1) Diverses reprises du mythe de l'Eden dans la littérature française
Il n'est pas rare que l'on retrouve dans un récit une structure narrative inspirée de celle d’un mythe, qu’il s’agisse d’un mythe judéo-chrétien, grec ou autre. Les situations humaines (du moins les situations humaines intéressantes et dignes de servir de sujet à un récit) étant limitées, il n’est guère étonnant de retrouver parfois, derrière un récit nouveau, un mythe connu.
Raymond Queneau, reprenant plus ou moins une idée de Michel Butor (qui ne parlait apparemment que de l'Iliade) suggérait d’ailleurs que tout récit était soit une Iliade (le récit d’un conflit), soit une Odyssée (le récit d’une quête). Ajoutons y Roméo et Juliette, et nous aurons trois grands mythes auxquels on peut ramener quasiment n'importe quel récit.
Les mythes ont généralement une valeur archétypale et illustrent des situations de base de la condition humaine. Il n’est donc pas surprenant de retrouver leur structure narrative dans d’autres contextes. Cependant, on ne saurait réduire la similitude entre un récit nouveau et un mythe antérieur à un simple hasard, surtout si le mythe appartient à la culture qui est justement celle de l’auteur et du lecteur. L’influence, consciente ou non, du mythe sur le travail de l’écrivain est dans ce cas plus que probable ; quant au lecteur, il est en droit de lire le récit en y voyant une adaptation plus ou moins fidèle de tel ou tel mythe connu de lui.
Ainsi, lorsque Zola, dans La Curée, nous montre l’attirance d’une femme pour le fils (né d’un premier lit) de son mari, nous reconnaissons facilement là le mythe de Phèdre. Lors d'une sortie au théâtre, les personnages iront justement voir une représentation de Phèdre, ce qui est pour Zola une manière de nous confirmer que la référence est parfaitement consciente.
Lorsque le même Zola (assez familier de ce genre de reprises) raconte, dans La Faute de l’abbé Mouret, l’histoire d’un prêtre amnésique qui, comme s’il venait tout juste de naître, découvre la vie et l’amour en compagnie d’une jeune fille, dans un immense jardin dont il sera chassé après avoir commis avec elle la "faute" qui donne son titre au roman et dont on imagine aisément la nature, le lecteur reconnaît le mythe d’Adam et Eve. Tout comme nous trouvons ce mythe dans le premier chapitre de Candide, où Voltaire nous montre son héros chassé (pour avoir succombé aux charmes de sa cousine Cunégonde) du château de Thunder-ten-tronckh, univers clos dont il n’était jamais sorti et qu’il considère naïvement comme un lieu merveilleux.
Dans ces deux cas, n’importe quel lecteur attentif peut déceler la référence mythique, parfaitement volontaire, et l’auteur lui facilite le travail en lui laissant des indices suffisamment clairs. Au début du chapitre II, Voltaire utilise l’expression « paradis terrestre » pour désigner ironiquement (ironie de sa part en tous cas) le lieu dont Candide vient d’être chassé. Quant à Zola, il nomme son jardin le Paradou, et ce n’est là qu’un indice parmi bien d’autres.
Mais dans le cas de Fantômas, la nature du texte, les conditions de sa production et de sa réception, laissent supposer que, s’il y a reprise de structures mythiques, c’est de façon essentiellement inconsciente. Souvestre et Allain n’ont fait, pressés par la nécessité d’imaginer sans cesse de nouvelles situations, que puiser dans des structures narratives appartenant à l’inconscient collectif de notre civilisation (1). Les échos bibliques y sont suffisamment nombreux pour mériter à notre avis que l’on s’y arrête, et il peut être intéressant de se demander dans quelle mesure ils n’ont pas contribué au succès de ces volumes, tant auprès du public populaire que d’un public plus cultivé.
Nous pensons que la grande force de Fantômas tient en grande partie à sa dimension "religieuse", aussi involontaire soit-elle, aussi mêlée soit-elle à une mise en scène grand-guignolesque. Ce qui distingue Fantômas des autres récits d'aventures du même genre, c'est que Fantômas est une incarnation du Mal absolu, donc de Satan ; c'est, plus précisément, que par leurs principes, les aventures de Fantômas permettent (je ne dis évidemment pas que tel est leur "intention") une interrogation confuse et inquiète sur la nature du Mal, d'un Mal souvent difficile à bien identifier puisqu'il est incarné par un criminel qui est également le roi du changement d'identité.
