William SHAKESPEARE (1564-1616)
Titus Andronicus
Il y a indéniablement quelque chose de comique dans cette surenchère de l'horreur. Et la scène 2 de l'acte V est clairement comique, où la reine Tamora et ses fils, vaguement déguisés, croient passer pour des divinités vengeresses auprès de Titus qu'ils croient fou. La remarquable mise en scène de la BBC ajoute à cette pièce sanglante un aspect glauque, inquiétant, qui est particulièrement réussi, dans les décors, les masques, etc.
Richard II (version BBC)
Superbes discours, de Jean de Gand mourant (John Gielgud), puis de Richard II (Derek Jacobi), qui cabotine tant et plus à partir de sa chute, entre douleur sincère et douleur jouée, tantôt abattu, tantôt indigné. Quant à York, sa loyauté bornée mais à géométrie variable en fait quasiment un personnage comique.
Henri VI (version BBC)
L'incroyable Peter Benson incarne à merveille la fragilité de ce roi, d'abord très effacé dans une première partie concentrée de manière plutôt comique sur la France, ses soldats fanfarons et sa Pucelle infernale. Puis il prend un peu de consistance dans la deuxième partie. C'est sans doute le seul personnage relativement sympathique qui reste dans la troisième, les autres étant morts (comme Gloucester) ou étant devenus tout à fait antipathiques avec le temps (et l'ambition), tels York ou Warwick. Ni bien ni mal, juste une confrontation d'individus capables du pire.
Richard III
L'adaptation de Laurence Olivier est intéressant, mais un peu trop théâtrale pour un film et un peu trop en Technicolor pour du Shakespeare. La bataille finale est un peu minable, faute de figurants : question effectifs sur le terrain, on dirait un match de foot en armures. A noter aussi qu'un des deux assassins de Clarence est interprété par le bien nommé Michael Ripper.
On pourra préférer la version modernisée de Richard Loncraine, avec (outre Maggie Smith et Jim Broadbent) l'excellent Ian McKellen dans le rôle-titre, aussi noir et affreux dans ce film qu'il est sage et bonhomme en Gandalf dans Le Seigneur des Anneaux.
Henri VIII est une pièce un peu ennuyeuse et assez peu shakespearienne : est-ce l'effet de la proximité plus grande des événements avec l'époque de l'auteur ? Bien des éléments manquent de clarté, sans doute justement parce qu'ils étaient encore bien présents dans l'esprit du public de l'époque.
Le Marchand de Venise
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"The man that hath no music in himself Nor is not moved with concord of sweet sounds Is fit for treasons, stratagems and spoils ; The motions of his spirit are dull as the night And his affections dark as Erebus : Let no such man be trusted." |
"L'homme qui n'a pas de musique en lui, Qui n'est pas touché par l'harmonie de doux sons, Un tel homme est fait pour les trahisons, les stratagèmes et la corruption ; Les mouvements de son âme sont sombres comme la nuit Et ses sentiments aussi ténébreux que l'Erèbe : Ne faites jamais confiance à un tel homme." |
Roméo et Juliette
Parmi les adaptations cinématographiques, celle de Zeffirelli n'est pas mauvaise mais choque parfois par son usage immodéré et injustifié du zoom (il paraît que c'est un trait d'époque : les types découvraient le zoom, alors ils l'utilisaient en permanence, comme des gosses avec un nouveau jouet, quoi) et celle de Baz Luhrmann est loin d'être inintéressante, même si elle fait souvent plus que friser le ridicule et l'artificiel avec sa mise en scène de vidéoclip et sa transposition forcée des époques : le texte de Shakespeare, respecté, y garde sa force, les scènes amoureuses (une des peintures les plus réussies du coup de foudre) compensent le ridicule des scènes de gangs.
Excellente version de la BBC, vive, dynamique, inspirée des tableaux italiens de l'époque. Alan Rickman, encore jeune et peu reconnaissable, joue Tybalt. La nourrice est formidable également : il s'agit de Celia Johnson, l'héroïne romantique de Brève rencontre, beaucoup plus âgée ici évidemment, contrairement à Rickmann, mais tout aussi peu identifiable au premier coup d'oeil.
La pièce est incontestablement magnifique, mais elle m'amène à me poser certaines questions.
D'abord, les personnages sont-ils vraiment romantiques ? Leur histoire l'est, indéniablement, mais pas eux, me semble-t-il, et si les circonstances ne leur étaient pas si contraires, ils ne demanderaient qu'à vivre paisiblement, voire "bourgeoisement", leur histoire d'amour.
D'autre part, que penser du tragique de cette histoire ? Inexorable fatalité ? Non. L'histoire d'Oedipe est celle d'un destin inéluctable, mais celle de Roméo et de Juliette ne l'est pas le moins du monde et on y est toujours à deux doigts de trouver une solution. Roméo résiste d'abord bravement à la tentation d'entrer dans le jeu de Tybalt et fait tout ce qu'il peut pour apaiser le conflit entre les deux familles. Evidemment, cela ne fonctionne pas et les circonstances malheureuses s'enchaînent, mais tout de même, il n'y a pas ici de véritable fatalité. Le subterfuge du prêtre pourrait a priori débloquer la situation et seule une nouvelle série de hasards, cette fois dérisoires, conduit stupidement à la mort des héros. On peut estimer que si Roméo avait un peu plus patienté et rationalisé,... s'il avait pris en particulier la peine de passer voir le prêtre pour s'assurer de la mort de Juliette, les choses ne tourneraient pas ainsi. Ce qui confirme que la littérature nous fournit d'excellents modèles à ne pas suivre, de salutaires avertissements (étant entendu que si les personnages de fiction se comportent trop intelligemment, il n'y a plus de romans, plus de théâtre, plus aucun récit intéressant).
