LA LOGIQUE DE PORT-ROYAL - Deuxième partie : les Jugements
La deuxième partie se fonde sur un exposé grammatical pour rappeler que, dans toute proposition, les mots ont entre eux un rapport bien défini, dont il faut tenir compte.
On peut distinguer quatre grands types de propositions (désignées par convention par quatre voyelles) :
- l'universelle affirmative (A) : Tout électeur de l'UMP est un con.
- l'universelle négative (E) : Aucun électeur de l'UMP n'a le sens de l'intérêt collectif.
- la particulière affirmative (I) : Certains électeurs de l'UMP savent très bien où est leur intérêt personnel.
- la particulière négative (O) : De nombreux électeurs de l'UMP n'ont pas compris qu'ils votaient ainsi contre leur propre intérêt.
NB : Dans l'exemple 1, le terme "con" peut à juste titre être qualifié d'imprécis car la connerie peut prendre des formes diverses, comme l'indiquent les exemples 3 et 4. Il faut donc évidemment comprendre que l'on sous-entend ici "est con d'une manière ou d'une autre". Un problème similaire se pose dans l'exemple 2 avec le terme "sens" qui peut selon les cas désigner le "souci de l'intérêt collectif" ou une "saine compréhension de l'intérêt collectif" : au bénéfice du doute, on peut à la limite supposer que certains électeurs de l'UMP ont le souci de l'intérêt collectif mais votent à son encontre faute d'en avoir une idée un tant soit peu sérieuse et formée autrement que par l'addiction à TF1.
1) Compatibilité de deux
propositions
On appellera quantité l'universalité ou la particularité, qualité l'affirmation ou la négation.
Deux propositions sont dites contradictoires lorsqu'elles s'opposent en quantité et en qualité : A/0 ou E/I. Il faut bien sûr considérer des propositions ayant le même sujet et le même attribut ; les exemples donnés plus haut ont des attributs différents et ne peuvent donc pas être repris ici. Nouveaux exemples :
- A/O : Tout électeur de l'UMP est un con / Steevy n'est pas un con.
- E/I : Aucun chanteur fascistoïde n'est sympathique / Michel Sardou est sympathique.
Deux propositions sont dites subalternes lorsqu'elles diffèrent en quantité mais s'accordent en qualité : A/I (Tout bayrouiste est une salope / "Anne-Marie Comparini est une salope" dixit Devedjian) ou E/O (Aucun chanteur fascistoïde n'est sympathique / Michel Sardou n'est pas sympathique).
Si elles s'opposent en qualité mais s'accordent en quantité, elles sont dites :
- contraires si elles sont universelles (Tout électeur de l'UMP est un con / Aucun électeur de l'UMP n'est un con)
- subcontraires si elles sont particulières (Certains électeurs de l'UMP savent très bien où est leur intérêt personnel / Certains électeurs de l'UMP ne savent pas très bien où est leur intérêt personnel).
|
Exercice - Laquelle de ces propositions est fausse ? 1) E : Aucun chanteur incivique ne porte le bouc. / I : Florent Pagny et Johnny Halliday portent le bouc. 2) Dans les années 70, tous les chanteurs français se prénommaient Michel. / Jean-Jacques Goldman ne se prénomme pas Michel. Solutions : 1 - La proposition E est fausse. NB : le bouc ne désigne pas ici un animal (portable à bout de bras si l'on y tient vraiment) mais un type de pilosité faciale délibérée à la mode chez les pseudo-artistes en quête de renouveau. Ce bouc mode ne devra cependant pas être confondu avec le boeuf mode, qui lui est un animal délibérément cuit d'une certaine façon. 2 - Aucune de ces propositions n'est fausse, car il y avait un piège : en effet, Jean-Jacques Goldman n'est pas un chanteur français des années 70 mais un chanteur juif socialisto-cosmopolite. Cela confirme donc que tous les chanteurs français s'appellent Michel et que tous les chanteurs juifs s'appellent Jean-Jacques (mais plus pour longtemps, car il est temps de restaurer l'identité nationale).
|
|
Exemple : Tous les chanteurs français des années 70 se prénommaient Michel. / Aucun chanteur français des années 70 ne se prénommait Michel. Solution : Il est évident que ces propositions ne sauraient être vraies toutes les deux. La seconde est clairement fausse. Peut-être même les deux sont-elles fausses : pour l'établir avec certitude, il faudrait étudier en détail la variété française des années 70 afin de compter les Michel, mais ça, personne n'y tient.
|
|
Exemple : Certains électeurs ont voté pour Sarkozy le 6 mai 2007. / Certains électeurs n'ont pas voté pour Sarkozy le 6 mai 2007. Ne riez pas ! Aussi aberrant que cela puisse sembler aujourd'hui, la seconde proposition n'est pas fausse ! Heureusement, nous sommes enfin sortis du Moyen Age de la pensée politique : de telles erreurs d'appréciation et de tels comportements antisociaux devraient désormais être rarissimes, voire être totalement éradiqués. Exemple : S'il était faux (ce qu'à Dieu ne plaise !) que certains électeurs ont voté Sarkozy le 6 mai 2007, il serait donc vrai qu'aucun électeur n'a voté Sarkozy (l'angoisse ! vous imaginez le bordel en France ! brrrrrrrrrrrrr !) et à plus forte raison il serait vrai également que certains électeurs n'ont pas voté Sarkozy.
|
|
S'il est vrai que tous les chanteurs français des années 70 s'appelaient Michel, alors il est vrai que tel chanteur français des années 70 (disons, par exemple, Joe Dassin) s'appelait Michel. S'il est vrai que tel chanteur français des années 70 s'appelait Joe, cela ne signifie nullement que tous les chanteurs français des années 70 s'appelaient Joe (puisqu'en réalité ils s'appelaient tous Michel). S'il était faux que tel chanteur français des années 70 (par exemple Joe Dassin) s'appelait Michel, alors il serait faux de dire que tous les chanteurs français des années 70 s'appelaient Michel. Attention ! ce n'est qu'un exemple pour de rire, car en réalité Joe Dassin n'était qu'un chanteur plus ou moins américano-grec, enfin un genre de rastaquouère, quoi ; et donc il ne compte pas comme vrai chanteur français. Michel Jonasz non plus d'ailleurs, car, quoique prénommé Michel, c'est lui aussi une sorte de romanichel d'origine douteuse. S'il est faux que tous les chanteurs français des années 70 s'appelaient Joe, il n'en est pas moins vrai que certains s'appelaient Joe (par exemple Joe Dassin ou Joe Dalton, sauf que Joe Dassin n'était pas un vrai bon français de souche et que Joe Dalton n'était pas un vrai bon chanteur, mais ne compliquons pas, je pense que tout le monde a compris ce qu'il y avait à comprendre).
|
2) La question de la complexité
Le sujet ou/et l'attribut d'une proposition peuvent être complexes, c'est-à-dire contenir plusieurs éléments différents, explicites ou implicites. Il est évidemment essentiel de tenir compte de cette complexité (surtout lorsqu'elle reste sous-entendue) afin de juger correctement de la validité d'une proposition.
