THE UNOFFICIAL JOHN DOGGETT's BLOG

2015



6 décembre : NOUVEAU DEBAT SUR L'EUTHANASIE CHEZ FINKIELKRAUT

Loin de moi l'idée de reprocher à Finkielkraut cette obsession : il en a de pires. L'échange du jour est assez surprenant. D'abord parce que le partisan de l'euthanasie est un prêtre catholique. Ensuite parce que son adversaire, le "philosophe" Jacques Ricot, qui ouvre le feu en souhaitant dédier l'émission à son père "qui est nonagénaire et qui est en souffrance, qui est en difficulté ; je sais qu'il m'écoute et je sais qu'aucun mot blessant de ma bouche et, je l'espère aussi, de la vôtre, ne sortira pour lui dire que sa condition actuelle est déplorable et qu'il ferait mieux de s'en aller." L'argument est classique (confondre l'euthanasie comme choix individuel avec l'euthanasie comme choix de société applicable à tous) et on y a droit bien entendu à chaque fois, mais l'appel au pathos et le chantage émotionnel lui ajoute ici d'emblée un degré d'indécence nouveau.


14 novembre : ATTENTATS

Nouvelle vague d'horreur hier soir. Mais ne nous inquiétons pas. De bonnes âmes comme Olivier Cyran ne vont sans doute pas tarder à nous dire que toutes les victimes étaient islamophobes ; de géniaux détectives comme Dieudonné vont très vite nous démontrer qu'il s'agit en réalité d'un complot du Mossad ; de brillants ministres tels que Najat Vallaud-Belkacem vont, une nouvelle fois, dans cette situation d'urgence, prendre rapidement des mesures radicales pour faire de l'école le fer de lance du combat de l'esprit critique contre la stupidité et la barbarie, par exemple en supprimant quelque langue ancienne - donc barbare - et en instituant des activités pluridisciplinaires citoyennes à base de référentiel bondissant (*).

(*) : ce que les esprits rétrogrades appellent vulgairement un ballon.

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Quelques réactions remarquables.

Celle de François Damiens : "Il faut continuer à sortir, à vivre, à aller boire des verres. On n'a pas le choix." (???)

Plusieurs crans au-dessus, celle du penseur footballistique Djibril Cissé qui souligne un des aspects les plus atroces de ces attentats, auxquels beaucoup n'avaient sans doute pas songé avec la même acuité : "J'aurais pu prendre une balle", déclare-t-il. Et en effet, sur le moment, je n'avais pas réalisé, mais Djibril Cissé aurait pu se prendre une balle. Ouf. On ne s'en sort pas si mal, finalement.

Reste à savoir si la réaction de Michel Onfray est plus ou moins intelligente que celle de Djibril Cissé. J'ai bien peur qu'elle le soit moins et cela me peine. Après Philippe Val et quelques autres, je vois une fois de plus déraper et sombrer dans l'ineptie quelqu'un dont j'ai longtemps admiré la réflexion.

Je pense d'ailleurs que dans la folie ambiante, je finirai moi-même tôt ou tard par basculer dans une forme quelconque de délire simplificateur et par mériter réellement le qualificatif d'islamophobe, tant j'ai de plus en plus l'impression que les musulmans qui condamnent réellement, sincèrement, à 100%, cette barbarie, sont rares. Je suis encore capable de dire qu'il suffit d'un seul musulman, d'un Abdennour Bidar, par exemple, pour constater que l'Islam est compatible avec l'intelligence, la démocratie, les Droits de l'Homme, etc. Le jour où je ne serai plus capable de le dire, merci à qui lira ceci de considérer que c'est là le fond véritable de ma pensée et que tout propos ultérieur relevant du racisme sera à mettre au compte de la dégénerescence mentale et/ou de l'épuisement face à l'Ere de la Connerie victorieuse sur tous les fronts (et Fronts). Je ne suis pas du tout certain d'avoir la force d'âme d'un Bérenger et de parvenir à être le dernier à ne pas devenir un rhinocéros bien con.

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S'interrogeant sur le sens de l'expression "wie Gott in Frankreich" utilisée par les Juifs d'Europe centrale pour exprimer le parfait bonheur, Saül Bellow écrivait ceci : "Dieu serait parfaitement heureux en France parce qu'il n'y serait pas dérangé par les prières, rites, bénédictions et demandes d'interprétation de délicates questions diététiques. Paris est la Ville sainte de la Laïcité. Environné d'incroyants, lui aussi pourrait se détendre le soir venu, tout comme des milliers de Parisiens dans leur café préféré. Peu de choses sont plus agréables, plus civilisées, qu'une terrasse tranquille au crépuscule."


5 novembre : ISLAMOPHOBIE

Dans sa dernière émission consacrée à "l'Islam et l'Occident", Finkielkraut confrontait Daniel Sibony et l'imam de Bordeaux Tareq Oubrou. J'ai déjà dit combien le terme d'islamophobie me semblait contestable, tant pour son manque de précision que pour l'usage qui en fait pour discréditer a priori toute critique. Cette émission me fait songer que je suis décidément moins "islamophobe" que certains n'auraient tendance à l'affirmer, car je me suis senti infiniment plus de sympathie pour Tareq Oubrou que pour Sibony. Et prendre conscience que si le mot "islamophobie" peut avoir une utilité, ce pourrait être justement pour désigner les gens comme Sibony, qui ne rejettent pas simplement les formes radicales de l'Islam mais qui pense que l'Islam est une religion très particulière qui porte en germe toutes ses dérives actuelles. Il y a certainement la justification de tout et de n'importe quoi dans le Coran, mais c'est le cas aussi de la Bible, et surtout Tareq Oubrou montre bien qu'une interprétation humaniste de ce texte est possible. Quel que soit le texte de départ, cet effort d'interprétation humaniste mérite bien davantage l'intérêt et le respect que les haineuses oeillères d'un Sibony qui ne voit dans le Coran que ce qu'il a envie d'y voir.


2 novembre : BARTHES-SOLLERS

La dernière émission de Charles Dantzig avait un titre prometteur : "Barthes, Sollers et les amitiés littéraires". J'espérais y entendre quelque spécialiste bien informé nous expliquer l'engouement pour moi assez inexplicable du critique génial qu'était Barthes pour le Roi de l'Esbrouffe. Hélas, en guise de spécialiste, l'invité n'était autre que Sollers lui-même, venu présenter le livre qu'il vient de consacrer à son amitié avec Barthes, ce qui a bien évidemment limité l'émission à un éloge convenu de Barthes et à une auto-glorification de Sollers. Citons ce moment d'humilité à mourir de rire :

Dantzig : "L'Amitié avec Roland Barthes", c'est un beau titre. Pourquoi avez-vous choisi ce titre ? Ca veut dire que vous sous-entendez que c'est lui qui vous a apporté quelque chose ?

Sollers (poseur et solennel) : Je m'efface. Et je pense que c'est plus décent. Et d'ailleurs ça commence par le chagrin que j'éprouve au moment de sa mort.

En l'occurrence, au moment de sa mort, c'est plutôt Barthes qui s'efface : parler de la mort de Barthes à travers son propre chagrin est une étrange façon pour Sollers de "s'effacer". Mais bon, il n'est pas très coutumier de l'effacement, alors il a du mal à bien cerner le concept, il tâtonne un peu, c'est normal. Pareil pour la décence obtenue en étalant son chagrin : quel acrobate, ce Sollers !

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WELLES-DICAPRIO

Certains avaient déjà noté une certaine ressemblance physique et des similitudes de carrière (la malédiction de Don Quichotte) entre Orson Welles et Terry Gilliam. Un autre "sosie" de Welles est Leonardo DiCaprio, qui semble d'ailleurs s'en être lui-même aperçu et cultiver depuis quelques années la ressemblance. Le talent de l'acteur n'est plus à démontrer. Reste à savoir s'il se lancera dans la réalisation avec le même génie que Welles. S'il est prudent, il peut envisager un film dans lequel il incarnerait justement Orson Welles. S'il est complètement fou, il peut envisager de faire un remake de Citizen Kane.


6 octobre : LE CONSEIL DU JOUR D'ANDY WARHOL

"Les gens laissent parfois un même problème faire leur malheur pendant des années, alors qu'ils pourraient simplement dire : et alors ? C'est une de mes phrases préférées, et alors ? ... "Ma mère ne m'a pas aimé ... et alors ?" ... "Mon mari ne veut pas me baiser ... et alors ?" ... "Je réussis, mais je suis toujours seul ... et alors ?" ... Je me demande comment j'ai pu survivre toutes ces années avant de trouver le truc. J'ai mis longtemps à l'apprendre, mais une fois qu'on l'a trouvé on ne l'oublie plus jamais."

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ET LE CONSTAT DE REMY DE GOURMONT

"Un imbécile ne s'ennuie jamais : il se contemple."


19 septembre : FINKIELKRAUT, L'ECOLE ... ENIEME EMISSION

Intéressante pour ce que disent Finkielkraut et François-Xavier Bellamy, la dernière émission Répliques sur "les Maux de l'école" nous contraint hélas également à entendre pérorer les consternants sociologues Dubet et Duru-Bellat, dont je m'abstiendrai finalement de décortiquer ici les pires accès de mauvaise foi, d'ineptie, voire d'ignominie. Je m'abstiendrai parce que j'ai déjà commenté ici ou là leurs arguments. Et parce qu'après tout, un enfant de dix ans pourrait les réfuter aussi bien que moi. A condition qu'il ait échappé à l'école façon Dubet-Duru-Bellat, bien sûr.


