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Michel ONFRAY (né en
1959)
L'intérêt du travail de Michel Onfray durant des années étant réel, je maintiens cet article à titre historique, même si certaines de ses positions actuelles et notamment la manière abjecte dont il a lâché Mélenchon en pleine campagne présidentielle de 2012 me le rendent aujourd'hui aussi méprisable qu'un type comme Philippe Val que j'ai lui aussi pourtant admiré autrefois.
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Contre-histoire de la Philosophie
(Cycles de conférences de l'Université populaire de Caen, édités en CD)
Signale que Platon voulait faire un autodafé des oeuvres de Démocrite.
"L'eudémonisme suppose qu'il s'agit de fabriquer un individu heureux d'être avec lui-même, heureux d'être avec les autres, heureux d'être dans le monde." Ce qui nécessite de faire la paix avec ces trois instances.
Démocrite et, plus tard, Apollonius de Tyane, faisaient des prédictions, mais uniquement pour montrer les possibilités de l'observation alliée au raisonnement logique pour saisir les rapports de causalité. Le second, par exemple, annonce qu'une charrette de blé approche de la ville, ce que la suite confirme. Il explique alors : "Je pourrais vous dire que je suis capable de lire dans l'avenir et exploiter votre crédulité. Mais j'ai simplement vu qu'avec le blé qui tombait, des oiseaux arrivaient en assez grand nombre pour que j'en déduise qu'une charrette de blé approchait de ce côté."
A propos du conseil de Démocrite de ne surtout pas faire d'enfants, Onfray rappelle cette réponse de Freud à une dame qui lui demandant des conseils d'éducation : "Faites n'importe quoi. De toute façon, quoi que vous fassiez, ce sera raté."
Pour définir le ressentiment : le fait d'être incapable d'habiter sereinement le présent, l'instant, et de parasiter en permanence le présent avec du passé récurrent.
Reprenant l'opposition classique entre Démocrite riant et Héraclite pleurant, et la rapprochant de l'opposition matérialisme/idéalisme (philosophie du réel contre philosophie des arrière-mondes), Onfray souligne aussi que la première catégorie a tendance à cultiver la clarté du propos (ce que j'associerais volontiers à la volonté de faire réfléchir et évoluer ses interlocuteurs) tandis que la seconde cultive souvent l'obscurité (volonté d'enfumer et de maintenir dans l'ignorance).
Les réparties d'Aristippe de Cyrène :
- comme on lui reprochait d'être entré dans un bordel : "Le problème n'est pas de rentrer dans un bordel, c'est de savoir en sortir."
- comme on lui reprochait d'être un mauvais père et ne pas assez considérer ses fils qui étaient pourtant sortis de lui, il crache au visage de son interlocuteur : "Ceci aussi est sorti de moi et je ne trouve pas cela plus intéressant pour autant."
La notion grec de kairos : l'instant propice. Ne pas savoir saisir l'instant, la grande faute hédoniste, contient en soi sa punition car l'instant ne se représentera jamais.
Hégésias, "le Cioran de l'Antiquité", était si pessimiste que ses cours provoquèrent des épidémies de suicide. Le roi Ptolémée décida de les interdire pour arrêter l'hécatombe.
Contre l'approche stoïcienne qui consisterait à se préparer à la mort en "mourant" de son vivant, en vivant comme si on était déjà mort (idée cependant intéressante à certains niveaux), Onfray souligne que "le néant dure assez longtemps (après la mort) pour qu'on n'ait pas besoin de le distiller au quotidien dans notre existence."
Sa conférence (II-10 en version CD) sur la critique de l'amour-passion chez Lucrèce et la proposition d'un "couple ataraxique" est vraiment passionnante et fondamentale.
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Spinoza. "Persévérer dans son être", augmenter sa puissance d'agir, sa propre perfection. Pour cela, éviter les passions tristres et cultiver les passions joyeuses (qui parmettent l'adhésion au monde).