Citons cette fois un exemple donné par la Logique de Port-Royal :
"Si je dis, par exemple,que Brutus a tué un tyran, cela veut dire que Brutus a tué quelqu'un et que celui qu'il a tué était un tyran. Cette proposition peut être contredite en deux manières, soit en disant que Brutus n'a tué personne (ce qui est faux), soit en disant que celui qu'il a tué n'était pas un tyran (ce qui peut être discuté)."
Exercice - Faites de même avec les propositions suivantes :
* Noël Godin a entarté à plusieurs reprises un philosophe à la noix.
* Nicolas sarkozy a réussi à attirer dans son gouvernement les pires râclures du PS.
Les éléments incidents qui complètent le sujet ou l'attribut (sous forme de relatives ou autres) peuvent être :
- de simples explications (la précision ne change rien à l'idée du terme car elle lui convient dans toute son étendue). Exemple : Les chanteurs français des années 70, qui s'appelaient Michel, ont beaucoup contribué au prestige de notre nation. La précision concernant les prénoms est un simple rappel, dont on pourrait se passer sans que cela ne modifie le sens de la phrase ("Les chanteurs français des années 70 ont beaucoup contribué au prestige de notre nation.")
- des déterminations (qui ajoutent au terme quelque chose qui ne lui convient pas dans toute son étendue). Exemple : Les chanteurs qui se prénomment Joe sont des genres de rastaquouères. Seuls les chanteurs prénommés Joe (ou Jean-Jacques) sont des sortes de rastaquouères : cela ne concerne absolument pas tous les chanteurs, et en particulier cela ne saurait en rien concerner ceux qui s'appellent Michel (sauf Michel Jonasz, donc).
|
Une incidente explicative peut très bien être fausse (exemple : Bernard-Henri Lévy, l'époux de Geneviève de Fontenay, est une buse), mais cela n'entraîne pas la fausseté de la principale (le fait de n'être pas l'époux de Geneviève de Fontenay n'empêche pas nécessairement Bernard-Henri Lévy d'être une buse), sauf si la principale et l'incidente ont un rapport : " Bernard-Henri Lévy, l'époux de Geneviève de Fontenay, est le père de Xavier de Fontenay". On se méfiera notamment des incidentes conférant au sujet un titre qui peut être admis par convention sans pour autant désigner une réalité. On peut parler de "Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II" dans la mesure où c'est un titre donné à tous les papes, mais cela ne signifie évidemment pas que cette racaille réactionnaire était un saint. A plus forte raison, si l'on affirme que "le philosophe Luc Ferry a fait partie du premier gouvernement de Jean-Pierre Raffarin", il est permis de contester l'emploi du terme de philosophe : le fait d'avoir étudié et enseigné la philosophie, d'avoir publié des ouvrages à prétention philosophique et de se définir soi-même comme philosophe, tout cela suffit-il à mériter au sens plein le titre de philosophe (au sens où nous appelons philosophes des créateurs de pensée tels que Socrate, Spinoza ou Jean-Claude Van Damme) ? En outre, peut-on sans rire qualifier de philosophe quelqu'un qui a fait partie d'un gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ? D'autre part, on se souviendra que même lorsque le titre est justifié, il ne constitue pas en soi une preuve du bien-fondé de l'affirmation principale. Je peux à juste titre parle du "grand philosophe Aristote", sans que cela implique que tout ce qu'Aristote a pu penser et affirmer soit obligatoirement vrai. En d'autres termes, la logique doit refuser l'argument d'autorité : ce n'est pas parce qu'un grand auteur a dit une chose que cette chose est vraie. On se souviendra au passage de l'usage détourné que fait Montesquieu de ce type de raisonnement dans son célèbre réquisitoire ironique contre l'esclavage, lorsqu'il fait semblant de justifier la discrimination selon la couleur de peau par le fait que "Les Egyptiens, les meilleurs philosophes du monde, faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains." La qualité de "meilleurs philosophes du monde" ne suffirait pas à justifier un comportement cruel et irrationnel, par nature anti-philosophique, comportement qui n'était certainement pas le fait des Egyptiens les plus "philosophes". Mais surtout, l'Egypte antique n'ayant, contrairement à la Grèce, aucune véritable tradition philosophique, l'incidente est délibérément fausse (Montesquieu invite le lecteur à se dire : "mais non, les Egyptiens n'étaient pas les meilleurs philosophes, tout le monde sait que la philosophie est née en Grèce, que Socrate, Zénon, Parménide, Platon, Aristote, Diogène, Epicure, Bernard-Henri Lévy, sont des philosophes grecs.") et l'argument d'autorité clairement perçu comme malhonnête.
|
|
Une incidente déterminative, dans la mesure où elle délimite le sujet, pose moins de problèmes : "Les éléphants que l'on trouve en Asie ont de petites oreilles." Mais il se peut que la détermination convienne mal au sujet : "Les ultralibéraux les plus humanistes affirment que ..." Quoiqu'ils affirment, méfiance ! on essaie apparemment de vous faire passer comme humaniste une position qui peut difficilement l'être. Si tant est que l'on puisse concilier l'humanisme avec le libéralisme (qui place le profit avant l'humanité), la conciliation paraît plus douteuse encore avec un libéralisme "ultra" : c'est pourquoi, en société, il sera parfois plus judicieux de se définir comme néolibéral que comme ultralibéral : c'est la même chose, mais l'idée de nouveauté est généralement mieux goûtée que l'idée d'extrêmisme. De cela découle cependant qu'on ne peut guère accepter non plus un énoncé tel que "les néolibéraux les plus humanistes (etc.)" NB : En revanche, il est admis de parler des "social-libéraux les plus humanistes", même si certains rétorqueront que, de toute façon, tous les social-libéraux sont humanistes. C'est vrai. C'est un humanisme assez superficiel, certes, mais on ne peut pas nier qu'ils en dégoulinent. Le problème se pose également avec "la frange la plus démocratique du Front National", "les responsables les plus courageux et les plus clairvoyants du Parti Socialiste", etc.
