M


Shane McGOWAN (né en 1957)

Dans une interview télévisée : "La modération, ça ne me dit rien qui vaille."

Pour ceux qui l'ignoreraient, Shane McGowan est un célèbre chanteur-poète irlandais, alcoolique et édenté, qui fut dans les années 80 le leader des Pogues.


MAD MAX (de Georges MILLER)

Contrairement à ce que je croyais, je n'avais jamais vu le premier Mad Max et je vivais donc sur le souvenir très positif du deuxième. J'aurais fort bien pu m'en tenir là car ce premier volet est particulièrement décevant, original sans doute à sa sortie, mais enfin c'est un film qui en lui-même n'a pas grand intérêt, alors que Mad Max 2 crée véritablement une atmosphère, un univers futuriste et post-apocalyptique de paysages superbement désolés (et superbement filmés, alors que le premier Mad Max est filmé comme un épisode de mauvaise série américaine des 80's).

Le troisième volet, Au-delà du dôme du tonnerre, est moins bon, mais nettement meilleur que le premier lui aussi. Il se laisse voir malgré des lourdeurs. A 1h10 environ du début, une scène bleue, la nuit dans le désert, une silhouette qui semble émerger d'une tache de peinture, ouvre des perspectives esthétiques sur ce que pourrait être un cinéma quasi-abstrait.

Mad Max : Fury Road (2015) est impeccablement efficace. Cela manque un peu d'humour, mais rien à redire en matière de courses-poursuites, de combats rock (et de cons baroques) et de paysages superbement filmés (déserts, marais aux corbeaux,...)


Terrence MALICK (né en 1943)

La Ligne rouge

Beauté des images, de la musique,... Les images du crocodile sont magnifiques, en tant que scène mais aussi par leur position inattendue, originale, comme ouverture d'un film. On n'est pas loin de la poésie pure de 2001, si ce n'est qu'ici la narration reprend tout de même assez vite le dessus, mais lentement, sereinement. les premières scènes, sur l'île, sont hédonistes et humanistes à souhait. Le film est une indéniable réussite, mais on peut tout de même estimer qu'il ne dit pas grand chose de nouveau sur la guerre et que sa beauté repose tout de même largement sur l'usage de procédés, de "trucs" : une belle photographie + une belle musique + une voix off méditative.

***

Le Nouveau Monde

Même procédés, mais le résultat est moins convaincant, relativement ennuyeux malgré la beauté et l'exotisme. Curieusement, cela vaut surtout pour la fin, pour les scènes de découverte de l'Angleterre par les Indiens.

 


Le Manuel du soldat en campagne

De quoi sont les pieds du fantassin ?

- Ils sont l'objet de soins constants.

Dans quoi sont creusées les latrines ?

- Dans le premier quart d'heure qui suit l'arrivée au camp.

Que met-on dans son fusil ?

- Une confiance inébranlable.

Sur quoi tire-t-on ?

- Sur l'ordre de son chef de section.

Que suit la balle en sortant du fusil ?

- Elle suit les lois de la balistique.

Combien de temps met le fût du canon à se refroidir ?

- Il met un certain temps.

Quand doivent avoir lieu les défilés ?

- L'après-midi s'il pleut le matin et le matin s'il pleut l'après-midi.

Jusqu'à qui doit se faire tuer le soldat ?

- Jusqu'au dernier.

En quoi consiste la stratégie ?

- Elle consiste à continuer de tirer pour faire croire à l'ennemi qu'on a encore des munitions.

 


Joseph L. MANKIEWICZ (1909-1993)

Il faut voir Eve bien sûr, mais aussi d'autres merveilles comme La Comtesse aux pieds nus, Le Reptile ou Le Limier.

Comme on lui demandait pourquoi il utilisait souvent des acteurs britanniques, Mankiewicz répondait : "Si j'avais besoin de champions de natation, je prendrais des américains."

A la fin de sa vie, il ne réalisait plus et laissait plus ou moins échouer les projets. Comme on lui en proposait un, sur la base d'un accord par étapes, il demande une somme colossale pour la première étape. Ses interlocuteurs sidérés lui demandent : "Mais qu'est-ce que vous allez faire pour cette somme, pour la première étape ? - Ben je vais lire cette merde."

"La télévision, c'est le chewing-gum de l'oeil."

 

Cléopâtre

Le défilé organisé pour l'arrivée à Rome de Cléopâtre est digne de Jean-Paul Goude. Philippe Muray pourrait y voir une des sources de la société hyper-festive. De même, plus loin, son arrivée en bateau doré, avec courtisanes jetant des fleurs sur le rivage, évoque fortement le passage du char de la Reine de la Mirabelle ou de Miss Quiche.

