1) Créer des noms inquiétants
Lorsqu'il s'agit de créer un personnage particulièrement inquiétant, le nom qu'on lui donne a une importance certaine. Bibi Fricotin, Zozo ou Ségolène ne sont pas de très bons noms pour un Génie du Mal (*). Ce nom, ces noms dans le cas d'un personnage aux identités multiples comme celui qui nous intéresse, se doivent évidemment d'être inquiétants eux aussi.
Il y aurait toute une étude de linguistique comparée à faire sur ce sujet, car il semble évident que les connotations et les sonorités d'un même nom peuvent le rendre inquiétant dans une langue et amusant dans une autre. Nous en resterons cependant ici à la langue française.
La plupart des autres noms de Fantômas, qu'il s'agisse de ce qui est peut-être son véritable nom (Gurn) ou de ses nombreuses identités fictives (Chaleck, le Loupart,...) ont en général, pour une oreille française, un caractère inhabituel, voire une consonance étrangère. Dans une langue dominée par la voyelle E, en particulier dans les finales, on notera ici la fréquence des A-O-U, des finales masculines et des finales consonantiques, souvent dures (son K, R, voire double consonne comme dans GuRN).
On retrouve le même "exotisme sonore" dans le nom de Maldoror. Tous ces noms évoquent un peu les noms des démons traditionnels. Il faudrait éventuellement relever ces noms de démons, relativiser leur exotisme (on peut supposer que pour les auteurs de la Bible, par exemple, les noms des démons ou faux dieux n'avaient pas des consonances particulièrement étrangères mais renvoyaient soit à des réalités culturelles - les noms qui se trouvaient être ceux des dieux du voisin - soit à des racines étymologiques particulières évoquant le mal), et voir ce qu'on en retrouve dans les divers noms de Fantômas. On trouvera également de nombreux exemples tout à fait nets dans les noms inventés par un auteur anglo-saxon comme Lovecraft pour désigner ses créatures maléfiques : Cthulhu, Yog-Sothoth, Yuggoth, Azathot, Shub-Niggurath, Nyarlathotep, ... la plupart évoquant nettement la démonologie ou les dieux antiques de l'Orient (ce qui, dans la logique biblique, revient un peu au même, comme nous le disions).
Dans son Polycraticus (1159), Jean de Salisbury raconte comment, dans son enfance, il fut amené à participer à des cérémonies divinatoires, par un des prêtres chargé de son éducation. En rapportant ce souvenir, il dit, et cela évoque assez bien le pouvoir évocateur dont nous parlions, que ce prêtre prononçait "certains noms que, malgré mon jeune âge, je croyais reconnaître, à cause de leur caractère horrible, comme des noms de démons".
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Chaleck évoque aussi Vathek, non qu'il y ait sans doute référence à Beckford, mais simplement parce que la volonté de créer des sonorités inquiétantes a conduit les auteurs à des résultats assez voisins.
(*) : Dès 1910, Léon Sazie avait créé un personnage de génie du Mal à identités multiples qui préfigure Fantômas, mais qui s'appelait, moins efficacement, Zigomar.
2) Fantômas
Le nom de Fantômas lui-même est plus terne, même si on y trouve bien sûr clairement la référence au "fantôme" (tout comme on retrouve évidemment le "loup" dans le nom du Loupart). Il est moins terne cependant que le Fantômus de l'origine, à qui sa terminaison latine, encore trop familière, pouvait donner un côté plus désuet, plus érudit (un côté Professeur Nimbus ?) qu'inquiétant. Rappelons que c'est un hasard qui a transformé ce Fantômus assez plat en Fantômas, l'éditeur ayant mal lu le nom griffonné à la hâte par les auteurs qui venaient à peine de trouver le nom de leur futur personnage. Mais en entendant l'éditeur les féliciter pour cette trouvaille, ils se sont évidemment bien gardé de le détromper, sentant bien sans doute à quel point ce Fantômas était supérieur à leur Fantômus initial. Cela tient sans doute au caractère oriental, perse, “satrapique”, de cette finale en AS.
3) Fandor
Une finale encore plus intéressante cependant que ce AS, exotique mais un peu languissant, c'est celle de Maldoror, ce OR éclatant. Mais ici, c'est un autre personnage qui va l'assumer, un personnage positif : Fandor. Il s'agit d'ailleurs d'un pseudonyme trouvé par Juve pour lancer son protégé dans le journalisme, avec une référence explicite à Fantômas pour la 1° syllabe. C'est donc Fandor, l’Adam tenté du début (cf. Fantômas of the Paradise), celui qui combat Fantômas tout en ressentant face à lui plus de fascination que de peur, qui va porter ce nom aux sonorités exotiques et relativement inquiétantes, évoquant Maldoror. L’ambiguïté de Fandor a été d'une certaine manière soulignée par André Hunnebelle (et c'est à peu près là le seul intérêt de ses films en ce qui concerne notre sujet) à travers le choix d’un même acteur (Jean Marais) pour interpréter Fandor et Fantômas.
On pourrait toutefois s'interroger sur le fait que Fandor apparaît finalement comme un nom plus exotique qu'inquiétant. Dans quelle mesure est-ce lié au personnage lui-même ? Il semble bien que le même nom appliqué à Fantômas ne serait guère plus inquiétant. Difficile de mesure après un siècle jusqu'à quel point nous sommes conditionnés par notre connaissance du personnage pour apprécier son nom. On peut cependant suggérer que Fandor reprend le FAN de Fantômas mais s'arrête à temps pour faire disparaître la référence au "fantôme". Il ne reste plus que ce FAN qui suggère plutôt la vitesse et l'énergie du jeune journaliste (fend-d'or). Juve analyse d'ailleurs l'effet de ce nom en le donnant à Charles Rambert à la fin du chapitre XIX du premier volume :
"Il te faut (...) quelque chose de bref, avec un radical à consonance sourde, une terminaison qui chante ... ce sont les noms qui se retiennent le mieux (...) Que dirais-tu de garder la première syllabe du nom de Fantômas ? Fan ... c'est un bon radical ... Tiens, ajouta-t-il, cela me fait même trouver tout ton nom : Tu t'appelleras, si tu le veux ... Jérôme Fandor ..."
Ajoutons d'ailleurs que la présence d'un prénom contribue à rendre le nom moins inquiétant. Un Jérôme Fantômas serait évidemment lui aussi moins effrayant. Enfin, considérons que, débarrassé de l'évovation du "fantôme", l'exotisme du nom de Fandor va se concentrer sur l'OR, précieux plus qu'inquiétant et que ce même OR n'est peut-être si inquiétant dans le nom de Maldoror que parce que la première syllabe en est MAL.
4) Autres noms évocateurs
Le gardien de prison Nibet : évoque évidemment le gibet.
(A suivre ...)