15 septembre : CHESTERTON ET L'ANARCHIE NEOLIBERALE

Dans son roman le Nommé Jeudi, Chesterton raconte les aventures d'un policier inflitré dans une organisation anarchiste. Conservateur et catholique, Chesterton ne pouvait qu'avoir une vision caricaturale et faussée de l'anarchisme (même si parfois l'anarchisme ne manque pas de se caricaturer lui-même). Cela n'empêche pas son roman d'être particulièrement drôle. Et cela n'empêche pas non plus Chesterton, poussé par son goût du paradoxe, de formuler des vérités qui sonnent très juste aujourd'hui, dès lors qu'on les applique, non plus à l'anarchisme classique, mais à ses formes "libertariennes" qui ont partie liée avec le néolibéralisme plus qu'avec le syndicalisme ouvrier. Un personnage déclare en effet ceci :

"Vous partagez cette illusion idiote que le triomphe de l'anarchie, s'il s'accomplit, sera l'oeuvre des pauvres. Pourquoi ? Les pauvres ont été, parfois, des rebelles ; des anarchistes, jamais. Ils sont plus intéressés que personne à l'existence d'un gouvernement régulier quelconque. Le sort du pauvre se confond avec le sort du pays. Le sort du riche n'y est pas lié. Le riche n'a qu'à monter sur son yacht et à se faire conduire dans la Nouvelle-Guinée. Les pauvres ont protesté parfois, quand on les gouvernait mal. Les riches ont toujours protesté contre le gouvernement, quel qu'il fût. Les aristocrates furent toujours des anarchistes ; les guerres féodales en témoignent."


8 septembre : CECI N'EST PAS UN FRONT

Un homme cultivé m'expliquait récemment que le Front National n'était pas un parti fasciste, puisque le fascisme désignait le régime de Mussolini dans l'Italie des années 20 à 40. Quelques temps plus tard, j'entendais Michel Onfray tenir à peu près le même discours. Le même Michel Onfray exposait il y a quelques années encore les conceptions d'Eugenio d'Ors distinguant un baroque historique (limité à une période précise) et un baroque transhistorique (un ensemble de caractéristiques permettant de qualifier de "baroque" au sens large une oeuvre d'art appartenant à n'importe quelle période postérieure ou même antérieure à la période baroque. C'est dire que Michel Onfray était conceptuellement armé pour savoir que la circonscription du fascisme mussolinien à un cadre historique et géographique donné n'empêche pas de retrouver en d'autres lieux et en d'autres temps des idéologies et des régimes de type fasciste. Mais apparemment, ce jour-là, il avait oublié son armement conceptuel.

De toute façon, le terme fasciste n'est sans doute pas le mieux adapté pour définir l'idéologie du Front National, effectivement. Il s'y mêle des tas de courants variés, du poujadisme au néo-nazisme en passant pas la nostalgie pétainiste. La question n'est pas là. Il va de soi que le but d'une telle rigueur historique et sémantique était, dans les deux cas que je citais, d'amener à l'idée que le FN peut être un interlocuteur valable, est finalement un parti comme un autre, ne dit pas que des conneries, etc. On commence par chipoter sur le terme "fasciste" (effectivement trop approximatif), mais l'étape suivante est de dire que ce n'est pas un parti d'extrême-droite (*). Certains, sensibles au discours "social" de Marine Le Pen, vont même désormais jusqu'à suggérer sans rire que c'est un parti de gauche (ce qui devrait pourtant prêter à rire, mais la plupart des partis de gauche sont aujourd'hui de droite, une telle absurdité n'étonne plus personne). Que Marine Le Pen elle-même nie tout lien entre son parti et l'extrême-droite, c'est à peu près aussi naturel que, pour un malfrat, même pris en flagrant délir, de proclamer "c'est pas moi, c'est lui". Mais que l'argument soit relayé par un Michel Onfray, voilà qui est plus navrant.

Alors, certes, il y a parmi les électeurs du FN de nombreux opportunistes dont le vote est purement protestataire et qui jouent avec le feu avec d'autant moins de réticence que des gens sérieux déclarent désormais que ce n'est pas du feu. Certes, ces gens existent et ce ne sont pas des gens d'extrême-droite, juste d'irresponsables cons. Mais il y a aussi au Front National des électeurs, des militants, des responsables, dont Mein Kampf est le fleuron de la bibliothèque, dont les blogs sont parsemés d'éloges du Führer à moustaches, à tel point que la femme Le Pen est régulièrement obligée de leur demander de fermer leur gueule, notamment en période d'élections. Ces gens-là se donnent la peine d'orner leur domicile de croix gammées et autres éléments de customisation issus de la riche esthétique du III° Reich, et je trouve que ce n'est pas les respecter que de leur dire brutalement que le parti qu'ils soutiennent n'est ni fasciste, ni d'extrême-droite, ni rien de ce genre. Le monsieur cultivé et Michel Onfray devraient avoir honte de dire des choses susceptibles de faire pleurer de pauvres néo-nazis idéalistes, naïvement trompés par la bolchévique judéo-parlementaro-cosmopolite Marine Le Pen.

(*) : Evidemment, dès lors, plus question non plus de qualifier qui que ce soit de "facho", même si l'on sait bien que ce terme à la fois vague (applicable à plusieurs tendances) et précis (mais qui sont toutes des tendances de l'extrême-droite), moins encore que "fasciste", n'a jamais prétendu se limiter au fascisme historique.

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PRINCIPE DE DILBERT : C'est grâce au plafond de verre (le fait qu'un un individu soit confronté à un réseau de pouvoir tacite, implicite, voire occulte, qui l'écarte d'un niveau de pouvoir ou de rémunération ou hiérarchique auquel il pourrait prétendre), c'est grâce au plafond de verre, donc, que les compétents restent à un poste productif, et que le travail s'effectue.


6 septembre : METHODE GLOBALE, SUITE ET FIN ?

Hier, sur France Culture, une Suite dans les idées beaucoup plus intéressante que d'habitude, pour ne pas dire passionnante (à sa manière). Deux sociologues et spécialistes des sciences de l'éducation y parlent de leur livre, Réapprendre à lire, de la querelle des méthodes à l'action pédagogique. Tout en conservant le discours sociologique et ses multiples zones de flou, tout en prétendant ne pas prendre position, ces deux gaillardes n'en arrivent pas moins à laisser échapper ça et là l'idée que dès qu'on revient clairement et nettement à une méthode syllabique, cela fonctionne tout de suite beaucoup mieux. Tout cela est très enrobé, hésitant, et on prend de multiples pincettes pour laisser entendre à mots couverts des choses qui devraient pourtant être des évidences pour toute personne de bon sens.

Intéressante du fait de ce contenu qu'elle a bien du mal à formuler clairement, l'émission est néanmoins assez pénible car il faut traverser le brouillard, subir des discours creux et jargonnants durant presque toute l'émission, pour quelques minutes intéressantes où la vérite affleure un peu.

Je vais essayer de résumer les choses en me concentrant sur l'essentiel.

Nos deux amies ont d'abord travaillé en observation dans un établissement scolaire, tout en pratiquant par ailleurs une sorte de soutien scolaire auprès des élèves observés. La première année, elles constatent que beaucoup d'élèves ne maîtrisent toujours pas la lecture. L'année suivante, elles recommencent mais en fixant certaines règles, imposant notamment aux enseignants d'employer "une méthode explicite". Voilà une formule qui n'est elle-même certes pas très explicite, aussi y a-t-il une traduction qui suit :

"il s'agit d'abord de travailler sur un apprentissage explicite des relations grapho-phonémiques ...". Ce n'est pas beaucoup plus clair à première vue, et c'est assez peu euphonique, mais cela semble pouvoir se traduire (traduction de la traduction, donc) par "apprendre à identifier les lettres et les associer à des sons". Surtout ne pas prononcer le mot "syllabique" !

"... ce qui n'était pas exactement le cas les années précédentes ..." : façon discrète d'indiquer que, contrairement à ce que prétendent les partisans de la méthode "globale" (et de ses divers avatars aussi nuisibles qu'elle), celle-ci est toujours utilisée et dominante, même si l'on cache cette réalité en parlant de méthode mixte, laquelle n'est guère qu'une méthode globale qui pourrit l'entendement des enfants à la base mais dans laquelle on réinjecte épisodiquement un peu de syllabique quand il est déjà trop tard pour la plupart d'entre eux, le tout créant plus de confusion qu'autre chose. Pour reprendre une comparaison que j'ai déjà employée au sujet de la méthode mixte, du cyanure reste du cyanure, même si vous le versez dans un peu de lait. En tous cas, c'est intéressant de voir les détours que sont obligées de prendre ces deux sociologues pour s'exprimer.