|
On peut distinguer la complexité clairement marquée, grammaticalement, par coordination ou subordination ...
|
Les copulatives Attention !!! Précisons de toute urgence que les copulatives n'ont rien d'obscène et n'ont rien à voir avec la copulation : ce terme désigne simplement (et fort chastement) la liaison d'éléments syntaxiques au moyen de la conjonction "et" (ou de "ni" pour la négation). Les propositions copulatives peuvent avoir : - plusieurs sujets : La sodomie, la fellation et le cunnilingus sont au fondement de la théologie chrétienne. - plusieurs attributs : Le pape Jean-Paul II a vivement encouragé la sodomie, la fellation et le cunnilingus. - plusieurs sujets et plusieurs attributs : Bernard-Henri L. et Arielle D. s'adonnent de conserve au jaquet et à la manille. La vérité de telles propositions dépend de la vérité de tous les éléments. Ainsi, s'il est vrai que le catholicisme encourage vivement la sodomie et la fellation, il est en revanche beaucoup plus réservé quant au cunnilingus.
|
|
Les disjonctives reposent sur la conjonction "ou" (soit/soit) : leur vérité dépend du fait que l'opposition des éléments est inévitable et qu'il n'y a pas d'autre solution : Exemple : Jack Lang est soit un irresponsable, soit un cynique. La proposition est fausse : non seulement Jack Lang est à la fois un irresponsable et un cynique, mais il est de surcroît un bouffon. ![]()
|
|
Les conditionnelles comportent un antécédent (Si tous les cons volaient) et un conséquent (il ferait nuit). La conséquence est dite immédiate lorsque des termes communs lient clairement ces deux parties : - les deux parties ont le même sujet : Si les cons avaient des ailes, ils (les cons) voleraient. - elles ont le même attribut : Si la droite néolibérale se réservait le droit de diriger le FMI, DSK pourrait diriger le FMI. - l'attribut de la 1° est le sujet de la 2° : Si Jean-Paul II est un saint, il y a donc des saints bien bornés et bien criminels (ce qui n'est d'ailleurs pas une révélation). - le sujet de la 1° est l'attribut de la 2° : Si un homme (ou une femme) de gauche est quelqu'un qui oeuvre pour le progrès social, alors le Parti Socialiste ne contient pas beaucoup d'hommes (ou femmes) de gauche. La conséquence est dite médiate lorsque le raisonnement qui crée un lien entre les deux reste implicite. Exemple : $i $teevy gagne autant d'argent, Dieu est donc réellement décidé à veiller au bonheur des simples d'esprit. Explicitation du raisonnement pour l'exemple "Si tous les cons volaient, il ferait nuit." : Les cons étant légion, s'ils volaient, leur nombre effroyable fait qu'ils occuperaient tout l'espace aérien et empêcheraient alors la lumière du soleil d'atteindre la surface terrestre, ce qui produirait une nuit artificielle. Exercice : reconstituez le raisonnement sous-entendu dans "Si j'avais un marteau, on l'appellerait mon oncle." On ne considère que la vérité de la conséquence : même si les deux parties sont fausses, si la conséquence de l'une à l'autre est bonne, alors la proposition est vraie en tant que conditionnelle. Exemple : Si le PS est encore un parti de gauche, on peut compter sur lui pour s'opposer efficacement à la politique de Sarkozy.
|
|
Les causales sont vraies si l'une des parties est bien la cause de l'autre. Il faut donc que l'une et l'autre soit vraie, car ce qui est faux ne peut être cause de quoi que ce soit (Ce sont les Martiens qui ont érigé les gigantesques statues de l'Ile de Pâques) et n'a pas de cause (Le Père Noël a créé la race martienne en laboratoire à partir d'ADN de rennes et de cervelles de Raëliens). Cela dit, l'une et l'autre partie peuvent être vraies sans pour autant être cause l'une de l'autre : Le fait qu'elle ait été gouvernée alors par Jacques Chirac a permis à la France de remporter le Mondial 1998. NB : Cet argument est souvent employé par la droite pour démontrer l'excellence de sa politique. Il est évidemment ridicule car, en 1998, si Jacques Chirac était bel et bien président, le gouvernement était en réalité dirigé par le socialiste Lionel Jospin !!!
|
|
Les relatives ont déjà été largement traitées plus haut, cf. La question de la complexité.
|
|
La Logique de Port-Royal cite ensuite ce qu'elle appelle les discrétives, notion assez floue qui correspond plus ou moins à l'introduction d'une nuance, d'une opposition, d'une restriction (le mot "discrétion" désignant autrefois la capacité de discerner, de distinguer des nuances et des différences,...) Exemples : Il faut vivre pour manger et non manger pour vivre. Ou, façon Michael Moore : Les multinationales n'ont jamais fait autant de profits, et pourtant elles n'ont jamais autant licencié de personnel. Ou, plus littéraire : Prenez mon lit, les disques d'or, ma bonne humeur, Les p'tites cuillères, tout ce qui à vos yeux a d' la valeur, (...) mais vous n'aurez pas, Ma liberté de penser. La vérité de cette sorte de proposition dépend de la vérité des deux parties, mais aussi de la pertinence de l'opposition qu'on y met : la proposition devient absurde et ridicule si l'opposition ou la nuance n'a pas lieu d'être. Proust a écrit des pages et des pages ; néanmoins il était notoirement inverti. Florent Pagny et Johnny Halliday gagnent beaucoup d'argent, et pourtant le fisc veut les obliger à payer des impôts. Je ne suis pas raciste, mais il faut bien avouer que les asiatiques sont plus fourbes que la moyenne.
