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FAIRPORT CONVENTION

Sur l'album What we did on our holidays (1969), Fotheringay, une magnifique chanson de Sandy Denny : sa voix, les choeurs, la guitare, tout en douceur et délicatesse.


FANTÔMAS

Je découvre actuellement dans une très belle édition DVD (avec une bande sonore ajoutée avec beaucoup d'intelligence) les cinq films mythiques de Feuillade, presque contemporains de la première série de romans et il y a peu encore quasi-introuvables. Ce sont des adaptations redoutablement efficaces pour l'époque, et évidemment plus fidèles aux romans que les transpositions comico-futuriste avec Jean Marais et Louis de Funès, même si celles-ci ont peut-être, après tout, un certain charme également (*).

L'adaptation télévisée des années 80, par Chabrol et Bunuel, avec Helmut Berger (Fantômas) et Jacques Dufilho (Juve), était également très impressionnante (même si Dufilho a une tête si particulière qu'on le reconnaît tout de suite lorsqu'il est déguisé, alors que ce n'est pas le but). De telles adaptations mettent bien en valeur toute la puissance noire de ces romans pourtant mal écrits, mais qui prennent véritablement aux tripes car fondés sur un concept de génie, sur une atmosphère, sur quelques scènes inoubliables (le boa, les gants de peau humaine,...). Jusqu'aux noms eux-mêmes qui suintent une menace sourde : le Loupart, le père Moche, le Docteur Schaleck, et surtout, bien sûr, GURN !

La diversité des crimes de Fantômas (en plus de sa cruauté souvent gratuite) produit l'étrange impression qu'il est derrière absolument tous les crimes commis dans le monde (ce qui est d'ailleurs quasiment la théorie de Juve) et lui donne donc l'allure d'une divinité maléfique omniprésente et omnipotente, ce qui contraste d'ailleurs avec les aspects indéniablement réalistes du personnage et du récit.

Pour plus de détails sur l'extraordinaire série des romans de Pierre Souvestre et Marcel Allain, voir le FANTÔMAS CODE.

Vialatte précédait d'ailleurs mes intuitions dans une de ses chroniques : "Si l'on continue à ce train on ne tardera pas à apprendre que le vrai Fantômas est le Pape."

(*) : le premier film, que je viens de revoir, n'est d'ailleurs pas si éloigné que cela de l'esprit des romans, et frappe davantage par ses poursuites et ses scènes d'action (plutôt réussies pour l'époque, en particulier lorsque Jean Marais conduit une voiture sans freins dévalant une route sinueuse en marche arrière) que par sa dimension comique (plus ou moins limitée au personnage de De Funès, qui n'en fait pas des tonnes).

***

Zigomar, de Léon Sazie, précède d'un an la création de Fantômas. Le cadre, les personnages, les ficelles, sont un peu les mêmes, en moins captivant. C'est une sorte de Fantômas au ralenti. Trop de mélo, trop d'explications inutiles (des scènes entières sont racontées une deuxième fois après éclaircissement quant à l'identité réelle de tel ou tel personnage), trop de bons sentiments, et les "gentils" s'en sortent trop facilement. Une scène assez réussie de réunion secrète souterraine, cependant, après laquelle, les bases des diverses intrigues ayant par ailleurs été posées, on se laisse porter avec un peu moins d'ennui. Quelques passages assez drôles également quand Sazie donne dans la satire du poète précurseur Anthime Soufret (sorte de mixte entre un sous-Baudelaire et un sous-Mallarmé).

J'arrête ma lecture après la fin du volume 2. Ce n'est pas qu'on en redemande plus que ça, mais on aimerait bien savoir qui est la mystérieuse femme rousse. Cela dit, il y a fort à parier, au vu des rebondissements précédents , qu'à ce stade l'auteur ne le savait pas encore lui-même.


Réhabilitons (?) FAST and FURIOUS !

Fast and Furious. On est loin des fabuleuses poursuites annoncées par je ne sais qui dans je ne sais quelle émission. Je ne vois guère que des courses de voitures et des types fascinés par des moteurs, le tout à destination d'un public lui-même fasciné par des moteurs. La dernière demi-heure n'est pas mal, admettons.