"... et puis d'accorder un temps d'entraînement très important à la lecture à voix haute par les élèves.", à quoi Sylvain Bourmeau ajoute : "Ca c'est crucial ! Le temps ! La variable temps ! C'est-à-dire que ... c'est pas miraculeux, pour apprendre à lire, il faut juste ... passer un peu de temps, quoi." Et ils vont ainsi passer un temps fou, justement, à parler de cette "variable temps" qui est une telle banalité que même Bourmeau, en le disant, souligne avec une naïveté confondante (et visiblement confondue) à quel point il vient d'enfoncer une porte ouverte (éh oui, Sylvain, c'est pas miraculeux). Pendant ce temps, le point véritablement important, à savoir "l'apprentissage explicite des relations grapho-phonémiques" n'est pas (surtout pas !) approfondi. On y reviendra vaguement un peu plus tard dans l'émission, mais toujours de façon détournée, sans nommer clairement les choses.

Une autre information importante parvient à se faire jour à travers tout ce prudent galimatias. Les enseignants étaient d'abord très réticents à cette intervention extérieure qui leur demandait de "laisser tomber les devinettes" et de passer à une méthode explicite. Puis, au fil de l'année et au vu des résultats (car, ô surprise, voici que tous les élèves, avec le "grapho-phonémisme explicite", se mettent à maîtriser la lecture !) les mêmes enseignants ont fini par trouver ça très bien et même pas avouer qu'ils se sentaient mieux qu'avant, pris en étau qu'ils étaient entre les consignes qu'on leur donnait et l'insatisfaction de voir tant d'élèves échouer.

Comme on ne dit pas clairement les choses, on peut aussi glisser sur la fin une autre vérité, à savoir que les méthodes "diverses" actuellement pratiquées (surtout ne pas dire "globale" !) conduisent de nombreux enfants chez l'orthophoniste, lequel tente de réparer les dégâts.

Bref, cette émission est (malgré tout) intéressante à deux niveaux :

- parce qu'elle finit par dire (malgré tant de précautions et de réticences) ce que les partisans de la méthode syllabique disent depuis le départ et qui relève du simple bon sens.

- parce qu'elle nous montre le camp adverse en pleines contorsions dans sa confrontation avec ces évidences. Chez un type comme Bourmeau, on ne peut pas dire de but en blanc que la méthode globale est une connerie qui a bousillé des générations et que la méthode syllabique est de toute évidence la seule vraiment adaptée pour une langue comme le français (je ne suis pas sectaire et j'ai toujours admis que la méthode globale était parfaite pour apprendre le chinois, langue à idéogrammes). D'où ces quelques vérités qu'il faut absolument manier avec précaution et diluer dans des banalités qui ne blessent personne. Les deux auteurs précisent d'ailleurs que, si elles ont fini par convaincre les enseignants avec lesquels elles ont travaillé, leur travail reste pour l'instant très peu apprécié par les autorités inspectorales. Bref, il faudra bien du temps pour que ce discours puisse se faire entendre (je veux dire de l'intérieur du camp de la sociologie et des sciences de l'éducation).

C'est un peu comme cette étude scientifique des mouvements oculaires, citée je crois par Liliane Lurçat, qui montrait qu'on lisait effectivement en déchiffrant les lettres composant les mots et non de façon globale. Ce qui était une évidence pour des crétins réactionnaires comme moi, mais était contredit jusqu'alors par une étude scientifique antérieure du même type qui montrait qu'on lisait les mots de façon globale. Simplement, la nouvelle technique, plus sophistiquée, permettait une meilleure observation des mouvements oculaires, et là où la précédente voyait une saisie globale des mots, la nouvelle permettait d'affiner et de constater qu'en fait l'oeil déchiffrait bien les lettres ... ah oui, tiens ! ... mais euh ... super vite, en fait, c'est pour ça qu'on n'avait pas remarqué la fois d'avant (et je passe sur le fait d'observer les yeux de gens qui savent déjà lire pour en tirer des conclusions sur la façon d'apprendre à lire à ceux qui ne le savent pas encore). Pour convaincre ces gens insensibles à l'évidence, il fallait donc attendre que les méthodes d'investigation scientifique atteignent enfin un stade permettant de vérifier ces évidences, et de contredire les conneries établies par la technique précédente trop grossière. D'ailleurs, cela n'a visiblement pas convaincu grand monde car cette histoire date d'au moins dix ans, et les invités de Bourmeau en sont toujours à devoir prendre des gants pour contester l'idéologie pédagogique dominante.

C'est à la fois tragique et bouffon de voir tant de complications et de précautions, tant d'efforts et d'études complexes, pour parvenir à formuler (devant des gens qui n'ont pas envie de les entendre) des vérités pédagogiques qui étaient connues de tous avant la méthode globale. Bref, le résultat de décennies de sciences de l'éducation semble être de revenir au point de départ, mais en essayant de ne pas le dire trop fort et surtout en évitant de dire que tout ce qui a eu lieu depuis ce point de départ qu'on n'aurait jamais dû quitter n'a été qu'une vaste fumisterie.


21 août : ONFRAY 2015

Une fois de plus, malgré certaines de ses prises de position par ailleurs, je ne trouve pas grand chose à redire aux conférences d'Onfray diffusées sur France Culture. L'ensemble du propos reste cohérent, honorable et intéressant. Les toutes premières séances sur la façon dont les intellectuels de gauche (Foucault, Deleuze, etc.) ont abandonné le peuple (en phase en cela avec le PS) et contribué ainsi à sa dérive vers le FN, ces premières séances sont passionnantes. La mise en valeur de Jankélévitch me semble un peu paradoxale dans la mesure où Onfray passe le plus clair de son temps à exposer et à déplorer (à juste titre) les positions excessives de Jankélévitch concernant la Shoah (dont il rend responsable tous les Allemands passés, présents et à venir).

La séance de questions qui suit de peu les attentats de janvier (émission 10/25) contient quelques aberrations (son introduction délibérément floue sur les amalgames, qui remplace le raisonnement clair mais des comparaisons aussi douteuses que nébuleuses tant qu'on ne les accompagne pas d'un discours clair ; son passage sur la responsabilité des dessinateurs, qui réduit ceux de Charlie à des irresponsables qui n'auraient fait que se moquer des gens pour s'amuser comme de grands enfants), aberrations par ailleurs en relative contradiction l'une avec l'autre, aberrations en tous cas décevantes chez Onfray, mais l'ensemble de l'intervention est cependant très intéressante sur bien des points. Dans cette même séance, parlant de la presse, Onfray souligne le paradoxe que constitue les aides financières apportées par l'Etat à une presse qui, dans sa majorité, passe son temps à critiquer les impôts, les salariés qui réclament une retraite, les "assistés" en tous genres (pardon, pas en tous genres, justement, puisque cela n'inclut pas les assistés de leur propre espèce).

Voilà une idée concrète pour un gouvernement qui se voudrait de gauche, ou tout simplement républicain : au moindre propos critique envers la fiscalité comme forme de redistribution et d'assistance aux plus démunis, suppression totale des aides de l'Etat à l'organe de presse concerné. Idem d'ailleurs pour les banques et entreprises bénéficiant d'aides publiques et dont les dirigeants se permettraient publiquement de tels propos. Ce serait la moindre des choses.

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REPUBLICAINS (LES)

Je saisis l'occasion pour dire un mot rapide du changement de nom de la bande à Sarko. Je m'étonne que les vrais républicains n'aient pas davantage réagi et ne se soient pas davantage battus, y compris devant la Justice, pour empêcher un parti d'accaparer (pour ne pas dire d'usurper) ce nom. Bien sûr, la référence est avant tout américaine, mais ce terme permet aussi de prétendre incarner les valeurs républicaines françaises, lesquelles n'ont rien à voir avec Bush, non plus qu'avec Sarkozy.

On semble estimer que ce n'est qu'un mot, mais on devrait relire Orwell pour mesurer un peu mieux l'extrême importance des mots et des déformations que l'on impose à leur sens. C'est le même camp néolibéral qui a réussi à se refaire une virginité et à imposer sa conception réactionnaire des rapports sociaux en se drapant dans le mot "liberté".

Quoiqu'il en soit, les "Républicains", français ou américains, sont à la véritable idée de République (centrée sur l'intérêt commun) ce que le PS est à la gauche : plus qu'un ersatz, une imposture.

 


12 juillet : SYRIZA ?

On a beau trouver les gens de Syriza plus sympathiques que la moyenne des responsables politiques, on a beau juger ignoble le chantage permanent par lequel les créanciers de la Grèce font tout, non seulement pour les empêcher d'appliquer totalement leur programme, mais également pour les contraindre à mettre en place de nouvelles mesures d'austérité (qui sont à la fois ce que souhaitent ces créanciers et un excellent moyen de discréditer le premier gouvernement enfin élu sur un vrai programme de gauche), on a beau avoir envie (sans plus beaucoup d'espoir) de les voir réussir quelque chose (à défaut de réussir), on se dit tout de même qu'ils ne se sont pas donné les moyens de leur politique et que leur priorité, plutôt que de négocier avec des financiers véreux, aurait dû être dès le départ de donner davantage de moyens à la Grèce elle-même, en luttant de façon radicale contre la fraude et l'évasion fiscales, en nationalisant ou en taxant les biens du clergé orthodoxe,...