Passions tristes : haine, honte, mépris, douleur, mélancolie, aversion, horreur, dérision, désespoir, dédain, crainte, humilité, déception, respect, pitié, appréhension, indignation, pudeur, envie, stupeur, vengeance, colère, blâme, cruauté, repentir, dépréciation de soi, jalousie.
Passions joyeuses : gloire, admiration, gaieté, vénération, amour, dévotion, espoir, reconnaissance, gratitude, amour-propre, contentement, sécurité, inclination, faveur, orgueil, miséricorde, louange, satisfaction intérieur, "humour" (c'est Onfray qui hasarde le terme).
(intéressant, mais c'est tout de même un peu le jeu des sept erreurs, sa liste, au Baruch !)
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Dans son nouveau cycle de conférences, portant cette année sur le XVIII° siècle, Michel Onfray rappelle d'abord que les plus connus des philosophes des Lumières étaient plus modérés qu'on ne le croit généralement, qu'aucun n'a jamais souhaité une quelconque révolution politique et sociale, que Voltaire était partisan de la peine de mort pour les athées, que la plupart ne souhaitaient finalement la liberté d'expression qu'à leur usage restreint et salonnard.
Bref, le PS de l'époque.
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Selon Voltaire, le curé athée Jean Meslier "va jusqu'à comparer le Christ à Don Quichotte et Saint Pierre à Sancho Pança".
Michel Onfray évoque l'expédition de Maupertuis au Pôle Nord, montée à grands frais dans le but de confirmer les théories de Newton sur la forme des pôles et de l'équateur. Maupertuis séduit deux lapones à qui il promet le mariage. L'affaire se sait en France, d'autant que les lapones débarquent peu après lui pour se faire épouser et qu'il les case dans un couvent : malgré la justesse de ses mesures scientifiques, tout cela le discrédite totalement. En outre, la seconde expédition, dirigée par un compère de même acabit, qui devait se rendre à Quito, s'est arrêtée en Martinique, où les braves savants tombent amoureux, claquent l'argent de l'expédition, etc.
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Le réformisme d'Helvétius, défini par Onfray, suppose qu'on s'attaque à la racine (éducationnisme), tout en changeant les choses, qu'on les améliore et qu'on réduise les injustices "au coup par coup, régulièrement, tranquillement, continûment, insensiblement et sans jamais s'arrêter".
Sur l'éducation, qu'il estime fondamentale, Helvétius prend soin de préciser qu'elle ne permet de constituer qu'une majorité éclairée (on est loin aujourd'hui de pouvoir parler de "majorité", mais passons) et qu'elle n'est en rien capable de créer des génies, le génie ne pouvant être que le fruit des hasards de l'existence, de "causes imperceptibles", et non d'une programmation parfaitement contrôlable. Sans rentrer dans le débat de la nature du génie, l'idée mérite notre attention, ne serait-ce que pour appeler à un peu plus de modestie les princes des "sciences de l'éduc" (comme on dit vulgairement) et de l'éducation totalitaire.
Le même Helvétius définit le mariage comme "le tableau de deux infortunés unis ensemble pour faire réciproquement leur malheur".
Explications rationnelles suggérées par D'Holbach à propos de certains épisodes bibliques : Marie enceinte d'un soldat romain (idée qu'on retrouve chez les Monty Python dans La Vie de Brian ...), Jésus chassant les marchands du temple en réalité pour nourrir ses apôtres, ce qu'Onfray résume ainsi : "il fout le bazar, il renverse les tables, il attire l'attention sur lui, et pendant ce temps là les apôtres profitent du bazar et piquent l'argent."
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Onfray dénonce les délires de pas mal de structuralistes à propos de Sade : des gens focalisés sur le texte et qui n'ont pas voulu voir la réalité biographique, ainsi que le discours féodal et proto-fasciste. Des gens "de gauche", évidemment.
Il signale au passage que c'est pas l'intermédiaire de Laval, auvergnat, qu'est apparue la prononciation "fachisme".
