Clint EASTWOOD (né en 1930)


Thème et variations

Clint Eastwood n'est évidemment pas un acteur de composition à la Dustin Hoffman ou à la De Niro, mais ce n'est pas non plus quelqu'un qui se contente de jouer sempiternellement le même rôle. On peut considérer que, pendant longtemps (et cela continue d'ailleurs, à quelques exceptions près, comme Sur la route de Madison), sa carrière d'acteur a consisté en une série de variations sur son personnage de départ, plus précisément celui qui a fait son succès et sa célébrité, que ce soit sous la forme de l'Homme sans nom des films de Leone et celle de l'inspecteur Harry.

Le Ben Shockley de L'Epreuve de force est une caricature de Dirty Harry, de même que le héros de L'Homme des hautes plaines reprend outrancièrement l'Homme sans nom. Tommy Nowak (Pink Cadillac) est une version cool et farcesque de Harry, ce qu'est également Bronco Billy dans le registre cow-boy. Chaque rôle est ainsi l'occasion de revisiter, de transposer, de déplacer, voire de dynamiter les précédents avatars du perosnnage, même si, au fil du temps, le jeu a forcément trouvé ses limites et si Eastwood a trouvé dans la réalisation un autre terrain d'exploration sur lequel affirmer son talent de manière encore plus éclatante et beaucoup plus variée.

 


Clint Eastwood au XXI° siècle

Je ne veux pas m'appesantir sur l'évolution de Clint Eastwood ces dernières années. Il n'a jamais été un homme de gauche mais il a longtemps su laisser de côté ses choix politiques personnels les plus médiocres pour ne mettre en avant dans ses films que des valeurs humanistes parfaitement honorables. Ses récentes prises de parole, contre Michael Moore, contre Obama, sont en revanche consternantes. Continuons à admirer son oeuvre passée et mettons la triste évolution de l'individu sur le compte de la sénilité, comme chez Philippe Val. Et admirons Georges Moustaki, mort récemment sans que son grand âge lui ait jamais rien fait perdre de sa dignité.

 


Pour les premiers westerns, cf. aussi Sergio LEONE.

Clint Eastwood : "Dans le premier film j'étais seul, dans le deuxième nous étions deux, ici nous sommes trois. Dans le prochain, je me retrouverai au milieu d'un détachement de cavalerie."

Leone disait : "Clint, il a deux expressions : une avec le chapeau, une sans le chapeau."

 


Where Eagles Dare (Quand les aigles attaquent - Brian G. Hutton, 1968)

Film de guerre mettant surtout en vedette Richard Burton (lequel est au coeur d'une intrigue d'espionnage particulièrement alambiquée et invraisemblable), mais où Clint Eastwood se fait remarquer tout spécialement dans le finale en tuant à lui seul un nombre impressionnant de nazis.

On peut voir ce film comme une adaptation (parfaitement involontaire) du Château de Kafka : on y retrouve le village, l'atmosphère hivernale, le château inaccessible,... à ceci près que Clint Eastwood est bougrement plus radical que l'arpenteur K. dans ses méthodes et que le château ne reste pas inaccessible bien longtemps.

 


Kelly's Heroes (De l'or pour les braves - Brian G. Hutton, 1970)

(attention : ce qui suit révèle tout ou partie etc.)

Where Eagles Dare exposait de manière spectaculaire et passionnante le déroulement minutieux d'une mission impossible, avec un Richard Burton sérieux comme un pape dans son interminable exposé d'une intrigue abracadabrante et un Clint Eastwood glacial à souhait dans son éradication du nazisme alpestre.

