S


SAGAS ISLANDAISES

Saga de Snorri le Godi. L'ensemble, totalement foutraque, est plein de personnages et part dans tous les sens. Bref, inutile d'espèrer en avoir une lecture complète pleinement satisfaisante sans l'aide d'une liste des personnages ou sans celle de généalogies, d'autant plus qu'ils se partagent tous plus ou moins les trois mêmes prénoms. Cela dit, si on considère les épisodes isolément et qu'on renonce à cette vision d'ensemble, c'est très agréable à lire et varié : comment se débarrasser de deux berserkir (guerriers-fauves) particulièrement pénibles que tout le monde essaie de se refiler ? Comment partager un rorqual échoué sur la plage ? … Je note ce passage savoureux où des types qui viennent de piller une ferme se font gauler (NB : pour une fois, ils ont tous des prénoms un peu plus originaux) :

Quand Thorir et ses hommes survinrent, Ospakr les salua et leur demanda des nouvelles. Il leur parlait aimablement, voulant retarder ainsi l'attaque de Thorir. Celui-ci leur demanda d'où ils tenaient leurs provisions. Ospakr dit qu'ils les tenaient de Thambardalr. « Comment les avez-vous eues ? » dit Thorir. Ospakr répondit « Elles n'ont été ni données en cadeau ni vendues. - Voulez-vous les rendre, dit Thorir, et nous les remettre ? » Ospakr dit qu'il ne s'y sentait pas disposé. Alors ils s'attaquèrent et la bataille éclata.

Saga d'Eirikr le Rouge. Toujours cette question des homonymes. Ici, en quelques lignes, on a à peu près ceci : « Thorsteinn avait un domaine à tel endroit. Mais le domaine appartenait pour moitié à un homme qui s'appelait Thorsteinn. » Un peu plus loin, il est question d'un certain Björn Beurre-en-boîte.

Saga des gens du Val-au-saumon. Comme toujours, il faut s'accrocher pour suivre les liens de parenté et comprendre qui, au bout de 50 pages, va finalement être le véritable personnage central de la saga, après qu'on nous ait longuement parlé de ses ancêtres et de leurs voisins.

Saga de Gilsi Sùrsson, la plus agréable pour l'instant du volume de Pléiade compilé par Régis Boyer. Assez courte, nerveuse, utilisant abondamment (quoique parfois étrangement) le présent de narration, n'abusant pas en revanche des interminables généalogies, elle est particulièrement efficace et palpitante, avec en prime pas mal d'éléments humoristiques, en particulier au chapitre XXVII les personnages de Refr l'astucieux et de sa femme Alfdis, "avenante de visage, mais avec un tempérament de mégère et mauvaise femme autant qu'on peut l'être", pas si mauvaise d'ailleurs puisqu'elle sauve Gisli caché dans le foin sous son lit en engueulant les types qui fouillent chez elle pour le trouver, leur infligeant "les pires grossièretés" et un "langage ordurier" qui calme leur zèle et les conduit à abréger les recherches, honteux de devoir subir tout ça.

Autre qualité de cette saga : ses zones d'ombres et ses surprises. Certes, les sagas s'en tiennent généralement aux faits et certaines motivations peuvent rester obscures, mais ici on a un meurtre (celui de Vesteinn) qui est raconté sans qu'on sache vraiment qui est l'assassin (on a visiblement trois complices venus armés, mais on ignore lequel a frappé et le mystère est d'autant plus intéressant que l'un des trois est le frère de Gisli, que l'on préfèrerait que ce ne soit pas lui le meurtrier, mais que la conversation entre femmes qu'il a surprise autrefois fait tout de même de lui le suspect idéal). Si l'on considère que ces sagas se fondent en principe sur des événements réels, cette part de doute est d'ailleurs assez naturelle. Quant à la surprise, je pense à la scène étonnante de la mort de Thorkell (chapitre XXVIII), tué par un personnage inconnu qui vient juste d'apparaître dans le récit et dont on ne nous suggère qui il peut être qu'après le meurtre.

Saga des frères jurés. C'est plutôt agréable à lire, même si le héros un gros bourrin, tout comme la plupart des personnages d'ailleurs. Je cite la pg 673, mais ce sont des mots qui reviennent souvent, sous des formes à peine variées, pour introduire un nouveau personnage : "Il était très tapageur, plutôt tyrannique et impopulaire."

Saga de Grettir. Un passage amusant pg 782.

Saga des chefs du Val-au-Lac, sans doute une des plus agréables du volume, successions d'épisodes sur plusieurs générations mais sans généalogies trop complexes, particulièrement riche également en litotes et autres formules laconiques propres au genre. Des types ont provoqué les héros (plusieurs frères) et un double duel est prévu. Une magicienne qui traîne avec l'un d'eux essaie de les tirer de là en produisant du mauvais temps. "Crois-tu que Jökull soit venu ?" dit Bergr. "Je ne croirai rien là-dessus, dit-elle, mais ce que je crois qui va se passer, c'est que vous n'êtes pas ses égaux." (pg 1023).

Saga de Glumr le meurtrier, assez fertile, comme bien d'autres, en litotes courtoisement menaçantes. Allant rencontrer son grand-père norvégien à qui il donne des nouvelles de la famille sans vraiment dire qui il est et qui d'ailleurs ne semble pas l'estimer, il finit par obtenir son respect en filant une rouste à un bersekr provocateur devant lequel tout le monde se tasse. On lui accorde désormais une place d'honneur à table. Il dit "qu'il aurait accepté ce siège, même si on le lui avait offert plus tôt." Et un peu plus loin : "Il se tourna brusquement vers Sigmundr et brandit sa lance. Il bondit sur lui. Et il le frappa aussitôt à la tête, et Sigmundr n'eut pas besoin de davantage."

Saga des gens du Svarfadardalr. Insulté par un rude gaillard nommé Thordr le Lutteur, Klaufi (11 ans à l'époque des faits) accepte de lutter avec lui, le blesse, puis, alors que tout le monde repart, revient dans la maison où l'autre se remet de ses émotions et lui plante une hache dans le crâne. "Thorsteinn demanda pourquoi la hache était ensanglantée. Klaufi dit : J'ai interdit à Thordr de provoquer d'autres hommes à la lutte."

Saga de Njall le Brûlé. 50 pages avant qu'intervienne enfin le dénommé Njall, mais pas désagréables pour autant. Beaucoup de personnages, mais on s'y retrouve à peu près. Quelques belles formules encore, comme cette déclaration d'une belle-mère à sa bru, assez vindicative et au passé déjà chargé : "Les maîtresses de maison de par ici n'ont pas besoin de chercher à commettre des meurtres pour être appréciées."