Etudiant les rapports entre Sade et le fascisme, il conclut : "la crainte de l'impuissance (qui est déjà en soi une impuissance) génère une puissance surjouée", phénomène commun au sadisme, aux fascismes, au machisme,... Il suggère aussi que cet érotisme nocturne liant mort et sexualité est un retour du refoulé chrétien (cf. aussi Bataille, catholique).
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J'accroche moins aux cycles suivants, sur les périodes plus récentes (cela tient à mon relatif manque d'intérêt pour les auteurs traités, mais aussi au côté parfois brouillon, approximatif et réducteur d'Onfray, pas toujours très habité par son sujet), mais celle qu'il consacre, à propos de Bentham, à L'Utopie libérale, est superbe, à réécouter : très belle analyse du libéralisme.
A compléter par la fin ("le legs d'Owen") de la 3° conférence consacrée à Robert Owen, Le Bonheur progressiste.
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Chez Fourier, la girafe représente la Vérité qui, par son grand cou, s'élève vers les hauteurs et surmonte les erreurs. Mais la Vérité, comme les bois courts de la girafe, est sectionnée par l'Autorité et l'Opinion. En Civilisation, la girafe est donc totalement inutile, contrairement à la contre-girafe, qui est un renne. D'autre part, les planètes copulent, par jets d'arôme.
A côté de ça, étonnant modernité des dangers écologiques dénoncés par Fourier dès le début du XIX° siècle (sols et nourriture empoisonnés, produits frelatés, déréglement climatique,...) et intérêt de sa manière d'utiliser positivement les perversions de chacun (celui qui aime faire couler le sang et tailler dans la bidoche sera plus épanoui et plus utile en étant boucher qu'en devenant un assassin).
La conférence intitulée "Bakounine l'anti-marxiste anarchiste" a le mérite de nous aider à relativiser la sympathie que tend aujourd'hui à susciter le communisme "vaincu" chez les adversaires du libéralisme. La logique dogmatique d'un Besancenot, qui compromet lourdement les chances d'un véritable front de gauche, nous rappelle elle aussi que, s'il fait une critique pertinente de la société capitaliste, le communisme n'en est pas moins un danger potentiel dès qu'il se rapproche du pouvoir.
Pour Bakounine, critiquant la "dictature du prolétariat", un bourgeois qui n'a pas le pouvoir est préférable à un prolétaire qui l'a.
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Autre conférence à mes yeux fondamentale, dans le cycle consacré à Thoreau, celle intitulée "Comment mener une vie philosophique", en particulier la seconde moitié.
Le même Thoreau suggérait d'inverser le schéma judéo-chrétien de la semaine : un jour de travail, six jours de repos.
Pour Schopenhauer, le désir est partout et tout n'est donc que souffrance (du désir frustré) et tristesse (du désir assouvi) : "L"ennui a sa représentation sociale le dimanche, et la souffrance le reste de la semaine."
Onfray : "Il y a des façons socialement acceptables de gérer la pulsion zoophile : devenez vétérinaire, par exemple, c'est plus facile que de sodomiser des vaches ... Plus facile socialement, je veux dire, parce qu'elles se plaignent rarement."
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Jean-Marie Guyau, comme en une réponse anticipée à la théorie du don de Mauss (très diffusée, mais tout de même fondée sur une généralisation à partir de la pratique de quelques ethnies seulement, celle du potlatch), développe une théorie du don comme débordement de l'énergie vitale, observant que la jeunesse a tendance à vouloir donner beaucoup, tandis que les vieux (qui auraient logiquement plus à donner) ou les malades donnent peu, parce qu'ils sont affaiblis.
Guyau considère aussi que les enfants sont doués pour le plaisir solitaire (au sens large, évidemment) et que c'est donc la marque de l'âge adulte que d'être capable d'un plaisir partagé.