La Tempête
Il y a dans cette pièce des scènes très drôles, en particulier avec le trio Caliban-Trinculo-Stephano. Caliban se répandant en serments de fidélité devant Stephano, qui lui a fait boire de son vin et qu'il prend pour un grand seigneur, suscite cette remarque consternée de Trinculo : "A most ridiculous monster, to make a wonder of a poor drunkard !" (C'est un monstre bien ridicule, de s'extasier ainsi devant un pauvre poivrot !)
Les Joyeuses Commères de Windsor
Le Dr. Caius est un personnage comique formidable, avec ses sempiternels "be gar !".
A l'idée de devoir l'épouser, Anne Page déclare aimer mieux "être enterrée vive et lapidée avec des navets" (bowled to death with turnips).
Troïlus et Cressida
Hormis à la fin, c'est davantage une comédie qu'une tragédie, avec une thématique homosexuelle très marquée et quelques personnages assez drôles, comme Ajax.
Les versions BBC de Macbeth et du Roi Lear sont (comme presque toujours) excellentes, avec en particulier John Shrapnel, formidablement bourru dans le rôle de Kent.
Timon d'Athènes. Belle pièce et belle réalisation de la BBC, dont je gardais encore un souvenir imprécis mais vif. Timon, c'est Jonathan Pryce, que je ne connaissais pas encore lors des lointaines diffusions de l'intégrale Shakespeare sur FR3 les samedis après-midi. On y retrouve deux acteurs sympathiques présents dans le Roi Lear. Norman Rodway, qui jouait Gloucester, interprète ici un philosophe cynique. John Shrapnel (Kent) est ici le général Alcibiade, un des rares vrais amis de Timon : cette fois encore, il est banni (le bannissement de son personnage est sans doute stipulé dans son contrat, comme le port du pyjama chez Jean Gabin seconde période).
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Des histoires de cons aussi dans l'oeuvre de Shakespeare. Rappelons qu'une oeuvre peut être ce que j'appelle une histoire de cons tout en étant une excellente pièce, ce qui est tout à fait le cas de Périclès, agréable roman-feuilleton théâtral, et plus encore du magnifique Conte d'hiver. Dans Périclès, outre diverses invraisemblances ,notamment temporelles, l'épouse du héros, crue morte lors d'une tempête, mise à la mer dans un coffre, est retrouvée sur un rivage et un médecin, comprenant qu'elle n'est pas tout à fait morte, la ramène à la vie. Fort bien. Aussitôt, que fait cette femme ? Elle décide de devenir vestale au temple de Diane voisin. A aucun moment elle ne songe à savoir si son époux et sa fille ont survécu à la tempête et, le cas échéant, à leur faire savoir qu'elle n'est plus morte. A aucun moment non plus, faute de savoir où retrouver Périclès, elle ne songe à se manifester auprès de son propre père, qui n'a pas bougé de son royaume et qu'elle peut donc trouver ou faire trouver aisément. Non ! Le père risquerait de retrouver et d'informer Périclès et cela empêcherait les émouvantes retrouvailles finales, qui doivent avoir lieu de manière inattendue et surtout quinze ans plus tard ! Bref, pour préserver le dernier rebondissement de la pièce, Shakespeare est obligé de faire en sorte que son personnage de reine se comporte absurdement.
Dans le Conte d'hiver, le roi Leontes a tout pour être heureux. Il n'y a pas le moindre problème à l'horizon, donc pas la moindre intrigue intéressante ... Heureusement, le roi Leontes est un peu con et il ruine tout son bonheur en se persuadant de façon délirante que sa femme le trompe avec son meilleur ami. Cela nous donne l'occasion de savourer l'irruption de personnages comme la revêche dame Paulina, bien décidée à engueuler son roi en lui disant ce qu'elle pense, et en l'occurence, elle pense comme moi que Leontes se comporte comme un abruti.
Leontes (aux hommes de sa suite, dont le mari de Paulina) : Force her hence ! (virez-moi cette emmerdeuse d'ici !)
Paulina (aux mêmes) : Let him, that makes but trifles of his eyes, first hand me ! (que celui qui ne tient pas à ses yeux mette le premier la main sur moi !)
Et puis, bien sûr, comme histoire de con(s), il y a Coriolan, l'une des pièces les plus déplaisantes de Shakespeare, avec un personnage ultraréactionnaire qu'on ne qualifiera pas de fasciste uniquement pour éviter un anachronisme, et qui a de qui tenir puisque sa mère est encore plus con que lui. La version BBC est d'excellente qualité et s'efforce de nuancer un peu le propos, mais il y a du boulot ...