ne renonce cependant pas à tenter de peindre l'homme dans ses chroniques : "Malheureusement il bouge tout le temps. Il a volé au lycée de Fez l'écorché de carton qui servait à de bons maîtres à enseigner aux jeunes esprits où se trouvent ses mollets et sa glotte. On voit par là qu'il brouille lui-même ses traces et rend la tâche plus difficile."

Ironisant sur les pseudo-archéologues façon Charroux, Vialatte cite le minotaure, le sphinx et autres chimères comme preuves des fabuleuses techniques de greffe maîtrisées par les Anciens, puis signale : "on a retrouvé en Mésopotamie des poteaux qui établissent que dans la nuit des temps on utilisait le télégraphe, et même dans d'autres déserts, des absences de poteaux qui prouvent la connaissance du télégraphe sans fil."

A propos du livre "25 Siècles de guerre sur mer" de Jacques Mordal : "De Salamine à Okinawa, rôti, bouilli, noyé, incendié, harponné, déchiqueté, étripé, pendu, l'homme de Jacques Mordal mène une vie passionnante."

Sur la pédagogie : "On veut faire des méthodes adaptées aux élèves, et le propre des méthodes adaptées aux élèves est que les élèves ne s'y adaptent jamais."

Sur l'astronomie, diverses informations et cette remarque : "On aurait pu simplifier les choses en adoptant la théorie de Chèze-Mayeux suivant laquelle il n'y aurait au fond que "des étoiles blanches et des étoiles noires, des étoiles vertes parallèles et des étoiles qui vont en sens inverse", mais il a fini tristement et sa théorie fait pitié aux astronomes qui ne prennent pas la science pour un monologue de Pierre Dac."

"Quant à la nébuleuse du Crabe, elle se dilate à la vitesse horaire de quatre milliards de kilomètres. C'est un micmac inimaginable qui dépasse l'entendement humain. On se demande comment les astronomes s'y retrouvent."

Un passage intéressant également sur les dangers du porc-épic, "surtout du canadien", lequel a "des moeurs féroces" et a besoin de sel "au point qu'il dévore tout ce que l'homme a touché et imprégné de sa sueur saline : selles, escarpins, brodequins de montagne. Il n'est pas rare de le voir se nourrir de ballons de football et de manches de pioche dans les campements où il peut accéder. Et pour y parvenir il peut percer un mur, tout au moins une cloison, un plancher de sycomore. La Revue des Témoins de Jéhovah (*), à laquelle j'emprunte ces détails, assure même qu'un de ses abonnés possède la photographie d'une bouteille de sirop d'érable qu'un porc-épic a trouée de part en part. On évitera donc en camping de laisser sa pioche dans une bouteille ou d'oublier ses souliers de football dans un flacon à pharmacie. On se gardera aussi de camper à Babylone, car il est dit dans Isaïe : "j'en ferai le gîte du hérisson" (Isaïe entendait hérisson au sens large), et à Ninive : surtout entre les chapiteaux. Ne lit-on pas en effet dans le prophète Sophonie (au livre II : versets 13-15) : "Il fera de Ninive une solitude ... Le pélican et le porc-épic habiteront parmi ses chapiteaux" ? Ce qui est confirmé par les archéologues et par la Revue des Témoins de Jéhovah (...) On peut aussi chercher à tuer le féroce rongeur. Il faut alors procéder comme l'ours noir : jeter de la terre sur l'animal ; il s'immobilise, agacé ; glisser une patte sous le ventre de la bête et la jeter violemment contre un cèdre. S'il n'y en a pas, contre une roche granitique. A Ninive, contre un chapiteau."

(*) : une publication qui inspira également Desproges dans le Petit Reporter.

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Eloge du homard et autres insectes utiles.

Entre autres merveilles, je recommande la 1° chronique de ce recueil, "Evadons-nous de la zoologie".

Et je citerai au passage cet extrait d'une autre :

"J'apprends par la presse que le nombre des boxeurs français a diminué considérablement : cinq cent cinquante au lieu de huit cents (le nombre des boxés aussi, corollairement, et dans une proportion égale ; c'est ce qui met un peu de baume au coeur) ; qu'on a peint le lion de Waterloo, et même la boule qu'il tient sous la patte droite, de rayures blanches et transversales, si bien que l'illustre champ de bataille a l'air gouverné par un zèbre qui aurait volé un potiron."

