* Préalable à une réflexion sur les retraites

* Humour noir, par l'OCDE

* Pourquoi les enseignants doivent tenir bon

* Pour ou contre les réformes Raffarin ? Une solution amusante pour sortir de l'impasse

* « Si vous n'êtes pas sages, ... gare au méchant Pen !"

* Baroud d'honneur : méditation sur deux Jean-Pierre

* RESISTANCE, par Philippe Val

* Opéra de Nancy

* Le Retraité et le « journaliste »

* Princes qu'en mains tenez (Jehan Meschinot/Tri Yann)  

* Ils sont revenus !

* Solution politique acceptable ?

* Les syndicats et la fusée shadok

* Divers

* Comment expliquer l'AGCS à votre garagiste

* Révolution ?

* Haute Société : un poème très bien de Raymond Queneau.

* The Sarko Show must go on

* Lettre ouverte aux commerçants d'Avignon

* Résultats du référendum en Corse

* Pour une démocratie directe : par Mikara

* Avant-projet "Echanges et Mouvements" consacré au mouvement social actuel.

* Décembre 1995 vu par les medias

* 25/08/2003 : rapide état des lieux


Préalable à une réflexion sur les retraites

Toi qui crois sincèrement et naïvement ce que l'on te répète depuis quelques années déjà pour bien préparer le terrain, à savoir que la baisse de la démographie et donc du nombre des actifs par rapport aux retraités, que cette baisse, donc, rend la réforme inévitable,

Toi qui crois en la solution Raffarin et toi qui n'y crois pas et qui penses qu'il faut règler le problème autrement,

A tous les deux, je vais dire un secret : il n'y a pas de problème démographique.

D'autres vont te l'expliquer en détail si tu sais les trouver et les lire (cf. section LIENS : le site Réseau des Bahuts est un bon moyen d'accéder aux analyses assez décapantes d'économistes comme Bernard Friot, pas exemple).

Je me contenterai de quelques observations.

Une question d'abord : s'il n'y avait pas de baisse démographique, s'il y avait plus de jeunes en France, ... aurions-nous du travail à leur donner ? Après 30 ans, vous y croyez encore, à cette prétendue "crise de l'emploi" ? Malgré les 35h sauce PS, et même si certaines secteurs manquent de main-d'oeuvre, le chômage n'a pas reculé d'un pouce. Le progrès a créé une société où il n'est plus nécessaire que tout le monde travaille comme une brute pour que nous produisions tout ce dont nous avons besoin. Ce serait merveilleux si une infime minorité de multinationales ne tiraient pas tout le profit de cette situation.

Mais je m'égare. Restons en au stade mathématique. S'il y avait plus de jeunes, non seulement ces jeunes supplémentaires ne trouveraient pas de boulot et donc ne pourraient en aucun cas financer les retraites, mais en plus il faudrait bien les faire survivre eux aussi d'une manière ou d'une autre, non ?

Donc, on nous ment à la base : il n'y a pas de problème démographique des retraites, bien au contraire.

Certains économistes vous diront même si vous daignez les écouter que notre système de retraite se porte on ne peut mieux et qu'il n'est nullement en danger. Ou plus exactement, le seul danger qu'il court (mais il est de taille), c'est que quelques scélérats déjà multi-milliardaires ont décidé d'arrondir leurs fins de journée et d'ajouter un peu de beurre dans le caviar en ramassant le pactole qui naîtrait d'une précarisation des retraités, tout comme ils se préparent à faire main basse sur l'énergie, l'éducation et bien d'autres choses.

Non, je m'égare une fois de plus. Pas besoin d'explication politique ni économique pour l'instant.

Respirez d'abord profondément. Comprenez d'abord que la réalité est autre avant de vous décider à quitter la douce illusion où vous entretiennent PPDA, Pujadas et notre bon maître Raffarin.

Maintenant, si vous êtes prêts à ouvrir les yeux, allez visiter la section LIENS.

Et accrochez vous ! Vous entrez dans une autre dimension !

John Doggett (30/06/2003)

 


Cynisme et humour noir de l'OCDE

"Si l'on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire par exemple les crédits de fonctionnement, dans les écoles ou l'Université. Mais il serait dangereux de restreindre le nombre d'élèves, ou d'étudiants : les familles réagiraient violemment à un refus d'inscrire leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l'enseignement, et l'école peut progressivement et ponctuellement, obtenir une contribution des familles, ou supprimer une activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école, mais non dans l'établissement voisin, de telle sorte que l'on évite un mécontentement général de la population. On peut ne pas remplacer une partie des salariés, qui partent en retraites, ou bien supprimer les primes, dans certaines administrations, en suivant une politique discriminatoire, pour éviter un front commun de tous les fonctionnaires, et évidemment, il est déconseillé de supprimer les primes versées aux forces de l'ordre : dans une conjoncture politique difficile où l'on peut en avoir besoin."

Faisabilité politique de l'ajustement, Cahier de politique économique N°13 Centre de développement de l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique, à laquelle la France et l'Europe adhèrent).

NDR : texte complet de l'article de l'OCDE :http://www.institut.fsu.fr/ocde/faisabilité_ajustement.pdf )  


Pourquoi les enseignants doivent tenir bon

Les "avantages" promis ce mardi par Raffarin aux enseignants ne doivent pas nous tromper. Il s'agit une fois de plus de diviser pour mieux régner. On ne nous épargne aujourd'hui que pour mieux nous sacrifier demain en nous accusant d'être des privilégiés.

N'oublions pas qui nous sommes. Notre métier est d'apprendre à nos élèves à penser (objectivement et librement) et nous sommes donc censés être capables d'en faire autant. C'est cette qualité plus que notre nombre qui inquiète et qui fait que nous devons rester le fer de lance du mouvement, quel que soit le nombre de deniers qu'on nous propose pour trahir nos concitoyens. Notre statut (menacé) de fonctionnaires nous donne en outre la possibilité de nous opposer à une politique inacceptable avec une détermination que les salariés du privé ne peuvent hélas pas se permettre, muselés qu'ils sont par le chantage à l'emploi.

De notre détermination aujourd'hui (et de nos propositions demain, car il ne s'agit pas de laisser le PS appliquer demain, comme il l'a toujours fait, une version "light" de la politique actuelle) dépend l'avenir de tous les salariés de France (public et privé confondus), l'avenir de notre société toute entière (parce que de l'éducation donnée aux enfants d'aujourd'hui dépendra le visage de la France de demain), et peut-être même de l'Europe entière.

Qui sait en effet si notre détermination face à cette politique qu'on voudrait appliquer à toute l'Europe n'incitera pas nos voisins à la refuser eux aussi, faisant de l'Europe ce qu'elle mérite d'être, un ensemble politique fondé sur des valeurs humaines, et non plus une coalition financière visant à fabriquer stérilement du profit.

Pour que l'Europe se construise enfin sur des bases saines, pour mettre enfin et tout naturellement un terme à la menace fasciste qu'entretient cette politique du profit pour quelques uns, de la précarisation pour tous les autres et du désengagement de l'Etat qui renonce à son rôle de régulateur économique et social pour n'être plus que le bras armé de la haute-finance, pour tout cela et parce que c'est aujourd'hui que nous choisissons de reprendre le contrôle de nos vies ou bien de laisser le cauchemar orwellien s'installer, pour tout cela il ne faut pas que nous, enseignants, nous cédions aux intimidations et encore moins aux sirènes des promesses purement corporatistes qui voudraient nous isoler. Nous devons rester au premier rang, pour dire non d'abord, pour proposer et construire ensuite.

Le printemps 2003 est le prolongement logique du printemps 2002. La France a clairement dit non à la politique libérale allégée du PS. Elle a plus clairement encore dit non à l'extrême-droite. Mais elle est loin d'avoir dit oui à Chirac qui n'a été que l'alternative à la menace fasciste. Nous savons bien que le PS n'a pas grand chose à proposer actuellement et nous savons qu'une fois ramené au pouvoir, il appliquera lui aussi les consignes de l'OCDE, mais plus habilement. Ce cercle vicieux de l'alternance de deux politiques quasi-identiques depuis des décennies, c'est cela qui a amené Le Pen au second tour. En disant non à la politique actuelle, il s'agit donc aussi de proposer réellement une nouvelle approche des problèmes politiques, économiques et sociaux.

No Raffaran, donc, et bon courage à tous !

John Doggett (28/05/2003)


Pour ou contre les réformes Raffarin ? Une solution amusante pour sortir de l'impasse

 

Visiblement, pour faire simple, il y a en France deux groupes de gens dont l'importance respective reste à chiffrer :

1- Ceux qui refusent la réforme des retraites, la décentralisation et autre raffarineries, en les dénonçant comme de véritables escroqueries, qui plus est imposées sans information honnête ni concertation préablable.

2- Ceux qui estiment que ces réformes sont magnifiques, que l'information existe et qu'elle est bien claire et très bien et très jolie et tout et tout : les r(affariniens les plus motivés sont même prêts à descendre dans la rue "comme en 84 ! disent-ils" (il s'agissait alors, rappelons le, de "sauver" l'école "libre", menacée par les francs-maçons, les bolchéviques et le Diable), cette fois pour protester contre les méchants qui protestent et qui "prennent en otage" la population.

Pour sortir de cette impasse, voici une solution simple. On peut, je pense, considérer que les grévistes disent "NON aux réformes", tandis que ceux qui se tiennent depuis le début à l'écart du mouvement de protestation (je parle cette fois du nôtre, bien sûr, pas celui des nostalgiques su-cités de la révolution de 1984 ...) disent implicitement :  "OUI, ces réformes me bottent, j'ai hyper envie de me faire entuber et j'en redemande".

La solution idéale consisterait à décider que les grévistes conserveront leur système de calcul des retraites, tandis que les autres, qui eux sont de bons Français, seront les seuls à avoir le droit (et l'honneur !) de travailler plus longtemps, tout en cotisant davantage. Il sera même permis aux plus méritants (notamment à ceux qui auront manifesté contre les manifestations) de verser chaque mois 1/3 de leur salaire au MEDEF, en échange de quoi ils recevront sur le dessus de la tête une petite tape amicale du baron qui leur dira personnellement :

- Booooooooooooooooooooon chien, ça ! Boooooon chien !

Puis leur bottera le cul pour les faire partir parce qu'il ne faut pas abuser, le baron est un homme occupé.

Je pense que cette proposition devrait faire l'unanimité et je prie chacun de bien vouloir la proposer à ses collègues, voisins et amis anti-grévistes afin d'opérer la grande réconciliation nationale. Après l'incompréhension mutuelle, la tension et l'agressivité, enfin le sourire renaîtra sur le visage de nos amis non-grévistes à la pensée qu'ils pourront librement se laisser détrousser s'ils le souhaitent.

John Doggett (28/05/2003)


« Si vous n'êtes pas sages, ...

 

... gare au méchant Pen !"

C'est en substance une des menaces énoncées par Luke (prononcer : Liouk) Ferry.

En empêchant le gouvernement de faire son "travail", les enseignants prépareraient selon lui le terrain au Front National.

Sans rentrer dans les détails, j'aimerais dire quelques mots sur ce sujet ô combien intéressant, car il me semble évident que le printemps 2003 est le prolongement logique du printemps 2002. Mais comme nos politiques de tous bords et la quasi-totalité des medias sont incapables (incapables ?) d'interpréter tout ça, je vais essayer de leur expliquer tout bien comme il faut :

- Le Pen s'est retrouvé au 2° tour parce que les électeurs de gauche (et en particulier les enseignants) ont refusé de reconduire au pouvoir un PS menant une politique libérale, même "light" (et une politique anti-scolaire au possible, avec un Allègre qui a très bien préparé le terrain aux réformes actuelles).

- La mobilisation entre les deux tours et les résultats du second (à relativiser d'autant plus en considérant que l'abstention ne fut guère le fait des électeurs FN) ont prouvé l'attachement des français à la démocratie.

- Chirac a été élu à la fois parce que c'était lui ou Le Pen (je crois qu'aucun d'entre nous ne pouvait hésiter une seule seconde) et parce que c'était quelque part un plaisir de dire à Jospin (mais il ne comprend pas ce qu'on lui dit, ses amis non plus, c'est un peu frustant) : "On préfère élire un type de droite avec une étiquette de droite, comme ça on sait sur quoi on tombe : élire des types de gauche qui mènent une politique de droite, on a déjà trop donné depuis 1981, là on sature."

Voilà comment j'interprète le message envoyé par la plupart des électeurs en 2002 (en tous cas par moi ...).

 

Pourquoi cette relative tentation Le Pen chez certains ? Et pourquoi ce rejet du PS ?

La tentation fasciste pousse sur le fumier de la misère, de la précarité, de l'injustice, ce n'est pas plus bête que ça.

D'ailleurs, Chirac l'a compris (?...) durant deux semaines en promettant de mener une politique sociale à l'écoute de la fameuse "France d'en bas", pour contrer la menace fasciste.

Belles résolutions ? Aujourd'hui, le gouvernement pousse la logique ultra-libérale toujours plus loin. Bon, il fallait s'y attendre et on a été naïfs de croire qu'il en irait peut-être autrement, admettons. Peu importe, il FALLAIT voter Chirac en 2002, dans l'urgence, inutile de refaire l'histoire.

Aujourd'hui, il faut :

- empêcher ce gouvernement de mettre en place des réformes allant à l'encontre des intérêts de la Nation.

- ne pas faire naïvement confiance au soudain réveil du PS : nous savons trop bien de quoi il est capable une fois au pouvoir (c'est-à-dire, de rien).

UMP ou PS au pouvoir, c'est à la fois la seule alternative qui nous est proposée depuis des décennies, et c'est aussi la meilleure manière de conduire réellement le FN au pouvoir. Chacune à sa manière, ces deux options conduisent à un accroissement général de la précarité, donc à la croissance du FN.

Dire non à une de ces politiques (et même aux deux), ce n'est donc pas, comme le dit si sottement Luke Ferry, faire le jeu du FN : c'est au contraire avoir conscience des causes qui nourrissent la bête immonde et dire non aux politiques qui favorisent ces causes.

Ce sera donc ma première conclusion : "c'est celui qui le dit qu'y est", et par conséquent Luke Ferry ferait mieux de se demander comment un soi-disant "philosophe" peut encore se regarder dans la glace en se prêtant à de pareilles manoeuvres et en proférant de pareilles inepties. Je ne le connais pas personnellement, mais je doute qu'il soit stupide au point de croire une seule seconde à ce qu'il dit !

Son accusation ("vous faites le jeu du FN !") est donc tout à la fois aberrante et intéressante. Intéressante car elle nous rappelle justement pourquoi nous nous battons : derrière la préservation d'un niveau de vie décent pour tous, derrière la préservation d'un système éducatif de qualité (impliquant d'entretenir chez les nouvelles générations la capacité de comprendre et d'analyser librement et objectivement le monde qui les entoure), il y a aussi (et surtout ?) un enjeu politique qui est le maintien de la démocratie face à la menace fasciste.

 

Reste à savoir ce que nous proposons à la place si nous refusons à la fois Chirac et le PS : un régime communiste ? Je n'en raffole guère. Pourquoi pas tout simplement une démocratie avec un Etat exerçant à nouveau un pouvoir réel lui permettant de réguler l'économie libérale en la mettant au service des hommes (et non l'inverse) ? C'est beaucoup demander, ça ?

Quel parti propose cela et quel parti est capable d'appliquer une telle politique ? Réponse : actuellement aucun.

On trouve de nombreux développements théoriques passionnants dans des mouvements altermondialistes comme ATTAC ou dans une certaine presse (Charlie-Hebdo - qu'il faut enfin cesser de considérer juste comme un journal rigolo ! -, Monde Diplomatique). Mais je me demande si le moment n'est pas venu de doter ce courant de pensée d'une structure politique.