Un type se rend chez un autre : "Ils parlèrent de cette affaire, et l'on n'eut pas l'impression qu'ils étaient du même avis." L'euphémisme semble presque suggérer qu'on les entend s'engueuler depuis l'extérieur.

Njall ayant, comme son surnom l'indique, brûlé, cela donne lieu à pas mal de pages passablement ennuyeuses et répétitives, d'abord sur des recherches d'alliances en vue du procès, puis, pire encore, sur le procès lui-même où les types (et en particulier le dénommé Mördr, dont on se demande bien pourquoi on lui a confié l'accusation alors qu'il est indirectement responsable de tout cela par ses manipulations et ses diffamations) récitent ad nauseam la même longue formule, systématiquement en deux versions dont je n'ai toujours pas saisi ce qui les différenciait fondamentalement, et sachant qu'à chaque fois qu'ils font ça, ils prennent des témoins qui vont alors redire eux aussi tout le baratin en deux versions afin de certifier qu'on le leur a bien dit et qu'ils en sont témoins, après quoi le type d'avant va lui aussi redire tout son truc en ajoutant que les témoins ont certifié qu'ils étaient témoins. Et ainsi de suite durant toute la tenue du procès, avec quelques épisodes guère plus palpitants comme diverses tentatives des incendiaires pour dénoncer des vices de forme, systématiquement contrées par plus malin qu'eux, jusqu'à ce qu'ils sortent leur argument ultime qui invalide le procès et là, enfin ! tout le monde s'entretue, on ne sait trop si c'est parce que le procès est désormais bloqué ou parce qu'ils sont tous à bout de nerfs, eux aussi, d'avoir eu à se farcir tant de fois ce speech à la con.

Retour également des répliques lourdes de sous-entendus. Snorri le Godi avait refusé de se mouiller en cas de combat durant le procès, mais avait promis d'intervenir si les incendiraires battaient en retraite. Ce qui se produit. Il leur barre donc la route avec ses hommes et demande : "Pourquoi tant de précipitation et qui vous chasse ? - Ce n'est pas parce que tu ne le sais pas que tu le demandes, répondit Flosi."

S'ajoute à cela quelques pages après un personnage amusant de fanfaron, Björn de Mörk.


SAINT-SIMON (1675-1755)

Mémoires

Pg 80 : les excentricités de Mme de Saint-Hérem.

Le portrait de la princesse d'Harcourt est assez drôle et savoureusement écrit. Lorsque ses gens, qu'elle paie mal, se révoltent en arrêtant le carosse en plein milieu du Pont-Neuf, "le cocher descendit, et les laquais, qui lui vinrent dire mots nouveaux à sa portière" (en clair, l'insulter). Plus loin je retrouve l'expression trouvée chez Balzac : "Ses gens l'avaient abandonnée et lui avaient fait le second tome du Pont-Neuf".

Le maréchal de Villeroi est renommé pour sa stupidité. Un jour de carême, le prêtre fit son sermon autour de la formule biblique "Sans Dieu, point de cervelle" : "Le maréchal de Villeroi était à ce sermon ; chacun, comme entraîné, le regarda."

"Tessé piaffait et se pavanait de son chapeau",

Mme de Charlus, en se penchant pour prendre un oeuf à la coque, "mit sa perruque en feu d'une bougie voisine sans s'en apercevoir. L'Archevêque, qui la vit tout en feu, se jeta à sa coiffure et la jeta par terre. Mme de Charlus, dans la surprise et dans l'indignation de se voir ainsi décoiffée sans savoir pourquoi, jeta son oeuf au visage de l'Archevêque, qui lui découla partout."

"Lenclos avait des reparties (sans accent) admirables." Rappelons aux personnes trop chastes ou trop jeunes pour l'avoir connue que Ninon de Lenclos était une "courtisane" célèbre, en d'autres termes une illustre gourgandine. Son portrait se termine ainsi : "La singularité unique de ce personnage m'a fait étendre sur elle."

109 : la mésaventure de l'évêque de Parme reçu par le duc de Vendôme qui "se torche le cul" devant lui.


Manuel SANCHEZ (né en 1958)

Les Arcandiers

Je ne sais ce qu'est devenu depuis Manuel Sanchez. Apparemment, il est toujours vivant, mais il semble qu'il n'ait plus rien réalisé depuis Les Arcandiers. C'est bien dommage, car c'est certainement un des films les plus drôles qui soient, et un des meilleurs remèdes à toute éventuelle déprime.

Avant de voir ce film, je pensais qu'il s'agissait d'une saga familiale québécoise, sans doute parce que le mot me faisait penser à Denys Arcand. Rien à voir. Voici tout d'abord une définition scientifique du concept :

"Il s'agit d'un vocable de terroir de la région Centre, bien que, paraît-il en constante et rapide extension. Ce mot désigne un individu dont l'esprit brouillon et l'absence de méthode le condamnent à se démener sans trêve ni repos. L'Arcandier cultive l'art de n'aboutir à rien. Généralement réduit aux moyens du bord, il s'acharne malgré tout, en dépit de revers qui n'entament pas son opiniâtreté, ni bien souvent sa bonne humeur. Quitte à ce que le rêve l'emporte sur le quotidien, sa seule auto-défense morale. Traité de folklorique, peu considéré puisque jugé et classé d'après ses piètres résultats, l'Arcandier n'en reste pas moins un personnage attachant. N'ayant pas démérité, on lui doit une réhabilitation. Honneur au courage malheureux !" (Alain Vigner, Arcandier)

Le film met donc en scène une bande de guignols, petits délinquants minables autant que sublimes, burlesques et infiniment sympathiques : le "cerveau" Tonio (Simon de la Brosse), l'ahuri Hercule (Charles Schneider) et le grinçant Bruno (Dominique Pinon), sarcastique et grincheux en diable. Leur coup le plus audacieux consiste à enlever contre rançon le corps de Sainte Bernadette Soubirous, mais ce n'est qu'un prélude à ce qui suit et le film est surtout une sorte de road-movie imprévisible, qui bifurque en permanence, des rencontres comme celle de Véronique (Géraldine Pailhas), puis de l'Ingénieur (Yves Afonso), venant relancer l'action dans une nouvelle direction. L'irruption de l'Ingénieur est d'ailleurs une véritable cerise sur le gâteau car c'est un guignol de plus qui vient s'ajouter à la bande, et non des moindres.