Onfray a généralement (en particulier dans ses séances de questions-réponses) des positions républicaines, et il trouve visiblement assez de choses intéressantes chez Guyau pour avoir eu envie de lui consacrer six séances, mais il y a dans ces séances une sorte de projet assez douteux. Sous l'influence peut-être d'une certaine idéologie contemporaine qui ne voit rien de plus abject au monde que la III° République, qui juge le passé à l'aune des valeurs d'aujourd'hui (cf. ce que dit Muray de ce genre de guignols), ou peut-être pour faire un peu l'intéressant en mettant en avant une théorie un peu provocatrice, Onfray cherche régulièrement à "prouver" ce qu'il semble avoir décrété a priori, à savoir que Guyau, idéologue de la III° République, prépare le régime de Vichy.
Par exemple, on trouve dans certains de ses ouvrages, en particulier ceux destinés à la jeunesse, des préceptes moraux fondés sur des valeurs telles que le Travail, la Famille ou la Patrie. Fichtre ! Mais quelle proportion de la population française n'estimait pas ces valeurs fondamentales à l'époque de Guyau ? Limiter l'idéologie de Vichy à cette devise n'a aucun sens : cette devise n'est symptomatique de Vichy que si l'on considère ce qu'elle remplaçait, mais ceux qui défendaient la Liberté, l'Egalité et la Fraternité à la fin du XIX° siècle n'en rejetaient pas pour autant Travail, Famille et Patrie et il est bien singulier de s'étonner de leur présence chez un auteur comme Guyau.
Autre exemple des approximations dont Onfray est parfois coutumier mais qui habituellement me choquent moins car elles ne me semblent pas déformer à ce point la réalité : voulant absolument trouver de l'antisémitisme chez Guyau, il exhume une citation dans laquelle Guyau dit que l'avarice est très présente chez les paysans français et chez les Israëlites. Bref, le bon vieux cliché qui était dans la tête de tout le monde à l'époque et qui ne suffit tout de même pas à faire des antisémites (ni des anti-paysans français, je suppose). C'est un peu comme ces crétins qui ont voulu se faire un nom il y a quelques années en découvrant des antisémites un peu partout parmi les personnalités du passé et qui, parce qu'il n'échappe pas aux clichés de son temps et présente parfois un personnage de juif forcément avide et usurier, ont carrément décidé de taxer Zola, le défenseur de Dreyfus, je le rappelle à tout hasard) d'antisémitisme. Rien de nouveau, donc, mais il est un peu dommage de voir Onfray tomber dans ce genre de sophismes.
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Nietzsche. Le concept d'amor fati peut s'avérer intéressant et utile si on lui donne un sens fort. Il ne s'agit pas seulement de se résigner à ce qui advient, mais véritablement de s'efforcer d'aimer, avec force, avec enthousiasme, ce qui est et ce qui advient, bref de convertir à notre avantage, et autant qu'il nous est possible, les éléments subis et non-maîtrisables de l'existence en sources de plaisir.
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Michel Onfray à propos de la mythologie de Jean Genet :
"Ca marche moins quand vous découvrez qu'en fait ce prétendu bandit de grand chemin est allé en prison parce qu'il ne payait pas ses billets de train. On est loin de Lacenaire et de ce genre de choses. Et puis il a fini avec une Légion d'Honneur remise des mains de Jack Lang, donc c'est vrai que ça vous fait pas un délinquant haut de gamme tout ça."
Le même Onfray :
"Le jour où les gens auront compris qu'il y a peut-être d'autres solutions que de foutre le feu à la bagnole du voisin, mais qu'on peut peut-être descendre à plusieurs et foutre le feu dans les magasins de l'avenue des Champs-Elysées, alors à ce moment-là on verra que peut-être une vraie politique, digne de ce nom, à droite comme à gauche, n'a pas été pratiquée et qu'on récolte un jour ce qu'on a semé."
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Formule synthétique de Michel Onfray sur la charité : "C'est l'occasion de ne pas assurer le règne de la justice."