 

Donc, objectifs :

- stopper Raffarin aujourd'hui.

- préparer les prochaines présidentielles en constituant un "parti" nouveau à partir d'un vrai débat citoyen entre toutes les coordinations  actuellement en grève et à partir d'un appel aux gens ayant la "carrure" et l'intégrité nécessaires pour nous représenter (Philippe Val par exemple ? Ca aurait autrement plus d'allure qu'un Jospin, non ?)

Tout ça peut paraître insensé, d'autant que nous sommes loin d'être d'accord entre nous sur tous les points. Mais c'est le principe-même de la démocratie ! Reconstruisons une démocratie où toutes les idées propres à favoriser le mieux-être de TOUS circuleront librement, où la désinformation (ou disons l'information "orientée") ne sera plus la norme dans les medias, laissons une chance à toutes ces idées de s'exprimer et nous verrons bien ce qu'il en sort ! Ca ne peut pas être pire que ce qui sort des cerveaux de Jospin ou de Raffarin, connectés en réseau à celui de Seillières.

No Raffaran !

John Doggett (03/06/2003)

Complément de 2005 : Euh ... concernant Philippe Val, je crois que je me suis enthousiasmé un peu vite : oublions !


Baroud d'honneur : méditation sur deux Jean-Pierre

 

En ce qui concerne l'expression "baroud d'honneur" employée par Jean-Pierre Pernaud, je pense que M. Sarkozy, maître ès négociations délicates, devrait ranger certaines personnes dans des placards en attendant l'issue du conflit social. Car il y a comme ça des sortes de gens qui dès qu'ils ouvrent la bouche en croyant bien faire et aider le gouvernement, eh bien en réalité ça fait tout le contraire, ça énerve encore plus la population. Parmi ces personnes, il y a Jean-Pierre Pernaud et Claude Allègre. Je ne devrais pas donner de conseils à l'adversaire, mais franchement, moi, si j'étais le gouvernement, j'irais voir Pernaud en douce et je lui dirais : "Jean-Pierre, tais ta g... un moment s'il te plaît, OK ? Merci, Jean-Pierre, c'est sympa". Pareil avec Claude Allègre, je lui dirais ça. A lui, il faudra le répéter deux ou trois fois (car il est du genre à dire : "maiiiiis si, fais moi confiance, Ernest-Antoine ! tu vas voir, je sais comment il faut les traiter, ces feignasses !"), mais il la taira aussi, si on le lui demande poliment, vous verrez.

Sinon, suite aux manifs de ce jour et à l'extension du mouvement de mécontentement, Raffarin a réaffirmé son refus de négocier. A chaque fois, Raffarin réaffirme (avec douceur mais détermination, bien sûr) son refus de négocier. Je pense qu'il convient de laisser un peu tranquille cet homme qui aspire visiblement à une existence paisible et que nos incessantes demandes de négociations doivent finir par ennuyer, à la longue.

C'est pourquoi je suggère d'affirmer nous aussi publiquement, en AG, par voie de presse et, si les syndicats jouent le jeu, par voie syndicale, notre résignation à ne pas négocier avec M. Raffarin, avec une déclaration un peu comme ça :

"En dépit de notre profond désir de négocier avec un homme aussi courtois, doux et affable que M. Jean-Pierre Raffarin, nous prenons acte avec regret de sa décision de ne pas négocier. Respectant sa décision, nous affirmons donc notre détermination à poursuivre notre mouvement et à NE PLUS NEGOCIER, quoi qu'il arrive, avec M. Raffarin, pour ne plus l'embêter. Si le Président de la République souhaite quelque prochain jour qu'aient lieu de véritables négociations, nous le prions de ne pas imposer à M. Raffarin une tâche qui lui disconvient. La liberté individuelle est une des valeurs fondamentales que nous voulons défendre, et non la moindre. C'est pourquoi, par solidarité avec notre camarade Jean-Pierre Raffarin, il doit être clair que nous refuserions systématiquement toute négociation avec lui. Nous demandons donc à M. le Président, au cas où il lui prendrait fantaisie de lancer des négociations, de bien vouloir au préalable nommer au poste de premier ministre un monsieur (ou une dame, n'importe) qui aime bien négocier avec les gens. Les choses seront ainsi plus agréables pour tout le monde et chacun ne s'en portera que mieux."

John Doggett (03/06/2003)


RESISTANCE

 

Hypocrite spectateur, mon semblable, mon frère ... Parlons nous franchement !

Le monde est cruel, barbare, injuste ? C'est pas nouveau.

Il a atteint des sommets dans l'horreur au XX° siècle ? C'est vrai.

La course du monde est chaotique. Y a-t-il ou non progrès ? Allez savoir !

Mais du plus loin qu'on observe l'humanité, il y a toujours eu des collabos de la barbarie, et des résistants qui luttent pour un peu plus de civilisation.

Alors, avouons le une bonne fois pour toutes. Lutter, résister aux chasseurs, aux aficionados, aux fascistes, aux requins ultra-libéraux, aux crétins vulgaires de la télé, aux pollueurs, aux empoisonneurs, à la bêtise au front de taureau qui emperlait de sueur les temps de Flaubert ; avouons le, dégommer les traditions imbéciles, les coutumes assassines, ... ça détend !

Ca donne un sens à notre vie.

Ne prétendons pas nous sacrifier. Mais au contraire, avouons le plaisir, et parfois la joie, que l'on a à affronter la Bête.

L'écrivain, le chanteur, le poète, le dessinateur, le philosophe, qui s'échinent à faire reculer la laideur, sont heureux de faire ce qu'ils font, avec les armes, non-violentes, qu'ils ont choisi. Ils sont fiers de se battre, avec des formes, des idées, des mots, des sons, quand d'autres en sont encore à recourir à la violence physique pour sortir du moindre de leurs dilemmes.

Avouons qu'on ne se sacrifie jamais à une cause, à moins d'être un curé ou un imbécile.On tire une justification joyeuse de nos vies à tenter de mettre au monde quelque chose qui nous plaît à la place de quelque chose qui nous déplaît.

Résister rend heureux !

C'est la soumission à l'inacceptable qui est désespérante.

Lutter contre le Front National par exemple, n'est pas déprimant : c'est se résigner à lui qui est mélancolique.Alors je pose la question : si la Résistance n'était pas joyeuse, au nom de quoi résisterions-nous ?

Et puis y a des petites satisfactions.

De temps en temps, la Résistance, ça marche !

La France, par exemple, au XVIII° siècle, était un pays de culs-bénits. C'était De Villiers Über Alles ! C'était Christine Boutin Macht Frei ! Et puis ... arrivent les philosophes des Lumières ! Voltaire et son fameux Dictionnaire Philosophique, qui a eu un succès considérable à cette époque-là et qui a contribué à changer les mentalités. L'unique but du Dictionnaire Philosophique : foutre en l'air les dogmes du christianisme ! Desserrer l'emprise des religieux sur le pays semblait une utopie et pourtant ... de résistance en résistance, de Voltaire en Hugo, de Hugo en Zola, arriva la date fatidique de 1905 : séparation de l'Eglise et de l'Etat ! Et depuis la France est un pays laïc !

Et la peine de mort ? Qui en 1973 pouvait affirmer qu'un jour la peine de mort serait abolie, non seulement en France, mais dans toute l'Europe ? Et on en a fait, des concerts, des bouquins, des articles, en faveur de l'abolition ! Et nous n'étions qu'une minorité ! Mais une minorité agissante. Et la peine de mort fut abolie.

Et c'est vrai pour des choses qui peuvent paraître plus dérisoires. Le paris-Dakar par exemple ! Cette merde néo-colonialiste de crétins milliardaires qui défoncent les routes du Tiers-Monde avec leurs tas de feraille qui coûtent des millions en se laissant pousser un peu de poil de cul sur les joues pour ressembler à Indiana Jones ! On n'était qu'une petite poignée de tiers-mondistes à gueuler contre cette connerie ! Eh bien ils n'osent même plus partir de Paris, maintenant, les lâches ! Un coup ils partent de Bordeaux, un coup ils partent de Grenade, une fois ils sont même partis directement de Dakar ! Je sais pas ce qu'ils ont foutu pour aller à Dakar, ils ont dû faire le tour du périphérique !

Ils sont ridicules. Ils le savent. Ils sont foutus.

Et pareil pour les chasseurs ! On arrivera un jour ou l'autre à leur envoyer dans les pattes une réglementation européenne qui les obligera à ne tirer qu'avec des pistolets à eau ! Et encore, à eau tiède, pour pas que les lapins s'enrhument !

La résistance, ça marche.Certains nous disent : "Oui, mais ... vous êtes combien ? Cent ? Mille ? Un million ? C'est dérisoire !"

Mais non, ce n'est pas dérisoire ! Ce sont toujours les petites minorités qui ont poussé la bonne grosse connerie majoritaire au fond de la falaise !

Résister, c'est vivre !

Nos neurones ne nous enivrent qu'en fonctionnant.

C'est leur engourdissement soumis qui nous tue.

L'air sinistre que prennent ceux qui défendent les grandes causes est la preuve de leur hypocrisie curaillonne. Il faut se méfier des philosophes qui ne rient jamais. Généralement, ils vivent plus longtemps que leurs disciples.

 

Philippe Val, "Hôtel de l'Univers" (1999)


Opéra de Nancy

 

Rien de comparable avec l'Opéra-Garnier, mais hier soir,  l'Opéra de Nancy a lui aussi été occupé.

Les intermittents du spectacle + des profs à l'intérieur (une centaine au moins en tout) ; des mélomanes "pris en otage" et vociférant à l'extérieur. Les CRS ont d'ailleurs dû protéger les preneurs de Wagner en otage de la furie de certains mélomanes aux moeurs supposément adoucies.

Une collègue gréviste non-prévenue qui venait voir l'opéra est parvenue à se faire interviewer par France 3 pour dire que tout le monde ne partageait pas l'avis de ceux qui criaient "Que fait la police ? Gazez les ! Rentrez dans le tas ! Salauds de profs ! Ils nous emmerdent déjà toute la journée, ils menacent le bac de nos enfants et ils nous emmerdent encore le soir !" et autres joyeusetés.

En revanche, l'Est Républicain n'a pas daigné l'écouter. Il faut dire que son journaliste se prend pour Zorro et a décidé de son propre aveu et avec ses petites mains d'éradiquer le mouvement. Motif : le mardi 2, après la manif, une centaine de personnes s'était réunie devant les locaux de l'Est Républicain pour dénoncer la désinformation en scandant : "Médias partout, info nulle part !". D'une fenêtre, ce journaliste intègre, adulte et courageux, que nous appellerons Ludovic B., leur a adressé un doigt d'honneur, auquel répondirent aussitôt (j'allais dire "aussi sec ...") une centaine de doigts. Du coup, voici notre ami journaliste intègre, adulte et courageux, vexé comme un pou, qui fait le lendemain un article vengeur et qui visiblement n'a pas envie de désarmer. Voici à quoi tient parfois la désinformation ...

John Doggett (11/06/2003)


Le Retraité et le « journaliste »

 

Au journal de France 2, le gadget du jour était un retraité (nommé si je me souviens bien Edouard Saffray) qui venait de passer le bac en candidat libre et qui donc était censé être là pour l'anecdote, histoire de compenser le reportage sur le mouvement social (qui "s'essoufle", bien évidemment).

Ce midi, il était simplement le héros d'un reportage le montrant passant l'épreuve de philo et expliquant ses motivations.

Mais ce soir, histoire de rentabiliser le gadget, Pujadas dialogue en direct avec "le plus vieux candidat du bac 2003" et là, son gadget lui pète à la gueule, parce que l'ami Edouard n'a aucune envie de servir de "gadget à détourner l'attention des chalands" et qu'il se dit en plus que vu son grand âge, Pujadas n'osera pas le faire taire trop brusquement.

Je "reconstitue" le dialogue de mémoire, mais en gros ça donnait ça : d'abord Pujadas l'interroge sur cette question fondamentale :

- Alors, M. Saffray, vous pensez avoir bien réussi cette épreuve ?

Réponse :

- Vous savez, je pense que ma réussite au bac, c'est très secondaire comparé à ce qui se passe actuellement en France.

Pujadas (qui sent qu'il a marché dedans mais qui sait aussi qu'il ne doit pas s'essuyer la godasse maintenant, sans quoi ça attirerait l'attention de ceux qui n'ont pas remarqué qu'il avait marché dedans) : Ah ... oui ... Vous êtes retraité, à présent, mais si vous aviez été en activité, vous auriez pris position ?

Edouard : A l'époque, je pense que j'aurais sans doute regardé passer les manifs de mes fenêtres. Mais aujourd'hui, oui, j'aurais participé. En tous cas au début, parce qu'au bout d'un moment, je constate quand même une sorte d'enlisement et d'obstination. De la part des enseignants, je le comprends. Mais de la part du gouvernement, ... hein ... je préfère ne pas vous dire ce que j'en pense, pour ne pas être grossier.

Et Pujadas de ramer pour le ramener à son épreuve de philo de ce matin, et Edouard de continuer à féliciter les profs dont il comprend le combat et qui l'ont très bien accueilli ce matin. Et on sent qu'il sait qu'il l'emmerde, il sait qu'il est le grain de sable que personne n'attendait, il sait que Pujadas aimerait passer à la suite, et lui, tout souriant, il continue encore un peu.

Finalement, Pujadas conclut plus fermement :

- Bref, ça s'est bien passé ! Merci, M. Saffray !

 

Oui ! Bravo et merci, M. Saffray !

 

John Doggett (12/06/2003)


Princes qu'en mains tenez

  écouter en mp3

 

Vous qu'en mains tenez tout votre peuple

Pillé tant l'hiver que l'été

Vous qu'en mains tenez tout votre peuple

Voyez qu'il a trop pauvre été

 

Refrain :

Sont cours aux robins des princes de Bretaigne

Sont coups aux vilains si princes les dédaignent

Ni les cours aux vilains, ni les coups aux robins.

 

C'est par déplaisir, faim et froidure

Que les pauvres gens meurent souvent

C'est sans déplaisir, faim ni froidure

Que seigneurs entre eux vont battant

 

Seigneurs, nous tenez comme rebelles

Parlant plus en haut qu'en bas ton

Seigneurs, nous tenez comme rebelles

Justice ne menez qu'au bâton

 

Souvent vous tenez femme pour folle

Qui se vend pour le plus donnant

Souvent vous tenez femme pour folle

Mais pire faites-vous bien souvent

 

Jehan Meschinot (XV° siècle)

Adaptation Tri Yann, sur l'album « La Découverte ou l'Ignorance ».


Ils sont revenus !

 

En 1982, Philippe Val chantait "Ils sont partis", dont je retiendrai les vers suivants :"Quelque part brille, hypothétique, un peu d'espoir dans l'air du temps / Comme un précieux petit diamant qui ne viendrait pas d'Afrique."

Bon, "hypothétique" témoigne d'une prudence qui avec le recul passerait presque aujourd'hui pour de l'optimisme béat. Mais bon, c'était en 1982, quoi ... Et puis ceci, plus loin :"O qu'au grand jamais ne reviennent ces vieilles gueules de mal-baisants".