(1) : Certaines similitudes, presque trop belles pour être inconscientes, donneraient pourtant envie de supposer une volonté délibérée, parodique, canulardesque, quasi-sacrilège. Mais résoudre cette question dépasserait les limites de cette étude, aussi choisissons-nous a priori l’hypothèse minimale d’un écho inconscient.
2) Adam et Eve au Paradis terrestre
D'une certaine manière, on peut considérer que le couple primordial de la Genèse est représenté ici par le "couple" innocent que constituent les deux adolescents Charles Rambert (futur Fandor) et Thérèse Auvernois, tous deux séjournant avec insouciance dans un endroit appelé Beaulieu. Le Lot, la Corrèze, la Dordogne sont des indications plus réalistes que significatives, mais le nom de la propriété (beau lieu) est en revanche une façon atténuée mais claire de désigner une sorte de "paradis terrestre".
Si les noms et prénoms des deux personnages sont tout à fait réalistes dans le cadre français de l'époque, s'ils sont de toute évidence dépourvus de toute signification symbolique ou étymologique et peuvent de ce fait sembler avoir été choisis un peu au hasard, ils n'en contiennent pas moins des sonorités intéressantes qui peuvent faire supposer un choix dicté au moins inconsciemment par le souvenir de la Genèse. On retrouve en effet les voyelles des noms d'AdAM et EvE dans les noms de ChArles RAMbert (succession vocalique retrouvée telle quelle grâce à un -e- muet intermédiaire inaudible : CHARLRAMBERT) et de ThErEsE. Dans le cas de celle-ci, le é est redoublé et ne permet à aucune autre voyelle d'interférer : on conserve parfaitement la succession è/e du nom Eve. Pour compléter la ressemblance, le V absent du prénom se retrouve au début de son patronyme, AuVernois (débutant, comme Eve, sur un son vocalique). Tout ceci est évidemment imparfait et approximatif (les personnages auraient pu, plus explicitement mais aussi plus lourdement, être prénommés Adam et Eve) mais crée malgré tout une suggestion discrète et inconsciente.
Au chapitre II, on peut noter une évocation des anges : lorsque Charles et Thérèse vont chercher Etienne Rambert à la gare, un homme d'équipe les salue ainsi "Bonsoir, monsieur, mademoiselle, et bonsoir à vos compagnies" faisant ainsi "suivant l'usage de la Dordogne, allusion aux anges gardiens qui accompagnent, d'après les données d'une religion simple, chacun ou chacune." Un peu plus loin, Etienne Rambert évoque les "jours heureux" passés à Beaulieu et il est question de la clôture du parc, ainsi que d'une "petite porte à demi cachée", tous éléments qui font bien de Beaulieu un petit paradis, clos, protégé, isolé, marqué par le bonheur et par des présences angéliques. (1)
Thérèse est "la petite-fille de Mme de Langrune à laquelle depuis la mort de ses parents la marquise servait de mère" : la marquise de Langrune, propriétaire de Beaulieu, maîtresse de ce paradis terrestre, et qui reçoit ses amis le mercredi "depuis un temps immémorial" est bien sûr une première figure de Dieu, mère de substitution pour cette Eve privée de ses ascendants directs, mais aussi pour Charles, qu'elle héberge en l'absence de son père Etienne Rambert, parti en voyage (la mère de Charles étant quant à elle internée dans une "maison de santé"). Assez curieusement, le personnage positif de la marquise de Langrune porte un nom plutôt déplaisant (cf. Onomastique fantômassienne), dans lequel on retrouve le nom de Gurn : peut-être est-ce une façon de la marquer par avance comme victime de Fantômas ou d'indiquer une sorte de parenté symbolique entre la victime et son assassin (cf. plus loin).
Charles et Thérèse sont d'une certaine manière seuls et apparemment libres à Beaulieu, en l'absence de leurs parents, comme Adam et Eve quasiment livrés à eux-mêmes dans le jardin d'Eden. Lors de leur conversation, au chapitre II, Charles insiste sur cette absence parentale :
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Depuis trois ans, je l'ai (mon père) tout juste aperçu quelques minutes ... Il revient d'Amérique et avant d'y partir, il avait longtemps voyagé en Espagne (...) Je n'ai été élevé par personne à vrai dire ! (...) Si loin que je remonte dans mes souvenirs, je ne me rappelle de mes parents, que comme d'étrangers, vus de temps en temps, que j'aimais beaucoup, mais qui me faisaient un peu peur. |
L'évocation de la mère distante et mélancolique, "toujours silencieuse, triste, triste", pourrait aussi être un cliché à la Chateaubriand, mais les lignes que nous venons de citer décrivent surtout une situation qui pourrait également être celle d'Adam, placé dans l'Eden et n'y voyant presque jamais son créateur. En l'absence du père et de la mère, Charles a donc été "placé" à Beaulieu, comme Adam a été placé par Dieu dans l'Eden.