2 Fast 2 Furious. Par rapport au premier volet, c'est … légèrement moins lourd. On retombe en fait dans une sorte de film d'action plus classique, correctement filmé et assez efficace, sans la moindre finesse dans le scénario mais sans non plus cette espèce d'atmosphère ultra-beauf du premier (lequel avait, d'un autre côté, le mérite d'une certaine originalité … mouais, bon … je ne suis pas sûr que comparer les mérites de ces deux films soit une urgence absolue, en fait …)

Fast and Furious : Tokyo Drift. La mise en scène est un peu plus soignée, le contenu plus varié, mais évidemment ça reste très très con. Et assez invraisemblable, puisqu'on a cette fois (le film n'ayant aucun rapport avec les personnages des volets précédents) un personnage central supposé être un lycéen abruti et qui est joué par un trentenaire absolument pas crédible (du moins en lycéen : en abruti, il assure assez bien). Ajoutons que le type se retrouve dans un lycée nippon sans parler une broque de japonais et que la fille canon sur laquelle il flashe en arrivant a été choisie avec un look très très américain, pas Japonaise du tout la fille, vaguement métisse peut-être (australo-péruvienne me dit Wikipédia).

Fast and Furious 4. Décidément, la tendance se confirme. L'intrigue policière prend le pas sur les courses débiles, les aspects grotesques sont en diminution. Bref, on a presque un bon film d'action qui se laisse voir.

Fast and Furious 5. D'assez bonne tenue, comme le 4. Une sorte d'Ocean's Eleven avec des abrutis.

Fast and Furious 6 : cf. le 5.

Fast and furious 7. Malgré l'inévitable scène de course avec bimbos, toujours de grandes séquences d'action, en particulier un saut de voitures en parachutes. Avec en prime Kurt Russell. L'ensemble est parfaitement (et agréablement) invraisemblable et outrancier.

Fast and Furious : Hobbes and Shaw (flûte ! j'aurais dû regarder le 8 d'abord ! vais-je réussir à suivre l'intrigue ?...) J'ai l'impression qu'après s'être peu à peu améliorée cette franchise revient à ses fondamentaux lourdingues. Même Idris Elba réussit à être un méchant terne et sans intérêt. Les scènes d'action restent bien sûr efficaces (c'est la moindre des choses), voire impressionnantes lorsqu'une dépanneuse tracte un hélicopère et réciproquement, mais ça ne suffit pas pour sauver le film.

Fast and furious 8 est un excellent film d'action. Reste à savoir si le navrant Hobbes & Shaw marque le début d'une dégringolade ou n'est qu'une parenthèse ratée.

 


Federico FELLINI (1920-1993)

 

Evoquant sa légendaire collaboration avec Nino Rota, Fellini révèle deux choses assez saugrenues :

- lui-même n'aime pas la musique, qu'il juge envahissante et sujette à rendre les gens passifs.

- Nino Rota ne regardait pas les films de Fellini car il s'endormait dès que l'obscurité se faisait dans une salle de cinéma.

 

Amarcord - Roma - Satyricon

A partir de La Dolce Vita, quasiment tout Fellini est fascinant, mais j'aime tout spécialement ces trois merveilles mêlant étrangement l'excès baroque à la légèreté et à la délicatesse du récit (petites séquences, ellipses, fondus au noir, tout procédés particulièrement développés dans Amarcord). Mélange également des tonalités, l'humour et le comique étant souvent présents (magistrale "galerie" des professeurs au début d'Amarcord !), mais aussi la poésie, l'émotion (scène magique des fresques dans le métro de Roma, suicide du couple patricien dans Satyricon,...)