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Lors d'une des réunions de la Société psychanalytique de Vienne, consacrée à certains textes de Nietzsche et dont Onfray étudie le compte-rendu, certains intervenants évoquent des éléments qui préfigurent les théories de Freud, lequel s'empresse de préciser qu'il n'a jamais lu Nietzsche (Onfray estime que tout indique le contraire mais que Freud a cherché, ici comme ailleurs, à nier les influences pour renforcer son mérite propre). Le dernier à prendre la parole, Stekel, "a tendance à voir une sorte de confession dans le fait que Nietzsche cautionne les glandules de houblon et le camphre."
Lors d'une autre séance consacrée à Nietzsche, quelqu'un déclare (sans rire) : "Sans connaître la théorie de Freud, Nietzsche en a senti et anticipé beaucoup de choses."
Concernant les reproches faits à Freud, si certains méritent, s'ils sont justifiés, d'être pris en compte, d'autres me semblent assez vains. Que Freud ait envie d'effacer certaines traces, certains influences, certains errements passés, cela peut au moins se comprendre, car c'est ainsi qu'agissent la plupart des gens : c'est tout bêtement humain. La véritable question à se poser est celle de l'utilité des théories freudiennes (même en admettant, au pire, que Freud n'ait rien inventé du tout), de leur validité. Or, il semble évident que ces théories nous aident à comprendre bien des choses. Leur validité peut d'ailleurs être toute relative et elles doivent certainement être nuancées, infléchies, corrigées, sur bien des points, et c'est d'ailleurs à quoi se sont employés les successeurs les plus intéressants de Freud. L'idée selon laquelle ces théories ne conviennent qu'à l'étude du psychisme de Freud lui-même est évidemment excessive, mais on peut en effet considérer qu'elles ne prennent en compte qu'un certain type de psychismes, qu'elles tendent à ramener les autres à ce modèle unique : mais cela fait partie justement des nuances à apporter. Bref, il est peut-être exact que Freud était sur bien des points un sale type, un menteur, voire un imposteur, mais peu importe si ces théories (ou celles qu'il présente comme siennes) constituent un outil de compréhension efficace de la psychologie humaine.
Les éventuels mensonges concernant l'efficacité des cures posent un autre problème, mais qui ne remet pas en cause la valeur des théories. Il est possible en effet que "comprendre" ne conduise pas nécessairement à une "guérison" (et les psychanalyses interminables l'illustrent bien), mais il est indéniable que, dans la plupart des cas, cela aide du moins à mieux vivre avec ses problèmes. Quant au degré d'efficacité de la cure, je pense qu'elle dépend moins ici de la validité théorique de l'analyse que de la capacité du psy et, surtout, du patient, à faire concrètement quelque chose de cette compréhension. On peut parfaitement comprendre un problème sans être capable de le surmonter véritablement, ne serait-ce, dans les pires des cas, que parce que l'on est trop abîmé pour pouvoir y faire quelque chose.
Dans une de ses nombreuses lettres à Fliess, Freud évoque ses expérimentation sur l'hypnose : "J'ai en ce moment, allongée devant moi, une dame sous hypnose, et je puis donc tranquillement continuer à écrire."
Le verrouillage sophistique freudien : "la doctrine inclut une lecture doctrinaire du refus de la doctrine" (certains de ces sophismes sont d'ailleurs utilisés également, mutatis mutandis, dans d'autres domaines).
1 - Toute opposition venant d’un individu non analysé est nulle et non avenue.
2 - Toute résistance à l’analyse signale un névrosé dont, de fait, le propos est invalide.
3 - Toute critique de la psychanalyse repose sur une critique de Freud qui était juif, elle est donc toujours suspecte d’antisémitisme.
4 - Toute critique émanant d’un tiers exclu du couple analyste/analysé est infondée.
5 - Tout échec de la psychanalyse est imputable au patient, jamais au psychanalyste.
6 - Une psychanalyste ne peut échouer que parce qu'il n'y a pas encore eu assez de psychanalyse (pas allée assez loin, ou analyste pas encore assez chevronné,...)