En 2002, plus personne de sensé ne croyant au petit diamant rose, "ils" sont revenus une nouvelle fois, à la suite des événements inquiétants que l'on sait.Ils sont revenus, plus hargneux et plus offensifs que jamais.Et c'est tant mieux ! Parce que le PS au pouvoir aurait fait passer en douceur les mêmes réformes. Parce que la droite française, raffarine ou non, est toujours la plus bête du monde et qu'elle a réussi à provoquer un mouvement social d'une ampleur incroyable, et surtout une prise de conscience et un désir de s'informer et de comprendre chez de plus en plus de gens. Là où le PS endort, la droite réveille ! Alors vraiment, outre la nécessité de faire barrage au FN, je ne regrette vraiment pas d'avoir voté Chirac l'an dernier.

No Raffaran !

John Doggett (14/06/2003)


Solution politique acceptable ?

Ce qui est certain, c'est qu'il faut constituer, sous une forme ou sous une autre, un véritable courant alternatif (si j'ose dire), une alternative au choix UMP-PS qui ne nous entraîne pas pour autant dans des choix extrêmistes qu'il serait ensuite difficile de contrôler (je ne crois pas à la pureté de la dictature du prolétariat ; quant à l'idéal anarchiste, s'il est le plus beau qui soit en politique, il repose sur une nature humainefondamentalement bonne, intelligente et morale, qui n'a jamais existé et ne pourrait éventuellement voir le jour qu'après quelques centaines de générations formées à une pensée libre, critique et généreuse : je vous laisse calculer le nombre de générations qu'il faudrait, surtout si l'école se dégrade perpétuellement au lieu de s'améliorer). Anarchiste à (très) long terme, je crois que la solution à trouver est dans la voie moyenne. Le problème, c'est que la confusion PS/droite classique nous a fait perdre de vue ce qu'est réellement une voie moyenne. La démocratie est le "moins pire" des systèmes politiques concrètement envisageables : il faut simplement empêcher qu'une minorité la confisque à son profit. Elle a beau jeu face à des électeurs majoritairement abêtis par les mass-medias. Je ne suis pas un fervent adepte du libéralisme, mais enfin, ce pourrait être un système vivable s'il était régulé par un Etat qui le contrôle au lieu d'être contrôlé par lui. Je disais dans un précédent message que les PME-PMI sont les cocus du libéralisme. Parce que le libéralisme actuel n'a rien de réellement libéral. La concurrence n'est qu'une illusion lorsqu'il existe des quasi-monopoles de fait tels que Microsoft. La prise de risque n'est qu'un vain mot lorsqu'un Etat aux ordres éponge la dette du Crédit Lyonnais avec l'argent des contribuables (je n'aime pas ce mot poujadiste, mais bon). Bref, je ne vais pas développer davantage, mais il y a un vrai travail à mener pour une meilleure répartition des richesses, à l'échelle nationale autant qu'internationale, une répartition indispensable si on ne veut pas que le FN continue à se propager faute d'autres solutions (nous sommes tous d'accord, je pense, pour dire que le PS n'a pas franchement la gueule d'une "solution"). Le tout sans forcément déclencher un de ces merdiers révolutionnaires dont on sait comment ils commencent mais pas comment ils finissent, si ce n'est dans le sang.

Je voudrais juste finir sur une petite histoire, une parabole indienne racontée par Renan dans ses "Souvenirs d'enfance et de jeunesse". Un sage admire un petit oiseau lorsqu'un aigle se jette sur celui-ci pour le manger. Le sage essaie de sauver l'oiseau, il négocie sa vie avec l'aigle et lui propose d'épargner l'oiseau en échange d'un peu de sa chair à lui, le sage, équivalent au poids de l'oiseau. Pour sauver la beauté du monde, le sage consent un sacrifice. Nous ne nous battons pas aujourd'hui contre le patronat. Du moins pas contre les patrons dont je parlais plus haut, même si eux, qui n'ont rien compris aufilm, croient qu'il faut se battre contre nous. Nous nous battons contre les projets délirants d'une poignée de financiers insatiables qui ne raisonnent qu'en termes de profit à court terme. Je crois qu'il faut laisser ces rapaces nous dévorer un peu de chair et se construire de nouvelles piscines privées si ça les amuse (une âme vide nécessite sans cesse de nouvelles distractions).

Mais il faut aussi leur taper sur le bac(pardon, sur le bec) lorsqu'ils dépassent les limites et s'en prennent à l'essentiel.

John Doggett (14/06/2003)


Fusée Shadok

On reproche avec force à ceux qui ont critiqué l'attitude des syndicats de vouloir briser la cohésion du mouvement.

Je ne pense pas que ce soit le but. D'un autre côté, à quoi sert la cohésion d'un mouvement s'il part dans une impasse. Je ne dis pas que c'est le cas, mais la question mérite d'être posée et je trouve dangereux de vouloir faire taire ceux qui nous préviennent qu'on va dans le mur ! Ont-ils raison ou tort, ça mérite d'être étudié, mais évitons la confiance aveugle, en qui que ce soit.

Cette cohésion à tout prix, même dans une direction (peut-être) mauvaise, me fait terriblement penser aux essais de la fusée shadok. Les Shadoks se disaient qu'il y avait 1 chance sur un million pour que ça marche, alors ils se dépêchaient de faire les 999.999.999 essais ratés pour être sûrs que ça marche la dernière fois. Ils se disaient que "plus ça rate, plus ça a de chances de réussir". La "succession de temps forts" de nos syndicats me fait un peu penser à ça, désolé, j'y peux rien.

JD

20/06/2003


* Entre la peste brune, la peste chiraquienne et le choléra rose, il serait de temps de choisir la médecine !

* Un député, qui plus est UMP, qui refuse de chercher des solutions honorables, c'est un pléonasme. D'ailleurs, un bon député n'a pas à chercher les solutions honorables : il les connaît. Son rôle à lui est de les cacher et non de les chercher.

* Certains, sur cette liste ou ailleurs, ont avancé l'hypothèse d'une trahison des directions syndicales, arguant que certains individus pouvaient en "collaborant" espérer obtenir un jour quelque sinécure, comme Mme Notat (qui a obtenu une sinécure, je veux dire : Mme Notat n'est pas une sinécure, évidemment, bien loin de moi cette idée).


Comment expliquer l'AGCS à votre garagiste

(ou à un patron de bar-tabac-PMU, mais c'est encore plus dur)

 

Pour plus de commodité, imaginons un garagiste fictif que nous nommerons M.Poujade. Dans une version alternative (car l'explication doit être adaptable), nous imaginerons un tenancier fictif de bar-tabac-PMU, fictif également, que nous appellerons respectivement Le Penalty (pour le bar) et M. Poujade aussi (pour le tenancier : c'est le cousin du garagiste). C'est parti.

MOI : R'gardez voir, M. Poujade ! Imaginez qu'un gouvernement de gauche décide de nationaliser les garages et les garagistes ...

LUI : Nationaliser les garagistes ! Fichtre ! Je n'ose l'imaginer (p... de b.... de m... !) : ceux qui feraient cela seraient de foutus bolchéviques et je manifesterais derechef ma colère.

MOI : C'est bien naturel. Mais ce n'est qu'une hypothèse, rassurez-vous. Imaginez simplement ce qui se passerait. Tous les garagistes de France seraient des fonctionnaires, recevant un salaire fixe pour réparer les voitures gratuitement (leur salaire aussi bien que les pièces nécessaires étant financés par nos impôts).

LUI : Ah oui ! Nos impôts ! Je les reconnais bien là, ces p... de rouges ! Toujours à tondre jusqu'au sang le pauvre contribuable agacé !

MOI : Passons, ce n'est qu'une hypothèse, personne ne songe à le faire pour de vrai. C'est juste pour vous expliquer un truc. OK ? Bon. Donc, salaire fixe. Le citoyen dont la voiture est en panne ne verse pas un centime. La réparation des automobiles repose sur la solidarité nationale.

LUI (bougonnant) : N'importe quoi ! Aberrant ! S'ils font ça, j'écris au Figaro !

MOI : Bon, que se passerait-il ? Ca changerait quoi, M. Poujade, dites moi voir !

LUI : Maiiiiiis ... plein de choses !

MOI : Oui, je sais bien, mais dites moi précisément lesquelles. Par exemple, un type qui n'y connait rien en mécanique et qui vient vous voir pour un truc où il suffit de donner un coup de clé à mollette, vous faites quoi, vous, dans l'état actuel des choses ?

LUI : Ben, les autres garagistes feront pas forcément comme moi, mais moi je suis pas un con, alors j'explique au type que c'est le carburateur ou la direction ou n'importe quoi d'autre, qu'il faut tout démonter, tout changer et que "mon pauv' monsieur ça va vous coûter bonbon mais si je vous laisse repartir avec ça j'suis un criminel !"

MOI : Bravo, M. Poujade ! Vous n'êtes en effet pas le dernier des cons. Maintenant dites-moi ce que ferait le garagiste fonctionnaire dans la même situation.

LUI : Ben ... Vu qu'il n'a rien à y gagner, il va donner le coup de clé à mollette et basta !

(à ce stade, libre à chacun d'adapter l'explication au patron de bar-tabac confronté à un client aveugle ou à une petite vieille qui ne maîtrise pas du tout l'euro. Reprenons)

MOI : Donc, parce qu'il ne peut pas s'inscrire dans une logique de profit, le fonctionnaire-garagiste va rendre le service qu'il est censé rendre, sans inventer un problème imaginaire destiné à escroquer le client ?

LUI : Euh ... oui, c'est ça, sauf que bon j'aime pas beaucoup le mot "escroquer" : les affaires sont les affaires, voilà tout.

MOI : Absolument, M. Poujade. C'est pourquoi il est évidemment hors de question de nationaliser les garages, pas plus que plein d'autres choses, car il est important de laisser à tous ceux qui sont incapables de donner un sens plus élevé à leur vie, la possibilité d'éprouver un peu de bonheur en arnaquant leurs semblables.

LUI : Voui. Faut nous comprendre, quoi !

MOI : Mais ce qui est vrai pour la réparation automobile l'est-il pour n'importe quelle activité humaine ?

LUI : Ben j'en sais rien, moi.

MOI : La santé, par exemple ? Vous avez une vague indigestion et le médecin vous assure qu'il s'agit d'un cancer de l'estomac, qu'il faut vous opérer d'urgence. Il vous ment et il vous opère alors que vous n'avez rien, simplement parce que ça va lui rapporter davantage.

LUI : Oh ! Mais c'est dégueulasse, ça !

MOI : Donc, ce qui est normal dans la logique de certains garagistes tels que vous est "dégueulasse" de la part d'un médecin ?

LUI : Absolument ! Cela est merveilleusement dit, Socrate !

MOI : Oui, c'est plus grave, n'est-ce pas ? Un corps humain n'est pas une automobile. Ce qui n'est dans un cas qu'une escroquerie répugnante mais difficilement évitable dans une économie libérale devient inacceptable dans un autre cas. Parce qu'il y a des domaines, comme la santé, qui ne peuvent pas être soumis à la logique du profit.

LUI : Parfaitement ! Ou alors juste pour soigner les métèques et les ouvriers ! Mais les médecins ne doivent pas plaisanter avec le corps des garagistes : ça non, alors ! Notre corps nous appartient, nom de D... !

MOI : Mouais, bon. On va en rester là pour aujourd'hui. Il y a quand même un peu de progrès. Pour demain, vous réfléchirez aux conséquences d'une logique de recherche du profit maximal appliquée à la distribution de l'eau et à l'éducation des enfants.

LUI : Des enfants de garagistes ?

MOI : Cela va de soi, M. Poujade.

LUI : Bien, je vais y réfléchir, c'est promis.

JD

22/06/2003


Révolution ?

J'ai l'impression (mais c'est difficile à dire, tant l'accusation est floue) qu'on me reproche soit de ne pas assez soutenir le PS (accusation justifée : j'assume ça avec fierté !), soit de ne pas appeler à la révolution, et là je voudrais clarifier les choses.

Je ne connais aucune révolution dans l'histoire qui ait conduit à quelque chose de durablement positif. La plupart ont viré au cauchemar. Toutes sont mortes. Loin de moi l'idée de dire que les révolutions sont inutiles. Celle de 1789, quoique suivie ensuite par l'Empire et la Restauration de la monarchie a profondément préparé le terrain pour les républiques suivantes et surtout a contribué à développer dans les esprits les concepts de laïcité, de droits de l'homme, etc.

Je crois qu'une société idéale ne se décrète pas, elle se construit dans la durée. Et cela passe par l'éducation (pas l'endoctrinement !) des générations à venir. Certes, en attendant, la crise sociale est grave et il faut faire quelque chose. Nous sommes plusieurs sur cette liste à proposer de réfléchir aux moyens d'action, et à les envisager dans le cadre démocratique et non à travers l'action révolutionnaire. Espérer changer les choses ainsi, espérer que les maîtres du monde consentiront si on insiste bien, à céder quelques miettes, oui, c'est très naïf. Mais pas plus que de croire qu'une révolution est possible et surtout qu'elle apportera joie et bonheur dans les chaumières.

En soutenant les idées que je soutiens ici, j'ai déjà l'impression d'être un utopiste gavé de LSD, alors ne m'en demandez pas plus !

Je ne m'étendrai pas sur ce qui me gêne fondamentalement dans le communisme, mais pourquoi l'URSS s'est-elle plantée ? Parce qu'elle a dû tout investir dans l'armement pour se défendre, au lieu de développer le bien-être de ses citoyens. Vous imaginez ce qu'un taré comme Bush ferait illico d'une France communiste ? On fait quoi ? On sort le Clémenceau ?

Soyons réalistes ! Pas trop, mais quand même un peu !

Marre de cette logique révolutionnaire qui a déjà fait échouer la taxe Tobin ! Pour augmenter les chances de déclenchement d'une révolution, les défenseurs du prolétariat ont refusé de défendre la taxe Tobin. Pendant ce temps, des gens continuent à crever de faim chez nous comme ailleurs.

Maintenant, imaginez ceci : en maintenant, et même en accentuant la pression, la population française dit NON au projet sur les retraites, NON à la décentralisation, NON à l'AGCS et à la logique ultra-libérale. On nous explique depuis des années que c'est inévitable, because l'Europe. Et bien justement, en refusant, on lance le mouvement, des tas de pays voisins n'attendent que ça. Et toutes ces lois scélérates soi-disant inabrogeables, on les fout en l'air tous ensemble et on construit une Europe sociale. Je ne parle pas d'une Europe communiste ! Une Europe sociale, une fédération de démocraties dans lesquelles le libéralisme est sous contrôle, dans lesquelles on peut faire du profit si on veut, mais pas n'importe comment, pas en licenciant n'importe comment, pas en polluant, etc.

Et on constitue un modèle pour le monde entier, en prouvant qu'il existe une alternative aussi bien à l'ultra-libéralisme qu'à la dictature du prolétariat.

Bien sûr, mon modèle de société peut sembler minable à certains qui voient plus loin.

Mais moi je pense que si on réussit à mettre un truc pareil en place sans se faire flinguer avant ou bombarder après, on pourra mourir avec la conscience d'avoir fait du bon boulot pour rendre cette planète un peu moins merdique. Pour les aménagements ultérieurs, comme je disais plus haut, donnons simplement à nos enfants l'intelligence du monde et l'esprit critique nécessaires, et ils aviseront !

JD

15/06/2003


"Haute Société", de Raymond Queneau

 

Ce sont des messieurs très bien

ils s'asseoient sur des chaises en rotin

sur des chaises avec des ornements, des paillettes, de la verroterie

ils s'asseoient sur des chaises très bien

pour dire des choses très bien

Ils disent des choses pleines de pensées, d'idées

des conneries quoi, des conneries très bien

qu'ils prononcent très bien

en mettant l'orthographe à tous les mots

une orthographe très bien

et lorsque les messieurs très bien ont fini de dire leurs conneries très bien

prononcées avec une orthographe très bien

on leur sert des consommations très bien

du pipi de chat, de l'urine de chèvre et du ouisqui très bien.