Parmi les grands moments, on retiendra le braquage du bureau de poste ("Putain il nous ramène des timbres, lui !") et la poursuite de Johnny Halliday en voiture par l'Ingénieur survolté ("Merde ! J'ai même pas d'sous pour lui payer un coup !").

 

Hercule : Au Brésil ? Mais je parle pas espagnol, moi !

Tonio : Espagnol ?!! ... C'est le portugais, là-bas !

H : Y parlent pas espagnol, les Portugais ?

T : J'ai un oncle à mon vieux là-bas. Si on le trouve, il nous aidera, c'est sûr.

Bruno : Tu parles ! Des Da Silva au Brésil, tu tapes dans un arbre, il en tombe quinze !

 

B : Aaah la la ! C'est beau, ces cheminées, on dirait une centrale nucléaire !

 

T : Merde ! On nous a piqué le pare-brise !

B : Putain, on va attraper la mort !

H (toujours persuadé que Sainte Bernadette les poursuit pour se venger) : Et si c'était la sainte ?

 

Alors que l'auto-stoppeuse Véronique leur offre des cigarettes et du feu, expliquant qu'elle a trouvé le briquet avec les cigarettes :

B : T'en trouves des trucs, toi !

H (après une longue hésitation) : T'aurais pas une bière ?

T : Eh oh, c'est pas un bar-tabac, hein !

H : Qu'est-ce t'en sais ? Elle aurait pu trouver une bière !

 

T : Dans trois jours on y est, à Saint-Nazaire.

H : C'était qui, Saint Nazaire ?

B : Ben c'était un saint ... P'têt' bien le saint des nases.

 

T : Ca fait du bien ! Aaah ! La dernière fois que j'ai baisé, c'tait y a deux ans, sous le pont, à Fourchambeau.

 

H : C'est la malédiction !

T : Quelle malédiction ?? J'ai une balle dans le cul, l'autre y parle de malédiction !

 

L'Ingénieur (s'installant dans la voiture qu'il vient de voler) : Regarde ce qu'il a comme cassette !

H (lisant) : Vivaldi : les Quatre Saisons ... Albinoni : l'Adagio ...

I : Qu'est-c' c'est qu' ces blaireaux ? J'espère qu' c'est pas du jââzz, hein, parce qu'y a rien d' plus gonflant !

 

***

Aux dernières nouvelles (en 2022), Manuel Sanchez vient seulement de récupérer les droits du film, détenus jusque là par un production qui n'en faisait rien. On peut donc enfin espérer une sortie en DVD ...

 


Shlomo SAND (né en 1946)

Comment le peuple juif fut inventé

Les thèses essentielles de cet ouvrage sont assez rafraîchissantes :

- l'identité juive ne se serait constituée qu'au XIX° siècle et dans la perspective du sionisme.

- la plupart des Juifs ne sont, pour l'essentiel, pas issus de la diaspora (largement mythifiée) d'un peuple juif originel, mais d'ancêtres originaires des diverses provinces romaines et convertis au judaïsme (ce qui met à mal l'aspect ethnique de l'identité juive pour n'en conserver que l'aspect religieux)

- tous les Juifs n'ont pas quitté la Palestine après la destruction du Temple de 70 (c'est en cela que la diaspora est largement mythique, même s'il existait évidemment une diaspora juive plus ancienne, mais pas du tout systématique et massive) : la plupart de ceux qui sont restés se sont plus tard convertis à l'islam et sont les ancêtres des actuels Palestiniens.

Bref, si l'on caricature, les Juifs d'Israël sont pour la plupart descendants de convertis et les véritables descendants du peuple juif d'avant 70 sont les Palestiniens. Quand je vous disais que c'était rafraîchissant ! Ca l'est d'autant plus que l'auteur est évidemment Juif (et Israëlien) et ne saurait être taxé d'antisémitisme (même s'il est clairement partisan d'une entente avec les Palestiniens et très critique vis à vis de la politique coloniale de son pays).

Le livre contient des développements très intéressants : sur les concepts de peuple ou de nation, sur l'histoire et l'historiographie du "peuple" juif, sur les peuples convertis au judaïsme au cours de l'Histoire, comme les Khazars,... Le dernier chapitre contient des citations étonnantes venant de certains des premiers sionistes ayant développé une doctrine véritablement raciste (cf. mariages mixtes).

Moins déplaisante et plus amusante, cette réaction de Theodor Herzl à l'affirmation d'une origine commune par l'écrivain Israel Zangwill, lequel était connu pour sa laideur : "Il s'entêta sur l'aspect de la race, que je ne peux accepter ; il suffit de nous regarder tous les deux. Je me contente de dire ceci : nous formons une entité historique, une nation de composants anthropologiques différents. Ce point est suffisant pour former un Etat juif. Aucune nation ne présente une unité de race." Après recherche de photographies, on peut estimer que Zangwill n'est tout de même pas d'une laideur terrifiante, mais il est vrai qu'Herzl a une indiscutable prestance, avec ou sans sa grosse barbe.


Nathalie SARRAUTE

Toute l'oeuvre de Sarraute (mère) est absolument fascinante, tant par sa qualité d'écriture que par sa démarche d'exploration de domaines jusque là négligés.

Parmi les romans, j'ai particulièrement apprécié Martereau, en particulier les quatre reconstitutions intérieurement différentes d'une même scène où les gestes et les propos sont les mêmes, les quatre versions, fouillées, prenant chacune sa cohérence, étant aussi convaincantes l'une que l'autre. Mais ce n'est qu'une des étapes de la remise en cause de l'évidence du personnage de Martereau, le tout prenant place ici dans une quasi-intrigue, presque policière parfois, pleine de surprises et de rebondissements, du moins dans la conscience du narrateur. Plus qu'une simple remise en cause de l'artifice qu'est le personnage de roman, c'est une fois de plus le constat que la réalité psychologique des êtres (réels) est complexe, difficile et parfois impossible à appréhender. Cela ne fait d'ailleurs que pousser plus loin encore les observations de Proust sur ces questions. Mais le narrateur proustien passe de l'illusion à la révélation, tandis que celui de Sarraute (et son lecteur) reste généralement (et c'est le cas ici) dans les hypothèses et dans l'incertitude jusqu'à la fin.