On s'attend d'abord à un film du même genre, d'autant plus que Brian G. Hutton réutilise le même lettrage pour son générique, mais très vite on sent que quelque chose cloche. Durant ce générique, on découvre, au milieu d'un branle-bas nocturne de troupes allemandes, une jeep arrêtée dans laquelle se trouve un officier allemand, avec deux soldats américains, dont Clint Eastwood au volant. Lorsqu'un allemand, se retournant et avisant Eastwood, s'étonne enfin de cette présence, la jeep repart rapidement en le renversant, et la musique commence, avec un peu de batterie et de cuivres qui semblent annoncer la Marseillaise, mais cela tourne immédiatement à la rengaine sixties façon Summer of Love, bref à un machin totalement anachronique et euphorisant (*), lequel reviendra durant le film de façon tout aussi plaisante et inadéquate. Durant leur trajet, nos amis, en passant dans une grande flaque, éclaboussent des soldats allemands (qui râlent) puis ils finissent par revenir au camp américain, lequel est bombardé par d'autres américains, et l'on découvre Kojak en train d'engueuler par radio le responsable de l'artillerie (interprété par son frère George Savalas) :

- Ecoute, Mulligan, tu ne comprends rien à ce que je te dis : tu as établi ta saloperie de barrage sur notre position. Ah, tu ne m'entends pas ? Et tu sais pourquoi tu n'entends pas ? C'est parce que les obus de tes mortiers partent de chez toi et qu'ils viennent exploser ici, sur nos têtes ! Non, les Fritzs sont pas ici ! Y a que nous, Mulligan, c'est sur nous que t'envoies tes obus !

Puis, avisant l'officier prisonnier :

- Je croyais t'avoir dit de me ramener un gars jeune, et non pas cet espèce de doryphore rondouillard !

Ce qui s'éclaire peu après, lorsqu'on comprend que l'objectif de cette capture est de se faire indiquer l'hôtel le plus confortable et les endroits chauds de Nancy (**), qu'ils s'apprêtent à libérer : "Nous allons garder ce type avec nous jusqu'à Nancy : il peut servir comme guide touristique."

Et tout le film, histoire d'une poignée de soldats qui vont devancer héroïquement la progression de l'armée américaine et traverser les lignes allemandes pour récupérer un dépôt d'or à leur profit, est du même tonneau, relevant d'un humour tantôt cynique, tantôt délirant, avec un Donald Sutherland mémorable en hippie avant l'heure. La visite du campement de sa compagnie dépourvue d'officiers (bordélique à souhait, avec glande au soleil et musique orientale) et les diverses fantaisies verbales du personnage sont l'occasion pour Eastwood d'arborer sa fameuse mine écoeurée.

Parmi les soldats de la section d'Eastwood, on remarque Harry Dean Stanton, encore inconnu, ainsi que Jeff Morris, déjà inconnu, mais qui allait incarner plus tard, sous la direction de John Landis (assistant de production sur Kelly's Heroes) le mémorable Bob (tenancier de la guinguette country Chez Bob) des Blues Brothers.

Dans le village où se trouve la banque, presque entièrement vide d'habitants et rappelant par là les villages mexicains de Pour une poignée de dollars ou, plus encore, de Pour quelques dollars de plus, alors que la bataille continue contre le dernier char Tigre déchaîné, Telly Savalas trouve le Cinglé (Donald Sutherland) dans un coin retiré, sur une chaise de jardin, qui lui explique : "Je mange du fromage, arrosé d'un verre de vin, et je chauffe mes os au soleil ... Mon tank est endommagé, on essaie de le réparer". Comme l'autre lui reproche de ne pas aider à cette réparation, il répond : "je sais conduire un tank, mais je ne sais pas comment ça marche !", puis, après le départ de Kojak consterné : "Ce serait l'anarchie si on écoutait ce type !" (après quoi, il imite un chien).

Peu après, comme il est question de contacter le conducteur du Tigre pour négocier, le Cinglé s'exclame : "Tu es fou ! Ce type-là est certainement le plus tordu des fanatiques, sinon il se serait fait la valise depuis vingt bonnes minutes !"

PS : on retrouvera d'une certaine manière le même genre d'ambiance dans un film de Blake Edwards, Qu'as-tu fait à la guerre, papa ? (qui vaut mieux que son titre).

(*) : Burning Bridges, Mike Curb Congregation : cela dit, c'est euphorisant seulement si on ne prête pas attention aux paroles. L'effet vient essentiellement de l'anachronisme de l'orchestration, et sans doute aussi du fait qu'elle est chantée en choeur, ce qui convient parfaitement à l'atmosphère tout aussi "chorale" des aventures de cette joyeuse équipe.

(**) : le film ayant été tourné en Yougoslavie, paysages et villages sont assez loin d'évoquer la campagne lorraine.