The Sarko Show must go on

Barry White est mort hier. Yvan Colonna a été arrêté.

Le ministre Sarkozy a déclaré qu'il voulait "dédier" cette arrestation à Mme Erignac et à ses enfants.

Le ministre Sarkozy entend-il utiliser pour son image la douleur de Mme Erignac ?

Le ministre Sarkozy se prend-il pour un crooner, pour "dédier" ainsi des arrestations ?

Le ministre Sarkozy entend-il occuper le créneau laissé libre par Barry White à peine refroidi ???

En tous cas, le ministre Sarkozy pavoise. Sans doute qu'il manquait d'occupation en attendant le référendum en Corse, alors il s'est dit qu'il n'avait qu'à pavoiser en attendant, ça l'occuperait et lui donnerait une contenance.

Tandis qu'un policier, racontant l'arrestation de Colonna, évoque le fait que l'homme à l'intérieur de la bergerie parlait aux chèvres, le ministre Sarkozy saisit cette occasion pour jouer les Sherlock Holmes en précisant aux journalistes :

- C'est un détail qui peut sembler dérisoire, mais il faut savoir que nous avions un dossier très complet sur Yvan Colonna et qu'il y était précisé qu'il avait pour habitude de parler aux animaux qu'il gardait.

Et là, on sent que le super-communicateur est un peu surmené en ce moment pour essayer de briller avec une connerie pareille. Il nous présente ça comme une caractéristique de Colonna, c'est tout juste si ce détail n'est pas aussi probant que des empreintes digitales pour identifier Colonna avec certitude : mais n'importe quel abruti qui réfléchirait une minute admettrait que n'importe quel berger, isolé pendant des mois avec ses bêtes, doit avoir pour habitude de leur parler pour ne pas devenir dingue, à plus forte raison un berger en cavale depuis 4 ans !

JD (05/07/03)


Lettre ouverte aux commerçants d'Avignon

Nous sommes à deux jours de l'ouverture du festival d'Avignon. Hier, son directeur Bernard Faivre d'Arcier  a demandé au ministre de la Culture le retrait du protocole d'accord qui remet en cause le statut des intermittents du spectacle et qui est à l'origine de leur mobilisation.

M. Aillagon se contente aujourd'hui de vagues promesses concernant des modifications de détail, ce qui ne satisfait nullement les intermittents.

Comment peut-on envisager la suite des événements, à deux jours de l'ouverture ? Deux issues possibles :

Soit le ministre maintient cette réforme du statut des intermittents et le festival est annulé. Soit le ministre cède enfin, mais il est trop tard pour sauver le festival, de toutes façons.

Il aurait fallu réagir la semaine passée, lorsqu'il était encore possible de rassurer les festivaliers sur la tenue du festival dans de bonnes conditions.

Mais personne au gouvernement n'a jamais envisagé de sauver Avignon. Parce que si le gouvernement cède face aux intermittents, il ouvre une brêche où se précipiteront toutes les catégories menacées par l'ensemble de ses réformes, c'est-à-dire quasiment toute la population de ce pays.

Le gouvernement travaille pour quelques multinationales. Pas pour les petits commerçants, fussent-ils avignonnais et bons électeurs UMP : l'enjeu est bien trop gros ! Qu'ils mettent la clef sous la porte si nécessaire, tout le monde s'en fout, ça ne remettra pas en cause les profits des vrais patrons, qui pourront en outre racheter quelques pas de porte à Avignon pour une poignée de chiques, c'est tout bénéf !

Les intermittents, soutenus par les mêmes 64% de la population qui soutenaient les profs, ont touché un point sensible en montrant que la logique néolibérale était destructrice également pour le petit commerce. En maintenant la pression, ils montrent aujourd'hui que le gouvernement est prêt à sacrifier ce même commerce pour imposer des réformes qui de toutes façons n'ont jamais eu pour but de favoriser la consommation. Cf. sur ce sujet la section GREVE DE LA CONSOMMATION.


Référendum en Corse : résultat

NO RAFFARAN !!!


Pour une démocratie directe :

Une "nouvelle sorte de gouvernement" : quelle bonne idée !

Quelques idées :

* Personne ne doit s'installer dans une position de pouvoir (interdiction).

* Tout le monde doit (devoir) au cours de sa vie exercer des responsabilités (collégiales).

Les décisions prises ne doivent l'être qu'en fonction du seul critère politiquement recevable qui est l'intérêt général à l'exclusion de tout intérêt privé, communautaire, religieux ...

La tactique délétère du vote (la dictature de l'opinion non-fondée dont la principale fonction est d'empêcher de mener jusqu'au bout une discussion et d'arriver à un consensus) doit être bannie au profit de la recherche de la vérité de l'intérêt général (ce qui est une chose fort simple !

Exemple :

Les retraites par capitalisation sont-elles favorables à l'intérêt général ? non, elles coûtent la peau des fesses en droit de cuissage des intermédiaires mafioso boursicoteurs, elles se sont toutes cassé la gueule en engraissant une infime minorité de riches et en faisant crever des armées de malheureux pauvres : pouah ! quelle horreur ! quel esprit tordu a jamais pu inventer un truc pareil ! Solution rejetée.

Les retraites par solidarité intergénérationnelle et interprofessionnelle, dites par répartition, sont-elles favorables à l'intérêt général ? Oui. De plus elles ne coûtent rien puisque les boursicoteurs sont hors-circuit ; connait-on un système plus favorable à l'intérêt général ? Non. Les retraites par répartition sont adoptées. Qui se propose pour vérifier les comptes ? Il faut 10 personnes, pour une durée de 6 mois non renouvelable à la place de son travail habituel qu'on lui gardera au chaud pendant ce temps-là.

L'enrichissement (qui ne peut se faire que sur le dos de ses congénères) doit être le crime majeur

En fait s'est très simple ! ... une fois que c'est en place.

N'imaginons pas cependant que la bourgeoisie va se laisser exproprier de son butin de guerre sans broncher, c'est-à-dire sans tenter comme elle l'a toujours fait de tuer tout ce qui bouge !!! Donc j'en reviens à ma provoc (qui n'en était pas une) : la "nature de l'Homme", un vrai serpent de mer ...

Pourquoi l'Homme serait-il "naturellement" vénal ? Désirer vivre correctement en ayant accès à l'essentiel est le contraire de la vénalité et l'aspiration majeure et légitime des humains aujourd'hui - la quantité et la facilité de la production des richesses rendent ces aspirations tout à fait banales. Si on observe bien, toutes les saloperies institutionnelles sont toujours faites au nom des bons sentiments, en jouant sur la corde sensible (très sensible) de l'Homme (la vénalité n'est pas très porteuse, c'est le moins que l'on puisse dire). Que la "corde sensible" existe encore dans une société aussi corrompue et corruptrice que celle où on se trouve, c'est très encourageant ... Qui a jamais pu avouer crûment qu'il vole le fruit du travail des autres ? qu'il les berne pour les mettre en servitude (si vous n'êtes pas dociles vous irez en enfer) ? qu'il tue pour pouvoir continuer à piller ? personne, en vérité. Les différentes formes de dictatures se sont toujours présentées en tenue de camouflage, une grosse batterie d'idéologies de RECOUVREMENT ("universalité" de l' "amour" de "dieu", "Lumières", "liberté" et autres "droitsdelheaume"). La démocratie n'étant (pour l'instant) qu'une tenue de cirque pour la ploutocratie (à nous de chasser les ploutocrates)

Reste l'épineux problème du "remplacement de la dictature par une autre"... Il y a quelques "idées" non-fondées bien ancrées dans les mentalités :

* "la dictature c'est la dictature". La dictature d'aujourd'hui est celle du 0,00001% des ploutocrates (au niveau mondial, ce sont les 200 familles dont la fortune est telle que - chiffres du PNUD - si on leur prélevait 4 % on pourrait avec ça subvenir aux besoins en nourriture, santé, éducation... de toute la planète. Alors bon dieu qu'est-ce qu'on attend ?!) contre les 99,99999 % restants. Si on instaure la dictature des 99,99999% sur les 0,00001 % (en les empêchant d'accéder à toute fonction de pouvoir, en les expropriant, en les mettant au boulot - a Paris il manque des éboueurs, c'est un métier très utile à la collectivité - pour leur plus grand bien car le parasitisme c'est très mauvais à la santé), ça change tout, pas vrai ?

* "ça" n'a jamais marché (...voir la "nature de l'homme") : "la République, il y a eu des siècles de combat, pour ou contre la République, maintenant qui n'est pas républicain, même le roi" (Michel Clouscard). Il en sera de même du socialisme. Aujourd'hui c'est encore pire que "socialisme ou barbarie" (Rosa Luxemburg), puisqu'on on est déjà dans la barbarie (et si la planète continue d'être dévastée à ce train, bientôt il n'y aura plus de capitalisme faute de richesses à piller, mais plus d'humanité non plus), c'est socialisme ou néant.

Mikara (08/07/2003)


Avant-projet "Echanges et Mouvements" consacré au mouvement social actuel.

"Arrivé à l'apogée de sa puissance, le capitalisme est aussi arrivé au plus haut point de sa vulnérabilité; il ne débouche nulle part ailleurs que sur la mort. Si faibles que soient les chances de révolte, c'est moins que jamais le moment de renoncer au combat." (P.Mattick)

ECHANGES ET MOUVEMENT, BP 241,75866 PARIS CEDEX 18, FRANCE

NUMERO SPECIAL HORS SERIE - JUIN 2003 PUBLICATION DIFFUSEE GRATUITEMENT

Ce numéro hors-série traite des récents mouvements de lutte en France. Ce n'est qu'un avant-projet d'un travail plus complet sous forme de brochure. Les documents joints peuvent donner un aperçu de ce travail à venir. Nous en réunissons les matériaux et appelons tous ceux qui auraient ce bulletin entre les mains à le faire circuler et à recueillir les critiques et tous les témoignages et textes possibles nous permettant de compléter ce travail.

Contrairement à la diffusion habituelle il est envoyé en un seul exemplaire aux abonnés d'Echanges, aux individuels et à chaque correspondant en assurant habituellement la distribution. Nous espérons qu'ils pourront en assurer la diffusion pour une participation à l'élaboration de la brochure évoquée ci-dessus.

MAI 2003 EN FRANCE : QUE DIRE AUJOURD'HUI D'UN MOUVEMENT SOCIAL MULTIFORME ?

On pourrait donner de ce qui se passe en France des explications si générales qu'elles en deviendraient de banales évidences. On peut être tenté de faire des comparaisons entre les affrontements d'aujourd'hui et d'autres d'un passé récent à l'échelle nationale par exemple 1968 et 1995. Dans l'immédiat, nous ne donnerons que plusieurs textes distincts : l'article plus général qui suit, un témoignage direct des grèves dans l'enseignement, un autre témoignage d'une des manifestations parisiennes et une lecture critique d'un appel d'une coordination nationale placardée lors de cette manifestation.

 

REPLACER LE MOUVEMENT DANS LE CADRE ECONOMIQUE ET POLITIQUE GENERAL.

Tout d'abord dans le cadre de la situation économique mondiale du capital. Pas besoin de statistiques et de grands développements pour dire que le capitalisme est en crise avec des répercussions dans tous les domaines. Pour ne parler que de la France en voie d'intégration dans l'Europe, cette crise s'exprime par des impératifs de restructurations avec des conséquences sur les conditions générales de travail. Comme dans tous les autres Etats, la diminution de la production signifie une diminution de la plus-value extorquée sur le travail par le capital, donc de la part de cette plus-value redistribuée aux travailleurs et prélevée par l'Etat pour ses dépenses de fonctionnement et pour l'articulation social - répression destinée au maintien de la paix sociale. Le résultat global est une pression de plus en plus forte pour réduire cette part de plus-value échappant au capital. C'est à dire une attaque sur les salaires et avantages sociaux, à un moment où les conséquences de la crise accroissent la demande de l'aide sociale sous toutes ses formes et l'exigence de répression pour contenir la pression sociale. En termes beaucoup plus directs : le capital a besoin de fric pour faire face à la crise et tenter de conserver ses profits et il n'y a qu'une seule source : les travailleurs quels qu'ils soient, au travail, au chômage ou à la retraite ou futurs dans le conditionnement scolaire.

LES CONFLITS SOCIAUX ET LA POLITIQUE

Ce que l'on trouve fréquemment, c'est la référence aux grèves de l'automne 1995. Comme alors, sur un fond de restructurations économiques et sociales, on se trouve devant tout un ensemble de luttes localisées et diverses. Mais, jusqu'à maintenant, on ne se trouve pas, comme en mai 1968, devant un mouvement généralisé touchant toutes les structures du système et une tentative de remise en cause de l'organisation sociale bien que la multiplicité des initiatives locales fasse penser à une lame de fond d'une toute autre nature. Tout comme en 1995, un gouvernement conservateur s'attaque à un problème global touchant les garanties sociales notamment celles concernant certaines catégories de travailleurs, ceux des services publics et parapublics.. En 1995, le déclencheur de la grève fut une attaque frontale visant à la suppression de ces régimes spéciaux, leur alignement sur le régime général de sécurité sociale notamment quant à l'âge de départ en retraite. Cette spécificité devait limiter le mouvement malgré la force de son extension et ses tendances autonomes : tous les efforts pour l'étendre au secteur privé qui n'était pas directement concerné échouèrent.

Les grévistes affirmèrent qu'ils faisaient la " grève par procuration " pour l'ensemble des travailleurs ce qui fut rapidement contredit par une reprise du travail, fortement appuyée par les syndicats alors quelque peu dépassés, lorsque le gouvernement abandonna son projet par crainte d'une telle extension. Une des raisons de cette non-extension au secteur privé était que les travailleurs de ce secteur économique le plus important n'étaient pas concernés par cette mesure; au contraire ils avaient été touchés, quelques années auparavant, par le passage à 40 années du temps de cotisation requis pour toucher une retraite pleine et entière. Sans que cela déclenche une réaction des centrales syndicales ou de mouvement de base.

En 1995, le retrait des mesures gouvernementales et la fin du conflit ne réglaient pas pour autant l'échec politique. Il y a une règle politique constante qu'un gouvernement qui, par quelque tentative pourtant requise par le capital, provoque un conflit majeur perturbant sérieusement le fonctionnement de l'économie capitaliste, doive en quelque sorte le payer politiquement : le conflit social, quelle qu'en soit l'issue, est apaisé, en quelque sorte transféré, sur une " solution " politique bien sûr transitoire. De Gaulle avait payé en avril 1969 l'échec politique que représentait mai 1968 bien que bénéficiant alors d'une majorité largement suffisante pour gouverner. Les contrecoups de l'échec social de l'automne 1995 se concrétiseront par l'élection au printemps de 1997, après une dissolution supposée laver l'affront social , d'une majorité de gauche social démocrate. Bel exemple d'un mouvement social dévié sur un geste politique supposé résoudre les problèmes ayant sous-tendu l'affrontement social. La tâche qui attendait ce gouvernement "de gauche" était de faire passer les réformes nécessaires au capital en France ; il pouvait jouer pour cela d'un capital d'une confiance - toute relative - que des travailleurs pouvaient - encore - accorder à un tel changement politique.