|
... et la complexité plus discrète présente dans les mots eux-mêmes ("propositions composées dans le sens") :
|
Les exclusives affirment qu'un attribut convient à un sujet et qu'il ne convient qu'à ce seul sujet. Exemple : Seul Jean-Claude Van Damme est capable de proférer autant d'inepties en si peu de temps. Ces propositions peuvent se contredire de trois manières : - en niant que l'attribut convienne au sujet : Jean-Claude Van Damme ne profère pas d'inepties : c'est un poète. - en soutenant que cela peut aussi convenir à un autre sujet : Il n'est pas le seul : Steevy est largement capable de rivaliser. - de ces deux manières à la fois : Jean-Claude Van Damme ne profère pas d'inepties : c'est un poète. En ce qui concerne la véritable ineptie, bien lourde et dépourvue de toute étincelle poétique, Steevy semble infiniment plus qualifié.
|
|
Les exceptives affirment une chose de tout un ensemble, à l'exception de certains éléments de cet ensemble. Exemple : Tous les animateurs de télévision sont des crétins, à l'exception de Philippe Risoli. A noter qu'exclusives et exceptives "ne sont, pour ainsi dire, que la même chose exprimée un peu différemment" : De tous les animateurs télé, seul Philippe Risoli n'est pas un crétin. On retrouve les trois modes possibles de contradiction : - Philippe Risoli est largement aussi con que les autres animateurs télé. - Non, il n'est pas le seul ! Bernard Montiel, également, est un esprit d'élite. - Pas du tout ! Philippe Risoli est un crétin ! le seul animateur intelligent, c'est Benjamin Castaldi.
|
|
Les comparatives contiennent également deux jugements : on affirme qu'une chose est ceci ou cela, et qu'elle l'est plus ou moins qu'une autre. Bernard Montiel est plus sot que Philippe Risoli. On peut là encore contredire la proposition en soutenant (si l'on n'a pas froid aux yeux) que Bernard Montiel n'est pas sot, ou alors que Philippe Risoli est plus sot que lui.
|
|
Les inceptives ou désitives affirment qu'une chose a commencé (inceptive) ou cessé (désitive) d'être ceci ou cela. Exemple : A la fin des années 30, le maréchal Pétain, héros de Verdun, a commencé à devenir une belle pourriture. On peut contester cette affirmation de deux manières : - Pétain était déjà une belle ordure avant cela (mais je vous accorde qu'à partir de là il s'est surpassé). - Je suis désolé, je ne vois pas en quoi ce serait être une pourriture que d'assainir la moralité des Français, de contribuer à la grandeur d'une Europe régénérée sous l'égide de la glorieuse croix gammée et de donner un coup de main pour éradiquer la racaille judéo-bolchévique.
|
NB : Face à ces quatre type de propositions, une contradition trop imprécise sera spontanément comprise comme concernant précisément l'exclusion, l'exception, etc.
Par exemple, si j'affirme que "Florent Pagny est le seul con chantant" et qu'on m'objecte simplement "Ce n'est pas vrai", tout le monde comprendra qu'il n'est pas vrai qu'il soit le seul et non qu'il n'est pas vrai qu'il soit con (ou qu'il n'est pas vrai qu'il soit chantant).
A l'affirmation "Claude Allègre est de plus en plus répugnant moralement", si l'on répond "non", l'assistance comprendra a priori que Claude Allègre n'est pas de plus en plus répugnant, mais qu'il l'est simplement toujours autant que par le passé (Claude Allègre étant déjà depuis longtemps au maximum de ses capacités dans le domaine de l'infamie).
4) "Des sujets confus équivalents à deux
sujets"
Le même terme s'applique parfois à deux entités en réalités différentes mais dont le renouvellement progressif (ou un emplacement identique) peut donner l'illusion que l'on a toujours affaire à la même réalité ou peut inciter à en parler par convention comme d'une même réalité. C'est ainsi qu'un fleuve conserve son nom alors que l'eau qui le constitue n'est jamais la même. C'est le sens de la formule d'Héraclite, "On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve."
NB : Signalons, même si nous rejetons pour notre part cette interprétation d'Héraclite, que certains philosophes, comme Luke Ferry, soutiennent que cette phrase constitue une recommandation, pour ne pas dire une exigence éthique : "Si vous vous êtes déjà baigné dans la Loire une fois dans votre vie, vous devez chercher un autre fleuve pour vous baigner une autre fois." Quoique hautement respectable conceptuellement, la philosophie de Luke Ferry n'en pose pas moins des problèmes pratiques dans la mesure où, étendant le précepte héraclitéen à tout endroit où l'on se baigne, Luke Ferry doit faire installer chez lui une nouvelle baignoire après chaque usage, opération coûteuse qui explique sans doute qu'il ait pu être amené à se compromettre avec de la racaille pour financer sa philosophie dispendieuse.
Ainsi, même s'il ne s'agit pas réellement du même sujet, Auguste a pu dire qu'il avait trouvé Rome de briques et qu'il l'avait laissée de marbre. On parle de même d'une église détruite en telle année et rebâtie en telle année. Seule la localisation autorise ici a donner le même nom à des constructions différentes. On songera également au navire Argo, qui transporta Jason et les Argonautes, et qui, de réparation en réparation, se retrouve à la fin du périple constitué de pièces toutes différentes des pièces qui le constituaient initialement (quoique semblables).
Exemple contemporain : La télévision a trouvé Steevy adorateur de l'âne Bourriquet et elle en a fait un adorateur de Sarkozy. Le raisonnement est fautif, qui suggère ici une quelconque action de la télévision sur l'idéologie de Steevy, qui suggère également une épouvantable trahison politique au détriment de l'âne Bourriquet. En réalité, le Steevy d'aujourd'hui n'est plus le même que celui qui entra glorieusement dans le Loft (et par là même dans l'Histoire) au début du XXI° siècle : de même que l'eau (H2O) du fleuve d'Héraclite ou que le navire Argo, les cellules constituant le corps de Steevy se sont toutes renouvelées entre ces deux dates, en particulier grâce à de nombreux peelings destinés à bien éliminer les peaux mortes. Si l'on ajoute à cela le caractère éphémère des connexions neuronales, on peut raisonnablement estimer que la matière et les pensées qui constituaient Steevy en l'an 2000 ont toutes été remplacées depuis et qu'il ne s'agit plus du tout de la même personne. Certains philosophes radicaux, tels Peter Singer, vont d'ailleurs jusqu'à estimer qu'il ne s'agit en aucune façon d'une personne.