Marc-Antoine, piteux après sa défaite d'Actium : on s'attend presque, tellement le mot est aujourd'hui à la mode, à l'entendre dire, pour se remotiver :

- Je vais rebondir ... Je vais rebondir ...

 


MARCABRU, troubadour du XII° siècle

"Celui qui se dispose à aimer d'amour sensuel se met en guerre contre lui-même, car le sot, après avoir vidé sa bourse, fait triste contenance."

 


Bernard MARIS (né en 1946, assassiné par des connards le 7 janvier 2015)

Antimanuel d'Economie :

Tome 1 : Les Fourmis

Tome 2 : Les Cigales

On trouvera également en annexe du tome 2 un recensement critique des arguments et sophismes les plus utilisés par le discours économique dominant. Cette annexe est quasi-intégralement reproduite dans le kit de survie.


Joël MARTIN (né en 1941)

Le Dico de la Contrepèterie

Aucun homme n'est jamais assez fort pour ce calcul.

La cyclotouriste a un cale-pied coincé dans la mousse.


Jean-Charles MASSERA (né en 1965)

Echantillon :

"353 fiches ultra-complètes présentent toutes les caractéristiques des personnages qui ont des sentiments en étroite relation avec la croissance des entreprises. Sous la pression croissante des actionnaires, les digimons ont plusieurs stades d'évolution. La création de 353 fiches ultra-complètes présentant toutes les caractéristiques des personnages qui ont des sentiments et qui ont la chance de pouvoir se transformer en un monstre plus gros quand il survient un danger par la réduction des coûts, la création de ces fiches ayant de toute évidence des limites, la progression du retard dans la maîtrise de la lecture et de l'écriture est aujourd'hui essentielle. Les enfants qui veulent le même T-shirt que Jérémy et qui redoublent représentent un marché potentiel énorme."


The MATRIX

Même si tout ceci est loin d'être aussi original qu'on a tendance à le croire, le premier volet est intéressant et indéniablement réussi.

Le suivant, même à la deuxième vision, me déplaît fortement : amphigouri mys-tech, combats confus,... Je persiste à n'en sauver que la scène où Morpheus se bat sur le toit d'un camion. Il m'est par ailleurs impossible de me passionner pour les aventures d'un type en soutane, et Lambert Wilson semble totalement déplacé.

Le troisième se laisse davantage regarder, en particulier la longue bataille pour défendre Sion. On revient ici à de la SF d'action plus classique, mais au moins c'est efficace, esthétiquement plutôt réussi, tout en bleuté, noir et orangé, et tout ça nous soulage un peu des conneries religieuses qui ont tendance à plomber ces trois films.


Guy de MAUPASSANT (1850-1893)

Dans Bel-Ami, Duroy dîne chaque jeudi chez sa maîtresse et, sur les conseils de celle-ci, gagne la sympathie du mari en lui parlant agriculture et jardinage : "... et comme il aimait lui-même les choses de la terre, ils s'intéressaient parfois tellement tous les deux à leur causerie qu'ils oubliaient tout à fait leur femme sommeillant sur le canapé."


Eduardo MENDOZA (né en 1943)

Assez curieusement, cet auteur espagnol est un des plus efficaces représentants d'un humour qu'on peut, je crois, qualifier d'anglais, proche de Woodehouse, de Jerome K. Jerome, de Tom Sharpe. Cet humour est plus ou moins concentré selon les romans, mais aucun des trois que j'ai lus pour l'instant ne m'a déçu, mon préféré étant a priori l'hilarant Dernier Voyage d'Horatio II.

Sans nouvelles de Gurb, autre roman de pseudo-SF (un extra-terrestre recherche son collègue perdu dans Barcelone), manque d'un fil conducteur suffisant et a parfois quelques longueurs, mais mérite franchement le détour. Quelques extraits :

A propos des romans policier d'Agatha Christie : "L'argument du roman est d'une extrême simplicité. Un individu que, pour simplifier, nous appellerons A, est trouvé mort dans la bibliothèque. Un autre individu, B, essaye de deviner qui a tué A et pourquoi. Après une série d'opérations dénuées de toute logique (il aurait suffi d'appliquer la formule 3(x2 - r) n +- 0 pour résoudre tout de suite le problème), B affirme (à tort) que le coupable est C. Sur quoi le livre s'achève à la satisfaction générale, y compris celle de C. Je ne sais pas ce qu'est un majordome."