LA GAUCHE PREPARE LE TERRAIN POUR LA DROITE

La continuité capitaliste sous l'alternance gouvernementale

C'est devenu un lieu commun de dire que la gauche social - démocrate n'a pas, au cours de ces cinq années au pouvoir , tenté de s'attaquer aux problèmes que lui avait légués le gouvernement " de droite " c'est à dire aux réformes exigées par le capital notamment au problème des retraites. On oublie en général qu'il a parfaitement rempli sa tâche de gestionnaire du système en ce qui concerne la paix sociale et la hausse de la productivité du travail, une arme essentielle dans la compétition capitaliste internationale. Dans cette période de cinq années, des résultats essentiels ont été atteints au détriment des travailleurs :

* sous l'étiquette fallacieuse de la réduction du temps de travail avec les "35 heures", les entreprises en France ont gagné une flexibilité totale du travail et un blocage des salaires avec en prime des subventions déguisées (politique entamée par la droite avec la loi de Robien exonérant pour sept ans les cotisations sociales dues pour chaque salarié et poursuivie par la loi Aubry qui baisse pour 5 ans les cotisations des salariés embauchés au titre de la RTT). Une conséquence non moins importante de la mise en application de cette législation a été un transfert de la fixation des relations de travail d'un niveau global ( Etat ou conventions de branches d'industrie) au niveau local de l'entreprise ou même de chaque usine d'un même trust, c'est à dire l'abolition d'une égalité territoriale unificatrice vers une localisation différenciatrice porteuse de divisions et de faiblesses. C'est dans ces conditions que le capital en France peut se targuer d'avoir la productivité horaire par travailleur la plus élevée des pays industrialisés. Il pourrait aussi se targuer d'avoir profondément bouleversé les conditions de travail et de vie des travailleurs, accroissant ainsi leur 'individualisation " et la parcellisation des luttes.

* Cette transformation des conditions de travail et de vie s'est accompagnée d'une restructuration industrielle, pour partie engendrée par des privatisations du secteur public, les licenciements en résultant étant favorisés par l'allégement des contrôles étatiques et une réforme de l'indemnisation du chômage. Les licenciements furent masqués par d'importantes embauches précaires notamment de jeunes.

* Cette forme spécifique de précarisation n'était qu'un des aspects d'une précarisation générale touchant l'ensemble de l'économie, en partie conséquence de la mise en concurrence sans frontières de la force de travail, de la flexibilité du travail et du concassage du temps de travail, en partie par l'embauche dans nombre de services publics de travailleurs hors statut garanti. Et pour une autre partie la conséquence d'accords internationaux (par exemple entrée de la Chine dans l'OMC) ou d'abandon d'accords protecteurs des industries nationales ( par exemple la fin de l'accord multifibre couvrant la production textile)

* Dans tous les domaines des garanties sociales ou des statuts préservés, la pratique développée au cours de ces années, consista, pour éviter des explosions sociales globales, de parcelliser à l'extrême en procédant à des réformes ponctuelles par catégories limitées . Une partie de ces réformes "parcellisantes" et qui va se trouver au centre du conflit dans l'Education Nationale touche la "régionalisation", c'est à dire le transfert de services dépendant de l'Etat central vers les collectivités locales. Cette réforme des structures de l'Etat, amorcée par le gouvernement social démocrate dès 1981 a été poursuivie par la droite puis de nouveau par la gauche : à proprement parler, il ne s'agit nullement d'un changement de patron mais d'un changement de collectivité publique conçu comme devant apporter une meilleure productivité et, du moins pour les entrants, à un changement de statut moins avantageux qu'auparavant et à une rationalisation du travail.

L'ensemble a ainsi créé les conditions propres à une autre avancée vers des réformes plus radicales, celles-là mêmes retardées par crainte d'un mouvement social. Mais en même temps, elles ont aussi créé un mécontentement diffus, un malaise d'autant plus profond qu'il ne pouvait se concrétiser que difficilement dans des luttes ouvertes et que crise et restructurations développaient une inquiétude croissante sur le futur soulignant l'impuissance des politiques face à l'inexorable évolution de l'économique.

Dans le même temps, les réformes longtemps retardées devenaient d'autant plus urgentes qu'elles se posaient non plus au niveau national mais au niveau européen et que la crise économique mondiale contraignait à ne plus différer leur réalisation ; elles pouvaient se définir suivant trois axes :

* le corollaire de la liberté de circulation des travailleurs dans une harmonisation par le bas des systèmes de protection sociale et la suppression des particularismes nationaux.

* la suppression des entraves à la constitution d'un libre marché européen avec pour corollaire le réduction de la plus grande partie des secteurs publics et leur privatisation.

* l'harmonisation des structures politiques des Etats par la constitution de régions équilibrées dotées de pouvoirs plus conséquents transférés des Etats centralisés dont les fonctions se trouvaient diminuées d'autant.

 

LA CRISE DES MEDIATIONS POLITIQUES ET SYNDICALE MASQUEE PAR LES DEBOIRES DE L'ELECTORALISME

Il semble que le gouvernement conservateur se soit quelque peu mépris sur la crise politique dévoilée lors des élections du printemps 2002 . Il pouvait ainsi croire qu'ayant une majorité sans partage dans tous les échelons du pouvoir, il lui devenait possible de se lancer hardiment dans l'ensemble des réformes différées et dont l'urgence lui était imposée. Les références des remous politiques fascisme - antifascisme avaient totalement masqué la réalité du conflit social posé notamment dès 1995. La tentative de médiation politique de ce conflit, que les élections de 1997 avaient exprimé avait échoué. Au contraire le développement de ce mécontentement latent s'exprimait dans les péripéties électorales de ce printemps 2002 ; elles s'affirmèrent en un rejet de la médiation politique tel que l'abstention les votes de rejet atteignaient près des 2/3 de l'électorat. On peut se demander si les manifestations de masse pour barrer la route au Front National n'étaient pas plus l'expression de ce refus de toute médiation politique et ne préfiguraient pas d'une certaine façon la situation présente. Elles privilégiaient l'affrontement direct, "la loi de la rue " comme le disent si bien les ministres d'aujourd'hui. Mais, ce n'était pas une lame de fond car tous les organes de pouvoir avaient appris depuis les deux décennies écoulées, à la mesure des tentatives d'action directe découlant de ce refus des médiations.

 

LA PERSISTANCE D'UN COURANT AUTONOME

La désaffection à l'égard des syndicats ne date pas d'aujourd'hui. Elle correspond, dans le domaine des relations de production, au rejet des médiations politiques. Elle s'exprime par le peu d'adhérents et la carence de militants et est masquée alors par le fait que les protections légales (et le financement institutionnel) leur permet d'assumer encore, bien qu'avec difficulté, leur fonction de médiation dans les rapports de production et d'intervenir dans des conflits sociaux. Plus que les politiques, ils se trouvent concrètement en face de mouvements de lutte qui tendent à nier en fait leur existence même et les contraint de prendre des positions qui dévoilent leur fonction sociale réelle :

* on peut dire qu'en dépit de la confusion d'un mouvement coincé entre les surenchères syndicales intéressées, les manoeuvres tant du pouvoir que des centrales reconnues, on se trouve en présence d'une grève sauvage qui cherche à trouver ses propres critères d'action et d'organisation. Il s'agit de manifestations d'un courant d'autonomie dans les luttes qui remonte dans le temps même avant 1968 ( fin des grèves presse bouton). Dans la période récente, il s'est exprimé à la fin des années 1980 par la création des coordinations dont les plus importantes apparurent dans les chemins de fer (1986-87) et chez les infirmières (1988-89). Violemment combattue par les syndicats et en partie émasculée par la création de syndicats non-reconnus se voulant plus combatifs ( SUD, UNSA, CNT), cette tendance réapparut dans les grèves de 1995-96 sous la forme de la démocratie directe dans les assemblées de grèves ouvertes à tous, rompant en quelque sorte avec les limites du strict professionnalisme des coordinations. Mais là aussi les limites de la démocratie formelle sont vite apparues dans les possibilités de manipulation des syndicats qui, s'ils reconnaissaient par force cette démocratie de base gardaient la haute main sur les pourparlers avec les pouvoirs et sur l'organisation des manifestations centrales. Aussi bien les travailleurs concernés que les syndicats et les gouvernements tirèrent les leçons de ces tentatives avortées. Récemment, on a vu apparaître dans les luttes d'autres organisations de base regroupant à la fois des travailleurs en lutte et d'autres militants et qui, pour se différencier des formes d'organisation antérieures avortées, ont pris un autre nom " les collectifs ", auxquels on peut d'ailleurs prédire les mêmes avatars que les formes antérieures devenues obsolètes.

* Il était habituel dans les pratiques syndicales de recourir, dans des circonstances précises et toujours sous contrôle strict de telle ou telle centrale, à certaines formes de violence sociale. Cela permettait de débrancher les tentations d'une violence de base lorsque la lutte maintenue dans ses cadres légaux se trouvait dans une impasse. Dans les années écoulées, une violence sociale a surgi sur les lieux mêmes de travail souvent hors des structures syndicales. Elle recoupait en quelque sorte la violence récurrente des " banlieues " en lui donnant un caractère beaucoup plus précis de violence de classe. Cellatex, en février 2000, avait inauguré en quelque sorte cette nouvelle voie de l'autonomie. Non seulement ces actions ont dû faire face à une répression directe mais aussi à des manoeuvres dilatoires les vidant de leur contenu subversif .. Avec les nouvelles lois sur la sécurité, l'épée de Damoclès d'une répression directe se trouve suspendue sur la tête non seulement des jeunes des banlieues mais aussi sur toute forme d'action autonome " troublant l'ordre public " . Même ponctuelles, ces formes de lutte ne se sont pas éteintes et tout récemment, encore des travailleurs y ont eu recours soit sous forme de menaces, soit en passant à l'action directe.

Il entrait dans les stratégies gouvernementales de tenter de profiter à la fois de ce qu'il pensait être un consensus politique, d'un certain contrôle syndical sur de possibles luttes et d'un appareil répressif renforcé. D'où la tentation d'imposer, aux dépens des travailleurs, les réformes qu'exigeaient pour la pérennité du capital, à la fois la construction européenne et la crise économique. On peut épiloguer sur le fait que, pressé par le temps autant que par l'évolution rapide de la crise économique, il ait entrepris en même temps tout un ensemble d'attaques dans différents domaines. Il accumulait ainsi pour certaines couches sociales plusieurs bouleversements dans les conditions de travail. Par exemple dans tout le système éducatif français, il imposait à la fois la réforme des retraites, un changement de statut avec le transfert du personnel non enseignant de l'Etat aux régions et une réduction drastique des effectifs.

Il est possible aussi que, fort de la " popularité " gagnée dans l'affirmation de positions anti-US dans le conflit irakien , dans le prolongement de ce prétendu consensus , le gouvernement ait cru qu'un passage en force était possible. Quoi qu'il en soit, disposant d'une majorité conservatrice rêvant d'en découdre, le capital et ses séides pouvaient voir dans les faits une ouverture pour surmonter un rapport de forces dont il était malgré ses oeillères assez conscient.

 

UN POUVOIR TROP SÛR DE LUI

Il est difficile de dire , au stade actuel, du développement de la lutte vers quelle voie s'orienteront les affrontements dont l'ampleur réside à la fois dans leur persistance et dans leur extension à l'ensemble de la France. Les axes d'intervention du gouvernement rencontrent des résistances diverses, qui, nous venons de le souligner, dans certains secteurs comme l'éducation, cumulent les bouleversements imposés. Rappelons ces axes "réformateurs " :

* les retraites, sous le prétexte d'un déséquilibre qui pourrait se produire dans dix années (hypothétique car se référant à une situation économique inconnue et démographique plus ou moins prévisible avec la libre circulation des personnes dans l'UE élargie),parvenir à une réduction des charges étatiques et patronales. Le but: les prélèvements sur le PIB à une moyenne européenne et orienter vers la constitution d'un système privé de retraite, le tout dans l'intérêt du capital dont les charges seraient réduites qui aurait l'assurance de trouver un financement via les fonds de pension. Les plus atteints par cette " harmonisation " seraient les travailleurs de tout le secteur public et parapublic qui bénéficient de systèmes de retraite plus avantageux que le secteur privé, ce dernier secteur étant aussi atteint mais à un degré moindre bien qu'il compte ceux dont la retraite est minimale.

* les transferts de charge de l'Etat vers les collectivités locales, à commencer régionales ; nous avons déjà souligné l'importance politique de ces mesures dans le cadre de la construction européenne.

* la réduction de tout le secteur public dont la régionalisation n'est qu'un des aspects. Elle implique à la fois la privatisation d'importants secteurs des " services publics " (y compris éventuellement l'enseignement) et des coupes sombres dans les effectifs des services existants (avec l'utilisation des départs en retraite massifs dans les dix années à venir des enfants du baby-boom de l'immédiat après-guerre).

* une réforme profonde du système universitaire pour l'adapter aussi aux normes européennes. Elle impliquerait une rationalisation , une mise en compétition des établissements scolaires à tous niveaux et un renforcement de leur liens avec le patronat pour que les formations répondent mieux aux besoins des entreprises.

Cela fait des mois que certains secteurs spécifiques, touchés par les premières mesures de "restructuration" et de "réduction des dépenses de l'Etat", sont engagés dans des luttes apparemment marginales mais persistantes. Ces lutes sont souvent spécifiques à l'appel de collectifs locaux, régionaux ou nationaux surgis de la lutte elle-même : les intermittents du spectacle contre la réforme du système d'indemnisation du chômage, les archéologues contre une réduction des crédits entraînant de nombreux licenciements et une privatisation des fouilles archéologiques, les personnels subalternes précaires de l'Education Nationale ( emplois jeunes, surveillants, etc...) dont les emplois sont purement et simplement supprimés ou considérablement réduits avec la création de postes d'assistants. Ces mouvements, bien que marginaux, préfigurent en quelque sorte ce qui se développe depuis plusieurs mois, particulièrement dans l'enseignement. Elles tentent de tisser des liens, des ramifications vers d'autres secteurs du public, même du privé, de l'ensemble de la population. Il n'est guère possible d'en tracer l'ampleur et les caractères à commencer par le manque d'informations précises .

Cette ampleur ne réside pas dans l'importance des manifestations de rue récurrentes dans toute la France (sur lesquelles les syndicats tentent de garder la haute main) bien qu'elle soit plus évidente dans certains départements ou régions, inégale selon les secteurs de l'éducation et géographiquement. Elle réside essentiellement dans une auto-organisation au plan local qui ne dépasse pas généralement cette limitation . Les actions peuvent aussi associer d'autres secteurs d'activité publique ou privée, mais là aussi, d'une manière très dispersée et dont il est impossible de dire la dimension et le caractère. Leur signification est pourtant telle qu'on peut considérer qu'elle reflète les tendance profondes de l'ensemble du combat social.

 

LES SYNDICATS N'EXISTENT QUE POUR IMPOSER A LA FORCE DE TRAVAIL LES IMPERATIFS DU CAPITAL

Les syndicats, quels qu'ils soient mais avec différents objectifs selon leur position dans l'appareil d'encadrement de la force de travail, ont pris le train en marche. Leur rôle, pour les syndicats représentatifs apparaît double. D'un côté faire contre mauvaise fortune bon coeur en proclamant leur solidarité avec les mouvements construits en dehors d'eux et leur foi dans la démocratie de base; leur participation fait qu'ils essaient de les torpiller en utilisant ces mêmes pratiques démocratiques et en utilisant leur position de "coordinateur patentés". Ils tentent en même temps de prévenir toute velléité de coordination hors de leur contrôle. On peut voir de tout évidence leur rôle pour émasculer le mouvement dans le calendrier de manifestations diverses catégorielles évitant ainsi toute action unitaire ou dans les contre-feux de manifestations nationales répétées ou de "journées de lutte" font croire à une montée en puissance mais qui renvoient à des lendemains sans perspective qui déchantent. On peut voir leur rôle dans ces entrevues ouvertes ou secrètes qui continuent avec le gouvernement et qui offrent le spectacle de déclarations tonitruantes de rupture alors qu'ils tissent dans le silence des cabinets ministériels les "concessions du pouvoir" qui permettront de diviser à la fois les problèmes et ceux qui luttent. C'est à le risque le plus important de dislocation du mouvement qui permettrait au gouvernement de ne pas perdre la face et d'éviter les conséquences politiques d'un retrait pur et simple des mesures les plus importantes, de maintenir certaines des réformes qui ne rencontreraient plus qu'une opposition divisée et affaiblie. Les syndicats pourraient alors revendiquer une victoire à la Phyrrus car ils auraient cédé sur une partie de l'essentiel et reporté à plus tard l'autre partie, et, ayant pleinement assumé leur fonction, obtenu sans aucun doute de la part du pouvoir des garanties quant à leur position dans le système ( c'est certainement l'explication de la "trahison" de la CFDT).

