C


Joel et Ethan COEN

 

The Hudsucker Proxy (Le Grand Saut)

Pas le plus connu de leurs films, mais vraiment délectable, avec en particulier un Paul Newman grandiose en vieux con.

La caricature de l'entreprise capitaliste et la mise en scène glauque , quais-surnaturelle, des scènes de travail du début, font penser à Terry Gilliam, à la fois dans Brazil et dans le court métrage Crimson Insurance du Sens de la Vie.

L'humour, l'esthétique et autres qualités, se mêlent ou alternent sans cesse, de sorte qu'on n'a pas une seule seconde le sentiment de perdre son temps. L'orange glacé de la table du conseil d'administration, contrastant avec les tons ternes qui l'environnent. Le baratin artificiel de Jennifer Jason Leigh, couronné par sa reprise magistralement improvisée de l'hymne de Muncie. La façon (même lorsqu'on revoit le film et qu'on connaît la suite) dont Tim Robbins montre avec fierté son projet (un simple cercle tracé sur un bout de papier), et l'ahurissement qu'il provoque immanquablement, sont un régal. Et bien sûr, les plans vertigineux de gratte-ciels en plongée.

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Miller's Crossing

Une scène secondaire illustre bien la bêtise du comique (opposée à l'intelligence de l'humour). Flics et maffieux attaquent ensemble un des clubs de Leo (Albert Finney). Un type qui sort en se rendant est abattu et son corps, tombé au sol, a encore quelques soubresauts qui font rire les assaillants. Quelqu'un se met à tirer de l'intérieur avec une mitraillette et le type qui a tiré tout à l'heure, à son tour copieusement touché, gigote un bon moment sous les balles avant de tomber, plus risible encore que sa victime. Démonstration brillante, efficace, muette.

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Burn after reading

Très drôle, en particulier le duo de branquignols (Brad Pitt et Frances McDormand), mais aussi le duo des chefs de la CIA, a priori plus sérieux mais tout aussi ridicules dans leurs conversations embarrassées.

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Mais j'oublie tant d'autres chefs-d'oeuvre : Arizona Junior, Fargo, The Big Lebowski, O Brother, Intolérable Cruauté, Ladykillers,...

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Frances McDormand, qui est l'épouse de Joel Coen, affirme que les deux frères ont le même rire et que c'est très étrange lorsqu'ils rient en même temps :

- J'appelle ça "le rire Coen". Leur père rit aussi comme ça, et notre fils aussi.

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J'ajoute par association ... 3 Billboards, de Martin McDonagh (à qui on doit également Bons Baisers de Bruges). Belle réalisation, histoire très forte, sombre tout en étant parfois très drôle, et surtout des interprètes exceptionnels, de Frances McDormand à Woody Harrelson (que je n'avais jamais vu aussi formidable), en passant par Sam Rockwell qui campe un crétin d'anthologie.

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True Grit version Coen n'est pas aussi amusant que je l'espérais, mais c'est du moins un excellent western. La fin en est même assez triste, et cependant très belle : Mattie semble avoir renoncé à vivre sa vie de femme, par respect pour ce qu'elle a vécu d'extraordinaire avec ces deux types qui ont marqué sa vie et qu'elle ne reverra jamais. Idéalisation excessive d'une aventure intense, qui fait qu'après cela plus rien ne saurait avoir de saveur et d'intérêt. Ne pas essayer chez soi.

 


Au Coeur du Temps (The Time Tunnel)

Cette série américaine de 1966-1967, avec son chronogyre en spirale, a certainement marqué bien des esprits. Aujourd'hui, le DVD nous permet de la revoir, non sans déplaisir car les scénarios évitent de tomber dans la répétition d'une même recette et explorent au maximum les possibilités offertes par le concept de départ. Les résultats sont inégaux, mais nous épargnent le ressassement.