 


Dirty Harry (L'Inspecteur Harry - Don Siegel, 1971)

Près de quarante ans après la sortie de ce film, les accusations de fascisme portées à l'époque semblent largement oubliées. C'est évidemment un film réactionnaire, et Eastwood (sans aller jusqu'à parler de gauchisme, bien entendu) fera ultérieurement des films bien plus intéressants et bien plus honorables politiquement. Dirty Harry est bien un film réactionnaire (mais c'est un peu la loi du genre), mais certainement pas fasciste. Le personnage est (à sa manière, forte) au service de valeurs humanistes. Celui qui (de façon certes caricaturale) est véritablement fasciste et fait peu de cas de l'existence humaine, uniquement soucieux de son bon plaisir, c'est le tueur Scorpio, ce que la critique de gauche d'alors (et en grande partie celle d'aujourd'hui ?) n'était pas vraiment capable de percevoir. Cette association du libertarisme à outrance et de la volonté narcissique de dominer et de détruire, Houellebecq l'a illustrée (ou supposée ?) depuis dans Les Particules élémentaires, et une relecture de Sade sans oeillères, à la façon de Michel Onfray, permet également de saisir cela.

Cela dit, ne tombons pas dans l'excès inverse, car la manière dont sont systématiquement construits et présentés les délinquants en tous genres dans ces films est particulièrement discutable. Il est absurde de faire un procès politique à ce qui n'est qu'un film d'action, mais il ne serait pas plus intelligent de fonder sa vision du monde sur ce genre de films : prenons le pour ce qu'il est, avec ses qualités de divertissement mais aussi avec ses limites.

D'autre part, pour être tout à fait juste, le film ne vaut guère que pour son personnage, une variante de plus de l'archétype de héros cynique qui fut si longtemps la spécialité d'Eastwood, pour ses répliques bourrues et/ou glaciales et pour les scènes d'action. Pour le reste, comme tout le cinéma eastwoodien des années 70 (westerns exceptés), coiffures, costumes et décor relèvent d'une esthétique (fort heureusement) très datée, mais surtout le film traîne un peu en longueur. C'est loin d'être un chef-d'oeuvre en lui-même, surtout si l'on considère que, la même année, Visconti réalisait Mort à Venise. Ca n'a évidemment rien à voir, mais ça permet tout de même de relativiser ...

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Magnum Force (Ted Post, 1973)

Durant tout le générique de début, on peut voir, sur un fond rouge, une main tenir le fameux Magnum. On pourrait penser qu'il s'agit d'une photo, mais en y regardant de près, on perçoit de légers mouvements de temps en temps. Clint Eastwood, c'est tout un métier, il ne faut pas avoir peur des crampes.

La réplique-culte du film. A son supérieur Briggs qui se vante de n'avoir jamais sorti son arme de son étui durant toute sa carrière, Callahan répond : "Vous êtes un homme sage, lieutenant. L'homme sage est celui qui connaît ses limites exactes."

Commentant ses méthodes : "Si on conduit son affaire à la façon d'un autre, on y risque sa peau à tous les coups."

D'un point de vue narratif, le film est nettement plus efficace que Dirty Harry. Il est évident que le scénario de Magnum Force a pour but de répondre aux accusations de fascisme : c'est d'ailleurs une assez bonne idée et cela permet d'aborder le personnage sous un angle complémentaire. Mais l'opposition entre Callahan et les mauvais flics donne lieu à des argumentations assez floues, et le personnage de Briggs n'est pas très vraisemblable (comment le flic qui reproche à Callahan ses méthodes trop expéditives peut-il diriger un groupe de policiers aux méthodes encore plus contestables ?). C'est un peu la faiblesse du film, cette volonté de faire une sorte de film à thèse de la part de gens qui ne sont pas faits pour ça, qui ne sont pas des idéologues. Le personnage de Callahan pouvait se défendre tout seul contre les accusations de la critique de gauche (au besoin avec son Magnum), parce qu'il n'est tout simplement pas un fasciste, juste une sorte d'anar de droite, brut de décoffrage, bourré de préjugés, plutôt radical dans sa manière de faire son boulot, mais certainement pas prêt à commettre n'importe quelle ignominie parce qu'on le lui aurait ordonné ou parce que tel serait son bon plaisir (ce qui pour le coup serait être un parfait fasciste). Ses actes suffisent à éclairer sa véritable nature. Cette dimension "argumentative" du film est donc aussi inutile que maladroite. Cela dit, elle prend peu de place et ne nuit pas à l'efficacité de l'intrigue policière, c'est l'essentiel.