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2010-2011 : "On pense aujourd'hui qu'être agrégé de philosophie ça suffit pour faire un philosophe. Quand quelqu'un a l'agrégation d'anglais, on ne dit pas qu'il est anglais !"
Erich Fromm : "Qui n'éprouve pas le bonheur d'être vivant cherche à se venger et préfère détruire la vie plutôt que de sentir qu'il n'a pas réussi à donner un sens à la sienne. Il vit certes physiologiquement ; pour ce qui est de l'âme, il est mort."
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Georges Politzer, comme on lui opposait qu'on ne pouvait parler de la psychanalyse si l'on n'était pas soi-même psychanalyste, répondit : "cela revient à dire que ceux-là seuls auraient le droit de se critiquer entre eux qui n'en ont aucune envie."
On lui objecte également que la psychanalyse n'a pas à faire l'objet d'un discours philosophique, mais qu'elle est une thérapie qui doit se faire comprendre des malades. Politzer réplique que "la physique n'est pas faite pour être comprise des atomes et qu'une science en général n'élabore pas ses théories en s'adaptant à la mentalité de son objet : sans cela, ne pourrait être érigée en théorie vétérinaire par exemple qu'une théorie pouvant être comprise des boeufs."
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ONFRAY ET LE PEDAGOGISME
Suite à une question d'auditeur, dans le cadre du cycle consacré à Thoreau, Michel Onfray répond des choses qui m'enchantent au sujet de la théorie fumeuse de l'élève construisant son propre savoir.
Déjà dans la 4° conférence de la série VI (en CD), après avoir parlé des travaux du neuro-biologiste Jean-Pierre Changeux et du fait que le cerveau doit dès l'enfance être stimulé, entraîné, "formaté" pour le travail intellectuel, Onfray déclarait : "Pour l'instant, à l'école, ce n'est pas ce qui se passe : on met les mains dans le truc, on joue à Picasso, on fait des petites saynètes, et on passe à côté de cette potentialité du cerveau, qui, n'ayant pas été stimulé comme il devrait l'être, devient ce que ça devient ... c'est-à-dire une espèce de pot de yaourt, pour beaucoup. A quoi vous ajoutez la télévision, et alors là, c'est passé au mixer, le pot de yaourt !"
Autre développement intéressant sur la culture et l'éducation dans la série XVI (sur les freudiens "hérétiques"), dans la deuxième séance de réponse aux auditeurs.
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L'Art de jouir
Hieronimo Borro, "pressé" par l'Inquisition d'avouer qu'il y avait quelque chose au-delà de la huitième sphère, finit par répondre : "s'il y a quelque chose au-delà de la huitième sphère, ce ne peut être qu'un plat de macaroni."
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Traité d'athéologie
Michel Onfray montre à merveille que les trois monothéismes sont fondamentalement haineux et intolérants. Leur apparente douceur actuelle étant due au seul fait que les progrès de la science et de la démocratie aux XIX° et XX° siècles ne leur ont pas laissé d'autre choix, du moins en Occident. Mais il ne faut pas désespérer : ils sont en train de se refaire une santé.
Onfray évoque, entre autres choses peu diffusées, les rapports étroits entre le Vatican et le régime nazi. Un film comme "Amen" de Costa-Gavras, qui a pourtant suscité tant de tintouin chez les sectateurs de l'Eglise Papologique, ne fait qu'effleurer le sujet en suggérant que le Vatican a simplement "laissé faire", par une prudence toute diplomatique. Selon Onfray, il y a chez Pie XII et l'élite dirigeante de l'Eglise d'alors un véritable accord de fond avec l'antisémitisme nazi, et une collaboration active avec la politique d'extermination (mise à disposition des nazis des fichiers d'archives généalogiques de l'Eglise pour mieux distinguer le bon grain chrétien de l'ivraie judéo-maçonnique).