Pour séduire sa voisine : "Il est très probable qu'elle aime les fleurs et les animaux domestiques. Je pourrais lui envoyer une rose et deux douzaines de dobermans."

Un médecin, constatant des phénomènes étranges au passage du narrateur, dit que c'est "comme si, à cette heure précise, un Martien était entré dans l'hôpital. J'ai été vexé que quelqu'un puisse me confondre avec un de ces demeurés qui ne savent que jouer au golf et dire que le service est mal fait."

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Le Dernier Voyage d'Horatio II

Tout est dans le style dans lequel est rédigé le journal de bord de ce commandant irresponsable. Belle satire des rapports hiérarchiques. Understatement permanent.

"Profitant de l'amnésie du garde du corps, le docteur Agustinopoulos l'a habillé en Alsacienne et en a fait une jeune personne accomplie."

"Le Gouverneur déchu m'a demandé si je n'avais rien remarqué d'étrange au cours du dîner qui nous avait été offert et, sur ma réponse négative, il a dit que lui, si. J'ai pensé qu'après ce bref échange d'informations il allait s'en aller et me laisser tranquille, mais (...)"

***

Excellent également, le pseudo-polar, Le Mystère de la Crypte ensorcelée, où l'enquête est menée par un délinquant sorti d'un asile d'aliénés. Il bavarde avec un vieux jardinier qui lui explique que lui et son épouse, en 30 ans, n'ont "jamais fait usage du mariage" :

"Le Très-Haut nous donna des forces. Quand la passion était sur le point de nous vaincre, je frappais mon épouse à coups de ceinturon et elle me donnait des coups de fer à repasser sur la tête."

On retrouve le même personnage dans Le Labyrinthe aux olives et dans le plus drôle encore Artiste des dames :

"Cañuto aurait été acquitté s'il ne s'était acharné à expliquer que ses braquages faisaient partie d'un plan mondial pour semer le chaos, dont lui-même, Cañuto, était tout juste la pointe émergée de l'iceberg, qu'il s'obstinait aussi, par ailleurs, à appeler la pointe du gland."

"Je sais qu'un jour je les tuerai toutes les deux à coups de hache, mais en attendant nous vivons bien."

"Je me suis réveillé au bout d'une heure, sans avoir besoin de réveil (c'est un don que je possède et qui m'a permis d'économiser une fortune en piles)."

"Derrière l'immeuble, près de la porte du garage, j'ai avisé un homme qui examinait le mur avec soin. Je me suis approché de lui et lui ai demandé s'il savait quel était le mobile du crime. Il s'est retourné, surpris, et j'ai compris qu'il ne s'agissait pas d'un enquêteur mais d'un passant qui était en train d'uriner. Il a bien failli m'arroser."

"Et un jour qu'un des clients de Purines était mort en pleine extase, c'est avec plaisir que je l'ai aidée à le transporter sur un banc de la rue, où nous l'avons laissé confortablement installé et faisant comme s'il lisait le supplément culturel d'ABC."

Lors de l'explosion du salon de coiffure : "Nous avons exécuté un bref vol plané au cours duquel j'ai tenté sans succès d'attraper, au fur et à mesure qu'ils passaient près de moi, les différents éléments composant la boutique (le séchoir, le fauteuil, la cuvette) qui, du fait de leur moindre densité, se déplaçaient plus vite que moi (...) avant de vérifier si j'étais en possession de toutes les parties de mon corps, j'ai tâtonné à quatre pattes pour réunir le matériel dispersé et le protéger de la convoitise d'un éventuel petit malin ; puis je me suis occupé de moi, et enfin je me suis intéressé au sort de mon beau-frère qui, au dire d'un voisin plein de sollicitude, avait eu la veine de retomber sur le store du magasin de fruits et légumes de Mme Consuelo, ce qui faisait qu'il était indemne, bien que momentanément atteint de surdité, cécité, paralysie, amnésie et d'une décomposition galopante. Rassuré à son sujet, je l'ai laissé aux soins de ceux qui tentaient de le réanimer et d'extraire de ses orifices un régime de bananes, et j'ai couru remettre les ustensiles rescapés à leur place, c'est-à-dire parmi les décombres de la boutique, sur la façade de laquelle j'ai écrit avec le manche d'une brosse carbonisée : OFFRE SPECIALE - 10% de remise durant les travaux d'agrandissement et de rénovation."