Enfance, pg 1055. Naissance d'une jalousie. De là, je pense au fait que Sarraute est devenue Sarraute : qu'est devenue cette petite Hélène ? Rien d'aussi renommé, ce qui peut constituer une forme de revanche, mais là j'anticipe et j'imagine très librement. Peu importe. Mais il y a cette idée que même devenir un écrivain de la valeur de Sarraute pourrait n'être que le fruit d'un désir de revanche, d'un désir d'écraser l'autre, de l'annuler. Pire encore, dans bien des cas, comme on ne peut espérer prendre sa revanche en devenant quelque chose d'aussi prestigieux que « Sarraute », on se console de sa propre médiocrité en considérant la médiocrité plus grande encore de tel ou tel autre. Je ne juge évidemment personne ici et surtout pas Sarraute qui a le mérite d'analyser ce qui peut naître de mauvais en elle. Non, j'observe simplement un phénomène attristant et sans doute très fréquent. Et je me dis qu'il ne faut pas se résigner à n'être rien et à se consoler par la contemplation du néant des autres, qu'il faut refuser tout rabougrissement, qu'il faut s'épanouir et essayer de contribuer à l'épanouissement des autres, en tous cas de quelques autres. Faire ce que l'on peut, mais refuser ce dessèchement, ce repliement, s'épanouir, s'étendre pacifiquement mais s'étendre, comme une plante libre.

Le Planétarium, décidément fascinant lui aussi. On est pris ici dans un véritable suspense, à base d'interprétations diverses (Machin a-t-il raison de croire que Truc a pensé ça de lui ? etc.), alors qu'il n'y a quasiment aucun événement saillant et aucune intrigue digne de ce nom.

Entre la vie et la mort, histoire d'écriture comme ne l'indique pas vraiment son titre. Peut-être encore plus abstrait que les précédents, mais toujours aussi intéressant.

Vous les entendez ?... Le thème de la jeunesse inculte et avide uniquement de bandes dessinées stupides est peut-être révélateur d'un souci domestique personnel : c'est du moins ce qu'on ne peut s'empêcher de penser quand on a entendu jacasser la fille de cette pauvre femme. Mais bien sûr le texte ne se réduit pas à cela, il explore une fois de plus de manière fascinante tous les aspects d'une situation, toutes les hypothèses, tous les points de vue,...

Tu ne t'aimes pas. Propos très intéressant. Le dispositif, ce forum intérieur de personnalités innombrables, m'a d'abord paru très artificiel, voire faux, mais c'est sans doute justement parce qu'il apporte un éclairage nouveau auquel il faut le temps de s'habituer.

Ici, de plus en plus expérimental, laisse parfois perplexe. On se rapproche assez de l'Usage de la parole et, en tous les cas, on s'éloigne toujours davantage du roman et de ses repères. Mais, comme toujours, une fois entré dedans, c'est assez fascinant et il y a même quelques passages assez drôles, notamment le chapitre XVII autour des expression « Il y en a tant » et « Qu'est-ce que ça prouve ? »

 

Doit-on ajouter à tout cela les Tristes Tropismes, de Claude (Lévi) Sarraute ?...

 


Arthur SCHOPENHAUER (1788-1860)

L'Art d'avoir toujours raison

Beau petit traité de logique minimale destiné à triompher dans la controverse, qu'on ait raison ou non, l'auteur constatant que la vérité est généralement le cadet de nos soucis. "La vanité innée, particulièrement sensible en ce qui concerne les facultés intellectuelles, ne veut pas accepter que notre affirmation se révèle fausse, ni que celle de l'adversaire soit juste. Par conséquent, chacun devrait simplement s'efforcer de n'exprimer que des jugements justes, ce qui devrait inciter à penser d'abord et à parler ensuite. Mais chez la plupart des hommes, la vanité innée s'accompagne d'un besoin de bavardage et d'une malhonnêteté innée. Ils parlent avant d'avoir réfléchi, et même s'ils se rendent compte après coup que leur affirmation est fausse et qu'ils ont tort, il faut que les apparences prouvent le contraire. Leur intérêt pour la vérité (...) s'efface totalement devant les intérêts de leur vanité."

Au milieu des perversités sophistiques, on appréciera la belle simplicité du stratagème 10 : "Mettre l'adversaire en colère, car dans sa fureur il est hors d'état de porter un jugement correct et de percevoir son intérêt. On le met en colère en étant ouvertement injuste envers lui, en le provoquant et, d'une façon générale, en faisant preuve d'impudence" ; ou du stratagème 14 :"Un tour pendable consiste, quand (l'adversaire) a répondu à plusieurs questions sans que ses réponses soient allées dans le sens de la conclusion vers laquelle nous tendons, à déclarer qu'ainsi la déduction à laquelle on voulait aboutir est prouvée, bien qu'elle n'en résulte aucunement, et à le proclamer triomphalement. Si l'adversaire est timide ou stupide et qu'on a soi-même beaucoup d'audace et une bonne voix, cela peut très bien marcher."

Le stratagème 30 cite Sénèque : "Unusquisque mavult credere quam judicare" (chacun préfère croire plutôt que juger).

Stratagème 35 : "Si l'on peut faire sentir à l'adversaire que son opinion, si elle était valable, causerait un tort considérable à ses intérêts, il la laissera tomber aussi vite qu'un fer rouge dont il se serait imprudemment emparé (...) Ce qui nous est défavorable paraît généralement absurde à l'intellect."

Ultime stratagème : "Si l'on s'aperçoit que l'adversaire est supérieur et que l'on ne va pas gagner, il faut tenir des propos désobligeants, blessants et grossiers (...) C'est un appel des facultés de l'esprit à celles du corps ou à l'animalité. Cette règle est très appréciée car chacun est capable de l'appliquer, et elle est donc souvent utilisée."

Il cite ensuite Hobbes : "Toute volupté de l'esprit, toute bonne humeur vient de ce qu'on a des gens en comparaison desquels on puisse avoir une haute estime de soi-même."

Puis ce conseil d'Aristote : "ne pas débattre avec le premier venu, mais uniquement avec les gens que l'on connaît et dont on sait qu'ils sont suffisamment raisonnables pour ne pas débiter des absurdités et se couvrir de ridicule." Commentaire de Schopenhauer : "Il en résulte que sur cent personnes, il s'en trouve à peine une qui soit digne qu'on discute avec elle."

***

"L'ennui a sa représentation sociale le dimanche, et la souffrance le reste de la semaine."