 

COMMENT LE MOUVEMENT AUTONOME CHERCHE SA VOIE AUJOURD'HUI ?

Pour nous , l'aspect le plus important du mouvement actuel est qu'il s'inscrit dans le courant d'autonomie que nous avons décrit ci-dessus. Pour pouvoir dégager les expressions de cette autonomie dans les formes d'organisation et d'action, il doit lutter inévitablement, constamment et durement, contre toutes les forces de répression toujours présentes. Il est inutile de crier à la trahison des syndicats ou de vilipender leurs manoeuvres et manipulations : ce faisant , ils sont parfaitement dans le rôle qu'ils se sont donnés et que le capital attend d'eux (ils y gagnent leur crédibilité auprès des pouvoirs qui peuvent même leur décerner des satisfecit pour leur "sens des responsabilités"). Il n'y a rien d'autre à en attendre. C'est ce qui rend particulièrement vain les appels (émanant des groupes gauchistes ou autres que nous analysons par ailleurs) à "faire pression" sur les syndicats pour qu'ils fassent ceci ou cela. Outre que ces appels accréditent un rôle possible des syndicats qu'ils n'assumeront jamais, leur fonction est précisément de barrer la route à toute possibilité des travailleurs en lutte de lutter pour eux-mêmes et par eux-mêmes, d'agir et de s'organiser en ce sens.

 

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UN TEMOIGNAGE SUR LES GREVES DANS L'EDUCATION NATIONALE de 2003 DANS UN DEPARTEMENT

Quelques informations à partir des derniers jours et des dernières actions.Pour simplifier la présentation je décrirai ce que je vis dans le Vaucluse.Ce n'est pour le moment qu'un bref aperçu de quelques aspects importants de ce mouvement.

 

Les raisons du mouvement

Ce n'est qu'au bout de plusieurs semaines de grève que les medias nationaux se sont fait l'écho des raisons premières de mobilisation dans l'éducation nationale, avant on ne parlait que de la réforme des retraites. Si les deux sont liés, il faut quand même expliquer ce que représentera réellement la réforme de décentralisation de l'Education Nationale.

Essentiellement, ce sera une dégradation des conditions de travail des personnels concernés par ces mesures à la rentrée prochaine et le début de l'ouverture à la privatisation de l'éducation nationale, par des voies détournées. Privatisation qui signifie à terme contractualisation, flexibilité des personnels de l'éducation, donc encore dégradation des conditions de travail et accentuation des inégalités suivant les régions.

Cette réforme se traduit dès l'an prochain par :

* suppression du statut de surveillant et disparition de 5600 postes dès l'an prochain (ceux qui sont en fin de droit). Les Aides éducateurs sont supprimés : départ de 20000 d'entre eux à la rentrée prochaine. L'ensemble (25 600 suppressions) est remplacé par 16 000 "assistants d'éducation", au statut précaire, moins payés que les surveillants, et pouvant être appelés à d'autres tâches que dans les établissements scolaires.

* Les personnels techniciens, ouvriers et de services (TOS) passent à la fonction publique territoriale, c'est-à-dire qu'ils effectueront des tâches à la fois dans les établissements scolaires et en dehors : ils deviendront corvéables à merci.

* Les conseillères d'orientation, les assistantes sociales, les médecins scolaires passent à la fonction publique territoriale. Ils ne seront donc plus rattachés à un établissement, mais effectueront d'autres tâches en plus. Leur aide dans les équipes enseignantes sera très réduite au vu de leur surcharge de travail probable.

* Les crèches, payantes, se voient changer de nom et sont baptisées "centres d'accueil de la petite enfance", annonçant la disparition des sections d'école maternelle (déjà prévue dans la région du Havre).

* Augmentation de l'autonomie des établissements scolaires et universitaires avec régionalisation du financement et entrée des entreprises dans l'élaboration des projets de ces établissements.

Beaucoup de jeunes professeurs (et de moins jeunes) découvrent le jeu du libéralisme international et se familiarisent avec la lecture des textes de l'OMC, de l'ERT et de l'AGCS, textes qui prônent la destruction des services publics dans le monde. Ces textes décrivent avec cynisme comment les dirigeants des pays doivent s'y prendre pour détruire ces services et laisser sur le tapis une partie de la jeunesse qui n'a pas besoin de formation ni de culture approfondie. Ils se radicalisent rapidement au cours de la lutte et se rendent compte que cette lutte n'est rien d'autre qu'une lutte contre le capitalisme et contre tous les aspects de la société qui en découlent.

 

Les réalités du mouvement

C'est la première fois qu'un mouvement d'une telle ampleur, d'une telle durée se produit dans l'Education nationale depuis 1968. Tous (ou presque) les établissements primaires et secondaires sont entrés en grève reconductible, dans toutes les académies de France.

Le début

Tout a commencé, le 18 mars, dans l'académie de Bordeaux, car cette académie a été choisie comme académie pilote pour l'application de la réforme, avec comme premières conséquences, des suppressions de postes, des suppressions d'heures, de places pour les élèves dans certains lycées et blocage des mouvements de mutations dans certaines matières et création de 12 lycées pilotes pour l'application de la réforme.

"les lycées pilotes d'expérimentation de la loi organique de financement permettent de voir ce que sera l'école de demain. Le schéma est inspiré du fonctionnement des lycées agricoles. Introduction de représentants des chambres consulaires et des entreprises dans les conseils d'administration, extension des pouvoirs de l'établissement en matière de gestion des personnels, mais aussi sur le recrutement et la pédagogie. Ces établissements recevront une dotation emploi, ces emplois seront "étiquetés" et "profilés" par le nouveau conseil d'administration présidé par une personnalité extérieure à l'établissement. Le chef d'établissement sera chargé du recrutement des personnels répondant au profil des emplois. Le CA déterminera la pédagogie enseignée, le nombre d'ATOS, de profs ;;; auxquels servira la dotation. "

Peu de temps après La Réunion est entrée en grève reconductible massivement( 80% de grévistes en continu) ainsi que la région parisienne, surtout le 93.

L'extension

Le mouvement s'étend dans les autres départements au fur et à mesure que les académies rentrent des vacances de Pâques. Des assemblées générales se tiennent quotidiennement dans les établissements pour reconduire la grève chaque jour et décider des actions locales, puis des assemblées de secteurs et des assemblées départementales.

Les collèges et les écoles primaires en grève font le tour des établissements qui ne sont pas encore dans le mouvement. Il y a une assemblée de secteur par semaine plus une assemblée départementale. Des réunions d'explication du mouvement ont lieu avec les parents, dans les villages, partout. Des piques-niques, des fêtes, chaque inauguration ou réunion officielle est l'occasion de se faire entendre en fanfare, en invitant si possible les médias. Chaque gréviste est actif. C'est une grève qui vient de la base, et qui s'est étendue rapidement. Dans certains établissements, les parents occupent l'école ou le collège.

Après plusieurs semaines de grève, devant le blocage de la situation, les personnels de l'éducation nationale sont de plus en plus nombreux à ne voir l'issue du conflit que dans une grève générale. Et ce n'est pas l'influence de FO, qui bien sûr a lancé ce mot d'ordre rapidement, mais qui est très minoritaire. S'il a été repris , c'est qu'il correspondait à la nécessité du moment.

Des équipes de grévistes sont allées dans les différentes entreprises de leur région pour établir des contacts et discuter d'une généralisation du mouvement. Des réunions communes ont eu lieu partout.

L'organisation

L'autonomie du mouvement est à l'image de la colère immense de l'ensemble des personnels de l'éducation.

Les syndicats (FSU , UNSA, FO, CFDT, SUD) organisent les assemblées générales de secteurs, mais surtout les assemblées départementales. Une intersyndicale s'est tout de suite mise en place dans les différents départements, pour contrôler et freiner le mouvement.

Dans les départements où une coordination s'est tout de suite mise en place, les syndicats y étaient présents au même titre que les autres participants

Dans d'autres départements comme le Vaucluse dont je vais parler, l'intersyndicale appelait à des AG départementales après chaque grande manifestation hebdomadaire.(entre 300 et 400 participants). Ils trônaient à la tribune devant la salle, s'attribuaient mutuellement des félicitations pour l'ampleur du mouvement puis faisaient voter une motion (en général présentée par FO) d'appel à l'extension, puis à la grève générale, motion qu'il fallait souvent rediscuter et modifier. Une heure était ainsi passée pour "occuper" le temps. La parole était ensuite donnée aux différents intervenants de la salle.

Aucun ordre du jour, aucun président de séance. Les actions proposées par la salle ne sont pas soumises au vote de l'AG. Des protestations de plus en plus nombreuses venant des collèges les plus mobilisés contre l'inertie et le blocage des syndicats se font entendre.

Je propose un fonctionnement différent et "démocratique" avec ordre du jour établi par l'assemblée, un président de séance et un tour de parole en fonction de l'ordre du jour où les syndicats parleraient au même titre que les présents dans l'AG. Ils deviennent très hargneux.

Au même moment, en haut de l'amphi où se tenait l'AG tout un collège en grève, déguisés en indiens et avec leurs tambours crient "on veut des actions, on en a marre des manifestations qui tournent en rond". La responsable FO crie à la collusion, au coup monté, elle est folle de rage.

A partir de ce jour, à l'initiative d'un autre collège massivement en grève, un regroupement en dehors des syndicats s'organise. Il rassemble entre 20 et 30 établissements sur Avignon et Nord Vaucluse et se baptise " collectif Vaucluse des personnels de l'E.N. "

Ce collectif se réunit plusieurs fois par semaine et organise des actions indépendamment des syndicats. Aucun syndicat n'est présent en tant que tel.

Il y a bien sûr des syndiqués, qui en ont marre de l'attitude des syndicats, et une majorité de non syndiqués. Beaucoup de jeunes, c'est la majorité. La tonalité, c'est "on sait quel est le rôle des syndicats, qu'ils ont toujours été contre l'expression de ceux qu'ils ne contrôlent pas". Mais on ne veut pas perdre de temps à des critiques que tout le monde partage concrètement ou conceptuellement. Ce n'est de toute évidence pas un discours de quelque organisation trotskyste ou similaire.

De plus, il est exprimé clairement que "nous ne voulons ni construire un nouveau syndicat, ni une organisation permanente. La durée de ce collectif sera celle du mouvement et on est appelés à disparaître quand le mouvement s'arrêtera ". Je n'invente rien.

Les AG se déroulent dans le respect de la parole de chacun et dans un calme étonnant.

Il y a en moyenne 60 à 70 présents régulièrement.

Devant le blocage du gouvernement, devant l'inutilité reconnue des manifestations, des actions plus percutantes sont organisées par ce collectif. Ces actions qui vont jusqu'à bloquer les portes des lycées ou de l'université pour empêcher le passage des examens sont bien évidemment dénoncées par les syndicats. (Il faut faire une place à part à SUD, syndicat minoritaire qui est dès le début pour le mouvement des assemblées et des coordinations).

Ce collectif a organisé le blocage du lycée Mistral à Avignon, le jour des épreuves de philo de bac, et toute la matinée du 12 juin, France Info annonçait que c'était le seul lycée en France à être bloqué par 200 personnels grévistes (en réalité il y en a eu au moins trois autres : Roanne, Belfort et Toulouse).

Comme les CRS sont ensuite arrivés, les épreuves ont pu se dérouler "normalement" avec quelque retard.

 

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UN JEUNE PARLE DE CE QU'IL A VU ET DE SES REACTIONS LORS DE LA MANIFESTATION DU MARDI 10 JUIN A PARIS

 

Place de la Concorde, un mardi soir en république Ils ont osé gazer et charger des manifestants, jeunes et vieux, ce soir, en toute légalité et égalité. La disposition des CRS était la suivante : grillage, canons à eau et forte présence des CRS bloquant l'entrée du pont, un gros paquet à droite et quelques uns sur la gauche. Belle image de la démocratie, puisque dans le même plan on a une horde de flics derrière leur grillage et au fond l'Assemblée Nationale où siègent à ce moment les députés. Vers 18h30, des milliers de manifestants s'amassent sans violence devant les CRS. Slogans : "Raffarin démission, Chirac en prison"; une deux bouteilles en plastique volent du côté des CRS. Deux cars (vides) du côté gauche se mettent en position pour bloquer la sortie vers la gauche. Quelques minutes après, les premiers gaz lacrymo sont jetés. Le vent est favorable aux CRS, les premiers gaz sont pas balancés dans la foule, juste posés devant. Les CRS commencent alors à bloquer les issues sur les quais, ne laissant plus passer personne.

Cependant le service d'ordre de la CGT, qui s'est interposé entre les manifestants et les CRS fait tout pour contenir les manifestants. Ils essayent de calmer les manifestants qui s'énervent contre les CRS et empêchent un petit groupe de dépaver la place. Certains (CNT, Education, SUD...etc.) commencent à s'énerver contre le service d'ordre de la CGT et en viennent quasi aux mains. Le service d'ordre CGT (trois rangées de gros bras) quitte la place devant les flics à 19 heures précises en déclarant à ceux qui les injurient : "Démerdez-vous avec les flics ". En fait, ils vont ailleurs se repositionner selon les ordres d'en haut.

Au fur et à mesure, les CRS prennent de moins en moins de précautions. Les gaz sont même tirés horizontalement en direction de la foule. Les salves sont généralement constituées d'une dizaine de lacrymo. Grâce au vent, les gaz se dispersent rapidement (en quelques minutes). Un bravo aux manifestants qui malgré tout continuent à s'amasser après chaque salve devant le cordon, avec des slogans des moins violents (Tous ensemble, Grève Générale, etc.)

Du coté manifestant, la manifestation est loin d'être terminée (contrairement à ce qu'annonçait la radio). Les cheminots et RATP n'arriveront qu'après 20h sur les lieux. Cependant le service d'ordre de la CGT qui s'est déplacé et celui de la CFDT (entre autres) empêchent les derniers manifestants d'accéder à la place et organisent un cordon pour les faire bifurquer dans une rue sur le côté de la rue de Rivoli . Vers 19h30, la place est totalement enfumée (une quarantaine de lacrymo en même temps), malgré tout, les manifestants continuent d'affluer. Nous sommes plus de 5 à 10 000 à être présents et à vouloir rester sur place ( certains diront "même la nuit s'il faut"), mais il ne pourront rester longtemps sur la place (c'est fixé en haut lieu). Une enseignante se retrouvera couverte de bleus par l'action musclé du service d'ordre syndical auquel elle ne voulait pas obtempérer. Enervement du coté du cordon CRS de gauche : un manifestant âgé est en train de les insulter; ils ne laissent toujours passer personne. Vers 20h, les lacrymos semblent se calmer, on se dit que ça coïncide avec le début du JT. Peut-être pas à 20h20, ça repart de plus belle (lacrymos et canon à eau). Les yeux et le nez piquent terriblement, certains vomissent. Excédés et désabusés, certains vocifèrent "il est beau le dialogue social ! " On a beau chercher, pas de médias. Il faut dire que les manifestants ont plus que marre de leur désinformation. Tout au long de la journée ils ont eu droit à des "Libérez l'information". Une moto RTL qui essayait de se frayer un chemin dans la manif s'est fait prendre à parti, un camarade lui a cassé son antenne. et sa radio-portable Donc pas de médias avec nous...c'est normal ils sont tous avec les CRS.