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The Enforcer (L'Inspecteur ne renonce jamais - James Fargo, 1976)

Le troisième volet des aventures de l'inspecteur Callahan (étrangement devenu Callaghan dans la VF) annonce un peu des films comme la série des Die Hard avec Bruce Willis. Aussi efficace que Magnum Force, même si la mise hors d'état de nuire des terroristes à Alcatraz est singulièrement rapide et n'occupe que les dix dernières minutes, le film est plutôt réussi. Plus formaté, moins dérangeant que Dirty Harry, moins sombre que ne le sera ensuite Sudden Impact. Avec en prime, pour incarner le chef des méchants, l'acteur shakespearien DeVeren Bookwalter, qui est une sorte de sosie de Cohn-Bendit (*).

La grande scène de rusticité callahanienne est sans doute celle des félicitations du maire. La célèbre moue écoeurée d'Eastwood atteint ici son maximum d'intensité pendant la séance de photos, juste après quoi, Callahan refusant de se prêter à cette mascarade, a lieu cet échange entre lui et son supérieur (toujours en VF) :

- Capitaine, si vous voulez raconter des bobards à ces gens-là ça vous regarde, mais pas avec moi !

- Il suffit Callahan ! Votre conduite vous vaut soixante jours de suspension !

- Mettez-en quatre-vingt-dix !

- Cent quatre-vingts et rendez-moi votre étoile !

- Tenez, ça va vous faire un suppositoire à sept branches !

- Qu'est-ce que vous osez dire ?!?

- J'ai dit : collez-vous l'étoile dans le cul !

Le maire, étonné, ajoute un à peine audible "où ça ?".

(*) : ou plus exactement un sosie de Derren Nesbitt, qui incarna l'un des nombreux N° 2 du Prisonnier, mais qui est beaucoup moins connu (et certainement aussi beaucoup moins méprisable, ce qui est à la portée de la plupart des gens) que Cohn-Bendit. Derren Nesbitt joua d'ailleurs lui aussi avec Eastwood, dans Where Eagles Dare (1968).

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Sudden Impact (Le retour de l'inspecteur Harry - Eastwood, 1983)

Après le générique, le film s'ouvre avec un travelling sur la surface de l'océan. Je ne sais pas si c'est la première fois, mais c'est une sorte de manie, presque de signature, chez Eastwood, lorsqu'il réalise. Il faudrait faire un relevé de tous les films dans lesquels il fait ça.

On notera avec soulagement que l'inspecteur Harry est redevenu Callahan en VF.

Comme souvent à cette époque, Eastwood partage la vedette avec Sondra Locke, sa compagne de l'époque, avec qui il partageait en général fort équitablement les réparties cyniques et/ou salaces, sa spécialité à elle étant de calmer ainsi l'ardeur des mâles discourtois. C'est ainsi qu'elle suggère ici, à quelques désoeuvrés qui veulent "monter", un nouvel usage du cric ; mais sa réplique la plus efficace (car la plus judicieuse) dans ce registre est certainement celle qu'elle adresse paisiblement dans L'Epreuve de force (1977) à un policier qui l'accable de remarques malsaines : "est-ce que ta femme sait que tu te masturbes ?".

Si l'intrigue liée à Sondra Locke est particulièrement sombre, avec un finale crépusculaire près d'un vieux manège, le film contient cependant bon nombre de répliques abruptes à la Callahan. Belle scène pleine d'humour (noir) : l'irruption de Callahan au mariage de la petite-fille d'un maffieux, sa manière d'entrer malgré les gorilles ("prévenez les urgences qu'il y a ici deux sinistres connards souffrant de contusions multiples et de fractures aussi diverses que variées"), son énorme coup de bluff qui fait claquer le vieux sur place,...