A côté de cette qualité, il faut bien admettre qu'Au Coeur du Temps est une des séries qui présente la science de la manière la plus grotesque. Les scènes se déroulant dans la station de contrôle sont d'une exceptionnelle sottise. Outre un vocabulaire pseudo-scientifique pour le moins hasardeux, outre le fait que les scènes du passé où sont plongés les deux "voyageurs" temporels sont diffusées sur un écran avec des variations de prise de vue dignes d'une série télé sans que personne se demande jamais où est la "caméra", les propos échangés entre le général Kirk et ses deux acolytes scientifiques n'ont absolument aucune cohérence. Il serait impossible de définir précisément les possibilités techniques du chronogyre : ce qui est rigoureusement impossible à tel moment ("cela pourrait les tuer !!!") devient tout à fait possible dans un autre épisode, au gré des besoins du scénario, le tout est enveloppé d'un vague jargon et d'explications aussi sommaires que fumeuses. On peut au choix considérer cet aspect de la série comme insupportable ou comme hilarant (au bout d'un certain nombre d'épisodes, il faut bien avouer que l'hilarité perd du terrain).

Dans l'épisode 4, les héros se retrouvent à Pearl Harbor juste avant l'attaque japonaise. C'est l'occasion pour un personnage secondaire, un assistant des scientifiques à l'air un peu ahuri et prénommé Jerry, de faire des siennes. Figé devant l'écran du chronogyre qui filme les avions japonais en approche, le voilà qui se met à crier : "Les Japonais vont attaquer d'un instant à l'autre ! Nous n'allons pas rester là sans intervenir ?". La savante Ann lui répond dans un soupir consterné : "Jerry, il s'agit du passé." L'autre insiste : "Dans un instant ils vont tous être tués". Le professeur Swain, concentré sur l'écran, lui répond platement, comme à un enfant bêtement surexcité : "Ca se passe en 1941, Jerry." Même le général s'y met pour le raisonner : "Jerry, un jour vous comprendrez que nous sommes tous obligés de vivre avec notre passé." Tu parles, l'autre n'en démord pas et quelques minutes plus tard, affolé en voyant une grosse bombe sur l'écran, il se jette sur les tableaux de contrôle et presse des tas de boutons, visiblement au hasard, en prétextant qu'il faut "faire quelque chose" (mais sans trop savoir quoi, apparemment). Ce qu'il fait, en l'occurence, c'est qu'il téléporte la grosse bombe hors du passé pour la ramener juste devant lui, dans le chronogyre : c'est malin !

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Les derniers épisodes, mettant généralement en scène des extra-terrestres qui rivalisent de sottise et d'absurdité avec les types de la salle de contrôle, sont particulièrement calamiteux.


Albert COHEN (1895-1981)

Belle du Seigneur (Folio)

Pg 131 : Adrien au travail. "Assis devant son bureau, il gonfla ses joues et s'amusa à faire des vents enfantins avec ses lèvres. Ensuite, il pose son front sur le sous-main et fit basculer sa tête de part et d'aurre, gémissant une mélodie cafardeuse."

230-231 : la prière de la mère Deume.

327-328 : sur l'inanité du discours administratif.

392-393.

398-403.

672 : utilisation du passé simple. 

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Belle du Seigneur est certainement un très bon roman, dont j'apprécie davantage les passages humoristiques que le romantisme un peu facile. C'est par ailleurs, dans sa dernière partie, ce que j'appelle une histoire de cons, mais passons sur ce point. Il mérite de toute façon d'être lu. Une de ses caractéristiques les plus déplaisantes ne tient pas vraiment au texte lui-même : c'est le fait qu'il s'agisse du roman préféré de la plupart des abrutis qui ne lisent pas mais qui veulent se donner une (très) relative stature intellectuelle. C'est par exemple le roman que déclarait préférer Nicolas Sarkozy, mais il y en a des tas d'autres du même acabit qui en disent autant. L'explication en est à mon avis que Belle du Seigneur est un pavé (difficile pour un crétin qui se retrouve propulsé par exemple à l'Elysée de citer comme roman préféré un bouquin d'une centaine de pages seulement), mais un pavé qui, tout en étant bien écrit, est à peu près lisible par n'importe qui. Son lyrisme fait par ailleurs sa popularité et citer Belle du Seigneur, c'est citer un roman qu'à peu près tout le monde connaît au moins de réputation (et dont tout le monde sait qu'il est très long). Je soupçonne cependant la plupart de ces gens dont c'est "le roman préféré" d'y voir beaucoup plus de romantisme qu'il n'y en a réellement et de ne pas avoir compris (ou lu) toute la dernière partie : c'est la version optimiste, la plus pessimiste étant que certains se contentent certainement de quelques pages (mal) choisies.