 


Martin SCORSESE (né en 1942)

Je m'étonne de n'avoir pas déjà ouvert ici une rubrique Scorsese. Pour reprendre de façon inservée ce que j'en ai déjà dit à propos de certaines histoires de cons, ses films de truands, de maffieux ou, pire encore, de boxeurs (Raging Bull), m'intéressent modérément. Mais que de merveilles par ailleurs ! Taxi Driver, La Valse des Pantins, After Hours, La Dernière Tentation du Christ, Gangs of New York (une histoire de maffia en un sens, mais avec une fascinante scène d'ouverture dans des souterrains qui suffit à me ravir).

Les Infiltrés furent plus récemment un autre sommet de réalisation, servi en outre par l'interprétation remarquable de DiCaprio, de Martin Sheen et de Mark Wahlberg. Et la musique des Dropkick Murphys n'y est pas déplaisante.

Shutter Island est une réussite également. Le décor est magnifiquement mis en valeur, l'atmosphère et le suspense sont parfaits. Le retournement final s'avère un peu decevant après coup, mais l'essentiel est qu'il soit bien amené et parfaitement surprenant.

***

Je trouve à Scorsese une certaine ressemblance physique avec James Cagney, dont le plus grand rôle est certainement L'Enfer est à lui. Le personnage du flic infiltré, mais aussi l'utilisation finale du décor de l'usine ne sont pas sans préfigurer, justement, Les Infiltrés de Scorsese.

***

New York, New York. A la fin de la première scène, amusante trouvaille : l'utilisation de la flèche en néon d'une façade pour indiquer De Niro dans la foule qui est en bas. Le début est plutôt drôle, le milieu hystérique, la fin minellienne, et l'ensemble évoque l'Amérique de Sergio Leone (pour De Niro et pour le cadre, mais aussi pour le passage du temps).


Gilles SERVAT (né en 1945)

Outre ses hymnes engagés et ses belles orchestrations de ces dernières années faisant la part belle à l'Irlande ou aux bagadoù, j'aime beaucoup la poésie dont est capable Servat, en particulier concernant l'évocation de la nature. Je renvoie à son poème Arbres, par exemple, ou encore à son album consacré au thème du Fleuve, dans lequel on trouve des images telles que "cicatrice cousue de ponts".

Autre sommet : Il est des êtres beaux.


Madame de SEVIGNE (1626-1696)

"L’archevêque de Reims revenait hier fort vite de Saint-Germain, c’était comme un tourbillon ; il croit bien être grand seigneur, mais ses gens le croient encore plus que lui. Ils passaient au travers de Nanterre, tra tra tra ! Ils rencontrent un homme à cheval, gare, gare ! ce pauvre homme veut se ranger, son cheval ne le veut pas ; et enfin le carrosse et les six chevaux renversent cul par-dessus tête le pauvre homme et le cheval, et passent par-dessus, et si bien par-dessus, que le carrosse en fut versé et renversé ; en même temps l’homme et le cheval, au lieu de s’amuser à être roués et estropiés, se relèvent miraculeusement, remontent l’un sur l’autre, et s’enfuient et courent encore, pendant que les laquais de l’archevêque et le cocher, et l’archevêque même, se mettent à crier : Arrêtez, arrêtez ce coquin, qu’on lui donne cent coups ! L’archevêque, en racontant ceci, disait : si j’avais tenu ce maraud-là, je lui aurais rompu les bras et coupé les oreilles."

"Ah ! qu'il y a peu de personnes vraies ! (...) La divine Plessis est justement et à point toute fausse ; je lui fais trop d'honneur de daigner seulement en dire du mal. Elle joue toutes sortes de choses : elle joue la dévote, la capable, la peureuse, la petite poitrine, la meilleure fille du monde ; mais surtout elle me contrefait, de sorte qu'elle me fait toujours le même plaisir que si je me voyais dans un miroir qui me fît ridicule, et que si je parlasse à un écho qui me répondît des sottises."

A propos de la prodigalité absurde de son fils :

"Je fus hier au Buron, j'en revins le soir. Je pensai pleurer en voyant la dégradation de cette terre. Il y avait les plus vieux bois du monde; mon fils, dans son dernier voyage, lui a donné les derniers coups de cognée. Il a encore voulu vendre un petit bouquet qui faisait une assez grande beauté ; tout cela est pitoyable. Il en a rapporté quatre cents pistoles, dont il n'eut pas un sou un mois après. Il est impossible de comprendre ce qu'il fait ni ce que son voyage de Bretagne lui a coûté, où il était comme un gueux car il avait renvoyé ses laquais et son cocher à Paris ; il n'avait que le seul Larmechin dans cette ville, où il fut deux mois. Il trouve l'invention de dépenser sans paraître, de perdre sans jouer et de payer sans s'acquitter. Toujours une soif et un besoin d'argent, en paix comme en guerre ; c'est un abîme de je ne sais pas quoi, car il n'a aucune fantaisie mais sa main est un creuset qui fond l'argent."

 


SHAKESPEARE (1564-1616)

 


Tom SHARPE (1928-2013)

Nombreuses merveilles d'humour anglais, dans un registre bien plus féroce que Wodehouse.

La série des Wilt est à la fois drôle et instructive quant aux dégâts pédagogistes.

Mêlée ouverte au Zoulouland et Outrage public à la pudeur, peintures hilarantes des flics sud-africains racistes du temps de l'Apartheid, valent aussi le détour (surtout le premier en fait : le second est au fond décevant, malgré quelques passages mémorables concernant les activités d'agents infiltrés et d'autruches explosives).

La Grande Poursuite s'attaque avec le même talent au monde littéraire. J'y relève au passage ce portrait de l'épouse d'un riche éditeur américain, laquelle a eu maintes fois recours à la chirurgie esthétique : "A quarante ans (lisez cinquante-huit), elle avait gardé le corps d’une jeune fille de dix-huit ans qui aurait eu des accidents et le visage d’une femme de vingt-cinq ans qui aurait été embaumée."

Porterhouse. La mise en place est un peu longue, mais le chapitre 9 (ou comment se débarrasser de deux caisses de préservatifs) est un sommet.

Dans Panique à Porterhouse, un américain tombé à terre lors de la panique consécutive à l'effondrement d'une partie de la chapelle du Collège et piétiné par les professeurs (en toges) de Porterhouse, revient à lui :

- Vous appelez ça un accident ? Se faire piétiner à mort par une horde de moines à la con ? Pour vous, c'est un petit accident ? (...) Léger euphémisme, mon cul. A mon avis, c'est un énorme traumatisme. On voit bien que ça ne vous est jamais arrivé d'être piétiné par des connards ...