5)
Propositions
universelles, particulières ou
singulières
"J'appelle universalité métaphysique, lorsqu'une universalité est parfaite et sans exception, comme : tout homme est vivant"
L'exemple peut sembler mal choisi dans la mesure où un homme peut aussi être mort. Exemple : Depuis l'élection de Sarkozy, Dominique de Villepin est un homme mort. Les auteurs de la Logique entendaient sans doute par là que "tout homme est un être vivant", contrairement à un être minéral et avant de devenir un être mort.
"J'appelle universalité morale celle qui reçoit quelque exception, parce que, dans les choses morales, on se contente que les choses soient telles ordinairement", par exemple on dit d'ordinaire que "toutes les femmes aiment à parler", que "tous les Crétois sont des menteurs" ou que "tous les vieillards louent le temps passé". "Il suffit dans toutes ces sortes de propositions, qu'ordinairement cela soit ainsi" et on s'abstiendra donc de conclure sans tenir compte des exceptions possibles. On n'en tirera donc qu'avec beaucoup de prudence des conclusions particulières, sans pour autant contredire ou rejeter de telles affirmations qui peuvent être considérées comme vraies en dépit des quelques exceptions.
NB : Une solution plus simple serait d'éviter d'employer "tous" et de se contenter de parler de "la majorité des vieillards", etc.
C'est ainsi que l'on résout le paradoxe du menteur : Epiménide dit que tous les Crétois sont des menteurs / Or Epiménide est Crétois / Donc il ment / Donc il n'est pas vrai que les Crétois sont des menteurs / Donc Epimènide a dit la vérité / Donc ... Pour sortir du cercle vicieux, il suffit de considérer que la majorité des Crétois ment, mais qu'il y a des exceptions (Epiménide en l'occurence), ou encore que le fait d'être un menteur ne signifie pas que l'on ment systématiquement et en permanence.
***
Le sujet d'une proposition universelle peut être implicitement restreint par une partie de l'attribut. Lorsque l'on affirme que les Bretons sont d'excellents marins, que les Flamands sont d'excellents peintres, que les Brésiliens sont d'excellents footballeurs, que les Français sont d'excellents cons,... il va de soi que l'on parle uniquement des Bretons qui sont marins, des Flamands qui sont peintres, des Brésiliens qui sont footballeurs et des Français qui ont voté Sarkozy en 2007.
***
Les propositions indéfinies (Ex : L'homme est raisonnable) sont-elles universelles ou particulières ? La Logique de Port-Royal s'oppose ici à ceux qui estiment qu'elles doivent passer pour universelles sur un point nécessaire, et pour particulières sur un point contingent, estimant qu'on doit plutôt parler, lorsque l'attribut est contingent, d'une "universelle qui est fausse" et non d'une particulière. Quelques exemples devraient (espérons le) éclairer un peu tout ce charabia.
Les ours sont blancs, les hommes sont noirs, les Italiens s'appellent Marcello Mastroianni : ces propositions indéfinies portant sur des points contingents ne sont pas des propositions particulières mais des propositions universelles fausses (voire crétines), même s'il est vrai que certains hommes sont blancs et que certains ours s'appellent Marcello Mastroianni (peut-être).
***
L'ouvrage reprend plus ou moins le problème déjà évoqué des "sujets confus équivalents à deux sujets", sous l'angle cette fois de l'universalité. La proposition "Les Romains ont vaincu les Carthaginois (5 à 2)" n'est évidemment pas universelle et on ne saurait y comprendre, à moins d'être un âne bâté (ou l'âne Bourriquet), que tous les Romains (et de toutes les époques !) ont vaincu les Carthaginois. Nos auteurs précisent qu'une telle proposition n'est pas non plus particulière (ce qui serait le cas si je voulais dire que "quelques Romains ont vaincu les Carthaginois"), mais qu'elle est singulière, "parce que l'on considère chaque peuple comme une personne morale, dont la durée est de plusieurs siècles, qui subsiste tant qu'il compose un Etat", approche qui peut sembler assez contestable et que nous remplacerions volontiers par l'idée plus précise que "l'armée romaine a vaincu Carthage" (en précisant, pour bien faire, l'année et le score).
"D'où vient que l'on dit, que les Romains qui ont été vaincus par les Gaulois qui prirent Rome, ont vaincu les Gaulois au temps de César, attribuant ainsi à ce même terme de Romains d'avoir été vaincus en un temps, et d'avoir été victorieux en l'autre (...) et c'est ce qui fait voir sur quoi est fondée la vanité que chaque particulier prend des belles actions de sa nation, auxquelles il n'a point eu de part, et qui est aussi sotte que celle d'une oreille qui, étant sourde, se glorifierait de la vivacité de l'oeil ou de l'adresse de la main." Satire morale fort pertinente, mais on peut déplorer la caractère lamentablement (et anachroniquement) surréaliste de l'exemple de l'oreille qui se glorifie, exemple vraisemblablement composé après une de ces orgies de cannabis si fréquentes à la grande époque de Port-Royal. On pourra clarifier et moderniser cet exemple en évoquant les Français qui, en 1998, tirèrent vanité (1) de la victoire de l'équipe de France de balle au pied, victoire à laquelle ils n'avaient aucune part puisqu'il était inexact (ou du moins purement métonymique) de dire : "les Français ont gagné la Coupe du Monde", là où il convenait en réalité de dire que "une dizaine de Français" avaient gagné (2).
(1) : vanité pouvant aller jusqu'à un agacement certain si quelqu'un se fût alors permis de suggérer, par pure plaisanterie (?), que le match avait certainement été truqué.
(2) : "une dizaine de
Français", en effet, car, en cas de victoire, prenant exemple sur la modération (en cette
occasion) de mon beau-frère, qui est pourtant à la fois
un passionné de balle au pied et un passionné
d'épuration ethnique, on s'abstiendra de dire qu'il s'agissait
plus exactement "d'une dizaine de rastaquouères".