En outre, la "création" de Charles, sa naissance, est quasiment occultée. La marquise a retrouvé deux ans auparavant son vieil ami Rambert, apprenant qu'il était marié depuis vingt ans et qu'il avait un fils. A son arrivée à Beaulieu, Etienne Rambert déclare quant à lui : "Dire que je reviens ici à soixante ans, avec près de moi, un grand fils de dix-huit ans." C'est un peu comme si Charles avait été créé tel quel, jeune adulte (ce qui est d'ailleurs le cas du point de vue de l'écriture du récit).
Orpheline, Thérèse a connu une enfance assez semblable. On notera cependant dans son cas le mystère qui entoure sa mère, qui elle "aussi doit être morte" : "grand'mère le dit ... mais ... chaque fois que j'ai voulu demander des détails sur sa mort, grand'mère a toujours changé la conversation (...) Je me demande parfois si l'on ne me cache rien ... et s'il est bien vrai que maman ne soit plus de ce monde." Le mystère qui entoure le personnage de la mère de Thérèse devait sans doute être pour les auteurs une piste à exploiter ultérieurement (réapparaissant dans le quatrième volume, L'Agent secret, Thérèse souligne que Fantômas - dont elle n'ose prononcer le nom - est étrangement lié à toutes les affaires privées ou judiciaires concernant sa famille), piste qui sera abandonnée ou oubliée ; mais ce mystère concernant la filiation, cette interrogation sur l'existence ou la non-existence du créateur, enrichissent évidemment la dimension discrètement métaphysique de cette reprise d'un mythe biblique.
Exerçant une autorité assez vague et débonnaire, finalement assez peu présente pour les deux jeunes gens, la marquise occupe donc la première (si l'on excepte le cas très ponctuel et particulier du président Bonnet, cf. La Genèse de Fantômas) cette fonction divine et maternelle au début du roman, avant d'être assassinée et avant qu'Etienne Rambert, deuxième figure de Dieu, ne devienne ou redevienne le père des deux adolescents : père de Charles, il recueillera en effet Thérèse après la mort de la marquise. Il est mieux encore que la marquise l'équivalent du Dieu de la Genèse, créateur invisible et Père absent, qui ne se montre guère que pour sanctionner la Faute.
Etienne Rambert apparaît d'abord au tout début du chapitre II, lors de son départ de Paris, au moment où son fiacre est "à l'extrêmité du pont Royal", immédiatement associé, donc, à un lieu évoquant l'autorité et la grandeur. Simple hasard ? Plus significative est sa description physique, lorsque Charles et Thérèse l'accueillent à l'arrivée de son train :
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Sur le marchepied, un grand vieillard, d'aspect distingué, d'allure fière, les yeux étrangement vifs, le front remarquablement intelligent, élevé, l'attitude énergique, Etienne Rambert, se tenait. |
Ce vieillard majestueux correspond assez bien à l'image traditionnelle de Dieu, barbe blanche en moins. Les auteurs ont choisi de faire de lui un père âgé. En retrouvant ce fils, mais aussi Thérèse, il s'émerveille bien entendu de les retrouver grandis et exprime une fierté certaine (fierté reportée dans le cas de Thérèse sur la marquise) :
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Mais tu es un homme !... que tu as changé, mon garçon !... tu es tel que je te voulais, grand, fort ... Ah, tu es bien de mon sang !... Tu te portes parfaitement, hein ! (...) Toi aussi tu as bien changé depuis que je ne t'ai vue ... J'ai quitté une gamine, et voilà que je retrouve une jolie jeune fille. Peste ! je vais tout à l'heure faire des compliments à ta grand'mère, ma vieille amie ... |
Pour le dire en termes bibliques, contemplant sa création, "Dieu vit que cela était bon".