 


COLUCHE (1944-1986)

"Et sa femme, elle est belle ! On dirait une speakrine !... Non, j'exagère, mais elle pourrait être marchande de gaufres, hein, facile !"

"En France, les ouvriers, ils sont pas d'accord avec le gouvernement, ils font une demande de manifestation, ils l'obtiennent. La France, c'est un pays libéral, on a le droit d'être en colère, il faut demander gentiment, c'est tout. Evidemment, les manifs c'est entre la Bastille et la République : ils vont pas les donner entre la Muette et l'Etoile, c'est là qu'ils habitent."

"Le Président de la République, il est très gentil. Parce qu'il nous laisse des libertés, mais tout le monde sait très bien que si il nous les retirait, personne dirait rien !"

"Et des dinosaures, y en a plus non plus, c'est con, hein ? Des animaux qui faisaient sept tonnes, qu'avaient une cervelle de poule ... Des animaux cons ! il te marche sur ta caisse, il l'a pas vue, dis donc !"


COLUMBO

Gérard Genette a très bien parlé de Columbo dans Figures V. J'ai toujours apprécié, outre le concept a priori suicidaire de cette série (la coupable connu dès le départ), son héros, qui doit tout au grandiose Peter Falk. Vraiment tout, car j'ai appris que, contacté pour tenir ce rôle, Falk, qui était alors plutôt un acteur underground, habitué des films de Cassavetes, n'a accepté qu'à la condition de pouvoir contrôler totalement son personnage. C'est lui qui imposa la voiture et surtout, insatisfait par les costumes qu'on lui proposait, qui choisit finalement de jouer avec ses propres habits (ce qui suppose donc que Peter Falk, dans la "vraie vie" s'habille exactement comme Columbo, ce qui le rend encore plus sympathique).

Comme les producteurs voulaient, au bout de quelques épisodes, lui adjoindre un equipier pour que ça soit plus convivial, il a répondu : "OK, mais c'est moi qui le choisis". Et il a amené le chien (l'histoire ne précise pas si c'était également son vrai chien).

En tous cas, Columbo est indéniablement un flic de gauche, à la fois naïvement explorateur des conventions de la haute société et incorruptible face aux assassins huppés qu'il traque (contrairement à des abrutis comme Hooker, Columbo n'arrête jamais de petits délinquants, mais seulement des vedettes et autres politiciens). Sous des apparences peu révolutionnaires, un flic comme Columbo pourrait, s'il existait, faire tomber tous les margoulins du monde, jusqu'aux Tapie et autres Sarkozy. On se plaît à imaginer de tels épisodes ...

Saison 1, Le Livre témoin (Murder by the book) avec Jack Cassidy : « Je passais dans le coin par hasard et… - Columbo, vous passez TOUJOURS par hasard ! »

Plein Cadre : Columbo contre Ross Martin (en critique d'art, sans sa panoplie d'Artemus Gordon). Le retournement final, concernant les empreintes digitales, confine au pur génie.

Saison 3, Candidat au crime. Columbo est obligé d'aller faire réparer des trucs sur sa voiture : n'ayant pas assez d'argent sur lui, il veut faire un chèque au garagiste, qui refuse, et, pour le rassurer, il lui montre sa carte de flic. Le type interloqué regarde la carte, puis Columbo ; il essaie de comprendre : « Et ... vous vous êtes déguisé en mendigot ? »

La VO est drôle aussi mais d'une autre manière :

- Are you under cover ? (vous travaillez sous une fausse identité ?)