6) "Des
propositions où l'on donne aux signes le nom des
choses"
Si l'on peut dire "sans préparation et sans façon d'un portrait de César, que c'est César ; et d'une carte d'Italie, que c'est l'Italie", les signes de convention posent en revanche problème. La Logique de Port-Royal nous avertit ainsi qu'on ne peut décréter en son esprit que tel signe signifie telle chose et que l'on passerait pour ridicule, voire fou, si l'on déclarait de but en blanc "qu'une pierre est un cheval, et un âne un roi de Perse". Outre les signes linguistiques, qu'il est généralement inutile d'expliquer si l'on s'adresse à quelqu'un qui parle la même langue que nous, il est donc essentiel de prévenir l'interlocuteur du sens des signes que nous utilisons.
On nous avertit également qu'il ne suffit pas que telle chose soit déjà considérée par l'auditeur comme signe d'autre chose pour que nous puissions en faire sans prévenir le signe d'une troisième chose. Ainsi, le laurier est signe de victoire, l'olivier signe de paix : "mais cette connaissance ne prépare nullement l'esprit à trouver bon qu'un homme à qui il plaira de rendre le laurier signe du roi de Chine, et l'olivier du grand seigneur, dise sans façon, en se promenant dans un jardin : Voyez ce laurier, c'est le roi de Chine ; et cet olivier, c'est le Grand Turc."
Cela revient à dire également qu'on ne peut donner à un mot (qui est déjà un signe linguistique) n'importe quel sens. On sait qu'en français "journaliste" est un assemblage de sons (de lettres) servant à désigner une réalité donnée, mais cela n'autorise pas à utiliser ce signe linguistique pour désigner une réalité totalement différente, en disant par exemple sans rire que Jean-Pierre Pernaut est un journaliste.
Elle est le partage d'un tout en ce qu'il contient. On peut distinguer :
- le tout composé de parties réellement distinctes (appelées parties intégrantes), pour lequel la seule règle "est de faire des dénombrements bien exacts et auxquels il ne manque rien" : division (que l'on appellera plutôt dans ce cas partition) d'une maison en ses appartements, d'un pays en ses départements, du corps en ses divers membres, etc.
- le tout qui est "un terme commun" et dont les parties (appelées parties subjectives ou inférieures) sont "les sujets compris dans son étendue", par exemple la division des nombres en pairs ou impairs, des lignes en droites ou courbes ou celle des animaux en hommes ou bêtes.
NB : Cette première division entre les types de divisions me semble assez confuse. Si je la saisis correctement (mais rien n'est moins certain), je tenterais de la clarifier un peu en disant que les parties intégrantes d'une partition ne sont pas de même nature que le tout, alors que les parties "subjectives" d'une division sont de même nature que le tout : un nombre impair est un nombre, une droite est une ligne, un homme est un animal, mais on ne peut dire qu'une cuisine soit une maison, qu'un département soit un pays ou qu'une jambe soit un corps. On peut également considérer que dans la partition, le tout forme une unité (les membres constituent un corps unique), alors que les divers composants d'une division ne sont pas physiquement reliés (chaque nombre, droite, animal, a sa propre autonomie et vit sa vie comme il l'entend). Mais cette seconde interprétation n'est pas incompatible avec la première.
***
La division proprement dite (distincte de la partition, donc) peut être de quatre sortes :
1 - division du genre en espèces : tout animal est homme ou bête.
2 - division du genre par ses différences : tout nombre est pair ou impair ; toute ligne est droite ou courbe ; toute affirmation est vraie ou fausse.
3 - division d'un sujet commun par les accidents opposés dont il est capable, ou selon ses divers inférieurs, ou en divers temps : tout corps est en mouvement ou au repos ; tout homme est sain ou malade ; tous les peuples se servent pour s'exprimer ou de la parole seulement, ou de l'écriture outre la parole.
4 - division d'un accident en ses divers sujets : division des biens entre bien du corps et biens de l'esprit.
***
Les règles de la division sont les suivantes :
1 - elle doit être entière : tous les nombres étant soit pairs soit impairs, la division pair/impair comprend tous les nombres. Mais l'une des principales sources de faux raisonnements est justement l'utilisation de fausses divisions entre des termes si bien opposés qu'ils semblent inclure toutes les possibilités et nous font oublier qu'il existe des intermédiaires. De même qu'il y a le crépuscule entre le jour et la nuit, il y a ainsi des gens qui, dotés d'un savoir médiocre, ne peuvent être qualifiés ni de savants ni d'ignorants ; un convalescent sera-t-il considéré comme sain ou comme malade ?
2 - les membres de la division doivent être opposés, comme raisonnable/privé de raison, pair/impair, droit/courbe. On notera que, souvent, l'un est simplement la négation de l'autre : est impair ce qui n'est pas pair (négation de la divisibilité en deux parties égales), est courbe ce qui n'est pas droit, etc.
NB : cette deuxième règle me laisse sceptique : y a-t-il véritablement une opposition entre les différentes couleurs possibles du pelage de tel animal ? On peut toujours percevoir une vague opposition entre le chat tigré et le chat non-tigré, entre l'ours blanc (clair, ou non-foncé) et l'ours brun (foncé, ou non-clair), mais si je divise les chats monochromes en chats blancs, chats noirs, chats roux, chats gris, les deux dernières couleurs ne vont pas sans poser quelques problèmes à qui voudrait voir des oppositions partout.
3 - l'un des membres peut éventuellement être inclus dans un des autres membres, mais sans qu'on puisse dire qu'il est de même nature. Exemple éclairant (ouf !) : je peux diviser l'etendue en lignes, surfaces et solides, car même si la ligne est incluse dans la surface (dont elle est un "terme", une "extrêmité") et la surface dans le solide (pour la même raison), on ne peut cependant pas affirmer qu'une ligne soit une surface, ni qu'une surface soit un solide. En revanche, je ne peux diviser les nombres en pairs, impairs et carrés, car tout nombre carré est déjà inclus dans un des deux autres membres, étant soit pair, soit impair.
De même, selon la Logique de Port-Royal, on ne peut diviser les opinions en vraies, fausses et probables : toute opinion probable est soit vraie soit fausse. Mieux vaut donc les diviser d'abord en vraies ou fausses, puis subdiviser chaque catégorie en certaines ou probables.