Il y a donc là deux figures apparemment complémentaires de Dieu en la personne de cette mère et de ce père plus ou moins symboliques. Ils donnent d'ailleurs plus ou moins l'impression de former une sorte de couple : leur relation passée demeure assez imprécise, la marquise le présentant comme "un vieil ami à moi, d'autrefois" et lui-même évoquant plus loin les "jours heureux" passés à Beaulieu.
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(1) : l'évocation des anges peut convenir à une vision simpliste et populaire du paradis, mais il faut rappeler que les chérubins n'apparaissent dans le mythe originel qu'après la Faute, non pour protéger Adam et Eve mais pour les empêcher de remettre les pieds dans un endroit où leur manque de tenue les a rendus tricards.
Le serpent, celui par qui la tentation arrive, son rôle sera évidemment tenu par Fantômas, ce Fantômas qui va attiser la curiosité de Charles, fasciné par sa personnalité mystérieuse et ses exploits. "Le jeune Charles Rambert (...) écoutait avec une attention extrême l'exposé du président."
Plus loin, comme la marquise s'inquiète de la présence des "enfants" durant cette conversation : "Le jeune homme avait compris qu'il convenait d'obtempérer au désir de la marquise, encore que la conversation l'intéressât vivement." Il y a bien là un interdit pour les deux jeunes gens, un arbre de la connaissance au fruit duquel ils n'ont pas droit, et c'est pourquoi on va les chasser gentiment du salon pour continuer la conversation entre adultes.
Lorsque, revenant au salon, Charles tente de relancer le sujet avec enthousiasme ("Ne parlez-vous donc plus de Fantômas ? c'est si amusant !"), le président Bonnet fait part de sa désapprobation, soulignant au passage la séduction dont est victime le jeune homme, tel Adam et Eve face au serpent :
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Jeune homme, je ne comprends pas votre attitude ! Vous paraissez séduit, électrisé, vous parlez de Fantômas comme de quelqu'un d'intéressant ... c'est, au moins, déplacé. (rappelons au passage que c'est lui-même qui a amené dans la conversation ce sujet qu'il considère à présent comme dénué d'intérêt, de même que Dieu prend bien soin de signaler à Adam et Eve l'arbre au fruit duquel ils ne doivent pas toucher) Voilà bien le produit de ces éducations modernes, de l'état d'esprit que crée la Presse, même la Littérature dans la jeunesse contemporaine ! On fait aux criminels des auréoles ; on leur taille une réclame fantastique, c'est véritablement inouï ! |
Puis, comme Charles se défend en qualifiant de captivants des personnages comme Vidocq, Cartouche ou Rocambole ("voilà des hommes !"), Bonnet en reste "abasourdi" et "éclat(e)" : "Mais vous êtes fou, absolument fou, mon garçon ! Vidocq, Rocambole !... Vous confondez la légende, l'histoire, vous mettriez dans un même sac les assassins et les policiers, vous ne faites point de différence entre le bien et le mal ..."
Cette dernière accusation est évidemment assez intéressante pour nous, même si le problème d'Adam et Eve n'est pas de ne pas faire cette différence entre le bien et le mal (ignorance qui garantit leur innocence), mais au contraire d'avoir goûté au fruit qui leur donnait la connaissance du bien et du mal. Mais au-delà de ces nuances morales (selon lesquelles Charles Rambert ne peut être considéré comme coupable s'il ne fait pas de différence entre le bien et le mal), le président Bonnet reproche bien entendu au jeune homme de n'avoir pas une saine approche de la morale.
Charles connaît ensuite une nuit agitée, toujours occupé par la pensée de Fantômas, "prodigieusement intéressé, curieux, désireux de savoir". La tentation mûrit, cette même tentation de "savoir" qui fut celle d'Adam et Eve. Durant cette nuit (et tandis que dans une autre pièce Fantômas, on le découvrira plus tard, est en train d'assassiner la marquise de Langrune), "soudain il (Charles) sentait passer sur son visage un souffle, puis rien !" : il y a là comme une présence surnaturelle, divine ou maléfique.
Charles explique ensuite à Thérèse qu'il était durant la nuit "très énervé, très inquiet à l'idée que papa arrivait ce matin", comme si, conscient de la faute que constitue déjà en soi cette curiosité pour le Mal, il redoutait déjà la colère de son créateur.