Les déboires (si l'on peut dire) du père de Titta avec les fascistes constituent une scène en un sens plus déplaisante, et qui peut même sembler une condamnation trop légère du régime (plus ridiculisé que véritablement dénoncé dans toutes ses dimensions). Mais la scène n'en est pas moins extrêmement forte quant au recul pris par Fellini par rapport à son "personnage", dont la réaction nous apparaît à la fois excusable et déplacée : Titta est le seul à rire car il ne sait pas, il n'a pas vu ce qui précède (comme nous l'avons vu et comme Fellini adulte l'a filmé pour que nous le voyions). Il y a là une honte rétrospective aussi émouvante qu'honorable. Il semble d'ailleurs évident que le personnage, malgré ses colères comico-hystériques, est discrètement valorisé, réhabilité (par son attitude plus mesurée quand il le faut, par son attitude avec ses ouvriers poètes ou avec la Volpina, par son antifascisme,... toutes choses que son fils, a priori, ne voit pas et ne comprendra que plus tard), en particulier face au personnage de l'oncle, perpétuellement sollicité par les enfants pour qui il semble un héros, mais qui nous apparaît au fond comme un simple crétin narcissique et immature. Cette opposition entre le père bougon mais responsable et l'oncle immature peut bien sûr rappeler Tati (d'autant que le montage, les fondus, d'Amarcord ont quelque chose qui évoque les Vacances de Monsieur Hulot) : mais, sans parler d'inversion complète (après tout, M. Arpel est lui aussi discrètement réhabilité à la fin de Mon Oncle), il est évident que l'oncle Hulot est un vrai personnage positif, poétique, sympathique, ce qui n'est pas du tout le cas de l'abruti Lallo, foncièrement antipoétique (face au déploiement du paon dans la neige, qui fascine tous les autres, il ne sait dire que : "quel couillon !", vexé sans doute de se faire voler la vedette par plus pavanant que lui).

J'aime aussi l'improbable bande qui entoure Titta, des individus supposés être tous du même âge, mais aux allures les plus hétéroclites, du plus juvénile (le facétieux spécialiste de la phonétique du grec ancien) aux lycéens les plus douteux (un grand type revêche, brutal et mutique, un pseudo-Daniel Prévost décoloré et moustachu, un pseudo-Proust hagard aux yeux cernés, etc.)

 

Casanova

Sûrement pas le meilleur Fellini (surtout comparé à des merveilles telles que le Satyricon, Roma, Amarcord, dont certaines scènes sont d'une beauté ou d'une drôlerie inoubliables et gardent leur impact à chaque nouvelle vision : la scène du cinéma ou la découverte des mosaïques souterraines dans Roma, les scènes d'école dans Roma et dans Amarcord, l'incroyable galère et la scène du minotaure dans Satyricon, et tant d'autres ...), mais excellent tout de même.

Chez Fellini, le côté "carton-pâte" contribue au charme du film. Si l'on observe l'étrange (et fascinante) manière dont il filme ici un carosse en mouvement, on réalise que c'est avant tout pour ne pas avoir à utiliser de chevaux.

La première "performance" de Casanova est une sorte de gymnastique grotesque et folle, rythmée par un indescriptible oiseau mécanique qui lui sert en quelque sorte de métronome, très drôle dans sa volonté de tourner en dérision le sexe vu comme une fin en soi (et comme volonté puérile de prouver quelque chose).

Excellente également, la cour de Wurtemberg, avec ses orgues gigantesques et ses organistes bêtement surexcités montés sur tabourets géants.

 

Satyricon

Pour la mosaïque de Trimalcion, comme on objectait à Fellini qu'il était impossible de faire une mosaïque dans le style de Ravenne, il a fait acheter des tonnes de confiseries acidulées et a fait faire la mosaïque avec.

 

Prova d'orchestra

D'abord de belles choses par ci par là, et puis une fin bêtement réactionnaire, à côté du sujet. C'est le Fellini effrayé des dernières années, parfois à juste titre et avec talent (comme dans Ginger et Fred, ou Intervista), parfois, comme ici, à contresens.

 

E la nave va

L'utilisation de l'opéra en play-back, au début, créant l'illusion que même la foule chante (juste) avec les artistes, y compris ouvriers et enfants, est très proche du procédé des Monty Python dans Le Sens de la vie, avec Every sperm is sacred. Curieusement, les deux films sont de 1983.