NB : tout cela est bien gentil et fort logique, mais le problème avec une opinion probable, c'est justement qu'on ne peut pas affirmer avec certitude qu'elle est vraie ou qu'elle est fausse. Créer les sous-catégories "opinions probablement vraies" et "opinions probablement fausses" (et les remplir !) suppose que l'on prétende pouvoir les discerner sans preuves : cela relève de la subjectivité, de l'instinct, d'une sorte de "pari". Il est donc bien préférable d'en rester à une division ternaire : assurément vrai / assurément faux / incertain, même si la dernière catégorie n'est qu'une sorte de fourre-tout évolutif, un outil de travail plus qu'une catégorie véritable.
Enfin, et malgré le caractère binaire de la plupart des exemples donnés, on ne doit pas rejeter les divisions en trois membres, voire plus, quand elles sont naturelles (cf. plus haut notre remarque sur les chats - monochromes - noirs, blancs, roux ou gris) et qu'elles sont préférables à des subdivisions artificielles (chats monochromes clairs subdivisés en blancs, roux, gris clair ; chats monochromes foncés subdivisés en noirs, bleu outremer, gris foncé), l'objectif essentiel de la division étant de clarifier les choses et non de les compliquer. Pour la simplicité de l'exposé, laissons de côté la division entre chats monochromes, bicolores, tricolores, etc. ainsi que les subdivisions de toutes ces catégories.
Enfin, on évitera de suivre le modèle de l'encyclopédie chinoise citée par Jorge-Luis Borges :
Alors que les définitions de noms (dire que, dans telle langue, tel ensemble de sons/lettres désigne telle chose : le mot "pomme" désigne ce fruit que je vous montre - il s'agit donc de définir ici le signifiant) sont arbitraires, les définitions de choses (c'est-à-dire du signifié : expliquer ce qu'est une pomme) prétendent décrire la réalité et, n'étant pas de simples conventions, peuvent donc être discutées, confirmées ou rejetées.
La définition de chose peut être de deux types :
1 - la plus exacte garde le nom de définition : elle explique la nature d'une chose par ses attributs essentiels, dont ceux qui sont communs s'appellent genre et ceux qui sont propres différences. Exemple : l'homme est un animal (genre) raisonnable (différence).
2 - la moins exacte est ce qu'on appellera la description : elle donne une certaine connaissance de la chose "par les accidents (caractéristiques) qui lui sont propres et qui la déterminent assez pour en donner" une idée qui suffise à permettre de la distinguer d'autres choses. C'est ainsi qu'on décrira par exemple les plantes, les fruits, les animaux, par leur forme, "leur grandeur, leur couleur et autres semblables accidents".
"Il y a aussi des définitions ou descriptions qui se font par les causes, par la matière, par la forme, par la fin, etc., comme si on définit une horloge, une machine de fer composée de diverses roues, dont le mouvement réglé est propre à marquer les heures."
Une bonne définition doit être :
1 - universelle, c'est-à-dire comprendre tout le défini. Les auteurs critiquent par exemple la définition commune du temps comme "mesure du mouvement", contestable car "le temps ne mesure pas moins le repos que le mouvement, puisqu'on dit aussi bien qu'une chose a été tant de temps en repos". On peut leur objecter que la durée de repos d'une chose n'est mesurable que par le mouvement d'une autre (les aiguilles d'une horloge, la rotation terrestre,...). Il n'en reste pas moins que cette définition du temps n'est pas très satisfaisante, mais est-ce vraiment parce qu'elle n'est pas universelle ?... Contentons-nous donc d'un exemple plus évident : si je définis l'ours comme un "mammifère brun plantigrade à fourrure épaisse et museau pointu", cette définition n'est pas universelle puisqu'elle ne tient pas compte des ours blanc.
2 - propre, c'est-à-dire ne convenir qu'au défini. Si je définis Steevy, "un individu dépourvu de toute compétence et dénué de tout talent, mais qui néanmoins gagne avantageusement sa vie en venant proférer des inepties à la télévision", cette définition n'est pas propre au défini car elle pourrait s'appliquer à de nombreux autres individus.
3 - claire, son but étant de nous donner une idée plus claire et plus distincte de la chose définie et de nous en faire, autant qu'il se peut, comprendre la nature, "de sorte qu'elle puisse nous aider à rendre raison de ses principales propriétés". Aristote définissant le chaud comme "ce qui unit les corps semblables et désunit les dissemblables" et le froid comme "ce qui rassemble les corps dissemblables et réunit les semblables", propose là des définitions assez contestables, mais surtout assez peu à même de nous faire comprendre la vraie cause et la vraie nature du chaud et du froid. Le chancelier Bacon se moquait de ce genre de définitions en disant que c'était comme si l'on définissait l'homme, "un animal qui fait des souliers et qui laboure les vignes."
9) Conversion des propositions affirmatives
L'affirmation unit et "identifie" en quelque sorte le sujet et l'attribut.
Il faut distinguer dans les idées :
- la compréhension : l'ensemble des attributs contenus dans une idée (tous les attributs qu'elle comprend, qu'elle contient).
- l'extension : l'ensemble des sujets qui contiennent cette idée.
Axiome I - L'attribut est mis dans le sujet par la proposition affirmative, selon toute l'extension que le sujet a dans la proposition : si le sujet est universel, l'attribut est conçu dans toute l'extension du sujet ; et si le sujet est particulier, l'attribut n'est conçu que dans une partie de l'extension du sujet. Si je dis que "la plupart des mammifères" sont des animaux terrestres, cela ne concerne pas tous les mammifères (par exemple le dauphin), mais seulement la plupart (par exemple le hérisson).
Axiome II - L'attribut d'une proposition affirmative est affirmé selon toute sa compréhension, c'est-à-dire selon tous ses attributs. Si je dis d'une figure géométrique que c'est un triangle, alors cela suppose que tous les attributs du triangle s'appliquent à cette figure.
Axiome III - L'attribut d'une proposition affirmative n'est pas affirmé selon toute son extension, si celle-ci est plus grande que celle du sujet. Dire que tous les animateurs de TF1 sont des cons ne signifie pas qu'ils constituent à eux seuls la totalité des cons (puisqu'il en faut d'autres qui les regardent, tout ébahis).
Axiome IV - L'extension de l'attribut est limitée par celle du sujet, en sorte qu'il ne signifie plus que la partie de son extension qui convient au sujet. Quand je dis que les hommes sont animaux, "animal" ne signifie plus tous les animaux, mais seulement les animaux qui sont hommes.