- Parfaitement, ça m'est arrivé, répliqua le Chapelain d'un ton étonnamment péremptoire. J'étais demi de mêlée, si vous savez ce que cela signifie et j'ai souvent eu l'occasion de me faire piétiner. Pas besoin d'en faire tout un plat.

Décidément intéressé par la pédagogie sous toutes ses formes, notamment les plus aberrantes, Sharpe en parle également beaucoup dans le Cru de la comtesse. Un commandant Klaus Hardbolt, retraité des forces spéciales, se charge, en trois semaines, de préparer au brevet les cas les plus désespérés, en leur faisant apprendre par coeur toutes les réponses possibles, sous peine de rester au pain sec et à l'eau. Il résume ainsi sa doctrine : "Aujourd'hui, là où la plupart des professeurs ont tort, c'est qu'ils ne veulent pas appliquer à l'enseignement d'une classe les méthodes utilisées dans le dressage des animaux. Si un phoque peut apprendre à mettre une balle en équilibre sur son nez, un garçon peut apprendre à passer des examens."

Dans le même, les soeurs du comte "avaient fait l'impossible pour que le mariage soit annulé. Deirdre avait résisté à ces attaques en maintenant l'imprégnation alcoolique du comte à un taux suffisamment élevé pour qu'il ne se souvienne pas s'il était marié ou non, ou du moins pour qu'il s'en foute."


Sir Philip SIDNEY (1554-1586)

Arcadia

"Here a shepherd-boy piping, as though he should never be old."

(Et ici, un jeune berger, jouant de la flûte comme s'il ne devait jamais vieillir)


Les SIMPSON : morceaux choisis

Homer : Il faut que j'aie une arme, c'est dans la Constitution !

Lisa : Papa, le 2° amendement n'est qu'une survivance de la Révolution. Il n'a plus de raison d'être aujourd'hui.

Homer : Tu te mets le doigt dans l'oeil jusqu'au coude, Lisa ! Si j'avais pas ce revolver, le roi d'Angleterre pourrait entrer ici quand ça lui chante et te mener à la baguette ! C'est ça que tu veux ? Hein ? Réponds !

Lisa : Non.

Homer : Alors ! Tu vois !

***

Mr Burns offre aux Simpson une gigantesque tête olmèque qui occupe tout leur salon :

Homer : Marge, ça fait quoi, ce truc ?

Marge : Ca fait rien du tout.

Homer : Maaaaarge ! En vrai, ça fait quoi ?

Marge : Rien de plus que ce que tu vois en ce moment.

Quant à Bart, destinataire du cadeau, après avoir cru dans un premier temps qu'on lui offrait ... "Waow ! Une barre à mines !" (qu'on lui tend en fait pour ouvrir la caisse), il est un peu plus enthousiaste qu'Homer devant cette sculpture à 32.000 $ :

- Waow ! Une grosse tête hideuse !

***

Après une alerte incendie à la centrale nucléaire qui se déroule de manière pour le moins inefficace, Burns conclut : "J'ai vu plus de discipline dans les films des Marx Brothers."

 


Steven SODERBERGH (né en 1963)

 

Sex, Lies and Videotapes

Le style souvent heurté, brisé, de Soderbergh, semble parfois un jeu vain et artificiel, dans des films comme The Limey (au contenu sans grand intérêt à mon goût) ou dans une moindre mesure Traffic (malgré un contenu ici très intéressant : ici l'éclatement peut se justifier mais il est un peu source de confusion) - laissons de côté des films agréables mais plus commerciaux comme Ocean's Eleven - mais dans Sex, Lies and Videotapes, ce style s'adapte parfaitement au contenu, à cette histoire assez inhabituelle, bien qu'elle parle finalement de notre vie à tous. La narration éclatée met peu à peu à égalité ces quatre personnages, dont un seul finalement ne parvient pas à gagner notre sympathie. Le personnage de Graham est fascinant, avec son minimalisme ("une seule clef"), son approche originale des rapports humains, ses zones d'ombre, sa fragilité et sa volonté d'exposer cette fragilité sans chercher à se dissimuler. Les deux personnages féminins sont tout aussi attachants, avec en prime les scènes où elles se rencontrent dans le bar, avec entre elles un poivrot plein d'humour.

 

The Informant !

Excellent également, tout à fait curieux et savoureux, avec un Matt Damon étonnant, drôle et déroutant et un scénario qui nous conduit constamment là où ne s'attendait pas à aller.

 


Fernando SOLANAS (1936-2020)

Mémoire d'un saccage

Le film explique comment un pays riche comme l'Argentine a sombré en quelques années dans la misère la plus noire. C'est le pays qui a appliqué avec le plus de zèle la politique économique néolibérale du FMI : on y voit en quelque sorte à l'oeuvre en accéléré le processus dans lequel quasiment tous les pays, dont le nôtre évidemment, sont impliqués. Privatisations massives, biens publics bradés au bénéfice de quelques escrocs, corruption généralisée, trahison des responsables politiques et syndicaux, collusion des médias qui durant des années ont chanté les louanges de cette politique (exactement les mêmes discours truffés de contre-vérités que l'on nous sert ici depuis des années), développement de la répression policière, ... L'opération menée en Argentine est tellement sidérante qu'on se dit qu'une chose pareille ne peut pas arriver en France. Cela arrive simplement plus lentement, plus en douceur, de façon moins frappante donc, mais il suffit de considérer la plupart des éléments décrits dans le film pour constater que c'est bel et bien le même processus. On peut avoir devant ce film l'impression que les politiciens français, aussi véreux soient-ils, ne pousseraient jamais le cynisme et la crapulerie aussi loin qu'un Menem (mais c'est à mon avis sous-estimer les intentions d'un Sarkozy) : mais on se demande aussi si la population française n'est pas infiniment plus anesthésiée et passive que tous ces Argentins qui se sont battus sans relâche et malgré la répression.