 


Félix FENEON (1861-1944)

Nouvelles en trois lignes

Rédigées à partir de faits divers, la plupart sont de pures merveilles d'humour noir, mais surtout de style, chaque mot étant pesé.

 

Rattrapé par un tramway qui venait de le lancer à dix mètres, l'herboriste Jean Désille, de Vanves, a été coupé en deux.

A peine mariés, les Boulch, de Lambézellec (Finistère), étaient déjà tellement ivres qu'il fallut les coffrer sur l'heure.

L'infirmière Elise Bachmann, dont c'était hier le jour de sortie, s'est manifestée folle dans la rue.

Certaine folle arrêtée dans la rue s'était abusivement donnée pour l'infirmière Elise Bachmann. Celle-ci est en parfaite santé.

Avec leurs enfants au sein, des femmes ont exposé au directeur des trams toulonnais la cause des ouvriers. Il résiste.

Une folle de Puéchabon (Hérault), Mme Bautiol, née Hérail, a réveillé ses beaux-parents à coups de massue.

Le Dunkerquois Scheid a tiré trois fois sur sa femme. Comme il la manquait toujours, il visa sa belle-mère : le coup porta.

Gare de Mâcon, Mouroux eut les jambes coupées par une machine. "Voyez donc mes pieds sur la voie !" dit-il, et il s'évanouit.

Une vierge de Djiajelli, 13 ans, qu'un impudique drille de 10 ans sollicitait, l'a tué en trois coups de couteau.

Dormir en wagon fut mortel à M. Emile Moutin, de Marseille. Il était appuyé contre la portière ; elle s'ouvrit, il tomba.

Explosion de gaz chez le Bordelais Larrieu. Il fut blessé. Les cheveux de sa belle-mère flambèrent. Le plafond creva.

Aux environs de Noisy-sous-Ecole, M. Louis Delillieau, 70 ans, tomba mort : une insolation. Vite son chien Fidèle lui mangea la tête.

Catherine Rosello, de Toulon, mère de quatre enfants, voulut éviter un train de marchandises. Un train de voyageurs l'écrasa.

Trouvant qu'on le laissait trop longtemps au violon de Plouescat, l'ivrogne Abgrall, de Guimilliau (Finistère), y a mis le feu.

M. Chevreuil, de Cabourg, sauta d'un tramway en marche, se cogna contre un arbre, roula sous son tram et mourut là.

Une jeune femme nocturne a asséné un coup de hache à A. Renaudy, dans un cabaret du boulevard Rochechouart, puis est partie.

Par haine d'amour, Alice Gallois, de Vaujours, a vitriolé son beau-frère et, par maladresse, un promeneur. Elle a déjà 14 ans.

Raoul G..., d'Ivry, rentra à l'improviste, mari indélicat, et perça de son couteau sa femme, qui s'ébattait aux bras d'un ami.

A la corrida de Béziers, un picador fut blessé, et un taureau, qui avait sauté la barrière, endommagea de sa corne un curieux.

Quoi ! ces enfants juchés sur son mur ! De huit coups de feu, M. Olive, propriétaire toulonnais, les en fit déguerpir tout en sang.

A Marseille, le Napolitain Sosio Merello a tué sa femme : elle ne voulait pas faire commerce de ses agréments.

Le comptable Auguste Bailly, de Boulogn, s'est fracturé le crâne en tombant d'un trapèze volant.

Il n'y a même plus de Dieu pour les ivrognes : Kersilie, de Saint-Germain, qui avait pris la fenêtre pour la porte, est mort.

Le train Verdun-Sedan passa, tamponnant Druneaux, de Vilosnes, qui, sur la voie ferrée, courait après sa vache.

Allumé par son fils, 5 ans, un pétard à signaux de train éclata sous les jupes de Mme Roger, à Clichy : le ravage y fut considérable.

A Saint-Cyr, Georges Mahler s'escrimait au couteau contre un bec de gaz. Il ne sut que se couper l'artère du poignet droit.

Sous le tunnel de Baume-les-Dames (Doubs), un train de marchandises a déraillé. Le mécanicien s'est cassé deux dents.