NB : la différence entre l'axiome III et l'axiome IV me semble relever d'une simple nuance de formulation.
On appelle conversion d'une proposition le fait d'inverser sujet et attribut sans que la proposition cesse d'être vraie si elle l'était au départ, ou plutôt de façon "qu'il s'ensuive nécessairement de la conversion qu'elle est vrai, supposé qu'elle le fût". Si A est joint à B, alors B est aussi joint à A : il est donc impossible que deux choses soient conçues comme identifiées (ce qui est la plus parfaite des unions) sans que cette union ne soit réciproque.
Dans les propositions particulières affirmatives, le sujet et l'attribut étant tous deux particuliers, la conversion est facile (en prenant soin que sujet et attribut restent particuliers en échangeant leurs rôles) : si certains assureurs sont des escrocs, je peux dire aussi que certains escrocs sont des garagistes.
Dans les universelles affirmatives, seul le sujet est universel. Il faut donc conserver sa restriction à l'attribut devenu sujet dans la conversion. "Tous les gnous sont des animaux" devient donc "certains animaux sont des gnous".
Récapitulons :
Règle I - Les propositions universelles affirmatives doivent se convertir en ajoutant une marque de particularité à l'attribut devenu sujet.
Règle II - Les propositions particulières affirmatives doivent se convertir sans aucune addition, ni changement.
Deux règles qui peuvent se ramener à une seule : l'attribut étant restreint par le sujet dans toutes les propositions affirmatives, si on veut le faire devenir sujet, il faut lui conserver sa restriction, et par conséquent lui donner une marque de particularité, que le sujet de départ soit universel ou particulier.
Il arrive cependant qu'une universelle affirmative puisse se convertir en une autre universelle, lorsque l'attribut n'a pas en soi plus d'étendue que le sujet, comme lorsqu'on affirme la différence ou le propre de l'espèce, ou la définition du défini : tout homme est une créature douée de raison / Toute créature douée de raison est un homme.
NB : l'exemple est évidemment un peu daté, car à l'époque de Port-Royal, on ignorait encore l'existence possible d'extra-terrestres intelligents, voire sympathiques (exemple : E.T.), ainsi, d'autre part, que celle (encore à venir) de Steevy.
10) Conversion des propositions
négatives
La proposition négative consiste à dire qu'une chose n'est pas une autre. Pour qu'une chose ne soit pas une autre, il n'est pas nécessaire qu'elle n'ait rien de commun avec elle, il suffit qu'elle n'ait pas tout ce que l'autre a : on ne peut pas dire que les bêtes n'ont rien en commun avec l'homme, mais elles ne sont pas hommes parce qu'elles n'ont pas tout ce qui fait l'homme.
Axiome V - La proposition négative ne sépare pas du sujet tout ce qui est contenu dans la compréhension de l'attribut, mais elle sépare seulement l'idée totale et entière composée de tous ces attributs unis. Si je dis qu'Arielle Dombasle n'est pas la femme de Jean-Pierre Pernaut, je n'affirme pas pour autant qu'elle n'est pas une femme, ni qu'elle n'est l'épouse de personne.
En revanche, la proposition négative sépare du sujet l'idée de l'attribut dans toute son extension. Si je dis que l'homme n'est pas un être insensible, je veux dire qu'il n'est aucun des êtres insensibles (cailloux, bouts de bois, Michel Sardou, etc.) et je les sépare donc tous de lui. Si je dis que Benjamin Castaldi n'est pas un animal doué de raison, je veux dire qu'il n'est aucun des animaux doués de raison : c'est une simple bête brute réduite à des instincts primaires (faire de l'audience, racoler, inciter des jeunes à utiliser des numéros de téléphone surtaxés, etc.), il n'est ni véritablement humain, ni véritablement dauphin, encore moins félin.
Axiome VI - L'attribut d'une proposition négative est toujours pris généralement. En d'autres termes, tous les sujets d'une idée qui est niée d'une autre sont aussi niés de cette autre idée. Si je dis que les carrés ne sont pas des triangles, "tout ce qui est triangle (c'est-à-dire toutes les espèces de triangles ?) sera nié du carré". En d'autres termes encore, si on nie le genre, on nie aussi l'espèce, car l'espèce est un sujet du genre.
Les propositions négatives séparent donc l'attribut du sujet selon toute l'extension de l'attribut, mais elles séparent aussi cet attribut du sujet selon toute l'extension qu'a le sujet dans la proposition : elle l'en sépare universellement si le sujet est universel (si je dis que "nul chanteur français des années 60 ne s'appelle Plastic", je sépare tous les individus prénommés Plastic de tous les chanteurs français des années 60) ; elle l'en sépare particulièrement si le sujet est particulier (si je dis que "certains chanteurs français des années 70 ne s'appellent pas Michel", je ne sépare le fait de se prénommer Michel que d'une partie - infime ! - des chanteurs français des années 70) .
Axiome VII - Tout attribut nié d'un sujet est nié de tout ce qui est contenu dans l'étendue qu'a ce sujet dans la proposition.
Comme il est impossible qu'on sépare deux choses totalement sans que cette séparation ne soit mutuelle et réciproque, il est évident que si je dis que nul homme n'est un caillou, je peux aussi dire que nul caillou n'est un homme.
Règle III - Les propositions universelles négatives peuvent se convertir simplement en changeant l'attribut en sujet, et en conservant à cet attribut devenu sujet la même universalité qu'avait le premier sujet (l'attribut d'une proposition négative étant toujours pris universellement puisqu'il est nié selon toute son étendue).
En revanche, on ne peut convertir une proposition négative particulière : si je dis que certains hommes ne sont pas animateurs de TF1, je ne peux pas dire pour autant que certains animateurs de TF1 ne sont pas humains (quoique ... mauvais exemple). L'attribut d'une proposition négative étant toujours universel, la conversion rendrait ici universel quelque chose qui n'était que particulier lorsqu'il était sujet de ma proposition de départ : "certaines figures ne sont pas des triangles" (je ne parle que de certaines figures en particulier) ne peut être converti en "certains triangles ne sont pas des figures" (où "figure", en devenant attribut, est devenu universel).