Norman SPINRAD (né en 1940)

Un des auteurs de SF les plus intéressants, avec Philip K. Dick, quoique dans un style très différent : plus sain d'esprit visiblement, et surtout moins tourné vers la question de l'individu et de son identité que vers des problèmes collectifs, socio-politiques et moraux. La plupart des romans de Spinrad se situent dans un futur assez proches, sans extra-terrestres et avec des technologies nouvelles en nombre limité. La plupart sont assez palpitants pour se lire en continu sans avoir jamais envie de décrocher et ils reposent très souvent sur des manipulations et affrontements psychologiques souvent à plusieurs degrés (qui manipule qui ?), qui nous ramènent d'une certaine façon à l'univers de Philip K. Dick. Un des meilleurs exemples de ces "parties d'échecs" est sans doute le roman intitulé Les Miroirs de l'esprit, dans lequel un homme entre dans une secte très puissante afin de récupérer sa femme qui en est devenue une adepte, et va devoir en permanence échapper aux tests destinés à vérifier ses véritables motivations, jouer parfaitement son rôle sans pour autant se laisser réellement manipuler à son tour. Passionnant, même si la fin est légèrement décevante (si je me souviens bien).

Tout est généralement excellent chez Spinrad, mais on peut citer en particulier :

* Les Années fléaux : une longue nouvelle sur une épidémie (inspirée du SIDA) que les laboratoires pharmaceutiques, pour des raisons évidentes d'intérêt financier, entretiennent alors qu'ils sont en mesure de l'éradiquer.

* Rêve de fer : une expérience intéressante et amusante, puisque Spinrad imagine ici le roman (nul) qu'aurait pu écrire Adolf Hitler s'il avait eu un destin différent et était devenu auteur de SF. Belle exploration indirecte (puisque nous n'avons sous les yeux que le roman "virtuel" d'Hitler) d'un esprit détraqué.

* Rock Machine : passionnant, une vraie atmosphère, et un thème assez inhabituel dans la SF puisqu'il s'agit (entre autres enjeux) de créer une musique nouvelle.

* En Direct : très peu de science-fiction ici, mais un des romans politiques les plus captivants et les plus intelligents qui soient. Des écoterroristes prennent en otage les locaux et les journalistes d'une télé locale américaine pour faire passer leurs revendications par la voie médiatique. Manipulations, coups tordus, conflits d'intérêts (entre les logiques très diverses des terroristes, du gouvernement, des médias,...), on voit véritablement la situation évoluer "en direct", sans vraiment pouvoir prévoir comment elle va évoluer. On appréciera le personnage très intéressant, trop rarement mis en scène dans la littérature, de l'agent de la CIA, manipulateur absolu et infiniment détestable, mercenaire cynique au service d'une cause indéfendable.


STAR TREK

J'ai une connaissance très limitée de la série, à laquelle j'ai toujours préféré le plus sombre Cosmos 1999.

Le peu que j'en ai découvert, assez tardivement, n'est cependant pas sans intérêt, y compris dans sa version Picard dont j'ai eu l'occasion de voir toute la première saison, dans laquelle on trouve quelques épisodes assez curieux, comme celui (l'Enterprise en folie, un titre digne des Charlots) où l'équipage entier, contaminé par un virus, est ivre et d'humeur légère (même le robot Data couche avec la blonde de la sécurité) ou, dans un autre épisode, une planète habitée par des partouzeurs (par ailleurs sympathiques).

J'ai surtout vu la plupart des films, tant ceux réalisés avec l'ancienne équipe Shatner-Nimoy que ceux, visuellement magnifiques, réalisés plus récemment par J.J. Abrams.

Le plus mémorable est sans doute le saugrenu Retour sur terre, avec une abracadabrante affaire d'enlèvement de baleine et un Spock pris pour un hippie en raison d'un look très improbable et d'un bandeau destiné à dissimuler ses oreilles. La Colère de Khan est assez impressionnant et Ricardo Montalban y est mélodramatique à souhait, mais son numéro est un peu gâché par sa coiffure "d'époque" (l'époque de la réalisation du film, évidemment, pas celle où se situe l'action).


STAR WARS

Beaucoup de splendeurs visuelles, mais aussi quelques américanismes qui font un peu tache dans tant de créativité. Dans La Menace fantôme, les attitudes du chef de la garde princière sont celles d'un soldat yankee et, sur Tatooine, les jeunes camarades d'Anakin, même d'espèce farfelue, ont des mimiques et des gestuelles de jeunes américains (que l'on perçoit trop bien sous le masque).

***

Question fondamentale à se poser : faut-il désormais (comme j'ai décidé de le faire) revoir la deuxième trilogie avant la première ?

Contre cela, un argument esthétique (la première pourrait sembler plus fade quant aux moyens techniques déployés : mais ce n'est même pas évident car les effets spéciaux y étaient déjà de très grande qualité, la différence étant surtout dans l'ampleur des décors proposés par la deuxième), mais surtout narratif : la découverte progressive de l'identité de Dark Vador, ainsi que du lien de parenté entre Luke et Léïa, disparait fatalement de la deuxième trilogie si on la voit après la première.

D'un autre côté, à présent que la première trilogie existe (et que tout le monde a, de toute façon, déjà vu tout cela au moins une fois), respecter la chronologie de l'histoire semble la meilleure solution. De plus, maintenir l'ordre initial (celui de la sortie des films) conduirait à finir sur le triomphe de l'Empereur et à en rester là, au beau milieu d'un récit (dont on connaît par ailleurs déjà la fin, mais tout de même ...)

***

Autre choix délicat, mais opéré à notre place par les créateurs : dans la nouvelle version de l'épisode VI, lors de l'apparition finale des trois "spectres", aux côtés de Yoda et d'Obi-Wan, on voit désormais Hayden Christensen à la place de l'acteur qui jouait Anakin à l'âge de sa mort (dans les rares et courtes scènes où il apparaît sans son casque). Ne discutons pas le fait qu'Alec Guiness demeure Alec Guiness au lieu de (re)devenir Ewan McGregor : on pourrait répondre à cela que la véritable mort d'Anakin a eu lieu lorsqu'il est passé du côté obscur, donc encore à l'état de Hayden Christensen (ce à quoi on pourrait rétorquer qu'il en est revenu, de ce côté obscur, juste avant de mourir physiquement, mais passons ...)

Sans discuter le choix lui-même, je trouve que le résultat fonctionne mal et relève davantage du clin d'oeil que de l'émotion. Christensen se contente (comme toujours ?) de faire acte de présence, là où son prédécesseur Sebastian Shaw apportait une véritable humanité au visage vieilli d'Anakin. D'ailleurs, ce vieillissement avait son importance dans la mesure où Luke Skywalker retrouvait dans cette scène un père (et même trois). Difficile de voir Hayden Christensen comme le père d'un personnage qui a plus ou moins le même âge que lui ! Mine de rien, le choix reflète le changement de perspective amené par la nouvelle trilogie : personnage supposé mieux connu des nouvelles générations de spectateurs, Anakin devient en quelque sorte plus important que Luke et on a estimé plus important de le donner à revoir que de préserver la force initiale de cette scène.