A discuter avec le jardinier Jeannot, d'Ivry, le jardinier Buisson, de Paris, a reçu un coup de bêche sur le crâne.

Emilienne Moreau, de la Plaine-Saint-Denis, s'était jetée à l'eau. Hier elle sauta du quatrième étage. Elle vit encore, mais elle avisera.

On était en gare de Vélizy, mais le train roulait encore. L'impatiente Mme Gieger s'est cassé les jambes.

Trop de gens annoncent : "Je vous couperai les oreilles !" Vasson, d'Issy, ne dit mot à Biluet, mais il l'essorilla bel et bien.

Xavier Dubreuil, ouvrier de filature, descendait d'un train, à Charmes, patrie de M. Barrès. Un train inverse le broya.

Sur son siège, le déménageur parisien Jean Gervat somnolait. A Saint-Cyr, il se réveilla sous les roues.

Mondier, 75 bis, rue des Martyrs, lisait au lit. Il mit le feu aux draps, et c'est à Lariboisière qu'il est maintenant couché.

A Saint-Ouen, entre chiffonniers. Ayant reçu de Z. Mordiaz un coup de gourdin, Fromental lui abattit une barre de fer sur la nuque.

Le feu, 162, boulevard Voltaire. Un caporal fut blessé. Deux lieutenants reçurent sur la tête l'un une poutre, l'autre un pompier.

 

L'influence sur les brèves du Petit Reporter de Pierre Desproges est plus que probable.

***

Certaines de ces "nouvelles" interrogent toutes les théories qu'on peut avoir sur le fait que le rire soit lié ou non (ou doive être lié ou non pour relever par exemple d'un humour intelligent et non d'un stupide sentiment de supériorité sur la victime) au malheur des autres. Fénéon présente souvent des cas difficiles à évaluer. Exemple : "Le train Verdun-Sedan passa, tamponnant Druneaux, de Vilosnes, qui, sur la voie ferrée, courait après sa vache."

Pourquoi rit-on, même quand on pense ne pas fonctionner sur le seul sentiment de supériorité ? Sans doute à cause du décalage très grand entre la brutalité du fait et l'élégance de sa formulation. Pour des tas de d'infimes raisons, en fait, qui relèvent presque toutes de la forme. Certes, courir après une vache est a priori une situation un peu ridicule, et le faire sur une voie ferrée semble particulièrement stupide : le texte donne l'impression que l'homme (et la vache ?) ne traversait pas la voie mais la suivait bel et bien. Mais il y a l'emploi des temps, la façon administrative de désigner la victime, les sonorités aussi sans doute,... Il y a surtout l'ordre des mots, plaçant la voie ferrée avant le fait qu'on y coure après une vache. "Sa" vache ! Même le possessif n'est pas choisi par hasard.

 


Francis Scott FITZGERALD (1896-1940)

L'atmosphère, le milieu décrit, me rebutaient à priori et m'avaient retenu de le lire plus tôt. Mais c'est plutôt plaisant, grâce à une narration très distanciée et ironique, assez anglaise, un peu dans le genre de Jerome K. Jerome.

Une scène excellente. Le narrateur se trouve embarqué dans une sorte de réception par le mari de sa cousine qui tient absolument à lui présenter sa maîtresse, une femme mariée elle aussi, et d'un abord assez rugueux, à qui sa soeur, parlant de son mari, déclare :

"Tu as été folle de lui un certain temps, dit Catherine.

- Moi, folle de lui ? cria Myrtle avec incrédulité. Qui c'est qui dit que j'étais folle de lui ? J'ai pas plus été folle de lui que de cet homme-là."

Elle me montra soudain du doigt et tout le monde me regarda d'un air accusateur. Je m'efforçai de montrer par l'expression de mon visage que je ne m'attendais pas à être l'objet de la moindre affection de sa part."

Mais si la qualité du style se maintient (la fin mélancolique ne manque pas de charme), cette force humoristique s'affaiblit très vite, comme chez de nombreux auteurs d'ailleurs : c'est certainement une des choses les plus difficiles à maintenir tout au long d'un récit. Même Jerome K. Jerome, qui accomplit l'exploit de maintenir le niveau tout au long de Trois hommes dans un bateau, est bien plus faible ailleurs.