6 mai : AVIS AUX DJIHADISTES

Imaginons qu'au lieu de décapiter des touristes, des journalistes ou des humanitaires, qu'au lieu d'abattre des dessinateurs ou des enfants (juifs, les enfants, en tous cas dans le cas des victimes de Mohamed Merah : or le Juif est fourbe dès la naissance, c'est bien connu, bien connu en tous cas de tous les débiles qui fréquentent les sites djihadistes) ... Imaginons que ces "djihadistes" (si tant est qu'une bande de désoeuvrés psychopathes mérite d'être associée sans rire à une idéologie, à un mot en "isme", si ce n'est peut-être le crétinisme et l'onanisme, et bien sûr le fascisme) se mettent à tuer de hauts responsables socialistes. Non seulement il n'y aurait sans doute plus grand monde pour défiler en proclamant "Je suis Manuel", "Je suis Najat" ou même "Je suis François (dont il me poise)", mais surtout on peut se demander si le PS ne se mettrait pas enfin à prendre de réelles mesures préventives, non plus seulement contre les actions terroristes, mais surtout contre la naissance d'un tel poison dans les esprits, c'est-à-dire des mesures économiques visant à restaurer davantage de justice sociale et des mesures éducatives visant à restaurer un enseignement efficace plutôt qu'à jouer une fois de plus la carte du catéchisme moralisateur ("le terrorisme c'est vilain, manger 5 fruits et lègumes par jour, c'est BIEN"). On peut toujours rêver : il n'y a vraiment plus rien à attendre de ces gens-là, même en les massacrant.

Et puis il faudrait pour cela que nos amis terroristes aient à la fois un cerveau et des couilles, en d'autres termes, soient capables de penser et de faire l'amour (ou au moins de l'un des deux) ; or, si c'était le cas des djihadistes, ce ne seraient justement pas des djihadistes. Guère d'espoir de ce côté non plus, donc.

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COMPLEMENT EDUCATION

Dans le domaine de l'éducation, malgré les belles déclarations de janvier, non seulement rien de sérieux n'a été entrepris, mais la énième réforme du collège qui se met en place va une fois de plus dans le sens du renoncement, de la baisse des exigences, du sacrifice de certaines matières, etc.

Dans le même ordre des idées, j'entends parler d'une réunion qui s'est tenue dans un grand lycée de centre-ville suite à un léger décrochage dans le classement des établissements établi par le canard local. Après avoir expliqué que cela ne signifiait rien étant donné les critères très orientés utilisés par ledit canard, la direction a néanmoins demandé à ses enseignants rassemblés si certains avaient des idées à proposer pour remonter la pente (bref : "il n'y a en réalité aucun problème, mais cherchons tout de même des solutions" ... étrange discours). Il s'est trouvé de braves SGENard(e)s et adeptes de Meirieu pour critiquer la "politique d'excellence" de l'établissement et proposer plus de bienveillance envers les élèves (comprenez : leur mettre de meilleurs notes, leur donner moins de travail, être moins exigeant avec eux,...) Je cherche encore en quoi la bienveillance s'oppose à l'excellence, et en quoi une bienveillance ainsi conçue ne relève pas (si ce n'est dans ses intentions Bisounours) d'une malveillance qui s'ignore. Mais cela, c'est toute l'histoire de l'Education nationale depuis quelques décennies.

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NOUVEAUX CHEMINANTS

Autre entreprise de crétinisation sous couvert de culture, les Nouveaux Chemins de la Connaissance commencent à se répéter sérieusement, enfin plus encore que d'ordinaire. La semaine dernière, Mame Van Reth proposait une émission sur Baudelaire et l'ivresse, alors qu'on avait eu droit il y a quelques années à peine à "Baudelaire et les paradis artificiels", qui plus est avec le même invité, mais présentée encore à l'époque par Enthoven. Même chose avec cette nouvelle semaine consacrée au snobisme, thématique déjà explorée il y a quelques années avec brio par ledit Enthoven, dont j'avais retranscrit ici les plus hautes fulgurances (le chanteur Renaud comme incarnation du snobisme, le snobisme consistant à condamner la guerre menée par Bush en Iraq,...) Mais c'est plus que de la répétition : le premier invité, venu parler hier du snobisme chez Proust, n'était autre que ... Raphaël Enthoven soi-même. Et l'on apprend par la même occasion que nos deux compères, Enthoven et Van Reth, viennent de publier conjointement un livre, sur le snobisme justement. Cela ne relève donc pas tant du manque d'inspiration que de l'auto-promotion, et de l'obsession. Il est facile d'observer qu'il y a toujours eu dans leurs émissions quelques thématiques récurrentes : le snobisme en est une, la bêtise en est une autre. Proust (puisqu'il en est question) observait que chacun a tendance à dénoncer avant tout chez les autres des traits qui sont dominants chez lui, qu'il n'avoue pas, ne s'avoue pas, mais ne peut s'empêcher de voir partout ailleurs: c'est ainsi qu'un voleur ne cessera de dénoncer les rapines des autres, ou qu'un homosexuel refoulé se répandra en propos homophobes. Nul besoin d'ailleurs d'en appeler à Proust (simple snobisme de ma part) pour constater qu'Enthoven est (plus encore que Renaud, si la chose est possible) le snobisme incarné. Quant à son obsession pour la bêtise, il faudrait pour en tirer la moindre conclusion une brillante intelligence que je n'ai pas : je laisse donc ce soin à Raphaël Enthoven lui-même.


2 mai : EUTHANASIE

C'est plus ou moins annuel, chez Finkielkraut, l'émission sur l'euthanasie. Histoire de suivre les timides, très timides et très insuffisants, progrès qui ont été faits. Malgré les promesses Hollandaises, même sur ce point, on est encore très loin du compte et l'on peut tout au plus espérer une forme d'euthanasie à l'extrême fin d'un long calvaire, soit au mieux quelques semaines de souffrances en moins par rapport à la législation précédente. Tout cela consterne Finkielkraut autant que moi, et c'est pourquoi, avec l'école, c'est un des rares sujets qui me le rendent encore un peu sympathique. Parfois.

Mais le schéma de l'émission est immuable, même en changeant d'invités. Les arguments de Finkielkraut et d'un invité sensé se heurtent à la mauvaise foi de quelque médecin cul-bénit venu expliquer que si l'horreur est encadrée par des professionnels bien formés, elle devient tout à fait vivable pour le patient ; encore une fois, ce qui est vrai pour certains patients (et tant mieux pour eux !) ne l'est pas forcément pour tous, et le combat pour l'euthanasie n'est que le combat pour un DROIT, dont chacun devrait pouvoir user SI et seulement si telle est sa volonté (être obligé à chaque fois de rappeler cela est consternant).

Le partisan de la vie à tout prix est cette fois le gériatre Robert Moulias, qui donne davantage dans la douceur molle que la péronelle Boch (c'est son nom) de la dernière fois, mais il est tout aussi insupportable dans son obstination à faire semblant de ne pas comprendre. Le pire est qu'il cherche même à un moment à faire de l'humour en disant : "J'aime bien provoquer en disant que j'ai vu des Alzeihmer heureux". Si ça t'amuse de provoquer, abruti, grand bien te fasse !


14 mars : DREAM TEAM

Casting de rêve chez Finkielkraut ce samedi pour parler du populisme. Nous retrouvons deux vieux amis : Chantal Delsol (cf. 1° juillet 2012) et Dominique Reynié (cf. 16 octobre 2010). On ne peut pas vraiment parler d'équilibre dans le débat, cette fois. On peut simplement constater que, posé à côté de Chantal Delsol, Reynié a presque le discours d'un être humain.

Il nous présente quoi, la semaine prochaine, Finkielkraut ? Florian Philippot vs Marine Le Pen ?

La deuxième moitié de l'émission contient tout de même quelques éléments d'analyse intéressants et un peu plus à l'honneur de ces deux énergumènes, tandis que Finkielkraut au contraire les coiffe au poteau en matière de discours à la con en ramenant une fois de plus son indignation face à la permanente condamnation de la corruption des élites (même Cahuzac, au fond, on en fait tout un plat mais "il n'avait pas puisé dans la caisse !" nous explique-t-il). Entendre Chantal Delsol lui répondre qu'il est tout de même naturel d'attendre des élus un minimum d'honnêteté la rendrait presque sympathique.


4 mars : NICOLAS BEDOS vs DIEUDONNE

Mediapart est capable du meilleur (traquer Sarkozy dans l'affaire Bettencourt, par exemple) comme du pire. Les blogs qui y sont rattachés aussi, apparemment. Je trouve un peu par hasard celui d'un certain Shanan Khairi, qui met dans le mec sac, celui des "histrions du racisme", Dieudonné, Manuel Valls et Nicolas Bedos. Je n'ai aucune envie de défendre Valls, même s'il me semble aberrant de mettre sa politique certes très critiquable sur le même plan que les appels à la haine d'un Dieudonné. Mais parlons plutôt de Nicolas Bedos.