- No, I'm underpaid (non, je suis mal payé).

Saisons 4 et 5. L'épisode "militaire" de Patrick Mcgoohan est vraiment très bon. Celui où il est espion, réalisé par lui-même, évoque fortement le Prisonnier dans la manière dont est filmée la scène du stand de tir à la foire. Revu aussi l'épisode du magicien, dont je ne me souvenais pas qu'il s'agissait d'un ancien nazi.

Dans la Montre témoin, la victime, le Commodore est un sosie de Burt Lancaster déguisé en Corto Maltese. Bordel sans nom devant chez Robert Vaughn, son gendre et assassin présumé (mais pour l'instant le Commodore a seulement "disparu"), où on présente à Columbo un jeune flic pistonné qu'il va devoir former. Columbo propose à Vaughn de le prendre dans sa voiture (décapotée) pour aller au port, ils y montent à quatre, le sergent Kramer derrière, Columbo, Vaughn et le stagiaire serrés devant (Columbo lui a dit : "vous serez mieux devant"). Mais surtout, c'est le stagiaire qui doit conduire la voiture de Columbo, qui lui a dit : "Il faut que tu t'entraînes à conduire cette bagnole, peut-être qu'on aura un jour des gens à poursuivre avec, alors prends le volant." Etrange épisode en tous cas, outre le fait que l'assassin n'est pas celui qu'on voit faire disparaître le corps : le montage est assez bizarre, on a des scènes filmées n'importe comment, mais surtout les acteurs (et/ou les doubleurs ?) semblent tous plus ou moins en roue libre. Réalisation : Patrick McGoohan, évidemment !

Saisons 8 et 9. Pas mal de bons épisodes (notamment "Fantasmes") malgré une absence de véritables stars durant ces saisons. Il y a bien Ian Buchanan dans un épisode, visage familier si on a vu Twin Peaks. Et dans un autre, grand retour et énième participation de Patrick McGoohan, plus âgé, affublé d'une moustache, avec un faux air de Jacques François.


Benjamin CONSTANT (1767-1830)

Adolphe

Des observations psychologiques intéressantes et beaucoup d'humour, surtout au début. Dans l'Avis, l'histoire du médecin calabrais brise délicieusement les clichés romantiques que l'on s'attendait à trouver (on imaginait déjà le voyageur mourant et confiant le texte du roman à l'éditeur ...)

Par l'élégance de son style (quoique moins ostensible que celui de Chateaubriand), le texte gagne à être lu à voix haute. Il gagne aussi à l'être par bribes successives, car les nombreuses réflexions qu'il contient, dignes des moralistes mais intégrées dans un discours narratif, l'alourdissent un peu (mais leur réel intérêt fait qu'on s'y plie).

Le récit, comme dans Colomba, charme d'abord et surtout pour son introduction : la suite se laisse lire, mais est sans doute moins intéressante, relevant surtout de l'histoire navrante, pour ne pas dire de l'histoire de cons. On ne sait s'il est plus instructif qu'agaçant de voir ces deux andouilles se jeter d'eux-mêmes dans des situations qui ne peuvent générer que catastrophe. D'un autre côté, la description de ce cauchemar sentimental console de bien des choses : suave mari magno ...

On ne sait qui est le plus pénible, du veule Adolphe ou de l'hystérique Ellénore avec son chantage affectif permanent. Heureusement il y a, ça et là, l'ironie bienvenue du père d'Adolphe.

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Cécile est plus agaçant encore, car les hésitations et revirements du héros se font ici entre deux femmes, dont l'une est très évidemment plus agréable et l'autre particulièrement insupportable. On ne peut donc que subir le récit des incessantes lâchetés du narrateur qu'avec l'idée que tout cela aurait pu (et aurait dû) prendre fin de manière très simple depuis déjà bien longtemps.