Quoi qu'il en soit, Gatsby n'est pas un roman déplaisant, mais me semble surtout une lecture idéale pour un agent de change voulant à peu de frais se donner l'impression de mettre un pied dans la littérature, se distinguer un peu ainsi de ses compères, mais sans trop aller au fond des choses (*).

(*) : Pour un agent de change français, préférer Belle du Seigneur, d'Albert Cohen.

 


Gustave FLAUBERT (1821-1880)

 

"Chaque notaire porte en lui les débris d'un poète." (Madame Bovary)

"L'opéra, c'est comme l'amour : on s'ennuie, mais on y retourne."

"Etre bête, égoïste et avoir une bonne santé, voilà trois conditions voulues pour être heureux. Mais si la première vous manque, tout est perdu."

 

Quelques associations incongrues dans Madame Bovary :

"Ta colique est-elle passée, mon ange ?"

"Alors M. Bournisien aspergeait la chambre d'eau bénite, et Homais jetait un peu de chlore par terre."

"Elle se sentait froid aux pieds avec la mort dans l'âme."

 

"Il combattit des Scandinaves recouverts d'écailles de poisson, des Nègres munis de rondaches en cuir d'hippopotame et montés sur des ânes rouges, des Indiens couleur d'or et brandissant par-dessus leurs diadèmes de larges sabres, plus clairs que des miroirs. Il vainquit les Troglodytes et les Anthropophages. Il traversa des régions si torrides que sous l'ardeur du soleil les chevelures s'allumaient d'elles-mêmes, comme des flambeaux." (La Légende de Saint Julien l'Hospitalier)

 

"Le Martichoras, gigantesque lion rouge, à figure humaine avec trois rangées de dents : Les moires de mon pelage écarlate se mêlent au miroitement des grands sables. Je souffle par mes narines l'épouvante des solitudes. Je crache la peste. Je mange les armées, quand elles s'aventurent dans le désert. Mes ongles sont tordus en vrille, mes dents sont taillées en scie ; et ma queue, qui se contourne, est hérissée de dards que je lance à droite, à gauche, en avant, en arrière - Tiens ! Tiens !

Le Martichoras jette les épines de sa queue, qui s'irradient comme des flèches dans toutes les directions. Des gouttes de sang pleuvent, en claquant sur le feuillage."

(La Tentation de saint Antoine)

 

Tout ou presque est superbement écrit chez Flaubert, mais son style prend une flamboyance particulière dans l'exotisme, dans Salammbô, dans Saint Antoine, et de manière encore plus dense dans les splendides Saint Julien et Herodias des Trois Contes, contes dont le plus beau est cependant, à la relecture, Un Coeur simple.

 


Victor FLEMING (1889-1949)

Le Magicien d'Oz

L'Epouvantail : Je n'ai pas de cerveau. Juste de la paille.

Dorothy : Comment pouvez-vous parler si vous n'avez pas de cerveau ?

L'Epouvantail : Je ne sais pas, mais il y a des tas de gens sans cervelle qui parlent, non ?

 


John FORD (1894-1973)

Mme Ford mère, à une dame de charité lui reprochant d'avoir eu treize enfants, soutenait que tous avaient été bien élevés, sauf le dernier : "Enfant, il passait son temps à lire et à jouer au foot. Maintenant, il ne fait plus rien. Il passe son temps dans un fauteuil à gueuler sur des acteurs."

 

Le Mouchard

Loin des passionnants récits de trahisons irlandaises d'un Borges ou d'un Pratt, le film de Ford est moralement assez déplaisant dans la mesure où le mouchard en question n'est guère qu'un pitoyable crétin quasi-irresponsable. Le film est intéressant, mais on mesure mal aujourd'hui ses innovations, tant elles ont été reprises depuis. En tous cas, Victor McLaglen est impressionnant, surtout si on compare cela avec sa prestation comique toute différente (mais délectable) face à John Wayne dans L'Homme tranquille.