Le personnage, "fils de" et bellâtre branché, ne m'est que médiocrement sympathique, mais il faut avouer qu'il a du moins hérité de son père une verve humoristique certaine et plutôt efficace, ainsi que des valeurs et une réflexion politiques plutôt honorables. Je suis donc allé voir la vidéo incriminée, dans laquelle, le 11 janvier dernier, chez Ruquier, il s'en prenait à Dieudonné, avec un talent et une pertinence indéniables (mais on me dira sans doute que je ne suis pas objectif). En tous cas, l'accusation de racisme est absurde. Nicolas Bedos incarne un "jeune de banlieue" vulgaire, stupide et fan de Dieudonné. Ce type de personnage existe et il se trouve que ce type de crétins constitue effectivement le public (la cible) privilégié de Dieudonné. Constater cette réalité signifie-t-il (et est-ce ce que Bedos affirme ou même suggère) que TOUS les jeunes de banlieues sont ainsi ? Certainement pas, et encore moins que tous les "musulmans" sont fans de Dieudonné. Musulmans ou non, banlieusards ou non, les dieudonnistes sont de dangereux abrutis et il est sain de caricaturer leur discours. Et malsain de chercher à discréditer cette caricature utile en la qualifiant de raciste.

Si l'on peut reprocher quelque chose à cette chronique de Nicolas Bedos, ce sont les plaisanteries d'ordre sexuel à l'encontre de Dieudonné. Il s'est justifié en disant qu'il devait essayer de s'adapter au public de Dieudonné pour essayer de le convaincre sans passer pour un simple donneur de leçons, et il a peut-être raison, mais le problème est que les dieudonnistes ont concentré leurs réponses sur ce point, ce qui leur a permis d'éviter de répondre sur les points les plus importants, notamment l'antisémitisme. Je parle bien entendu des dieudonnistes qui "argumentent", enfin qui font semblant. Car il y a aussi tous ceux qui ont immédiatement envoyé à Nicolas Bedos des menaces de mort.

Dieudonné a raison, il y a bien en France une liberté d'expression à deux vitesses. Il y a Dieudonné, ostracisé par les médias, perpétuellement victime de procès, rien que pour oser cracher quotidiennement mais avec humour (sic), sur les six millions de victimes juives du nazisme. Et il y a les Nicolas Bedos et les types de Charlie-Hebdo, qui osent se moquer des fascistes et des ordures sans distinction d'origine et que les médias et la Justice soutiennent éhontément, obligeant les braves gens à les menacer de mort et à venir les abattre à la kalachnikov. Pauvre Dieudonné, martyr de l'humour nazi drôle, tellement rejeté par la bien-pensance que personne ne songe à le menacer de mort : salauds de démocrates !


17 février : KIT DE SURVIE : APPLICATION PRATIQUE

En fouillant dans les poubelles du Net, on trouve par exemple une vidéo de Font et Val chantant "Emigré", postée apparemment par quelque nazillon et par lui intitulée "Philippe Val et le pédophile Patrick Font". Bon, on ne va pas revenir sur l'affaire Font, qui tombait en effet sous le coup de la loi car il s'agissait de trop jeunes filles, mais non de TRES jeunes filles, le terme "pédophile" étant inadéquat et tendant à placer ledit Font sur le même plan qu'un Marc Dutroux. Patrick Font a merdé, l'extrême-droite en profite pour forcer le trait et jeter l'eau du bain avec le bébé, si je puis dire, enfin pour discréditer toute parole jamais prononcée par Font, ce qui est dommage car avoir des goûts déviants n'implique pas qu'on ne raconte que des conneries (exemple : Marcel Proust et tutti quanti, contre-exemple : Christine Boutin).

Mais j'ai moi aussi mes perversions : une fois sur ces pages ignobles, je ne peux m'empêcher de lire quelques commentaires, en général encore plus ignobles. Prenons donc celui-ci , signé Manouche : " Immigrés t'en vas pas !!! et maintenant il accuse c'est meme immigrés d'avoir cramé Charlie Hebdo ! sa me fait rire tous sa" (sic). Précision : cela date de quelques années et fait référence à l'incendie des locaux de Charlie-Hebdo, pas aux assassinats de janvier 2015.

L'application de notre kit de survie est ici très simple.

Que répondrons-nous à l'inénarrable Manouche lorsqu'il ou elle aura fini de rire de tous sa ? Que personne n'a jamais affirmé que les locaux de Charlie avaient été incendiés par des immigrés. Que les coupables, qu'on peut qualifier éventuellement de "pyromanes", de "terroristes", de "gros neuneus" ou autres telles épithètes, soient ou non des "immigrés", personne n'en a rien à foutre, et notamment pas à Charlie-Hebdo. Un con est un con, un crime est un crime, etc. Bref, nous avons ici un joli cas d'amalgame supposant que tous les immigrés sont des terroristes, ou soutiennent leur action, et qui nous montre que Manouche ne brille ni par son intelligence, ni par son honnêteté intellectuelle, sans parler de sa coonsternante orthographe.

De façon plus générale, que pouvons-nous déduire de cet exemple pris parmi tant de milliers d'autres ? Peut-être que l'un des défauts d'internet est de donner l'impression que les cons sont de plus en plus nombreux et de plus en plus cons. Difficile de dire si l'impression est fondée ou non. Il y a peut-être une régression depuis quelques décennies, mais on peut supposer que la majorité des gens étaient bien plus ignorants il y a quelques siècles. Ignorants, mais davantage conscients de l'être et donc évitant d'étaler fièrement leur stupidité ? Je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est qu'internet permet à des millions de crétins de se lâcher, d'autant plus que l'anonymat leur donne des ailes, d'autant plus également que d'autres crétins ne manquent pas de les féliciter et que ces ânes ne cessent de s'entrecongratuler. Et nous sommes donc quotidiennement confrontés à ces montagnes de connerie crasse qui donnent l'impression qu'il n'y a jamais eu autant de cons. Mais c'est tout simplement parce qu'avant Internet, les cons de ce niveau, on évitait d'avoir affaire à eux, et eux-mêmes se contentaient au pire de déverser leur bile avec leurs potes de comptoir. En résumé : la connerie n'est sans doute pas plus profonde ni plus abondante qu'autrefois, mais elle est certainement plus offensive.


15 février : KIT DE SURVIE

Introduisant en 2003 mon essai de "kit de survie pour mieux penser", j'écrivais notamment : "parce que nous vivons une époque où nous pouvons à tout instant basculer dans le cauchemar (en admettant que nous n'y soyons pas déjà)".

J'ignore si nous y étions déjà en 2003, mais je sais aujourd'hui que les cauchemars de l'époque avaient un certaine charme comparés à l'abjection quasi-universelle d'aujourd'hui. Force est de constater que l'Humanité n'a ABSOLUMENT PAS pris la peine de consulter les judicieux conseils à Elle gracieusement fournis par ce kit de survie. Hormis les électeurs grecs de Syriza, tout le monde fait des trucs de plus en plus inadéquats, pour ne pas dire de plus en plus cons.

Les individus supposés nous aider à réfléchir, mus plus ou moins consciemment par des intérêts de groupe ou des a priori idéologiques, obscurcissent le débat au lieu de l'éclairer. C'est ainsi, par exemple, que nous avons des AlainFinkielkrauts (par exemple) qui trouvent que les puissants sont excusables et que condamner leurs crimes et délits relève d'un détestable "ressentiment", et des SylvainBourmeaux (par exemple) qui trouvent que tout ce qui est commis par des "opprimés" est excusable.

Face à cela, je maintiens qu'au lieu de plier la réalité à la façon dont nous souhaitons l'interpréter, il faut s'établir des critères de jugement aussi objectifs que possible, indépendamment de toute subjectivité, de tout intérêt personnel, puis, ensuite seulement, appliquer la grille de lecture ainsi construite aux événements. Ledit kit de survie n'est pas censé fournir cette grille de lecture (il revient à chacun de se la construire au mieux en son âme et conscience), mais quelques principes de construction. Cela dit, je doute que de multiples tentatives individuelles pour élaborer une telle grille selon des critères fiables, sains et raisonnables fournisse des résultats extrêmement variés et inconciliables. Voilà qui permet de pointer le principal défaut d'un tel kit : il ne permet pas de briller en société par des saillies originales, comme aime à en produire le philosophe (sic) Raphaël Enthoven en soutenant par exemple que le chanteur Renaud incarne le summum du snobisme ou que la morale du Gorille de Brassens est "qu'il vaut mieux coucher avec une vieille qu'avec un juge". Non, un tel kit permet uniquement d'essayer de penser, de dire le moins de conneries possible et d'avancer laborieusement à contre-courant de la barbarie qui nous submerge.

Bref ... Le combat est plus nécessaire que jamais. Quelque peu écoeuré par la pente aussi fatale qu'absurde où je vois le monde glisser toujours plus allègrement, je n'aurais sans doute plus aujourd'hui l'énergie de réaliser le moindre kit, et encore moins de me retaper la lecture de la Logique de Port-Royal. Mais peu importe, puisque tout est là, plus que jamais d'actualité, hélas ! Il n'y aurait qu'à remplacer certains exemples de la décennie précédente par de plus récents, mais chacun trouvera lui-même sans difficulté des exemples plus récents d'horreur, de stupidité, d'horrible stupidité et d'horreur stupide.

Depuis 2003, il y a eu dans le même sens quelques tentatives plus ambitieuses, plus complètes (et un peu plus diffusées, je l'espère), comme le Petit Cours d'autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon. Mais enfin, les tentatives sont complémentaires et malheureusement pas si nombreuses. Cela vaut toujours mieux que rien ou (ce qui est pire que rien) mieux qu'un kit de survie élaboré par Raphaël Enthoven.

 


25 janvier : SYRIZA !