Francis Ford COPPOLA (né en 1939)

Malgré mes préventions contre les films de maffia (comme pour les James Bond qui me semblent relever de la même apologie d'une violence organisée et institutionnelle), j'ai fini par voir la trilogie du Parrain, à force d'en entendre dire du bien et surtout après avoir admiré pas mal d'autres réalisations de Coppola dont je n'attendais pourtant pas grand chose a priori (en particulier le formidable Outsiders, que je prenais pour un énième film au sujet d'ados caractériels et qui s'est révélé être un film magnifique).

Le Parrain est incontestablement un film très réussi, même si parler de "2° meilleur film américain de tous les temps après Citizen Kane" semble pour le moins délirant : si vraiment on veut donner cette palme à Coppola, que ce soit au moins pour Apocalypse Now ! Je ne sais pas si l'on peut dire qu'il y a là, consciemment ou non, une apologie de la mafia. La famille Corleone, surtout comparée à ses adversaires, est tout de même présentée dans sa quasi-intégralité comme une assemblée de braves gens, ce qui est assez fait pour m'agacer : et pourtant le film fonctionne.


Pierre CORNEILLE (1606-1684)

Quelques vers malencontreux d'abord. Dans Horace :

" Je suis romaine hélas ! puisque mon époux l'est." (ensuite corrigé en "puisqu'Horace est romain")

Et dans Polyeucte :

"Vous me connaissez mal, la même ardeur me brûle

Et le désir s'accroît quand l'effet se recule."

Autres vers amusant :

"Fuis la mauvaise science et cours après la bonne."

(devenu ridicule, je pense, seulement vers le XIX° siècle, pour un public habitué au théâtre de boulevard)

***

Dans Le Menteur, le valet Cliton a l'art de résumer en un vers son ébahissement ou ses sarcasmes face aux mensonges de son maître :

"Les gens que vous tuez se portent assez bien."

"Quoi, même en disant vrai vous mentiez en effet ?"

J'attendais davantage des possibilités d'un tel sujet, mais on suit avec plaisir ce couple maître-valet. Dans la Suite du Menteur, les jeux d'écho sont intéressants :

- Cliton racontant à Dorante (I,3) qu'on a fait une comédie (Le Menteur, donc) sur ses précédentes aventures (cf Don Quichotte)

- Lise (IV,1) se prenant pour la descendante des personnages de l'Astrée (qu'elle a donc lu, quoique simple servante), parce qu'elle a reconnu dans ce roman le saule qui fait le coin du pré de son grand-père. Scène délicate, où elle n'est pas ridiculisée du tout, où on ne sait d'ailleurs pas dans quelle mesure elle y croit elle-même. Mélisse conclut : "Chacun a sa folie. Certains l'ont importune, et la tienne est jolie."

De même, à la fin de la pièce, les personnages eux-mêmes suggérent à l'auteur comment conclure cette nouvelle pièce.

Dans l'Illusion comique également, on retrouve dès la première scène ce jeu du théâtre avec lui-même. La demeure d'Alcandre est décrite comme une sorte de théâtre et "il m'a dit mon histoire" n'est pas sans faire penser au Menteur trouvant sa propre histoire mise en vers. Dans cette scène, l'évocation du magicien me fait irrésistiblement songer à sa caricature, le Tim du Sacré Graal, cet espèce de magicien imbécile qui produit des explosions sans but dans tous les coins rien que pour épater les gens.


COSMOS 1999

L'atmosphère de la série est lourde, inquiétante, mais fascinante (en tous cas pour la saison 1, laissons de côté la saison 2, plus commerciale et qui n'a guère qu'un involontaire intérêt brulesque, notamment lorsqu'elle met en scène une lente poursuite entre des espèces de yaourts géants). Alors que l'équipage de Star Trek dirige son vaisseau, les personnages de Cosmos 1999 dérivent dans l'espace sur une Lune projetée hors de l'orbite terrestre, ne contrôlent absolument pas leur trajectoire et n'ont guère d'espoir de retour, cela suffit à installer une tout autre ambiance ... Autre différence qui me frappe à présent que je connais mieux Star Trek : l'utilisation de combinaisons spatiales. Même si la série se situe dans un futur beaucoup plus proche (et d'ailleurs désormais "passé") que Star Trek, ce n'est pas seulement une question de réalisme, c'est également révélateur de la différence d'esprit entre ces deux séries : l'une plus scientifique et philosophique, l'autre plus aventureuse et morale, l'une se posant des questions angoissées, l'autre optimiste et porteuse d'espoir en un avenir de progrès, de tolérance croissante entre les individus et les peuples. Ces gens de l'Enterprise qui se baladent la tête à l'air libre et qui respirent sans la moindre difficulté sur toutes les planètes de l'univers sont parfaitement représentatifs de la confiance en l'avenir de Gene Roddenberry.