Bref poursuivons. Vers 20h30, ça y est, ça charge. On est tous refoulés rue Royale. Il y a des blessés, certains camarades sont en sang. Il paraît qu'un manifestant a reçu un lacrymo dans la tête. Quelques manifestants traînés au sol sont frappés. Puis nouvelle charge quelques minutes après un canon à eau qui fonce sur nous. Tout le monde se regroupe vers la Madeleine. Nouvelle charge, on descend le boulevard qui mène vers l'Opéra Garnier. On est encore 4000 à 5000 pas du tout décidés à se disperser, puis charge brutale des CRS avec leur canon à eau qui avance aussi vite que l'on court. C'est sauve qui peut Quelques passants attablés aux terrasses des restaurants plongent se réfugier à l'intérieur; d'autres sont copieusement arrosés. Tout le monde court dans tous les coins. Certains prennent une rue à droite, pour la plupart on débouche au milieu de la circulation sur la place devant l'Opéra. Bon nombre (quelques centaines peut-être ?) se réfugie dans l'Opéra. D'autres continuent tout droit et renversent despoubelles sur la rue afin de faire des barricades enflammées pour retarder ma meute des flics qui nous pourchassent. Certains se dispersent d'autres retournent vers l'Opéra où plus de 60 manifestants sont sauvagement arrêtés; d'autres sortiront libres sans qu'on sache le sens d'une telle discrimination ; pas question que tous sortent.

Résumons : les CRS ont gazé ce soir des personnes qui étaient tout sauf des casseurs. Et pas quelques centaines, mais quelques milliers certainement. Ils ne laissaient pas partir les manifestants de sur la place. J'ai vu personnellement plus de 5 arrestations. Je sais pas combien en tout. Et j'ai vu clairement les CRS balancer des lacrymos en se foutant bien de l'endroit où elles tombaient. Et tout ça sans aucune provoc de la part des manifestants.. Elle est belle la démocratie. Et les médias dans tout cela, les médias continuent à parler des casseurs, d'une petite centaine d'anarchistes, de minimiser le nombre de manifestants et à tout faire pour rendre impopulaire le mouvement.Autant dire qu'ils furent aidés en cela par ce qui avait dû être convenu avec les syndicats avant la manifestation.

La violence était uniquement le fait des flics. A croire qu'ils ont consciemment décidé de faire dégénérer les choses. Pour l'instant, le mouvement reste calme (j'ai juste vu une voiture qui a été cassée sans raison en toute fin de soirée), mais ça ne va peut-être pas durer... Apparemment ces actions violentes ont été concertées au plus haut sommet afin de durcir la répression (je pense par exemple à Metz ; où les flics ont également chargé les manifestants sans raison). Je ne sais pas quel est leur intérêt mais en tout cas n'ayons pas peur de tels agissements qui ne font que renforcer notre colère et notre mobilisation.

 

QUELQUES NOTES EN MARGE DE CE RECIT :

Extraits d'un tract CGT (Postaux de Paris):"... c'est cela qui fait peur au pouvoir. Comment expliquer autrement la violente répression policière du 10 juin lors de laquelle de paisibles manifestants furent sauvagement matraqués? Le cycle provocation/répression est un système rôdé. Rappelons-nous, par exemple, que dans le passé (notamment lors de la manifestation sur le sidérurgie en 1979) on a déjà vu des casseurs portant sur le blouson de faux badges syndicaux mais de vraies cartes de police dans la poche...."(12/6/2003)

Extraits du Monde (12/6/2003")"... plusieurs responsables syndicaux ont été conviés au ministère de l'intérieur dans la nuit du lundi au mardi..." et question d'un lecteur du journal"...Quel sorte de gentleman's agreement ont conclu les différents interlocuteurs...Que se trame-t-il dans les coulisses?...(Le Monde 18/6/2003)

 

QUELQUES REFLEXIONS SUR UNE COORDINATION NATIONALE DES ETABLISSEMENTS ET DES ECOLES EN LUTTE

Lors de la manifestation du 10 juin, il nous a été possible de voir affiché tout au long du parcours un "Appel aux Confédérations, aux Fédérations et aux Syndicats. Ces appels étaient signés, sans autre mention, "Coordination des établissements et des écoles en lutte". Nous avons été aussi été intrigués de voir que nombre de ces affiches étaient déchirées, selon toute vraisemblance par ceux qui voyaient d'un drôle d'oeil le développement d' organismes de lutte organisés par les travailleurs eux-mêmes.

A première vue, le texte de cet appel pouvait paraître recouper l'ensemble du mouvement de base chez les enseignants qui, dans certaines régions avait constitué de telles coordination ou collectifs pour que les travailleurs impliqués puissent décider eux-mêmes de la forme de leur lutte et des moyens d'action. Nous avions eu également des échos, comme en témoigne le récit ci-dessus, des méthodes utilisées par les "grands" syndicats "reconnus" pour court-circuiter ces organisations de base, leur ôter tout efficacité, en quelque sorte les détruire, sinon en faire des appendices des syndicats totalement soumis à leurs mots d'ordre, à leurs politiques qui de tout évidence ne coïncident pas avec ceux de la base.

Les échos de ces conflits au sujet de l'orientation du mouvement de lutte nous ont fait réfléchir plus avant au contenu de cet appel. Il n'est pas nécessaire de reproduire tout le texte de cette affiche pour comprendre ce qui est en cause, sans pouvoir attribuer une telle orientation à une manipulation politique ou syndicale ou bien à un un manque d'expérience ou de réflexion politique de la part des acteurs dans cette coordination.

Citons seulement les passages qui nous paraissent les plus significatifs:

"...C'est au moment où les travailleurs sont mobilisés à un niveau jamais atteint depuis longtemps et où le pouvoir est en difficulté, que les syndicats doivent prendre l'initiative de façon décisive, par un appel sans ambiguïté à la grève générale interprofessionnelle reconductible...." (passage imprimé en rouge pour qu'il soit lu et retenu avant tout)

"...La Coordination nationale... appelle solennellement les confédérations, fédérations, syndicats, à lancer , à partir du 10 juin, une mobilisation de tous les salariés qui prenne la forme d'une grève générale..." Suit une énumération des projets (retraite, décentralisation) qui doivent être retirés purement et simplement. "Ces retraits et abrogations constituent des préalables indispensables à toute réelle négociation..."

Suit tout un ensemble de recommandations dont la plus intéressante est que les organisations ainsi sollicitées: "...s'engagent à ne rien signer qui ne soit pas préalablement soumis au personnel gréviste réunis en AG , à tous les niveaux...".

La fin est un appel à la "responsabilité" des organisations visées, les culpabilisant en quelque sorte d'avance si elles n'obtempéraient pas à cet appel.

Peu importe de savoir comment un tel appel a pu être élaboré et par qui. La principale question ainsi posée est de savoir quel sens a un tel appel aux syndicats et si ceux-ci sont capables d'y répondre.

Pour trouver la réponse à cette question, on peut regarder quelles furent les réponses des syndicats lors des grands mouvement de mobilisation des travailleurs ( 1936, 1945-47, 1968, 1995) : ils firent alors tout ce qui était en leur pouvoir, non pour donner plus d'ampleur au mouvement pour une transformation de la société mais pour stopper le mouvement et ainsi renforcer le capitalisme.

Pour trouver une réponse, on peut se demander simplement pourquoi existe une coordination alors que les syndicats sont là, théoriquement, pour organiser un mouvement de lutte et impulser sa dynamique. La coordination existe précisément parce qu'ils ne le font pas et qu'ils oeuvrent pour d'autres buts que laisser les travailleurs en lutte décider eux-mêmes de leur lutte.

Alors, pourquoi la coordination en appelle aux syndicats, abdiquant en quelque sorte son propre rôle et sa propre existence d'émanation des travailleurs en lutte ? Si un appel devait être lancé ainsi au cours d'une manifestation ce serait d'appeler précisément les travailleurs à s'organiser eux-mêmes, à surmonter toutes leurs divisions, à créer eux-mêmes leurs propres organisations de lutte, à les coordonner en fixant les règles de ces coordinations et les buts de la lutte, à décider de tout eux-mêmes.

En appeler aux syndicats, au lieu de s'adresser à l'ensemble des travailleurs, c'est faire rentrer dans le cadre légal les créations existantes des travailleurs en lutte, un cadre légal auquel elles échappaient par leur existence même. Pourquoi ?

La réponse peut être donnée par le report des débats qui se sont déroulés au sein de cette coordination nationale à la fin mai. et qui touchent l'intervention du groupe Lutte Ouvrière sur une question en apparence secondaire d'organisation des débats. Les militants de Lutte Ouvrière, par une présence massive aux assemblées de cette coordination ont fait échouer une proposition visant à requérir de chaque participant d'être mandaté par une assemblée de base précise locale , et réussi à faire adopter (facile car ils étaient majoritaires) un vote à main levée des seuls présents (qui pouvaient venir de partout et ne représenter qu'eux-mêmes, ces assemblées étant ouvertes). De même, auparavant, la même majorité avait faire repousser une proposition de transformer la coordination enseignante en une coordination interprofessionnelle.

On comprend mieux, connaissant ces faits, le sens de l'appel que nous évoquons ici. Pour les groupes politiques, qui souvent occupent ou tentent d'occuper des positions dans les hiérarchies syndicales et leurs délégations de base en vue d'un élargissement de leur base politique, l'essentiel est précisément de renforcer leur présence dans les syndicats. Donc, le mouvement de base doit être orienté et canalisé vers les syndicats. Pour la plupart des groupes politiques, petits et grands, pour la plupart des syndicats, petits ou grands, les créations de la base doivent à tout prix être colonisées (parce qu'elles sapent leur raison d'être) et transformées en annexes de l'organisation oeuvrant pour ses visées politiques (un vieux problème historique autant qu'actuel).

Tout mouvement autonome trouve ainsi devant lui des opposants parfois inattendus, d'autant plus dangereux qu'ils emploient un langage radical, critique des directions syndicales mais n'oeuvrant nullement pour donner force entière aux organismes de lutte créés par les travailleurs eux-mêmes... C'est inévitable et cela ne peut être surmonté que si le mouvement est assez puissant pour réduire à néant ces tentatives d'appropriation. On peut penser que si de telles tentatives réussissent, comme cela paraît être le cas pour cette coordination, et sans doute aussi pour d'autres organismes de base, c'est parce que le mouvement n'est pas assez fort, généralisé et conscient de ses perspectives pour déjouer ces manipulations et imposer ce que requiert ses propres intérêts.

 

Nous répétons que notre intention avec ces textes est de recueillir des conseils, des critiques et des informations sur tout ce que chacun a pu vivre au cours de ces derniers mois en vue d'en faire une brochure.

Notamment dans les tentatives de donner forme et contenu au mouvement d'autonomie de la lutte. Et, en particulier, dans les difficultés qu'ils ont pu rencontrer de la part de tous ceux (pas toujours ceux auxquels on pense d'abord) qui tentèrent de manipuler et de détruitre les expressions de cette autonomie qui constitue, pensent-ils (et ils ont raison), une menace pour leur existence même en tant qu'organes de gestion du capitalisme et de maintien de l'ordre social garantie de cette existence même.


Décembre 1995 vu par les medias :

Le texte qui suit, extrait du livre de Serge Halimi, "Les Nouveaux chiens de garde" (Éditions Raisons d¹Agir, Paris, pp. 66-74) rappelle le soutien des grands médias au plan Juppé-Notat de novembre 1995. (Il est publié avec l'aimable autorisation des Éditions Raisons d'Agir)

En novembre-décembre 1995, tout s¹exprima à la fois : le soutien au pouvoir, l¹arrogance de l¹argent, le mépris du peuple, le pilonnage d¹une pensée au service des possédants. Un grand sursaut populaire a aussi ceci d'utile : il révèle simultanément la puissance du conditionnement idéologique que les médias nous infligent et la possibilité d'y faire échec. Lors du mouvement de lutte contre le plan Juppé, la clameur quasiment unanime de nos grands éditorialistes (1) n'a en effet pas empêché des centaines de milliers de salariés de se mettre en grève, des millions de citoyens de manifester, une majorité de Français de les soutenir. Pourtant, s'il faut une occasion aussi considérable pour que se révèle crûment la loi d'airain de notre société du spectacle < à savoir le fait que la pluralité des voix et des titres n'induit nullement le pluralisme des commentaires < combien de petites violences la vérité et l'analyse subissent-elles quotidiennement dans le silence totalitaire de nos pensées engourdies ?

Côtés médias, la pièce va se jouer en cinq actes. Le premier, celui de l'exposition, permettra à la quasi-totalité des quotidiens, hebdomadaires, stations de radio et chaînes de télévision de se présenter et d'exprimer leur admiration pour le plan Juppé. La réaction initiale, hostile, des salariés et de l'opinion conduit assez vite les éditorialistes à recommander au premier ministre de tenir bon (acte 2) et, en échange, l'assurent de l'admiration de la profession pour son "courage" < et celui de Nicole Notat < face à la tempête. Puis, la poursuite du mouvement et sa popularité intacte incitent nos Grands Commentateurs à se demander si les Français ne seraient pas, contrairement aux marchés, congénitalement incapables de comprendre la réalité. C'est le thème de l'"irrationnalité" ; il marquera l'acte 3 et permettra d'expliquer qu¹en dépit des attentes < et des efforts déployés en ce sens <, les difficultés quotidiennes nées de la grève n'aient pas déclenché une réaction de l'opinion favorisant les desseins gouvernementaux et patronaux.

Le combat antisyndical demeurant sans effet, le journalisme de marché force l'allure et dénonce (acte 4) les "corporatismes" et les preneurs d'"otages". Mais l'irrationnalité latine s'installe malgré tout ; il faut alors se résoudre à donner la parole aux acteurs du mouvement social. C'est le pâté d'alouette que les médias servent pendant l'acte 5. Cette pièce comporte également un épilogue, triste naturellement, puisque le gouvernement a dû reculer. En voici quelques fragments (2).

 

La lobotomie avait duré près de quinze ans : les élites françaises et leurs relais médiatiques pouvaient estimer qu'ils touchaient au but. Ils avaient chanté "Vive la crise", célébré l'Europe et la modernité, conjugué des alternances sans changement, embastillé la justice sociale dans le cercle de la raison capitaliste. Et pendant qu'allait s'opérer le grand ajustement structurel qui dépouillerait enfin la France de son reliquat d'archaïsme et d'irrationalité, plus rien ne devait bouger. D'ailleurs la gauche de gouvernement s'était depuis longtemps ralliée, les syndicats affaiblis, les intellectuels de cour et d'écran laissés séduire par une société qui leur permettait de naviguer sereinement d'un colloque à une commission en attendant, comme les autres rentiers, de gagner le soir de l'argent en dormant. C'était en octobre 1995.