Victoire formidable en Grèce de la seule voie qui me semble possible pour sortir à la fois du libéralisme à outrance et de toutes les maladies qu'il produit, à commencer par les fascismes en tous genres.

SI Tsipras parvient à appliquer son programme ...

SI d'autres pays, voyant que c'est possible, suivent la même voie ...

C'est loin d'être gagné, mais c'est enfin le début d'une possibilité de sortir du cauchemar.


24 janvier : ENCORE UNE IGNOBLE ATTAQUE CONTRE LA LIBERTE DE RIRE DE TOUT

Un commando de quatre hommes en noir, cagoulés et lourdement armés, a fait irruption au domicile de l'humoriste humaniste Dieudonné. Extrêmement menaçants et vociférants, les individus ont annoncé au subtil iconoclaste qu'il allait payer pour avoir osé mettre sur le même plan leur camarade Coulibaly et l'odieux Charlie-Hebdo, faisant visiblement référence à l'auto-exégèse dans laquelle Dieudonné expliquait (sans rire) que son "je me sens Charlie Coulibaly" était un message de paix.

La vidéo tournée par les assaillants montre Dieudonné, maintenu par deux d'entre eux et sur le point d'être décapité, s'écriant :

- Mais non, les mecs, soyez pas cons ! J'étais obligé de dire ça ! J'étais allé trop loin dans la provoc ! On m'a mis en garde à vue pour apologie du terrorisme ! Fallait trouver n'importe quoi pour mettre le doute et donner un sens différent à ma ...

- Alors tu n'es pas du côté des terroristes ?

- Mais ... Mais si, putain, mais j'peux pas le dire aussi clairement, sinon je ...

- Tu mens ! Tu dis partout que nous n'avons pas vengé le Prophète, que c'est un complot ! Tu nous crois incapables de tuer Charlie nous-mêmes ?

- Mais bien sûr que si, mais justement c'est dans votre intérêt que je sème le doute, vous comprenez pas ?

- Dieudonné, comique sioniste, l'Etat Islamique te condamne à ...

- Mais je suis dans votre camp, les mecs, bordel, vous savez bien que je déteste les Juifs autant que vous, soyez pas cons ! Je vomis les Juifs ! Vous savez lire entre les lignes, non ? Je peux pas me permettre d'être totalement clair, mais quand même, vous êtes pas cons au point de pas vous rendre compte que je suis dans votre camp ???

- (riant et montrant la caméra) Souriez, Dieudonné, c'était pour la caméra cachée ! Bravo, vous avez été formidable !


22 janvier : CHARLIE RACISTE ?

La belle unanimité qui a suivi le massacre présentait déjà des points faibles, mais on peut dire qu'elle a bien pris l'eau depuis.

Laissons de côté le débat sécuritaire : il est évident que la lutte nécessaire contre le terrorisme ne doit pas donner lieu à un Patriot Act à la française.

Laissons également, même si c'est certainement le plus choquant, les manifestations de haine d'une partie du monde musulman, apparemment choqués par la une du Charlie post-hécatombe, pourtant fort modérée (ou alors je ne la déchiffre pas correctement, ce qui est possible). Ces gens-là veulent bien condamner les méthodes un peu brutales des frères Kouachi, mais à condition que Charlie crève pour de bon et ne se permette plus le moindre mot ni le moindre dessin concernant l'Islam. Idem pour les commentaires internet où des abrutis, renommés (Dieudonné) ou non, se lâchent de façon de plus en plus abjecte. Laissons, parce que nous avons déjà parlé bien des fois des effets de l'ignorance et de la manipulation.

Prenons donc aujourd'hui un sujet voisin, plus limité, mais en un sens plus révoltant encore. Celui des "penseurs" de "gauche", supposés être intelligents, et qui ne trouvent rien de mieux à faire que d'encourager les crétins les plus excités en leur concédant que Charlie l'avait effectivement un peu cherché, voire qu'il existait au fond un "racisme" de Charlie. C'est évidemment confondre le combat contre le fanatisme meurtrier de l'Islam radical avec une condamnation globale de l'Islam sous toutes ses formes ou de tous les individus originaires d'un pays musulman. Mais ça aussi, j'en reparlais il y a quelques jours à peine, passons ... C'est considérer qu'on ne devrait surtout pas dire le moindre mal du nazisme, sous prétexte que ce serait une insulte envers tous les Allemands (ce qui est beaucoup plus insultant à mon goût est de supposer que tous les Allemands, ou tous les musulmans, pourraient se sentir concernés par une critique du fanatisme). On constate que certains musulmans modérés se sont sentis blessés par certains dessins de Charlie. Leur difficulté à comprendre qu'ils n'étaient pas visés doit-elle pour autant condamner la critique du radicalisme. Il faudrait donc ne plus parler de choses pourtant extrêmement graves sous prétexte que des gens pourraient mal comprendre et se sentir visés et blessés ? Charb et Cabu aussi ont dû se sentir un peu blessés par les balles des frères Kouachi, mais passons ...

On dirait que, renonçant à s'attaquer aux véritables problèmes, certains "intellectuels" de gauche se donnent bonne conscience en faisant de la surenchère dans l'antiracisme, y compris en voyant du racisme là où il n'y en a pas. Bien sûr, l'antiracisme est nécessaire, lorsqu'il s'agit de lutter contre des discriminations réelles, effectives, et il y en a ! Mais la véritable urgence est économique. Le jour où tout le monde pourra vivre dignement, toutes les formes de racisme et d'intolérance, du FN au djihadisme, se dégonfleront d'elles-mêmes, hormis chez une petite minorité de psychopathes relevant de la médecine. Voilà la réalité.

Mais évidemment il est plus facile et plus gratifiant de jouer les belles âmes en dénichant du racisme là où il n'y en a pas. Parler du racisme de Charlie-Hebdo, voilà qui me rappelle ces imbéciles qui accusent Zola (le Zola de l'affaire Dreyfus, oui, le même) d'être antisémite car on trouve dans certains de ses romans des clichés un peu douteux, ou Voltaire (le Voltaire du Traité sur la Tolérance, oui, oui) d'être homophobe sous prétexte qu'il prend plaisir à accuser les Jésuites d'être homosexuels. Personne n'est parfait et le contexte historique mériterait d'être pris en compte, mais bon, s'attaquer à l'intolérance supposée d'écrivains morts ou de simples caricaturistes, plutôt qu'à celle des égorgeurs de l'Etat Islamique, c'est plus simple et moins dangereux pour la santé.


15 janvier : DIEUDONNE & ARDISSON SONT DANS UN BATEAU

Le pompier pyromane Thierry Ardisson semble avoir pris depuis un moment ses distances avec l'incendie Dieudonné qu'il a lui-même contribué à fabriquer. J'avais signalé ici ce qu'en disaient en 2006 les auteurs de "La Face visible de l'homme en noir" et une recherche internet me confirme que leur discours n'a guère été relayé depuis. Je renvoie donc à cet article d'époque, de Daniel Schneidermann, dont voici un extrait :

"Tout aussi fascinant fut cet art provocant d'Ardisson de faire passer sa propre personnalité, son propre machisme, son propre nihilisme, pour des évidences universelles. Surgi d'on ne sait où, son ricanement personnel recouvrit comme une chape l'époque et ses acteurs. L'éloge de la partouze et de la coke, ou la constatation navrée de la corruption universelle, devinrent ainsi, semaine après semaine, des axiomes indiscutables. Pour ne rien dire du thème majeur de l'ardissonisme : l'obsession du déterminisme ethnique, et un encouragement de supporter, semaine après semaine, au morcellement communautaire. Les citations collectées par Birnbaum et Chevènement permettent d'évaluer, non sans vertige, combien Ardisson contribua à la crispation communautaire de la société française. Dans quelle mesure il a surreprésenté l'excroissance française de l'affrontement du Proche-Orient. A force d'inviter systématiquement sur ses plateaux le Juif, le Musulman et le Black de service, si possible face à face, et si possible en les amenant à se jeter des verres d'eau à la figure, Ardisson a peut-être enjoint à une société française qui n'y aurait pas forcément pensé toute seule, de reproduire en son sein les mêmes tensions. Pour ne prendre que l'exemple Dieudonné, la relecture de toutes ses interviews par Ardisson donne le même vertige : en contribuant, émission après émission, à durcir les positions du comique, Ardisson ne fut-il pas son pousse-au-crime ?"

C'est en tous cas assez fascinant, et terifiant, de voir comment un homme intelligent et drôle comme Dieudonné, sincèrement engagé dans un militantisme de gauche et républicain, a pu glisser progressivement, très progressivement, vers la démence et l'ignominie.

Il sera prochainement jugé pour apologie du terrorisme (juste Dieudonné, pas Ardisson). On peut souhaiter que la Justice ne le condamnera pas à une peine de prison (ou alors avec sursis), car ce serait parfaitement inutile et ce serait en faire une fois de plus un martyr. En revanche, il est essentiel de le condamner à une amende extrêmement élevée, car Dieudonné, qui fait bien son beurre avec ses provocations, est certainement encore plus cupide (en bon juif qu'il est ?) qu'il n'est obsessionnel.

***

CHAUDRON

J'avais un peu tort en disant que les responsabilité d'Ardisson n'a guère été signalée depuis. Sans référence explicite, apparemment, au livre de Birnbaum et Chevènement, l'idée est cependant parfois présente ... sur les sites dieudonno-complotistes ! Décidément, ces gens adorent l'argument du chaudron dont je reparlais justement à leur sujet le 10 janvier et dont ils usent fort généreusement.