La VO mérite d'être tentée, non que le doublage soit forcément mauvais mais c'est surtout que les acteurs, notamment Barbara Bain, ont une superbe diction. Cependant, Sylvia Anderson ne voulait pas du couple Bain-Landau au départ : "Je trouvais qu'ils étaient aussi souples qu'un arbre. Barbara ne voulait jamais tourner la tête. Martin […] ne savait pas se déplacer."

***

Les épisodes 2 et 3 de Cosmos sont tellement sombres qu'on se dit à chaque fois que tout l'épisode n'est certainement que le cauchemar d'un des personnages, car on ne voit guère comment ça pourrait se terminer autrement (du moins s'il doit y avoir un épisode suivant). Et finalement, non, ce ne sont même pas des rêves. J'ai en tous cas le lointain souvenir d'épisodes dans lesquels meurent des personnages relativement importants, que l'on voyait pourtant réapparaître la semaine suivante : j'attribuais cela à une diffusion un peu aléatoire de la part de la télévision française, mais cela tient parfois aussi à des scénarios sacrifiant (ou sacrifiant presque) des personnages.

Le scénario de "Direction Terre", avec Christopher Lee, est excellent et la dernière réplique de Koenig ajoute l'ironie du sort à la peinture de l'égoïsme stupide.

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S'il était dans ma nature de faire des jeux de con avec les chiffres, je ferais observer qu'il n'y a finalement eu que 2 saisons pour cette série car le 2 est ici un nombre-clé. 2 comme le nombre d'années qui sépare 1999 de son inspiration kubricienne 2001. 2001 qui est aussi la date d'un bouleversement, cette fois réel, le 11 septembre. Or dans la série, la date-clé, celle du départ de la lune, est le 13 septembre, soit 2 jours plus tard. Mais je n'aime pas les jeux à la con avec les chiffres ...

L'épisode 19 de la saison 1 (1 + 9 = 10 = 1 + 0 = 1), "En désarroi", est une splendeur, en tous cas son prégénérique, avec un concert de guitare électrique façon sitar, des couloirs vides, des plantes qui s'agitent mystérieusement.

***

"Le Domaine du Dragon" est incontestablement un des épisodes les plus réussis. On se dit tout de même au passage (pour la énième fois) que décidément les normes spatiales sont une chose formidable puisqu'une porte d'Aigle peut s'adapter à celle de n'importe quel vaisseau extra-terrestre.

***

Le passage direct à la saison 2 est une expérience brutale, qui rend encore plus choquants les changements d'acteurs, de décors, de costumes, et surtout la baisse de niveau. Le nouveau générique suffit à saisir l'évolution et à plaindre Martin Landau.


COSTA-GAVRAS (né en 1933)

Z

Il faut voir la gueule de Pierre Dux (le général), qui vient de dire au juge Trintignant :

- Dans ma position, vous comprendrez qu'il n'y a que deux solutions : soit je suis lavé de tout soupçon, soit je me suicide.

lorsque l'autre lui répond :

- Nom, prénom, profession ?


Georges COURTELINE (1858-1929)

"Je ne connais pas de spectacle plus sain, d'un comique plus réconfortant, que celui d'un monsieur recevant de main de maître une beigne qu'il avait cherchée."