Après la chute du régime nazi, l'Eglise continue à le soutenir comme elle soutiendra tous les fascismes du siècle, toutes les dictatures du monde pourvu qu'elles ne soient pas communistes. Elle organise des filières d'évasion pour les nazis et en intègre même dans sa hiérarchie.
Concluons avec quelques comparaisons éclairantes.
L'Eglise, avec Pie IX et Pie X, condamnait les doits de l'homme comme contraires à ses enseignements. En 1949, , Pie XII excommunie en masse les communistes du monde entier (qui s'en foutent un peu, dans l'ensemble, mais bon) ; jamais aucun nazi de quelque rang que ce soit n'a été excommunié. "Aucun groupe n'a été exclu de l'Eglise pour avoir enseigné et pratiqué le racisme, l'antisémitisme ou fait fonctionner des chambres à gaz."
"Mein Kampf" n'a jamais été mis à l'Index Librorum Prohibitorum, contrairement à Bergson, Gide, Beauvoir, Sartre et même Pierre Larousse pour son atroce "Grand Dictionnaire universel".
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2016.
Tout en conservant le plus souvent un discours pertinent, Michel Onfray dérape malheureusement de plus en plus souvent, mais je ne vais pas en tenir le compte ici. Je reviens simplement sur quelques points contestables mineurs.
* Onfray se plaît à dire que le véritable athéisme est très récent, même si l'Eglise qualifiait jadis d'athées des gens qui étaient simplement panthéistes, déistes, etc. Mais la chose, la négation totale de l'existence de quelque dieu que ce soit, n'apparaît que très tardivement, chez quelques rares individus au XVIII° siècle, la plupart des philosophes des Lumières restant quant à eux déistes. Il a certainement raison sur cette évolution, mais il semblerait qu'il faille nuancer : c'est là l'évolution au sein des sociétés chrétiennes. Mais il a pu y avoir un athéisme auparavant dans d'autres cultures (simple hypothèse), et il semble qu'il y en ait eu déjà dans l'Antiquité méditerranéenne païenne. Je lis en tous dans l'Icaroménippe ou le voyage aérien de Lucien de Samosate la phrase suivante : "Quelques uns, allant plus loin encore, étaient persuadés qu'il n'y a pas du tout de dieux et laissaient l'univers aller son train sans guide et sans maître."
* Lors de l'année consacrée à mai 68, répondant à quelqu'un qui lui demandait comment il voyait l'avenir, Onfray faisait tout un développement sur le fait qu'une civilisation croît puis décroît, puis est remplacée par une autre. Il décrit l'évolution de notre civilisation chrétienne européenne depuis Constantin jusqu'à nos jours, avec une décadence qui s'amorce environ à la Renaissance, avec la remise en cause progressive des dogmes et de la Foi. Il souligne qu'aujourd'hui plus personne en Europe n'est prêt à mourir pour défendre sa "civilisation" et pense (évidemment) qu'une religion plus jeune et plus dynamique comme l'Islam est vouée à devenir la prochaine grande civilisation. Il y a beaucoup de choses intéressantes et probables dans cette analyse (certes rapide et improvisée, lui-même le souligne), mais j'ai tendance à voir les choses un peu autrement. Ce qui décrit Onfray ici, ce sont des civilisations au sens de "cultures communautaires fondées sur une foi forte qui leur donne la force de s'étendre et de s'imposer." J'ai envie de proposer une définition alternative et de définir la civilisation comme ce qui nous éloigne toujours davantage de la bêtise et de la barbarie. En ce sens, l'Islam a été beaucoup plus civilisé au Moyen Age qu'il ne l'est aujourd'hui, notamment cet Islam "dynamique et virulent" du salafisme et du jihadisme : que son énergie stupide soit une force, c'est indéniable, mais ça n'en fait pas une "civilisation" plus intéressante, simplement plus dynamique. Quant à l'Europe, l'analyse historique d'Onfray est juste pour sa définition mais ne l'est plus pour la mienne : oui, la civilisation européenne s'affaiblit (comme tout groupe, comme tout être) en perdant ses certitudes, mais c'est ainsi qu'elle