Dans le discours prononcé par le maire de Barcelone : "Nous avons besoin d'actes. Et plus encore : d'hommes capables de les réaliser. Car les actes ne se font pas tout seuls, sauf les pollutions nocturnes et certains projets d'urbanisme (...) En disant cela, il me revient en mémoire un souvenir d'enfance. Je me vois, avec le dédoublement de la personnalité propre aux schizophrènes, dans la salle de l'école où j'ai préparé mon bac. Sur mon pupitre est ouvert le livre de l'Histoire universelle, et à la page de gauche, en haut, dans un encadré, il y a une illustration. Cette illustration représente un soldat romain, avec cette minijupe qui excitait tant ma lascivité naissante, une épée à la main, défendant un pont contre les hordes barbares qui tentaient de le franchir. Allez savoir où étaient passés les autres. Un homme seul, un simple soldat, un légionnaire, peut-être d'ailleurs un enfant de putain, protégeant l'Empire romain. Je n'oublierai jamais cette image. En revanche, j'ai complètement oublié ce que j'étais en train de vous dire. Et mon nom."

"A la fenêtre de l'appartement d'Ivette, j'ai cru distinguer la silhouette de la partie supérieure d'Ivette. Puis cette silhouette a disparu et la silhouette de la partie inférieure d'Ivette est apparue. Un moment, j'ai pensé qu'Ivette voulait faire savoir à un observateur extérieur qu'elle était toujours entière, mais j'ai vite chassé cette idée absurde et déduit qu'elle devait être en train de faire de la gymnastique."

"Des blocs de logements destinés à la reproduction et à l'élevage des gens pauvres et honnêtes (...)"

"Une blessure par balle, lui avait-il expliqué, était une plaisanterie en comparaison de la salmonellose qui lui donnait tant de travail. Si, plutôt que d'ingérer une mayonnaise douteuse, les gens se tiraient une balle, ce serait la belle vie, avait dit en conclusion le bon docteur."

"M. Pancracio était un petit vieux menu et humble. Il avait une minuscule boutique, très propre et bien rangée, pleine de coucous qui, toutes les demi-heures, l'obligeaient à s'enfuir sur le trottoir (...) Avec l'apparition des montres à quartz, son activité avait beaucoup diminué. Il n'avait plus de pièces à changer, ni de rouages à rajuster et à huiler pour qu'ils fonctionnent avec une parfaite précision. Désormais son travail consistait à remplacer des piles mortes et des bracelets déchirés, et à aider les demeurés à changer l'heure deux fois par an, à la date requise."

"Je me suis remis la tête sous le robinet. Quand je me suis réveillé, l'eau m'entrait par une oreille et me ressortait par la bouche"

Le maire va chercher une chaise pour un nouvel arrivant, "mais il a précisé qu'il n'y allait pas en sa qualité de maire mais de simple citoyen, étant entendu, a-t-il dit, que les maires possèdent, en vertu de leur charge, une double personnalité, comme Clark Kent."

Le même maire dit plus loin : "Rien de bien grave : quelques coups de feu sont un échange d'impression par d'autres moyens, comme a dit Platon."

Le dernier tiers du roman perd un peu en puissance comique, mais les deux premiers tiers suffisent à en faire un des meilleurs Mendoza.

***

Inutilement long et relativement décevant, Bataille de chats est malheureusement dénué de ce ton délectable et on peut à mon avis se dispenser de le lire, d'autant que, sous couvert d'impartialité, Mendoza met dans le même sac les communistes et les fascistes (tout en rendant parfois le leader de la Phalange plutôt sympathique). Une petite dizaine de formules amusantes surnagent, ce qui ne fait pas beaucoup sur 450 pages. Je retiendrai ces propos de la duchesse se plaignant que ses fils se soient laissés entraîner vers le fascisme et les chemises bleues de Primo de Rivera : "Avec ses belles paroles, il a tourné la tête à toute la famille : mon mari veut aliéner son patrimoine, mon fils aîné est à Rome en train de lécher les bottes de ce clown gesticulant, et le cadet se promène dans Madrid habillé de bleu comme un plombier."