Grand retour de la moue écoeurée, mais mêlée de stupeur, dans un bar, en entendant une femme s'exprimer de façon encore plus ordurière que lui (cela préfigure presque, en un sens, la scène de Gran Torino dans laquelle Clint Eastwood crache par terre comme par défi devant la vieille voisine asiatique, laquelle balance aussitôt devant elle un énorme crachat noirci par je ne sais quel bétel, ce qui le laisse aussi vexé que sidéré).

Dans une boutique, aux frères, poissonniers, revêches, menaçants, de la veuve d'un type assassiné ("regretté ? un fumier pareil ?!"), Callahan finit par suggérer : "Pourquoi vous n'iriez pas manger quelques têtes de poissons tous les deux ?" (why don't you boys go suck some fish heads ?)

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The Dead Pool (L'Inspecteur Harry est la dernière cible - Buddy Van Horn, 1988)

Le dernier volet ne reprend que très vaguement les caractéristiques habituelles de la série. Cela étant dit, c'est un honnête polar, qui se laisse regarder (*). Morceau de bravoure (qui n'aurait rien perdu à être un peu plus long, en hommage à Bullit, qu'on peut supposer avoir servi de modèle) : la poursuite dans San Francisco entre la voiture de Callahan et une voiture miniature téléguidée.

(*) : d'ailleurs, une des caractéristiques absentes est cette réduction des criminels à un certain nombre de stéréotypes caricaturaux, qui donne aux films précédents une saveur certes particulières mais pas nécessairement reluisante. On a ici une véritable intrigue policière, avec fausse piste, plus qu'une exhibition directe et manichéenne du "criminel" ou du "délinquant" dans toute sa splendeur. Sudden Impact proposait déjà une meurtrière plus nuancée, évidemment, et même certains des violeurs dont elle se vengeait présentaient un caractère plus complexe, mais le duo Mike et Ray Parkins, et dans une moindre mesure les deux acolytes-poissonniers relevaient bien de l'outrance habituelle.

 


High Plains Drifter (L'Homme des hautes plaines - Eastwood, 1973)

Premier western réalisé par Eastwood. Il y reprend plus ou moins la mythologie de son personnage de la trilogie de Leone, mais en accentuant l'humour noir et l'absurde, le héros n'acceptant de défendre la ville qu'à condition qu'on se plie à toutes ses exigences, notamment celle de repeindre toutes les maisons en rouge et de remplacer le shériff par un nain.

 


Thunderbolt and Lightfoot (Le Canardeur - Michael Cimino, 1973)

Malgré un titre français contestable, ce film de Cimino avec Clint Eastwood et Jeff Bridges est plein de charme (l'histoire du magot caché dans la vieille école disparue ...) et d'humour. Les deux comparses, George Kennedy et Geoffrey Lewis (un fidèle des films d'Eastwood, qu'on retrouvera avec des mouches autour de la tête dans Midnight in the garden of Good and Evil), sont tantôt inquiétants, tantôt grotesques, improbables notamment en marchands de glaces, Kennedy rétorquant à un enfant trop exigeant: "Look, kid ! Go fuck a duck !"

 


Bronco Billy (Eastwood, 1980)

Etrange variation sur le personnage eastwoodien du cow-boy tireur d'élite, Bronco Billy en offre une version artificielle : ce n'est qu'un cow-boy de cirque, quoiqu'excellent tireur et sincèrement passionné par son personnage et ce qu'il incarne. Bronco Billy est un personnage naïf, sans rien du cynisme de ses modèles (quoiqu'il soit capable d'une indéniable rouerie pour trouver et conserver une assistante). Le film est une petite merveille d'humour, avec un grand duo comique opposant le rustique Billy à Sondra Locke, pimbêche égoïste et sarcastique (on goûtera la manière dont elle surjoue et modifie son "texte" en tant qu'assistante, au grand dam de Bronco Billy, totalement "premier degré"). Les personnages secondaires forment un petit groupe sympathique et hétéroclite comme on trouve parfois chez Eastwood, en particulier dans Josey Wales. Le sourire immense et figé de Sctaman Crothers durant la danse du serpent à sonnette est mémorable.