Cela supposerait presque (si Charles était vraiment coupable) une explication du Mal, de l'origine du Mal, par l'ennui, le besoin de sortir du quotidien, un peu à la façon dont Baudelaire s'exclame à la fin du Voyage :
En réalité, Charles ne commettra pas la Faute (du moins si l'on considère que la véritable Faute est l'assassinat de la marquise de Langrune et non le seul fait d'avoir ressenti de la curiosité pour Fantômas), mais il en sera soupçonné, accusé, il sera chassé du "Paradis", et tout cela justement parce que tout le monde se souviendra de son intérêt exalté pour Fantômas.
Le crime commis est mystérieux, inexplicable, un de ces crimes en lieu clos typiques du roman policier. Il suppose ici à la fois une terrible brutalité et une grande adresse. Tout ceci peut sembler renvoyer au surnaturel, au diable, peut-être plus précisément à un serpent, à la fois insidieux et puissant. Aucun serpent n'est véritablement en cause dans cette affaire, mais on peut observer que Fantômas en utilisera un dans les volumes suivants.
Après la découverte du meurtre, Charles et Thérèse sont conduits chez la baronne de Vibray, mais ce n’est encore qu’un simple prolongement de Beaulieu. Le retour sera rapide, Charles n'est pas encore chassé, mais c'est une première étape. Il se trouvera très rapidement accusé, au chapitre IV, par son propre père/créateur, comme Adam : "Mais avoue donc ! malheureux ! avoue donc, à moi ! ton père !"
La scène évoque Adam et Eve, mais aussi le meurtre d'Abel par Caïn. C'est aussi l'occasion de rappeler la faute initiale de Charles, sa curiosité pour Fantômas :
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- Sais-tu que tu as fait une impression détestable sur les amis de la marquise (...) - Oh ! mon Dieu ! (...) Est-ce parce que je me suis intéressé aux histoires policières, à Rocambole, à Fantômas ... - L'impression fut déplorable, reprenait Etienne Rambert. |
On notera enfin que dans cette version du mythe, l'élément féminin n'est guère là que pour recréer le couple édénique, mais Thérèse n'a qu'une fonction très limitée, dans le roman et plus encore dans l'adaptation du mythe du péché originel. Elle demeurera innocente. Ici, c'est Adam/Charles qui va connaître la tentation, puis la faute. D'une certaine manière, il est à la fois Adam et Eve dans sa fonction, de même qu’il sera plus tard Melle Jeanne : le travestissement, l'androgynie, l'équivoque seront fréquemment associés à son personnage (cf. L'Homosexualité dans Fantômas)
4) Satan sous le masque de Dieu
Mais la réalité est plus complexe, car le véritable Etienne Rambert a en réalité été assassiné par Fantômas, qui a pris sa place et qui va assassiner la marquise, d'où la parenté symbolique dont nous parlions plus haut entre la victime et son assassin, puisque Mme de Langrune sera assassinée par Gurn-Fantômas ayant pris l'identité de son "vieil ami" Etienne Rambert.
Ensuite, sous cette identité d'Etienne Rambert, il s'arrangera pour faire accuser de ce crime son "propre" fils. Il ne réapparaît guère que pour sanctionner la Faute de Charles, dont il sait en fait, et pour cause, qu’elle n’est pas la Faute de Charles.
Charles est donc à la fois le fils (biologique) de Dieu (Etienne Rambert) et de Satan (Fantômas ayant pris la place d'Etienne Rambert). Le mythe est donc totalement perverti : Adam/Charles, fils de Dieu/Etienne, est donc tenté par Satan/Fantômas, mais en réalité Satan/Fantômas a pris la place de Dieu/Etienne Rambert et c'est lui qui va à la fois commettre le crime et en accuser à tort Adam/Charles.
Le péché originel apparaît ici comme farce et manipulation, "killing joke". La tentation n'a pas eu lieu pour conduire Adam à la faute mais pour le discréditer et pouvoir le charger injustement d'une faute en réalité commise par le tentateur Satan lui-même, qui n'est autre que le Dieu en colère qui chassera ensuite Adam du paradis. Farce de Satan donc, mais aussi, étant donné l'identité entre Etienne Rambert et Fantômas, manipulation et mensonge de la part de Dieu lui-même (même s'il ne s'agit ici que d'un faux Dieu puisque Fantômas a pris son visage). A sa manière, dans les Ecritures, François Cavanna ne manque pas lui aussi de souligner la perversion d'un Dieu qui pousse ses créatures à la faute.