Prosper MERIMEE (1803-1870)

Colomba

Début du Chapitre Premier :

"Dans les premiers jours du mois d'octobre 181., le colonel Sir Thomas Nevil, Irlandais, officier distingué de l'armée anglaise, descendit avec sa fille à l'hôtel Beauvau, à Marseille, au retour d'un voyage en Italie. L'admiration continue des voyageurs enthousiastes a produit une réaction, et, pour se singulariser, beaucoup de touristes aujourd'hui prennent pour devise le nil admirari d'Horace. C'est à cette classe de voyageurs mécontents qu'appartenait Miss Lydia, fille unique du colonel. La Transfiguration lui avait paru médiocre, le Vésuve en éruption à peine supérieur aux cheminées des usines de Birmingham. En somme, sa grande objection contre l'Italie était que ce pays manquait de couleur locale, de caractère. Explique qui pourra le sens de ces mots, que je comprenais fort bien il y a quelques années, et que je n'entends plus aujourd'hui. D'abord, Miss Lydia s'était flattée de trouver au-delà des Alpes des choses que personne n'aurait vues avant elle, et dont elle pourrait parler avec les honnêtes gens, comme dit M. Jourdain. Mais bientôt, partout devancée par ses compatriotes et désespérant de rencontrer rien d'inconnu, elle se jeta dans le parti de l'opposition. Il est bien désagréable, en effet, de ne pouvoir parler des merveilles de l'Italie sans que quelqu'un ne vous dise : “ Vous connaissez sans doute ce Raphaël du palais ***, à*** ? C'est ce qu'il y a de plus beau en Italie.”

- Et c'est justement ce qu'on a négligé de voir. Comme il est trop long de tout voir, le plus simple c'est de tout condamner de parti pris.

A l'hôtel Beauvau, Miss Lydia eut un amer désappointement. Elle rapportait un joli croquis de la porte pélasgique ou cyclopéenne de Segni, qu'elle croyait oubliée par les dessinateurs. Or, Lady Frances Fenwich, la rencontrant à Marseille, lui montra son album, où, entre un sonnet et une fleur desséchée, figurait la porte en question, enluminée à grand renfort de terre de Sienne. Miss Lydia donna la porte de Segni à sa femme de chambre, et perdit toute estime pour les constructions pélasgiques."


THE MEN THEY COULDN'T HANG

Version écossaise des Pogues, The Men They Couldn't Hang n'avait certainement pas le mérite de l'originalité, mais leur musique est largement aussi riche mélodiquement et plus travaillée que celle des Pogues (mais il ne faut pas nier que la dimension bordélique faisait partie intégrante du concept même des Pogues). Bref, une musique plus propre, mais aussi plus politisée, avec souvent dans les textes une dimension sociale et historique très intéressante, et ceci sans rien perdre en énergie. Je ne crois pas avoir jamais vu un groupe arriver sur scène et installer une ambiance aussi enflammée dès les premières secondes (surtout si l'on considère que ce groupe était parfaitement inconnu du public devant lequel il jouait ce soir-là, à Lorient). Un très grand groupe de scène. Mais aussi de très bons albums, en particulier l'extraordinaire Waiting for Bonaparte, suivi par le sympathique Silver Town, puis de l'excellent (quoique dans un style plus country) Domino Club.

Dans la chanson anti-fasciste The Ghosts of Cable Street, on trouve cette belle formule :

"A hand raised up that way never took the future in its palm" (soit, approximativement : "un type qui lève le bras de cette manière a peu de chances d'accueillir le futur dans la paume de sa main")


Philippe MEYER (né en 1947)

Chroniques

Les mères anglaises, selon une étude de 1989, sont 69% à battre leurs enfants, dont 22% avec une canne, une ceinture ou une pantoufle. Plus loin, il est question des pères anglais, qui prennent le relais après 11 ans.

"36% de ces pères ont recours à des ustensiles divers, parmi lesquels on retrouve la canne - autre élément de la tradition britannique avec le chapeau melon - et la pantoufle, qui semble être chez les Anglais assimilable à une arme de poing."

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Dans son émission, La Prochaine fois je vous le chanterai, après avoir diffusé L'Herbe tendre, ("Pour faire de vieux os / Faut y aller mollo / Pas abuser de rien / Pour aller loin / etc.) chantée par Gainsbourg et Michel Simon qui passent leur temps à se marrer, Philippe Meyer commente :

- C'était l'Herbe tendre, par Michel Simon et Serge Gainsbourg, qui n'avaient abusé de rien.

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Relativisant (je ne sais plus où) la notion d'artiste maudit, Meyer souligne en quoi Van Gogh n'en est pas un si bon exemple : il n'a peint que durant quatre ans ; aucune oeuvre aussi novatrice n'aurait pu être comprise en si peu de temps ; en outre il a toujours refusé de vendre.