 

L'Homme qui tua Liberty Valance

Excellent film, à ce détail près qu'on peut trouver fort peu crédibles les tentatives de Valance et de ses deux acolytes pour manipuler une opinion certes lâche, mais pas au point de le soutenir lorsqu'elle a enfin le choix. Après la mort de Valance, véritable soulagement pour toute la ville, Lee Van Cleef et son compère, qui ne doutent vraiment de rien, essaient de provoquer le lynchage de James Stewart. C'est a peu près aussi judicieux que si un ancien collabo, lors d'un défilé des armées de libération, arpentait la foule en hurlant : "Ils ont fait du mal aux nazis ! Attaquez les !"

Autre moment (plus délibérément) amusant : la réunion à Capitol City, avec cirque électoral et surtout avec le discours de John Carradine expliquant, dans une véritable débauche d'effets oratoires, qu'il se refuse à tout effet oratoire.

 


Milos FORMAN (1932-2018)

Amadeus

Excellent film, du moment qu'on le prend comme une réflexion sur le talent et son rapport avec la personnalité de l'artiste, et non comme une biographie sérieuse de Mozart.

La scène de la création du Requiem, plus exactement du "confutatis", est une merveille de mise en scène pédagogique. On y voit en détails cette musique sublime se mettre en place, et peut-être qu'on perçoit encore mieux ainsi à quel point elle est sublime.

F. Murray Abraham raconte que, lors du tournage à Prague, un des acteurs était persuadé qu'il y avait des micros dans leurs chambres d'hôtel et se mit en tête de les découvrir et de les détruire. Il tenta de le raisonner :

- Mais non, ça va faire des tas d'histoires ! Qu'est-ce que ça peut faire qu'on soit espionnés ? On n'a rien à cacher !

Mais l'autre s'obstina :

- Il n'est pas question que je me laisse espionner !

Et le type se mit à chercher partout, sur les appliques des murs, sur les lustres, en vain. Soulevant le tapis, il trouve alors une sorte de disque en métal fixé au sol par deux boulons. Triomphant, il se met en devoir de dévisser les boulons, et là ils entendent tout à coup un bruit effroyable : c'est le lustre de l'étage inférieur qui vient de s'écraser au sol.

NB : l'anecdote n'est pas sans évoquer une scène assez proche dans Conversation secrète, de Coppola.

 


Anatole FRANCE (1844-1924)

"Quand quelqu'un me dit que le débat droite-gauche n'a pas de sens, au moins je suis sûr qu'il est de droite."

"Le livre est l'opium de l'Occident. Il nous dévore. Un jour viendra où nous serons tous bibliothécaires, et ce sera fini."

 


Sigmund FREUD (1856-1939)

Le Mot d'esprit et et sa relation à l'inconscient

Les passages théoriques sont un peu longuets, mais les exemples sont parfois savoureux. En Italie, Napoléon, lors d'un bal, dit à une Italienne en lui montrant ses comptatriotes : "Tutti gli Italiani danzano si male" (dansent vraiment mal)" ; elle répond : "Non tutti, ma buona parte." ... Ou encore ceci : "Le couple X vit sur un assez grand pied. Aux dires des uns, le mari, ayant gagné pas mal d'argent, disposerait maintenant d'un joli petit matelas ; selon d'autres, la femme, ayant disposé d'un joli petit matelas, aurait gagné pas mal d'argent."

Tiré de Lichtenberg : "Il réunissait en lui les qualités des hommes les plus illustres : il avait la tête penchée d'un côté comme Alexandre, tortillait constamment ses cheveux comme César, était capable de boire du café comme Leibnitz et, une fois qu'il s'était carré dans son fauteuil, il en oubliait le boire et le manger comme Newton et, comme lui, devait être réveillé ; il portait sa perruque comme le docteur Johnson, et il avait toujours un bouton de se braguette ouvert, comme Cervantès."

Passage très intéressant de Freud sur les ressorts de la grivoiserie. Le postulat de départ qui en fait l'équivalent d'une attaque sexuelle me semblait au départ un peu réducteur, mais la suite affine le propos et le raisonnement est assez brillant.

 


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