devient une civilisation meilleure. Oui, l'Humanisme est le début de la décadence d'une civilisation conquérante et sûre d'elle, mais il est aussi (et surtout) le début d'une évolution de cette civilisation vers plus d'intelligence, de tolérance, etc. La civilisation européenne qui m'intéresse n'est pas chrétienne (même si le christianisme a également, d'une certaine façon, joué un rôle positif dans sa construction), elle est fondée sur l'Humanisme et sur les Lumières. Cette civilisation est indéniablement moins dynamique, moins conquérante, moins forte, que la civilisation chrétienne du Moyen Age, mais elle est infiniment plus souhaitable, plus agréable à vivre (et le serait encore davantage si l'on se décidait à limer les dents du capitalisme). Onfray a raison dans la description des processus historiques : c'est généralement ainsi que les choses se passent (encore faudrait-il nuancer car cette vision se fonde essentiellement sur le modèle de la chute de l'Empire romain). Mais le triomphe d'une civilisation plus conquérante sur une civilisation devenue moins sûre d'elle, c'est la perpétuation d'un cycle sans fin, où chaque nouvelle civilisation qui devient dominante éblouit surtout par sa bêtise et ses capacités d'intolérance, jusqu'à ce qu'elle s'affine, se mette à douter d'elle, bref s'affaiblisse et soit finalement remplacée par une autre, etc. Au lieu de regarder les seuls faits, la manière dont les choses se passent habituellement, j'ai envie de considérer ce qui est non pas probable mais souhaitable. Ce qui est souhaitable, c'est que les idéaux des Lumières, qui sont universels quoi qu'on en dise, quoi qu'aient envie d'en penser certains, s'étendent à toute l'humanité, s'adaptent à toutes les cultures, pour que nous sortions de cette logique de conflit entre "civilisations", faisant passer avant les intérêts particuliers des "civilisations" l'intérêt commun qui est LA civilisation. Et l'humanité est (ou était, puisque nous régressons malheureusement ces derniers temps) déjà en partie sur la bonne voie, avec des institutions comme l'ONU, avec le développement d'une coopération internationale, coopération souvent détournée au profit d'intérêts économiques privés, mais il n'empêche que les mentalités ont bel et bien évolué dans ce sens. Cette évolution est un progrès indéniable : les dysfonctionnements de la mondialisation ont fini par recréer des tensions, des égoïsmes, des haines, du communautarisme belliqueux,... mais la solution est évidemment de lutter contre les dysfonctionnements qui produisent tout cela, pas de se résigner à observer le retour de la logique "historique" des "civilisations" qui se succèdent dans un cycle interminable.
OYSTER BAND
J'ai du mal à définir ce qui rend si agréable Oyster Band. Il y a sûrement à chercher du côté à la fois de la voix (grave, presque fantomatique) et de l'énergie musicale (la batterie, l'attaque des morceaux me semblent en général diablement efficaces). J'aime tout particulièrement leur album avec June Tabor, plein d'excellents morceaux, et en particulier Dives and Lazarus et la reprise de la Lullaby of London des Pogues (avec un punch a priori peu propice à la berceuse, mais peu importe ...) Et puis d'autres reprises réussies, de Love Vigilantes (New Order) à Star of the County Down.
C'est assez curieux. Autant je peux facilement expliquer ce que j'aime chez Green Day ou The Men They Couldn't hang (essentiellement le mariage mélodie-énergie) ou, dans un tout autre registre, chez Loreena McKennitt (le charme hypnotique et surnaturel) ou Alan Stivell (entre autres sa voix envoûtante et nasale, une voix de chaman, mêlée aux sons magiques de la harpe), autant j'ai du mal à analyser ce qui me plaît chez Oyster Band, tout en étant forcé de constater logiquement, au vu de ce que je viens d'écrire, que c'est sans doute justement le mélange de ces deux types de plaisir, quelque chose comme l'irruption du surnaturel dans le rock celtique.