Pierre MICHON (né en 1945)

Un des rares auteurs contemporains qui me semble valoir le détour, tant par l'intérêt de son propos que par la densité et la qualité esthétiques de sa prose. Les Vies minuscules sont admirables : et pourtant je ne parviens guère à éprouver de sympathie pour leur narrateur, mais cette honnêteté envers soi-même est encore une qualité à mettre au crédit de Pierre Michon.

Les essais regroupés dans Corps de roi sont également très intéressants, en particulier le second, Corps de bois, sur Flaubert. On y trouve en outre cette belle citation de Maurice de Guérin s'imaginant métamorphosé en arbre : "S'entretenir d'une sève choisie par soi dans les éléments, s'envelopper, paraître aux hommes puissant par les racines et d'une grande indifférence, ne rendre à l'aventure que des sons vagues mais profonds, tels que ceux de quelques cimes touffues qui imitent les murmures de la mer, c'est un état de vie qui me semble digne d'efforts et bien propre à être opposé aux hommes et à la fortune du jour."

Et cette anecdote-métaphore : "En mai 1882, Léon Guiral explore le royaume téké du Congo sur quoi règne le roi Makoko. Comme avant lui Brazza, il s'étonne du plaisir extrême qu'éprouve Makoko à souffler dans un sifflet de quartier-maître de marine. Les matelots rient beaucoup. Makoko très sérieusement s'époumone, court vers les bois et souffle, se tourne vers les huttes et souffle, renverse la tête et souffle vers le ciel. Guiral sourit. Ni les matelots ni Guiral ne peuvent savoir que Makoko est le maître des esprits et qu'il est le seul à pouvoir communiquer avec eux par des sifflements aigus. L'art est un sifflet de Makoko."

Michon évoque également un diplomate piémontais, le chevalier de Revel, rencontré par Benjamin Constant et qui affirmait que Dieu était mort avant d'avoir achevé sa création : "tout à présent se trouve fait dans un but qui n'existe plus (...) nous sommes comme des montres où il n'y aurait point de cadran, et dont les rouages, doués d'intelligence, tourneraient jusqu'à ce qu'ils se fussent usés, sans savoir pourquoi et se disant toujours : puisque je tourne, j'ai donc un but."

"Il existe un moyen de sauver Flaubert - de sauver la vie de Flaubert, sa prose n'a pas besoin de moi. C'est de supposer qu'il a menti, qu'il n'a jamais fait le moine ni le forçat. C'est de supposer qu'il n'a rien fait de ses dix doigts la plupart du temps à Croisset, qu'il a joui de la Seine, du vent dans les peupliers, de sa petite nièce mangeant des confitures, des grandes vaches dans les champs, mugitusque boum, des grandes femmes de temps en temps, de la débauche qu'est la lecture, de la luxure qu'est le savoir ; qu'il a joyeusement cueilli des tilleuls pour faire de la tisane, joyeusement fait défiler dans sa tête des nomenclatures phéniciennes ; et que ça et là, de chic, pour marquer le temps, pour épater les Parisiens, pour donner du travail à ses flagorneurs dans Paris, il soit tout de même monté dans son cagibi et y ait écrit quelques phrases parfaites qui lui venaient tout naturellement."

Ce type de réinvention de l'histoire, mais aussi ce type d'énumération rendant compte de toute la diversité de l'expérience peuvent d'une certaine façon rappeler les récits mais surtout les essais de Borges. Même sens du mot juste, également. Même goût affirmé pour l'érudition, pour les textes et les anecdotes curieuses. Sans parler de cette hypothèse métaphysique du chevalier de Revel qui pourrait servir de pendant aux délires de P.H. Gosse qui fascinèrent Borges.


LES 1001 NUITS

Permanence des problèmes de coexistence entre l'humanité et ses coiffeurs, le conte du "barbier fâcheux". "Trouve-moi un barbier intelligent et peu porté sur l'indiscrétion : je n'ai aucune envie d'avoir la tête rompue par son bavardage". Evidemment, le pauvre gars va tomber sur un jacasseur impitoyable.

Histoire de la femme coupée. Le vizir Dja'Far, condamné à mourir s'il ne retrouve pas le coupable au bout de trois jours, passe ces trois jours à glander chez lui, comptant sur le hasard pour le sauver (ce qui arrive en effet par deux fois). "Par Dieu ! je ne bougerai pas de ma maison jusqu'au terme des trois jours que l'on m'a donnés pour délai, m'en remettant à Dieu pour l'issue de cette affaire à laquelle je ne trouverai par moi-même aucune solution."