Les COW-BOYS FRINGANTS

Avec des mélodies efficaces et variées, des orchestrations éclatantes (une belle énergie rock magnifiquement soutenue par les cuivres et le violon), les Cow-Boys Fringants peuvent parfois laisser sceptique quant au texte, qui n'a parfois rien à voir avec ce qu'on s'attend habituellement à trouver dans une chanson, par sa mise en forme extrêmement prosaïque, l'exemple le plus sidérant étant sans doute dans la Lettre à Lévesque.

"Pour moi l'projet idéal

S'rait d'garder les droits acquis

Et les bases fondamentales

De la social-démocratie

Tout en restant vigilant

Face aux courants mondialistes

Mais bien sûr sans pour autant

Dev'nir anti-capitalistes"

Quand on considère le seul texte (élisions en moins), on peut se croire en présence d'un tract. C'est à l'opposé de toute formulation un tant soit peu poétique. Et pourtant, le miracle c'est qu'une fois mis en musique, ça fonctionne parfaitement, là où quelqu'un comme Jean Ferrat était tout de même obligé de poétiser un peu ses chansons les plus engagées pour qu'elles fonctionnent en tant que chansons. Ajoutons à cela la saveur exotique des expressions québécoises ("j't'aime ben la face", "les jeunes se conscientisent", et tant d'autres évidemment, ces francophones d'outre-atlantique n'étant jamais à court d'invention verbale, contrairement à nous qui laissons notre langue se scléroser et se réduire à 30 mots de vocabulaire, de préférence utilisés sans syntaxe).

Dans des chansons plus sociologiques, et en laissant de côté la chanson Heavy Metal qui fait en partie débat (à quel degré faut-il la prendre ?), on appréciera tout spécialement la présence chaleureuse du curé Boilard, dans La Noce.

Dans une chanson superbe mais déprimante au possible, Hannah, on peut trouver ce bel euphémisme québécois :

"Mais quand on t'a brisée,

La vie est ben plus malaisée."

François Sarano émet, dans son commentaire audio du film La Planète bleue, le souhait de ne pas léguer aux générations futures "un monde où il n'y ait plus que des crabes et des rats." En matière d'alerte écologique, la chanson "Plus rien", qui fait parler "le dernier humain de la terre" juste avant l'extinction totale de l'humanité, évoque par contraste, en parlant du passé, deux animaux plus sympathiques ("Une eau pure et limpide coulait dans les ruisseaux / Où venaient s'abreuver chevreuils et orignaux"). Cette chanson d'apocalypse n'est pas très loin de celle de Mickey 3D, Respire, si ce n'est qu'elle met en scène directement les ultimes moments. Dans un registre moins politique, elle peut faire penser aussi à l'étrange Kama-Sutra de Michel Polnareff, qui se place quant à lui dans un futur post-apocalyptique et décrit, d'une façon qui n'est sans évoquer Pompéi ou la scène des fresques souterraines dans le Roma de Fellini, l'étonnement de personnages que l'on peut supposer être des extra-terrestres débarquant bien plus tard : "On nous trouvera dans des positions de kama-sutra / En se demandant ce qu'on faisait là (...) Ceux qui viendront visiter notre ici-bas / Ne comprendront pas ce qu'on faisait là." Tiens, cette comparaison me fait réaliser que, justement, Polnareff aussi a souvent cette tendance à rendre efficace dans ses chansons des textes (les siens en particulier) qu'on pourrait juger a priori trop prosaïques, mais je crois que c'est bien le seul point commun entre le groupe dont nous parlons ici et cet homme (quoi qu'il soit lui aussi assez fringant dans son genre) : il y a nettement une création collective, une atmosphère de groupe chez les Cow-Boys Fringants, pour le meilleur (les concerts) et parfois pour le pire (lourdeur du côté "bande de potes" dans certains textes), alors que Polnareff est sans doute le type-même du créateur ultra-solitaire.