Ici, on dira donc à la fois :

- que c'est à cause d'Ardisson si Dieudonné est devenu "ça" et tient les propos qu'il tient désormais.

- que les propos que tient désormais Dieudonné sont (évidemment) tout à fait judicieux et pertinents.

Bref, en fait, il faudrait remercier Ardisson d'avoir "ouvert les yeux" à Dieudonné, si on voulait être cohérent ... mais le charme de l'argument du chaudron tient justement dans sa grotesque incohérence.


12 janvier : COMMENT (ET AVEC QUI) PENSER LA SITUATION ?

Alors, déjà, avec qui ? Eh bien certainement pas avec Alain Finkielkraut, et encore moins avec son invité de samedi dernier, le répugnant Zemmour, lequel s'est permis, tout en répandant ses salades, de rendre hommage à sa façon aux morts de Charlie-Hebdo, soulignant par exemple que pour sa génération, dans sa jeunesse, Wolinski c'était un peu comme "des livres de cul" (sic), et il adorait ça. Bref, ce type, même quand il veut rendre hommage, il salit. Personnellement, je n'ai jamais adoré Wolinski, mais ça ne m'empêche pas de penser qu'il méritait un peu mieux que ça comme oraison funèbre. Mais passons les détails. Passons tout d'ailleurs, car, si Zemmour pointe parfois des problèmes réels, les analyses qu'il en fait sont aussi stupides, parfois même plus, que celles de Finkielkraut, lequel, par ailleurs, n'a rien trouvé de mieux à opposer à Zemmour qu'Alain Duhamel. Bon, il est gentil, Alain Duhamel, il a une certaine culture et il est parfait pour incarner la modération face à nos deux zozos obsessionnels, mais enfin, ce n'est pas avec lui que sera abordé le problème de l'injustice sociale comme source de toutes ces horreurs. La crise de l'éducation est évoquée à juste titre par les trois : c'est un point essentiel, mais si on ne s'attaque pas au chômage, le meilleur système éducatif (en admettant qu'on parvienne à remettre en place quelque chose de ce genre) ne servirait pas à grand chose.

Bref, laissons ces cons. Et d'autres, qui disent d'autres conneries, parfois opposées, mais tout aussi consternantes.

Mais beaucoup de personnes interrogées hier, notamment le chanteur Abd al Malik que j'ai trouvé très pertinent, insistent sur la nécessité de l'information, de la pédagogie, du dialogue.

Petite contribution au début d'une réflexion plus saine, face à une confusion croissante : et si nous examinions un peu la pertinence du vocabulaire que nous utilisons sur ce sujet ?

ISLAMISME par exemple est un terme pour moi relativement clair, en tous cas tout à fait distinct de l'ISLAM. L'Islam est une religion aussi honorable qu'une autre, pratiquée par les MUSULMANS. L'Islamisme est une idéologie, celle des ISLAMISTES, qui prétend se fonder sur l'Islam mais n'en est au mieux qu'une forme radicale. Malgré l'évidence de la distinction, peut-être ferait-on mieux cependant de remplacer "islamisme" par des expressions plus claires, comme "intégrisme islamique" ou "radicalisme islamique".

Le mot ISLAMOPHOBIE, lui, n'a même pas l'excuse de la clarté. A la base déjà, il ne veut rien dire et chacun lui donne le sens qu'il veut. Je l'ai déjà dit mais je le redis :

- C'est souvent (comme dans le cas de Charlie-Hebdo) un rejet de l'islamisme qui est qualifié d'islamophobie : en ce sens le mot est trompeur (puisqu'il tend à suggérer une haine de l'Islam tout entier) et d'ailleurs mal construit : on devrait à la limite parler d'islamismophobie, mais le mot est lourd et de plus cette clarification n'arrangerait pas ceux qui se gargarisent du mot islamophobie. En outre, le combat contre l'islamisme n'est pas une phobie, une pathologie.

- est-ce un rejet des personnes originaires de pays musulmans, quelle que soit par ailleurs leur religion ? Dans ce cas aussi, le terme serait mal choisi puisqu'un "arabe" ou un maghrébin peut très bien être athée. Les mots de racisme ou de xénophobie seraient donc ici plus adaptés. On peut regretter qu'il soit difficile de trouver un terme précis pour désigner cette forme de xénophobie, une sorte d'équivalent à "antisémitisme", mais en tout état de cause, "islamophobie" n'est pas un terme très adéquat.

- faut-il alors entendre par "islamophobie" un rejet de l'Islam en tant que tel, y compris dans sa forme modérée ? Ici, le terme serait beaucoup plus adaptée, seulement il désignerait à mon avis une réalité qui n'existe pas ! Personne ne déteste l'Islam modéré. On a des connards qui détestent les "arabes", quelle que soit leur religion. On a des gens qui respectent les musulmans mais combattent l'islam radical. Mais entre les deux, je ne vois pas ... Bref, le mot convient mal aux deux situations qui existent et ne serait adéquat que pour une chose qui n'existe pas.


10 janvier : ANONYMOUS ou QUENEL PLUS ?

Je n'ai pas les compétences techniques pour savoir si la chose est réalisable, mais une autre piste pourrait être de cibler les sites complotistes, du type QuenelPLus, soutenant plus ou moins hypocritement l'attentat, non pas en "effaçant" leurs ignominies mais, puisqu'ils ont la prétention de présenter des analyses argumentées, en faisant apparaître SUR les éléments de leurs pages des commentaires qui en souligneraient les contradictions et les absurdités, éventuellement par l'ironie (si tant est que leurs lecteurs soient susceptibles de comprendre l'ironie dès lors qu'elle ne va pas le sens de leurs certitudes ...).

Prenons (avec des gants de caoutchouc) cette page, par exemple.

1 - l'article lui-même peut troubler, admettons-le, d'autant que les terroristes étaient supposés particulièrement bien formés et entraînés. On peut toujours se perdre en hypothèses sur ce qui peut arriver dans le feu de l'action, ou avancer l'hypothèse qu'un crétin, même surentraîné, reste un crétin et peut parfois avoir des remontées de crétinisme particulièrement spectaculaires. Mais on peut surtout demander à l'auteur de l'article d'aller jusqu'au bout de son raisonnement et d'en tirer les conclusions. Je fais l'effort de suivre son raisonnement et je dois être con (ou pas assez au fait des diverses mythologies complotistes, ce qui revient sans doute au même pour l'auteur de l'article), mais je ne vois que deux hypothèses, qui sont :

- Hypothèse A : les frères Kouachi n'étaient pas du tout des islamistes, mais des juifs-illuminati-francs-maçons membres du Mossad et de la CIA, qui ont commis cet attentat pour discréditer les sympathiques djihadistes (qui font semblant dans d'autres pays de décapiter des méchants devant des caméras ... ou le font-ils vraiment ? ou sont-ce aussi de faux djihadistes illuminati-templiers-extra-terrestres ?). Bon, bref, les Kouachi, au service des ennemis de l'Islam radical, commettent leur attentat en se faisant passer pour des djihadistes. Et là, au lieu de disparaître, ce qui leur est facile puisqu'ils sont en fait au service secret de toutes les grandes puissances vilaines (France, Etats-Unis, Israël, Danemark, etc.), pour justement éviter qu'on soupçonne un coup monté, ils acceptent de se sacrifier en kamikazes, ils laissent volontairement une carte d'identité (pour expliquer comment la police a pu les retrouver si facilement), se lancent dans une fausse cavale, attendent leurs complices de la police et se laissent flinguer. Bref, ce sont des kamikazes au service de Wall Street et d'Israël, comme il y en a tant, c'est bien connu, les connards qui défendent l'ordre néolibéral ou la politique d'Israël sont prêts à mourir pour leur cause, c'est typique d'eux, ça ... Bon, ou alors, ils ne sont pas vraiment morts ! Ah ! Si on cherche une explication, on la trouve, vous voyez ! Eh oui, tout ça c'est un coup monté, l'assaut était bidon, et ces flics déguisés en djihadistes sont toujours vivants. Comme Mohammed Merah, autre flic sioniste déguisé en djihadiste et qui n'a pas hésité à abattre d'une balle dans la tempe une enfant de huit ans ... mais bon une enfant juive, c'est moins grave (*), avant de faire semblant d'être abattu lui-même par ses complices de la police. Comme les pseudo-kamikazes sionistes du 11 septembre, qui ont bien sûr sauté des avions avant qu'ils ne s'écrasent, avec la complicité de la CIA et/ou d'une soucoupe volante habilement placée au bon endroit pour les exfiltrer au moyen d'un rayon lumineux (technique fréquente dont on pourra voir des images dans n'importe quel bon épisode des X-Files).