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Intégrale des Chroniques de la Montagne, 2 tome en Bouquins

Charles Dantzig, dans sa préface très dantzigienne (c'est-à-dire mi-intéressante, mi-agaçante), précise que cette intégrale inclut environ 1/3 de chroniques qui n'avaient jamais été publiées dans les recueils antérieurs et que cette édition restitue entièrement celles qui avaient été publiées avec des passages supprimés. Formidable ! se dit-on … mais à la lecture on craint de trop bien comprendre pourquoi le reste n'avait pas été publié. On y trouve en effet souvent, presque toujours, quelques passages délectables, mais au milieu de choses moins plaisantes : éloges d'écrivain.e.s de troisième zone (vraisemblablement auvergnat.e.s et/ou/donc ami.e.s de l'auteur) ou pire encore des considérations politiques assez vagues mais tout de même assez consternantes, qui ne rendent pas Vialatte très sympathique, finalement. Au fil du temps, heureusement, les chroniques sans intérêt se font plus rares.

"Si l'on continue à ce train on ne tardera pas à apprendre que le vrai Fantômas est le Pape."

 


François VILLON (1431, mort après 1463)

Sur le Noel, morte saison,

Que les loups se vivent de vent (...)


Car s(i) en jeunesse il fut plaisant,

Ores (désormais) plus rien ne dit qui plaise :

Toujours vieil singe est déplaisant,

Moue ne fait qui ne déplaise.


Item à l'Orfèvre de Bois, (je)

Donne cent clouz, queues et testes,

De gingembre sarrazinois,

Non point pour accomplir ses boistes,

Mais pour conjoindre culz et coetes,

Et couldre jambons et andouilles,

Tant que le lait en monte aux tetes

Et le sang en devalle aux couilles.


Retournez cy, quand vous serez en rut,

En ce bordeau où tenons nostre état (...)

De paillarder tout elle me destruit,

En ce bordeau où tenons nostre état.

Vente, gresle, gelle, j'ay mon pain cuit.

Je suis paillart, la paillarde me suit.


Orde paillarde, dont (d'où) viens-tu ?

 

 

On ne lui scuet pot des mains arracher ;

De bien boire ne fut oncques fetart

(= paresseux)


Au moins sera de moi mémoire

Telle qu'elle est, d'un bon follastre.


(...) Ou transglouty en la mer, sans aleine,

Pis que Jonas au corps de la baleine.


Danceurs, sauteurs, faisant les piez de veaux,

Vifz comme dards, aigus comme aguillon,

Gosiers tintans clair comme cascaveaux,

Le laisserez là, le povre Villon ?


Je suis françois, dont il me poise,

Né de Paris emprès Pontoise,

Et de la corde d'une toise

Sçaura mon col que mon cul poise.

(Je suis français/François, ce qui me pèse,

Né à Paris, près de Pontoise,

Et grâce à une toise de corde

Mon cou saura ce que pèse mon cul)


John VON NEUMANN (1903-1957)

Comme j'avais jadis découvert suite à quelques lectures que la différence entre l'intelligence humaine et l'intelligence artificielle était loin d'être si évidente, si nette, et surtout si éternelle puisque la seconde ne cesse de se rapprocher de la première, on m'avait conseillé la lecture de L'Ordinateur et le cerveau, que je viens enfin de lire. Ca ne répond pas vraiment aux questions que je me posais, mais c'est néanmoins très intéressant, du moins ce que je parviens à en comprendre, c'est-à-dire environ une phrase sur dix. En tous cas, le fonctionnement des neurones amène à se dire qu'il est assez naturel que nous ayons tendance à nous maintenir dans certains modes de pensée. Des automatismes se créent inévitablement. Garder une certaine souplesse de pensée est difficile, et trouver une idée originale relève quasiment du miracle, de l'accident neuronal.

Différence essentielle soulignée par Von Neumann : le système nerveux utilise un "langage" statistique plus qu'arithmétique. Une erreur de détail peut ainsi fausser tout un calcul pour un ordinateur mais aura une incidence faible dans le fonctionnement du cerveau. D'où, pour ce dernier, une moins grande précision arithmétique mais une plus grande fiabilité logique.

Si on pense à tout instant que nos neurones fonctionnent, répondent à des stimulations, c'est passablement pénible et même angoissant. Mais si on se dit que tout cela forme un système particulièrement complexe et qui fonctionne tout seul, on est émerveillé. Ouf.

Von Neumann souligne le fait que les langages, y compris le langage mathématique, sont des accidents historiques que l'on plaque artificiellement sur un système nerveux dont le langage naturel, réel, nous échappe. Pour les mathématiques, que l'on considère par exemple l'artifice total que constitue a priori (enfin, il me semble) le système décimal.


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