Curieusement, en écoutant un peu les premiers albums, j'ai trouvé plutôt décevantes (en particulier quant au texte) la plupart des chansons d'Enfin Réunis, alors que Motel Capri, pourtant d'un an plus ancien, quoique lui aussi nettement moins politisé, est extrêmement sympathique, notamment le morceau intitulé Le Shack à Hector.

Je profite au passage de ces quelques commentaires pour remercier celui qui, à défaut d'être (pour l'instant ?) "le dernier humain de la terre", est peut-être bien le dernier lecteur de ce site, pour m'avoir récemment incité à assister à un concert desdits Cow-boys.

Je crois que le dernier concert que j'avais vu était un concert gratuit de Stone et Charden, place Stanislas : Charden était totalement défoncé et n'arrêtait pas de brailler "allez, msieurs-daaaames !" comme un camelot sous ecstasy, tandis que Stone ramait avec un sourire figé pour conserver un semblant de dignité à leur exhibition. On comprendra que j'avais, suite à cette expérience, quelque peu perdu la notion claire de ce qu'est un véritable concert avec de la vraie musique.

Une petite sélection de fringances.


Alain CREHANGE

Le Pornithorynque est un salopare, dictionnaire de mots-valises :

Pornithorynque : Mammifère salopare d'Australie, dont les moeurs sexuelles sont assez surprenantes.

Salopare : Animal qui se reproduit malproprement.

Nymphormatique : Science de la manipulation des bits.

Ikéalisme : Attitude de celui qui, à la recherche du bonheur absolu, croit pouvoir l'acquérir en pièces détachées et le monter lui-même à domicile.

Pélidecan : Oiseau palmipède dont le bec, pourvu d'une poche extensible, peut être aménagé en meuble de couchage improvisé.

Gondoléances : Paroles de circonstances en cas de mort à Venise.

Absenthéisme : Doctrine religieuse qui affirme que Dieu existe, mais qu'il n'est pas là en ce moment.


David CRONENBERG (né en 1943)

A History of Violence

Magnifiquement réalisé, narration incontestablement prenante, mais reste l'aspect moral, finalement très ambigu, notamment dans les réactions du fils et de l'épouse qui se laissent plus ou moins fasciner par la violence. Alors que ce fils justement, élevé par un père qui a radicalement renoncé à son passé de violence, incarne au début du film la capacité à refuser la violence, à l'empêcher de s'étendre, à la stopper en lui opposant l'usage de l'esprit (démonstration splendidement menée), il finit cependant par y céder et le film semble nous dire que finalement la violence est la seule solution qui vaille.

Les Promesses de l'ombre

Plus réussi encore, et psychologiquement très fort. Mortensen est excellent, mais Vincent Cassel (qu'on pense au départ réduit à un rôle assez médiocre) et Armin Mueller-Stahl sont tous les deux plus impressionnants encore dans des rôles qu'ils font évoluer au fil du récit.


Michael CURTIZ (1886-1962)

The Sea Wolf (Le Vaisseau fantôme)

Dans un tout autre registre que son autre chef-d'oeuvre, Casablanca, The Sea Wolf est un film grandiose, à l'atmosphère prenante et poisseuse à souhait, qui transporte le spectateur du début à la fin. Il y a toute une dimension dépaysante, l'océan, la brume, le voilier et son équipage infernal, ... qui nous arrache au quotidien ; mais le film n'en reste pas moins, en même temps, profondément humain et proche de nous dans son exploration morale. Chaque personnage est complexe, des héros positifs -- dont l'un (Van Weyden) ouvre sa participation au film sur un acte de lâcheté et les deux autres sont recherchés par la police -- jusqu'au personnage ignoble de Wolf Larsen, auquel Edward G. Robinson, plus génial que jamais, donne une puissance inoubliable dans la cruauté mais aussi parfois une fragilité qui rend le personnage assez ambigu pour qu'on ne parvienne pas à le détester totalement. Mais le personnage le plus intéressant de ce point de vue est celui de Cooky, qu'on apprend à détester viscéralement mais face auquel on ne sait plus quoi ressentir lorsque Larsen le transforme en victime de la haine générale : un grand moment de malaise ...


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