 


Unforgiven (Impitoyable - Eastwood, 1992)

Le premier western où tuer quelqu'un pose problème. Un film tragique, en même temps que comique par le décalage qu'il introduit avec le mythe de l'Ouest, par le personnage totalement pitoyable de Clint Eastwood. Certains autour de moi veulent absolument y voir un film mystique. Ce n'est (et c'est tout à son honneur) qu'un film humain. William Munny n'a pas rencontré Dieu : il a simplement rencontré sa femme (je veux dire : sa femme à lui, William Munny). Il est incapable de dire pourquoi il tuait autrefois, tout aussi incapable aujourd'hui de tenir un discours moral cohérent ; il ne fait que tenter d'obéir à sa défunte épouse, avec si peu de conscience morale (la sienne se limite à des phrases toutes faites qui relèvent surtout de la méthode Coué : "j'ai changé", "je ne suis plus comme ça", "ce n'est pas bien",...) qu'il en arrive à accepter un dernier travail tout en persistant à dire qu'il a changé. Ce n'est pas l'histoire d'une rédemption, mais celle d'un pauvre diable qui ne sait pas (et n'a jamais su) pourquoi il agit, et qui le comprend d'autant plus mal qu'il a décidé de refaire à jeun ce qu'il a jusqu'alors toujours fait complètement bourré.

C'est un véritable bordel moral, sans certitude aucune. Munny est capable de compassion ("donnez lui à boire, merde !"), mais pour un type qui ne méritait pas qu'il le tue. Little Bill est-il vraiment un personnage négatif ? Il tabasse English Bob (lui-même peu sympathique tueur de Chinois) pour éviter que l'envie de venir dans sa ville ne prenne d'autres tueurs : il pourrait le tuer, mais il le laisse repartir. Délicat. C'est une sorte de bourgeois sadique : un type qui a envie de vivre en paix et qui est capable du pire pour préserver sa tranquillité. Il y a du Le Pen aussi chez cet homme, un goût du pouvoir, un désir d'écraser les autres par sa supériorité (voir l'utilisation qu'il fait de l'écrivain : détruire le mythe des autres pour imposer le sien), et surtout un refus de l'étranger. Tout au plus est-il un peu moins hystérique que le nôtre.

Mais William Munny n'est-il pas une sorte de tueur fasciste, prêt à l'emploi, que seules les circonstances ont préservé de travailler pour n'importe qui (comme English Bob) ?

Le personnage le plus intéressant moralement est d'ailleurs la "putain tailladée", la seule véritable victime du film et la seule à ne pas désirer la vengeance, même si elle n'ose pas imposer sa volonté.

 


Mystic River (2003)

A propos de son travail sur Mystic River, Laurence Fishburne oppose à l'anxiété, à la tension, qui règnent habituellement sur un tournage, l'atmosphère sur un film d'Eastwood : "It's as cool as a summer breeze ! All the time !". Tim Robbins ajoute : "Sean (Penn) a raison de dire que Clint est le mythe américain le moins décevant qui soit."

 


Mémoires de nos pères / Lettres d'Iwo Jima (2006-2007)

Deux films magnifiques. La bataille pour l'île d'Iwo Jima, vue du côté américain dans le premier film, du côté japonais dans le second. Mais au-delà de ce principe, c'est surtout une double réflexion sur la guerre, l'héroïsme, le patriotisme, et surtout l'humanité prise au piège de ces conneries. Le tout est filmé dans des décors impressionnants, une sorte d'île volcanique avec des plages de cendre noire (une amie me fait observer que les expressionnistes allemands auraient été épatés s'ils avaient connu cet endroit). On est d'autant plus impressionné par la splendeur de la réalisation quand on songe que tout cela a été réalisé par un type de 77 ans, qui a commencé comme cow-boy dans une série télé puis dans des westerns-spaghettis.

L'impartialité du point de vue n'est jamais forcée, le fait pour un réalisateur américain d'adopter un point de vue japonais ne sombre pas dans le gadget artificiel et politiquement correct. Dans les deux films, Eastwood réussit à exprimer toute l'humanité de ses personnages, en même temps que toute l'absurdité et l'horreur de la guerre, sanq qu'à aucun moment notre attachement pour les personnages ne nous fasse adhérer le moins du monde à une logique militaire.