***

Sortis de leur contexte, de la dynamique du récit et de l'univers fictif, certaines images, certaines scènes, pourraient paraître particulièrement saugrenues : que l'on songe par exemple au duel entre Palpatine et Yoda, où l'on ne sait si l'on doit rire ou trembler !

***

La scène où Anakin venge sa mère en massacrant tous les Tusken est une parfaite illustration des conséquences de la pulsion de vengeance l'emportant sur la Justice. Et il est intéressant qu'on nous présente assez ouvertement cette scène comme le point de départ de l'évolution du personnage vers une idéologie qu'on peut sans exagérer qualifier d'extrême-droite.

***

Fin de La revanche des Sith. Anakin devenu Dark Vador regarde avec l'Empereur les débuts de la construction de l'Etoile de la Mort. Ce type qui a aimé et qui s'est maintenant voué à servir ce sinistre vieillard avide de pouvoir (pour quoi faire ?...), on l'entendrait presque penser :

- Putain, qu'est-ce que je fous là ? Alors ça va être, ça, maintenant, ma vie ?

***

Lorsque Dark Vador descend d'un vaisseau, il y a toujours des jets de vapeur le long de la passerelle, résultat supposé de l'ouverture de cette passerelle. Cela fait sans doute "signe", à la façon de la sueur systématique que remarquait Roland Barthes au front des Romains de péplum, mais ce n'est pas très réaliste, au fond. Etant donné le niveau technologique atteint dans l'univers de Star Wars, on a du mal à comprendre que personne n'ait réussi à régler cela techniquement, car personne, pas même Dark Vador qui pourrait apprécier cette ambiance mêlant l'infernal et l'industriel (ou plutôt : surtout Dark Vador, qui n'est pas du genre à supporter placidement les détails agaçants !), n'a envie de sortir de son véhicule en sentant partir des jets de vapeur tout autour de lui.

***

Le duo de robots est irrésistible. R2-D2, l'air de rien (ou plus exactement, l'air d'une poubelle de cuisine), est un véritable couteau suisse et un fin stratège. Par ailleurs, il est parfois étonamment vindicatif, en particulier chez les Ewoks où, après avoir été enfin libéré et détaché par ceux-ci, il leur balance des décharges électriques. Quant au loquace C3PO, il constitue un personnage inattendu de robot pleutre.

Au début de l'épisode V,en attendant de pouvoir être reconstitué, C3PO est transporté en morceaux sur le dos de Chewbacca et pousse les hauts cris en traversant maintes fusillades. Enfin posé à terre, toujours en pièces réunies dans un filet traîné à présent par R2D2, il confie à celui-ci :

- I thought that hairy beast would be the end of me ! (j'ai bien cru que cette bête velue causerait ma fin)

Puis, à un commentaire (en langue droïde non-traduite) de R2D2, il répond d'un ton pincé et outragé :

- Of course I've looked better !

(quelque chose comme : "Inutile de le dire ! Evidemment qu'il m'est arrivé d'avoir l'air plus en forme qu'à cet instant !")

***

Solo vaut notamment pour le personnage de la droïde révolutionnaire L3.

Rogue One. Fait étrange : avec ce look, Forest Whitaker ressemble à Robert Downey Jr jouant un faux afro-américain dans le Tropic Thunder de Ben Stiller.

***

Star Wars : l'ascension de Skywalker : des contacts assez drôles entre C3PO et Babu Frik (compilés ici).

 


Ben STILLER (né en 1965)

Excellent acteur comique, en particulier dans Mary à tout prix des frères Farrelly (avec la drôlissime Cameron Diaz), mais aussi dans son film Zoolander (on peut oublier Disjoncté).

Zoolander

Quelques grands moments comme la mort des amis (également mannequins) du héros lors d'une joyeuse "bataille d'essence" (un des types, au sein de cet entr'arrosage festif, ayant eu la malencontreuse idée de s'allumer une cigarette).

L'explication de l'expression "la Terre à ..." vaut aussi le détour.

Lorsque Zoolander et son acolyte (Owen Wilson) recherchent des documents qui sont "à l'intérieur" d'un ordinateur, n'ayant pas un seul moment l'idée de l'allumer, ils cherchent obstinément comment l'ouvrir. Agacés, ils finissent par donner des coups sur l'ecran, mais c'est alors que Zoolander a une réaction sage :

- Non ! Arrête ! Si nous utilisons la violence, alors nous ne valons pas mieux que cette machine !

Starsky et Hutch

Même duo, tout aussi efficace. L'adaptation de la série est à la fois fidèle dans l'atmosphère (costumes, voiture évidemment,...) et parodique. Bonne intrigue en prime, des trouvailles amusantes et un déguisement final (avec accent) terrible pour Ben Stiller lors de la tombola.

Les Femmes de ses rêves

La scène (quasi-initiale) du mariage de son ex est un moment d'anthologie, ainsi que la promenade amoureuse en vélo.

Tropic Thunder

Le film est plutôt réussi, mais l'idée de départ n'est jamais qu'un démarquage (en moins dépaysant) de Galaxy Quest. Est-ce un hasard ou un hommage si le personnage de Robert Downey Jr. (absolument impressionnant) s'appelle Lazarus, comme son équivalent alien interprété par Alan Rickman ?

 


Encyclopédie de la STUPIDITE, de Matthijs VAN BOXSEL

L'idée est intéressante, mais le contenu du livre est assez inégal, souvent répétitif. Quelques éléments méritent le détour cependant.

L'auteur suggére par exemple de remplacer certains mots d'un texte complexe par le mot "stupidité", ce qui tend souvent à révéler le caractère sophistique du raisonnement.

Observation intéressante : ceux qui pratiquent régulièrement le jogging vivent en moyenne trois ans de plus ... mais le temps consacré au jogging leur en fait perdre environ six !

 


Preston STURGES (1898-1959)

The Lady Eve. Un film très drôle où Henry Fonda, dans un rôle de charmant nigaud maladroit, se casse maintes fois la gueule avec immensément de talent. Une irrésistible scène de déclaration d'amour, avec musique et coucher de soleil appropriés mais cheval parasite.

The Palm Beach Story. Un régal dès le générique, lequel présente par ailleurs une situation assez incompréhensible (pour l'instant).

 


Retour Menu Notes de Lecture

Retour Page d'accueil