Un aspect intéressant : les âneries concernant les chrétiens, "adorateurs de Satan", etc. Dans les épopées médiévales chrétiennes, la méconnaissance de l'islam est au moins aussi grande. Match nul.

***

Borges a un peu survendu les 1001 Nuits comme le texte le plus délectable de tous les temps, mais il se fondait sur les anciennes traductions, notamment celle de Galland, que l'on a tendance aujourd'hui à éviter comme étant de belles infidèles. Je suis un peu déçu par la dernière traduction, celle de Miquel et Bencheikh, sérieuse, rigoureuse, complète, mais parfois ennuyeuse car elle ne se donne pas le droit de balancer tout ce qui lui semble indigeste (notamment ces incessants poèmes qui ont peut-être une grande beauté sonore dans l'original mais ne font ici qu'alourdir le récit). J'ignore ce que Galland a fait du Conte de 'Ali ben Bakkâr et de Shams an-Nahâr (nuits 153 à 169), mais je ne serais pas étonné d'apprendre qu'il l'a bazardé sans hésitation car c'est sans doute l'histoire la plus ennuyeuse du monde, en tous cas la plus ennuyeuse qu'il m'ait été donné de lire jusqu'ici. C'en est si incroyable que j'invite tout un chacun à le lire tout de même, rien que pour voir à quel point c'est emmerdant.

Je veux bien sûr dire : l'histoire de fiction la plus ennuyeuse du monde, car si l'on cherche ailleurs, certains philosophes peuvent être beaucoup plus ennuyeux encore que cela, sans parler des textes occultistes ou religieux, souvent imbuvables. Je m'essaie actuellement au Livre des Nombres, pour mieux suivre le nouveau cours de Thomas Römer, et bien c'est très très ennuyeux, le Livre des Nombres. Le plus ennuyeux de toute la Bible, je pense.


Claude MILLER (1942-2012)

La Petite Lili (2003)

J'ai regardé ce film un peu à reculons, m'attendant, sans doute à cause de la présence de Ludivine Sagnier, à quelque chose de particulièrement ennuyeux, entre du mauvais Ozon (Swimming Pool, Huit Femmes,...) et du mauvais Chabrol ressassant pour la énième fois les travers de la bourgeoisie provinciale. Mais bon, j'ai regardé tout de même, sans doute à cause de la présence de quelque interprète de grand talent, et j'ai été très agréablement surpris, ne m'attendant pas à ce film excellent (pourtant ce n'est pas le premier très bon film de Claude Miller). Quelques dialogues notables :

J.P. Marielle (à Robinson Stévenin) : Mais pourquoi t'es toujours aussi orageux ? On dirait Mussolini ! C'est épuisant !

Et surtout ce dialogue entre Julie Depardieu et Bernard Giraudeau :

JD : Moi je veux me marier avec quelqu'un que j'aime modérément. Je veux des soucis simples. Pas des trop grandes joies, pas des trop grandes souffrances non plus.

BG : Vous allez vous faire chier ! mais alors : COPIEUSEMENT !

JD : Eh ben c'est ça qu'je veux, j'veux me faire chier.


Vincente MINNELLI (1903-1986)

Brigadoon (1954)

Merveilleux, comme tous les films de Minnelli, celui-ci offre en plus l'intérêt de se dérouler dans un village écossais, ou du moins dans un village écossais tel que transformé par l'imagination de Minnelli. Le compère de Gene Kelly, Van Johnson, qui incarne au milieu de ce rêve la rationalité cynique, déclare d'ailleurs en avisant pour la première fois le tableau :

- Quels costumes ! Ca doit être le jour où ils prennent les photos pour les cartes postales !

Un peu plus loin, ce type réjouissant est l'objet des tentatives de séduction d'une jeune paysanne portant un chevreau, qui, après l'avoir embrassé (je veux dire que la paysanne embrasse le type, oui, évidemment : je n'aurais pas dû parler du chevreau, ça rend la phrase un peu confuse), lui déclare :

- Oh, il n'y a pas assez de beaux gars comme vous au village !

- "Pas assez pour tout le monde" ou bien "pas assez pour vous" ?

Un peu plus loin, toujours courtisé par cette bergère qui le conduit dans sa cahute, il continue dans le même registre :

- My mother and father met in this shed !

- Well, we all make mistakes. (...)

- I'm highly attracted to you ! When I look at you, I fell wee tadpoles jumping in my spine !

- That's about as repulsive an idea as I've heard in years ! You know, if love were a hobby, you'd be a collector's item !