- Hypothèse B : les frères Kouachi ne sont pas des agents sionistes déguisés, mais les innocentes victimes d'une machination. Par un procédé quelconque, la Conspiration a dérobé la carte d'identité de l'un d'entre eux et, après l'attentat commis par des agents templiers-illuminati (ça, ça ne change pas, c'est tellement évident), a placé dans la voiture abandonnée cette pièce d'identité destinée à faire accuser deux braves types seulement coupables d'avoir une vision un peu étriquée de leur religion et d'être fichés pour avoir voulu partir combattre en Irak ou en Syrie pour ladite religion. Tout se tient. Parce que là, bien sûr, les frère Kouachi qui, au beau milieu d'une partie de baby-foot, découvrent leurs têtes à la télé et se voient présentés comme les responsables d'un terrible attentat, forcément ils paniquent, ils se disent : "Ne commettons surtout pas l'erreur d'aller nous présenter au commissariat le plus proche pour clamer notre innocence, vu que tous les flics sont dans le coup ! Ne contactons pas non plus des journalistes parce qu'eux aussi sont tous dans le complot ! Ne songeons même pas à sortir avec les mains en l'air dans une rue bien peuplée, au vu de tous les citoyens qui pourraient filmer la scène avec des dizaines de téléphones pour témoigner que nous étions innocents, que nous nous sommes rendus de notre propre initiative ... les flics ne pourraient tout de même pas nous abattre dans ces conditions, non ? Bah si, puisque tous les passants dans n'importe quelle rue, ils sont forcément de mèche eux aussi ! Ah oui, merde, c'est vrai !" Bref, nos deux innocents n'avaient d'autre issue pour tenter d'échapper à ce traquenard bien organisé que de prendre la fuite (avec des Kalashnikovs bien sûr : on ne sait jamais, on peut faire de mauvaises rencontres).

2 - le commentaire du dénommé "Irich" : "je ne suis pas quelqu’un qui caricature sans cesse ma religion et en aucun cas je ne cautionne cet acte ignoble. Pour votre Charlie c’est la liberté d’expression mais par exemple pour dieudonné qui fait aussi de l’humour on appelle cela » attisé la haine » faut m’expliqué cette liberté d’expression à 2 balles. #mortderire". Expliquons-lui donc la différence : Charlie-Hebdo (tout en combattant le racisme et les amalgames) se moque non pas d'une religion mais d'une minorité de fanatiques intolérants capables (entre autres exploits) de lapider des femmes ou d'assassiner des journalistes / Dieudonné se moque du massacre organisé de plusieurs millions de personnes, femmes et enfants compris, au nom d'une idéologie raciste. On est content pour Irich qui est "mortderire" à peu de frais, mais on lui souhaiterait volontiers de pouvoir s'acheter un nouveau cerveau pour pouvoir saisir par ses propres moyens des distinctions aussi évidentes.

(*) : A ceux qui verraient là une contradiction, signalons que les complotistes usent volontiers du fameux argument du chaudron ("non, il n'y a pas de trou dans le chaudron que je viens de vous rendre ... en plus, le trou y était déjà quand vous me l'avez prêté ... et puis de toute façon, il marche mieux avec le trou") : c'est ainsi par exemple qu'on affirmera que ce ne sont pas des djihadistes qui ont fait une chose, puis, deux lignes plus bas, qu'ils ont bien fait de la faire parce que les victimes l'avaient bien cherché.

NB : Je n'ai ni compétence informatique, comme je le disais, ni contact avec Anonymous. Bref, si quelqu'un tombe sur ces lignes et juge que l'idée peut être utile, et qu'elle est réalisable, qu'il ne se prive pas d'en faire part à des gens capables de la mettre en oeuvre. Le commentaire de la page dieudonniste n'est qu'un exemple de ce type d'action mais il est bien évidemment libre de tous droits et réutilisable, tel quel ou amélioré, si quelqu'un sait comment balancer ça au bon endroit. Mais il faudrait bien sûr multiplier ces commentaires, pointer chaque absurdité, chaque contradiction,...


8 janvier : J + 1

Les nombreux et impressionnants rassemblements qui ont lieu un peu partout depuis l'attentat ont ceci de réconfortant qu'ils montrent aux bouchers du 7 janvier leur échec complet (si tant est qu'ils soient encore en mesure de comprendre quoi que ce soit).

Comme je l'écrivais hier, si on y regarde de plus près, c'est un peu moins enthousiasmant : entre les tentatives de récupération, les amalgames, les simplifications en tous genres, les analyses sommaires ou faussées, il n'y a guère de quoi espérer un véritable sursaut de l'intelligence. Mais enfin, ce soulèvement massif de dégoût contre la barbarie et pour la liberté montre que les fascismes de tous bords n'ont pas encore gagné. Pas encore, c'est déjà ça.

Outre l'aubaine pour le FN, on pourra également déplorer la relative tiédeur de la plupart des "musulmans" interrogés dans les médias dans leur condamnation de ces crimes : à l'exception de quelques discours pensés, sincères et intelligents, on ne voit guère de ce côté que des gens qui semblent condamner l'excès du châtiment tout en ayant l'air d'estimer qu'au fond, ils l'avaient un peu cherché. Ne parlons même pas des réactions abjectes des partisans de Dieudonné.

Bref, si on veut faire un état des lieux des forces en présence, j'entends des seuls véritables camps qui importent, celui de la civilisation et celui de la barbarie, on peut estimer à vue de nez :

- que le premier reste pour l'instant majoritaire en France.

- que le second progresse tous azimuts : prendre sa carte au FN ou se vautrer sur internet dans la prose djihadiste, voilà par exemple ce qu'on peut plus ou moins arbitrairement considérer comme la première marche descendue par un individu de l'humanité vers la barbarie ; or cela concerne de plus en plus de gens.

- l'absence de cohérence dans la défense des valeurs de civilisation, la rareté des analyses sérieuses et honnêtes, le fait que la liberté d'expression serve aussi de prétexte et de caution à l'ordre néolibéral, la perpétuation des "racines du mal" (misère économique, misère affective, misère intellectuelle), tout cela laisse craindre une évolution vers toujours plus de barbarie. Tout comme durant les manifs anti-FN de l'entre-deux-tours de la présidentielle de 2002, j'entends depuis hier des commentaires dont les intentions sont louables mais dont l'indigence et l'irresponsabilité sont parfois navrantes, parfois même effrayantes. Non seulement ces discours me semblent insuffisants pour combattre efficacement la barbarie, mais ils me semblent même, dans certains cas, potentiellement incapables de protéger ceux qui les tiennent de sombrer eux-mêmes un jour dans la barbarie.

Entre les réacs qui confondent (par calcul ou par bêtise) Islam et islamisme - ou, pire encore, origine ethnique et islamisme - et les gauchistes qui s'obstinent à considérer des assassins fanatisés comme l'avant-garde éclairée du prolétariat mondial, qui reste-t-il ? Certainement pas les bien-pensants de la social-démocratie qui chantent les louanges de la liberté d'expression et de l'antiracisme tout en perpétuant un système économique qui génère inévitablement des tensions et des conflits de toutes sortes, notamment identitaires.

On aurait envie de dire que Charlie-Hebdo était justement, au moins en partie (car, je ne veux pas m'attarder une fois de plus sur le cas de ce Tartuffe, mais Philippe Val, par exemple, a fini par ne plus être un modèle de discours intègre et intelligent) ... Charlie-Hebdo était au moins en partie le lieu de cette réflexion nécessaire et saine. Pour combattre la barbarie, une des meilleurs pistes à explorer reste donc peut-être justement l'héritage de Charlie-Hebdo, et la façon dont ceux qui poursuivront le combat sauront perpétuer le meilleur de cet héritage.


7 janvier : ATTENTAT CHARLIE-HEBDO

Je ne m'attarde pas sur l'ignominie de l'acte, sur la valeur du symbole qui vient d'être lâchement frappé (le crayon d'un Cabu ne faisait certes pas le poids face à la Kalachnikov d'un connard) ... Je ne m'attarde pas non plus sur le fait regrettable que Philippe Val ne soit plus à Charlie-Hebdo, car s'il y en a un seul qui méritait de se faire descendre, c'était bien lui (non en tant que défenseur de la liberté de la presse, bien sûr, mais en tant que censeur).

Le paradoxe d'un attentat islamiste visant des gens qui ont toujours combattu le racisme n'est qu'apparent. Les crétins et les ordures sont partout, et les extrêmistes de tous bords ont plus vite fait de s'entendre entre eux que de supporter des gens qui prônent la liberté d'expression. Dit ainsi, cela me semble assez facile à comprendre, mais les réactions qui m'entourent m'effarent. La confusion des lignes idéologiques est grande depuis ces dernières années et un tel événement ne fera que renforcer cette confusion. On peut déjà prévoir que le FN (depuis toujours combattu par Charlie-Hebdo) tirera de grands avantages de cette affaire (déjà, Marine Le Pen se déclare horrifiée par cet attentat). On peut aussi s'attendre à entendre des ahuris prétendument de gauche affirmer que tout cela est bien regrettable mais qu'enfin, Charlie-Hebdo n'avait qu'à pas agacer les intégristes. Le néologisme "islamophobie", auquel on donne au moins trois significations différentes et qui par conséquent n'en a aucune, sera très largement utilisé à tout propos. Bref, les conneries habituelles, mais en pire, en toujours pire.

Notre seule perspective d'avenir semble celle-ci : un écoeurement croissant.

Allez ! une note d'optimiste toutefois : et si la gauche, la vraie gauche, celle d'Alexis Tsipras, remporte les législatives du 25 janvier en Grèce ?

Attendons de voir, mais franchement, nous sommes déjà tombés bien bas.


 


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