Détail amusant (c'est bien le seul) dans Mémoires de nos pères, l'espèce de lutin saugrenu qui interprète le président des Etats-Unis n'est autre que David Patrick Kelly, alias Gerry Horne dans Twin Peaks.

Il paraît que la critique est moins enthousiaste pour le second volet, mais je l'ai trouvé aussi fort. Je me demandais avec un peu de crainte si Eastwood nous gratifierait ici de la version "japonaise" de l'épisode du soldat américain disparu que ses camarades retrouvent ensuite dans une grotte, mort torturé. Il évite le piège et même, il me semble, le détourne très consciemment. Quelques fanatiques présentés ça et là suffisent à faire comprendre qu'il y a des salauds partout, surtout quand la guerre leur permet de se défouler comme nulle part ailleurs. Mais les personnages qui intéressent Eastwood sont ceux qui parviennent à préserver leur humanité, malgré la pression des événements, ceux qui, chacun à sa manière et dans la mesure du possible, résistent à la barbarie, du général Kuribayashi au soldat Saïgo, chacun flanqué d'un alter ego, le lieutenant Nishi et Shimizu. Lorsque Nishi fait ramener et soigner dans la grotte un soldat américain blessé, on s'attend à ce qu'il s'agisse justement de la reprise de la scène du premier film, et le dialogue entretient un instant l'équivoque : "Il peut sans doute nous fournir des informations", dit Nishi, avant de commencer à parler au soldat blessé de Mary Pickford et de Douglas Fairbanks, qu'il a bien connus. Après la mort de ce soldat américain, Nishi trouve sur lui une lettre de sa mère et il se met à la lire en la traduisant directement à ses hommes, pour lesquels les américains représentent l'altérité absolue et qui avaient été choqués que leur officier leur ordonne de soigner cet ennemi blessé. La lettre, très simple, très quotidienne, fait disparaître, à peine est-elle traduite, toute altérité.

La grandeur morale de Nishi et sa mort le rapprochent beaucoup d'un personnage comme Slütter dans La Ballade de la mer salée, d'Hugo Pratt. Le genre de type devenu officier parce que ça se faisait à cette époque et dans ce milieu.

 


L'Echange (2008)

Le sujet mélodramatique m'inquiétait un peu, mais on peut décidément faire confiance à Eastwood. Le film est excellent, même si ce n'est pas son meilleur. La dénonciation de la corruption et des méthodes de coercition employées ici par la police montre une fois de plus que le clivage droite/gauche n'est décidément pas le même aux Etats-Unis.

 


Gran Torino (2008)

Sans être un chef-d'oeuvre et malgré une certaine ambiguïté sur le personnage qui rappelle Le Maître de guerre (dans quelle mesure se moque-t-on de ses valeurs et dans quelle mesure les valorise-t-on ?), Gran Torino a beaucoup de charme :

- pour la caricature raciste ("Clic-Clac, Ding-Dong et Charlie Chan") et grincheuse d'un personnage qui s'humanise.

- pour le dénouement, dans lequel Clint Eastwood (qui avait déjà défendu l'euthanasie à travers Million Dollar Baby) met en scène ce que nous avions appelé ici le "suicide assistant".

- pour le générique de fin et la chanson Gran Torino, sans doute le plus beau générique musical d'Eastwood depuis le Skylark de Minuit dans le jardin du bien et du mal. C'est sa propre voix, déjà presque éteinte, qui chante le début de la chanson : ce n'est pas indiqué au générique, mais c'est évident.

Détails familiaux : le jeune crétin qui accompagne Sue lorsqu'elle est agressée est interprété par Scott, un des fils d'Eastwood. Kyle Eastwood s'est quant à lui largement occupé de composer la musique du film, ce qui est plus valorisant.


Invictus (2010)

Superbe sujet (la réconciliation des populations d'Afrique du Sud après la fin de l'apartheid), superbement traité, avec Matt Damon en capitaine des Springboks et surtout un Morgan Freeman plus impressionnant que jamais dans le rôle de Mandela.



Travellings au ras de l'océan (à compléter)

1983 : début de Sudden Impact.

 


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