- Ma mère et mon père se sont rencontrés dans cette cabane !

- Tout le monde commet des erreurs ...

- Vous m'attirez vraiment beaucoup ! Quand je vous regarde, j'ai l'impression d'avoir des petits tétards qui me courent le long de la colonne vertébrale !

- C'est l'idée la plus répugnante que j'aie entendu depuis des années ! Vous savez, si l'Amour était un hobby, vous seriez un objet de collection !

Peu après, il lui demande une bonne raison pour laquelle un étranger de passage comme lui devrait s'intéresser à elle :

- Because you are a lad and I'm a lass !

- With that philosophy, you must've had a provocative career !

- Parce que vous êtes un garçon et moi une fille !

- Avec une telle philosophie, vous devriez faire une belle carrière !

L'idéal est de regarder le film en VO sous-titrée en anglais, car les sous-titres français renoncent à traduire des tas de choses pourtant très drôles.

Les passages musicaux sont fantastiques et, d'un simple point de vue technique, on ne peut manquer d'admirer Gene Kelly qui danse durant cinq minutes avec sa veste posée sur les épaules et ne la fait pas tomber !

En revanche et malgré le contexte, Minnelli fait un usage fort parcimonieux de la cornemuse : même lorsqu'un type en joue à l'écran, il préfère en remplacer le son par celui de quelque instrument plus suave : quelles petites natures, à Hollywood !

Impresionnante, la poursuite nocturne d'Harry Beaton, une scène dont on imagine mal de faire un passage musical : c'est pourtant ce que fait Minnelli en transformant en chanson les cris des poursuivants.

Nous terminerons en citant encore cette phrase du personnage de Van Johnson : "There's nothing a woman hates more than her fiancé's best friend. He knows all the secrets she'll spend her life trying to find out."

Il n'y a personne qu'une femme déteste autant que le meilleur ami de son fiancé :

il connaît tous les secrets qu'elle va passer sa vie à essayer de découvrir.


Yukio MISHIMA (né en 1925, assassiné par un fasciste en 1970)

Les Amours interdites

Un personnage soutient l'idée suivante :

"Celui qui aime est toujours tolérant et celui qui est aimé est toujours cruel (...) Ce qui, plus que tout, rend cruel un être humain, c'est la conscience d'être aimé. La cruauté d'un homme qui n'est pas aimé est insignifiante. Par exemple, Yûchan, un altruiste est toujours laid."

Cela va totalement à l'encontre de ce que je pense des méfaits de la misère amoureuse, et d'ailleurs il n'est pas certain qu'il faille prendre totalement au sérieux cette thèse soutenue simplement ici comme un brillant paradoxe à la Oscar Wilde (et le personnage aigri de Shunsuké montre bien par ailleurs que Mishima ne réduit pas le problème à cela), mais elle est suffisamment stimulante pour être notée et mérite d'être approfondie.

Je crois toutefois que ce qui rend le plus cruel est simplement d'être mal aimé, je veux dire d'une façon que nous sommes incapables d'apprécier et que nous sentons ou jugeons insuffisante, qui ne nous comble pas. Mais c'est très simpliste de le formuler ainsi. La clef est sans doute bien davantage dans l'amour que l'on se porte à soi-même, les gens les plus malfaisants étant certainement ceux qui souffrent d'un complexe de supériorité, c'est-à-dire d'un complexe d'infériorité, car c'est fondamentalement la même chose.

Enfin, pour résumer, mutatis mutandi, chacun a toujours de bonnes raisons pour être un salaud, sans quoi l'espèce humaine ne serait pas ce qu'elle est.

***

Si j'apprécie le style de Mishima et la qualité de son observation, je suis en revanche souvent perplexe devant les jugements moraux qui semblent se dégager de ses romans. J'ai pensé un instant que ça pouvait venir d'une approche liée à des valeurs étrangères, que ma formation judéo-chrétienne m'empêchait de saisir. C'est sans doute en partie vrai, mais le cinéma de Kurosawa ne me pose aucun problème de ce genre. Certes, Kurosawa est un artiste japonais assez fortement imprégné de culture occidentale, mais le problème n'est pas là, car inversement certaines thèses d'un penseur "occidental" tel que Nietzsche me dérangent d'une façon assez semblable à celles de Mishima. C'est tout simplement qu'au-delà des différences culturelles de départ, qui sont finalement anecdotiques, on a d'une part un réalisateur profondément humaniste et d'autre part un écrivain de talent mais militariste et fascisant.


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