Et puis M. Juppé parla. Le fond de sa "réforme" importe peu : il s'agissait une fois encore de mener "la seule politique possible", c'est à dire de faire payer les salariés. Sans trop se soucier de cohérence < comme au moment de la guerre du Golfe et du traité de Maastricht, les médias assureraient la mise en musique idéologique < M. Juppé prétexta simultanément de son désir d'assurer la défense de la protection sociale et de sa volonté d'éviter la défiance des marchés financiers dont chacun sait que la protection sociale n¹est pas le souci particulier. Diagnostic connu (la "faillite"), thérapeutique prévisible (les "sacrifices"), dialectique familière ("équité" et modernité), le succès aurait dû être aussi assuré que ceux des plans de "réforme" précédents. Presque aussitôt, Pierre Joxe, Françoise Giroud, Bernard-Henri Lévy, Jean Daniel, Jacques Julliard, Pierre Rosanvallon, Raymond Barre, Alain Duhamel, Libération, Guillaume Durand, Alain Touraine, André Glucksmann, Claude Lefort, Gérard Carreyrou, Esprit, Guy Sorman ... tous approuvèrent un plan à la fois "courageux", "cohérent", "ambitieux", "novateur" et "pragmatique."

Dans la foulée des scribes, les spéculateurs ("les marchés") furent eux aussi séduits. L'affaire semblait entendue : après six mois d¹impairs personnels et de tâtonnements politiques, le premier ministre français venait de prouver sa mesure. Et "Juppé II" ou "Juppé l'audace" < comme titrèrent à la fois le quotidien de Serge July et celui de Rupert Murdoch (3) < occupa dans le c¦ur des journalistes de marché la place laissée vacante par MM. Barre, Bérégovoy et Balladur. Alors ministre de l¹éducation nationale, M. Bayrou ne manquerait pas de leur rappeler leur allégresse initiale dès que l¹affaire tournerait mal pour le pouvoir : " Tous les journalistes français disaient : À quand les réformes ? Et, permettez-moi de vous dire : ils ont tous applaudi (4)."

On ne se défie jamais assez des gueux. On les croyait disparus (la fin de la classe ouvrière ne découlait-elle pas de "la fin de l'histoire" ?), à la rigueur relégués au rang d'"exclus" sur le sort desquels se pencherait quelque fondation compatissante. Ils réapparurent, debout. Une telle incongruité déchaîna chez nos journalistes libéraux un discours de haine qui rappelait un peu le Tocqueville des Souvenirs, lors des journées de juin 1848. Le 4 décembre, M. Franz-Olivier Giesbert fulmina dans Le Figaro : "Les cheminots et les agents de la RATP rançonnent la France pour la pressurer davantage. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : de corporatisme, c'est à dire de racket social." M. Claude Imbert, directeur du Point, fit chorus, assez satisfait de pouvoir dépoussiérer ses ritournelles contre la "Mamma étatique", et les "paniers percés" du secteur public : "D'un côté la France qui travaille, veut travailler et se bat, et de l'autre la France aux semelles de plomb, campée sur ses avantages acquis."

La douleur de M. Giesbert "pressuré" par les cheminots et celle de M. Imbert bataillant contre les "avantages acquis" fut aussitôt contagieuse. M. Gérard Carreyrou, de TF 1, d'autant moins porté à comprendre les revendications des grévistes que son salaire annuel s¹élevait alors à 2 800 000 francs, trancha le 5 décembre : "M. Juppé a marqué sans doute un point, celui du courage politique. Mais il joue à quitte ou double face à un mouvement où les fantasmes et l'irrationnel brouillent souvent les réalités." La langue de bois des Importants venait de laisser voler ses plus jolis copeaux : d'un côté < celui du pouvoiret de l'argent < le "courage" et le sens des "réalités" ; de l'autre < celui du peuple et de la grève < les "fantasmes" et l'"irrationnel". Ce mouvement social aurait-il l¹impudence de remettre en cause vingt années de pédagogie de la soumission ?

Alain Minc, président du conseil de surveillance du Monde, s¹exprima aussi dans Le Figaro : "Dans ce monde en apparence unifié par les modes de vie et les marchés financiers (sic), il demeure une spécificité française : le goût du spasme." Pour les décideurs, conseilleurs et experts investis du pouvoir de définir la "rationalité", les grèves ne pouvaient en effet représenter qu'un "coup de lune" (Claude Imbert), une "grande fièvre collective" (Alain Duhamel), une "fantasmagorie" (Franz-Olivier Giesbert), un "carnaval" (Guy Sorman), une " part de folie " (Bernard-Henri Lévy), une "dérive schizophrénique" (François de Closets). Car le "rêve" des modérés, celui d'une "République du centre" (5) plus germanique que latine, venait de dresser contre lui des millions de manifestants "mentalement décalés". Ils dessinaient, paraît-il, "les contours d'une France archaïque tournée vers des solutions à l'italienne (endettement, inflation et clientélisme) plutôt que vers des solutions à l'allemande (négociation salariale et rigueur de gestion (6)." Latins contre Germains, Jacques Julliard, sans doute débordé par les exigences de son oeuvre immense, ne faisait ici que répéter le postulat anthropologique central de la " pensée Alain Minc ".

Pendant que le carnaval italien et l'archaïsme français d¹ "une société fermée défendant son bout de gras" (7) envahissaient les rues, la modernité s'exprimait en anglais dans les salles de change. Le 9 décembre, The Economist résuma la situation mieux que d¹autres : "Des grévistes par millions, des émeutes dans la rue : les événements des deux dernières semaines en France font ressembler le pays à une république bananière dans laquelle un gouvernement assiégé cherche à imposer les politiques d'austérité du FMI à une population hostile (...) Les marchés ont mis le gouvernement sous surveillance : même un modeste compromis pourrait provoquer une crise du franc." Quatre jours plus tôt, le Wall Street Journal avait aussitôt imputé ainsi aux premières concessions gouvernementales la baisse du franc enregistrée la veille : "Tout nouveau signe de faiblesse du gouvernement aurait pour premier effet de pénaliser le franc. Si M. Juppé cédait aux manifestants et abandonnait les réformes annoncées, la prime de risque s'envolerait." Le lendemain, l'atmosphère était meilleure : "Les marchés ont rebondi dès lors que les investisseurs ont choisi de parier que le gouvernement de M. Juppé remporterait l'épreuve de force avec les salariés en grève du secteur public." Las, une semaine plus tard, le climat s'était à nouveau dégradé : "Les propos d'Alain Juppé perçus comme des "concessions majeures sans contrepartie" sont loin d'avoir soulevé l'enthousiasme des marchés. L'affaiblissement du franc est une conséquence directe de l'intervention d'Alain Juppé qui n'a pas hésité à employer le mot tabou de négociation." La pensée très sociale des marchés < qui rejoignaitcelle de nos grands journalistes < méritait-elle vraiment d'être précisée ? : Les Échos s¹en chargèrent "Une fois de plus, l'exemple de la Dame de fer, qui a su mater les mineurs britanniques est mis en avant." Mais, pour "mater" les grévistes avec le concours de l'opinion, il fallait que le mouvement social dressât contre lui la majorité des Français. Sur France-Info, à TF 1 et ailleurs, des journalistes se mirent à l'ouvrage, faisant chaque heure, chaque soir, l'inventaire aussi laborieux que répétitif des "kilomètres de bouchon", des "usagers à bout", des "feux du désespoir sur le périphérique", des "entreprises au bord de l'asphyxie", des "embauches qu'on ne va pas faire". Le 12 décembre, un journaliste de France 2, innocemment, avoua à quel point les événements stimulaient l'imagination de sa rédaction : "ça fait dix-huit jours qu'on vous raconte la même chose".

Différent en cela du Parisien, dont le traitement du conflit social fut souvent exemplaire, France Soir n'hésita pas. Il évoqua le sort de "Christian, SDF de 56 ans, qui rumine sa colère. La grève des transports et la fermeture des stations de métro à Paris ont jeté dans la rue des hordes de laissés-pour-compte. Comme Christian, ils sont des centaines à arpenter les rues du matin au soir pour ne pas mourir de froid." En même temps que des SDF, le quotidien vespéral de Robert Hersant se soucia subitement des chômeurs et des Rmistes : " Le mouvement social qui s¹étend à la Poste va-t-il paralyser les guichets, les privant de leurs prestations attendues ces prochains jours ? ", Les " exclus " contre les grévistes et leurs "revendications matérielles insensées", quelle belle manifestation c¹eût été ! Interrogeant un cheminot de 51 ans qui gagnait 8 500 francs par mois, Thierry Desjardins, journaliste au Figaro, le houspilla : " Mais vous êtes tout de même un privilégié " ...

Les journalistes de marché étaient accablés ; il fallait que les Français le soient aussi : "Les gens se pressent, en silence. Leurs habits sont tristes, noirs ou gris. On dirait des piétons de Varsovie (...) Des marcheurs égarés avancent, mécaniques, le regard fixé vers le bas. Chez eux, c¹est encore si loin (8). " Sur TF 1, Claire Chazal chercha, vaillamment, à nous distraire de notre malheur : "Avant d'évoquer la paralysie des transports et la crise dans laquelle s'enfonce notre pays, évoquons l'histoire heureuse de ce gagnant du loto." Le gagnant, "Bruno", fut invité sur le plateau.

Rien n'y fit, ni "Christian", ni "Bruno", ni les manifestations squelettiques d¹ " usagers " RPR : la courbe des sondages restait obstinément contraire à celle des marchés et des commentaires, et les Français solidaires de ceux qui avaient engagé la lutte. Les médias durent alors oublier leur prévenance pour le plan Juppé et laisser enfin s'exprimer ceux qui le combattaient. En général, on les noya dans le maëlstrom verbal des experts et des anciens ministres. Alain Touraine, sans doute parce qu'il venait de commettre un pamphlet ultralibéral (9) et de proclamer son soutien au plan gouvernemental, campa dans les médias, jour et nuit. MM. Kouchner, Madelin et Strauss-Kahn furent de tous les " débats ", tous aussi ennuyeux qu¹un jour sans grève. Mais leurs phrases étaient tellement racornies que les quelques bribes concédées aux acteurs du mouvement social < "Synthétisez!", " Posez vos questions comme on dit dans les jeux ", ne cessait de leur dire Daniel Bilalian < les balayaient sans peine (10). Même tronçonnée par le verbe intarissable de Jean-Marie Cavada < enjoué avec les forts, cassant avec les autres < la parole d'un syndicaliste valait, aisément, celle de dix éditorialistes. Tirant alors les leçons de l'impact limité du discours gouvernemental, M. Juppé n'eut plus qu'à dénoncer une "extraordinaire tentative de désinformation." Et à s'inviter à deux reprises en un mois chez Anne Sinclair, décidément très accueillante.

M. Barre avait annoncé : "Au prix d'épreuves et de sacrifices, les êtres humains s'adapteront." Cette fois, l'"incontournable" fut contourné : les cheminots et les agents de la RATP triomphèrent des affidés de M. Barre. Leur victoire n¹inonda pas de bonheur les salles de rédaction parisiennes : Le Nouvel Économiste titra : " Et en plus la croissance s¹effondre ", L¹Express jugea que nous étions " tous perdants ". Quant à Claude Imbert, il lui fallut nombre de " débats " consolateurs avec son ami Jacques Julliard et autant d¹éditoriaux rageurs dans Le Point pour venir à bout de " toute cette déprime que nous venons de vivre. ".

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(1) Selon un sondage d'Ipsos-Opinion publié par Le Nouvel Observateur du 14 décembre, 60 % des médias ont jugé favorablement le plan Juppé contre 6 % seulement qui l'avaient apprécié de manière négative.

(2) Dont on trouvera le script plus détaillé et toutes les références non indiquées ici dans Serge Halimi, "Mouvement social et journalisme de marché", Politique, la revue, n°2, octobre 1996.

(3) Libération, Paris, 16 novembre 1995, et The Times, Londres, 17 novembre 1995.

(4) "7 sur 7", TF1, 3 décembre 1995.

(5) Titre d'un ouvrage publié en 1989 et écrit par François Furet, Jacques Julliard et Pierre Rosanvallon, membres éminents de la Fondation Saint Simon (lire plus loin) et, pour les deux premiers d¹entre eux, de la rédaction du Nouvel Observateur.

(6) Jacques Julliard, Le Nouvel Observateur, 7 décembre 1995. L'une des incongruités de cette période fut sans doute d'entendre chaque semaine, sur Europe 1, un débat "Droite/Gauche" entre MM. Julliard et Imbert, puis un "face à face" opposant MM. Duhamel et July ... tous quatre d'accord avec le plan Juppé !

(7) André Glucksmann, Le Figaro, 4 décembre 1995.

(8) Bertrand de Saint Vincent, "Les regards sont tristes", Le Figaro, 2-3 décembre 1995.

(9) Alain Touraine, Lettre à Lionel ..., Fayard, Paris, 1995.

(10) Dans son édition du 3-4 décembre 1995, Le Monde fit le décompte éclairant du temps de parole accordé aux divers protagonistes du conflit social dans l¹émission de France 2, " La France en direct ", le 1er décembre 1995. Les 50 grévistes du Mans parlèrent 3 minutes 41 secondes, les 30 d¹Aubervilliers, 3 minutes 21 secondes, les 20 de Strasbourg, 4 minutes et 48 secondes, et les grévistes de Toulouse, 4 minutes 17 secondes. Soit un total d¹environ un quart d¹heure dans une émission de deux heures ... consacrée à la grève.


25/08/2003 : Rapide état des lieux

La rentrée approche, les avis semblent partagés quant à l'opportunité d'une grève dès la rentrée, en particulier à cause de l'application stricte de la loi scélérate concernant les retenues sur salaire, et parce que nous savons que ce gouvernement est particulièrement décidé à ne pas céder.

Je retiens cependant des messages diffusés sur la liste les idées suivantes :

- Un jour de grève en plus ou en moins, on n'en est plus à ça près, et le jour de la rentrée est symboliquement stratégique. Nous ne devons pas laisser le gouvernement pavoiser et ses medias affirmer que la rentrée s'est bien passée. La rentrée NE PEUT PAS bien se passer. Sinon, nous sommes morts.

- Le jeu en vaut la chandelle, et c'est rien de le dire. Nous aurons face aux générations futures une responsabilité énorme si nous laissons faire cela. Le projet de loi visant à modifier (et dans les faits à supprimer quasiment) le droit de grève fait que c'est maintenant que nous devons réagir. Maintenant ou plus jamais.

- Enfin, même si le gouvernement s'acharne sur ses positions, il n'a absolument plus ni crédibilité ni soutien populaire. Sa gestion de la canicule a fini de le rendre gerbant pour ceux qui en doutaient encore. Les propos lénifiants ne feront pas oublier qu'une semaine avant de commencer (enfin !) à faire semblant de réagir, du moins à admettre la gravité de la situation à grands renforts de vocabulaire pathétique, ce gouvernement tapait sur les doigts du médecin urgentiste qui tirait la sonnette d'alarme. Raffarin sifflé au Stade de France est un autre révélateur.

De ce dernier événement (Raffarin sifflé), on doit également constater l'importance des medias et de la pression que nous devons exercer sur eux. Ils ont passé l'été à noyer le poisson, à essayer de nous faire croire que notre combat était perdu, que la rentrée allait être calme. Et on en arriverait presque à le croire, à se sentir isolés dans notre coin, si de temps à autre un événement comme celui-ci ne venait briser la toile de silence (en tous cas la confortable isolation phonique) construite par les medias autour du mécontentement social.

Ce n'est qu'un avis, mais en tous cas, concernant la rentrée, voici mon avis, et j'espère que les syndicats nous y aideront au lieu de nous freiner :

- grève reconductible sans états d'âmes dès la rentrée. Et cette fois une vraie grève, où on ne fait pas cours tout en se déclarant gréviste : le temps de la rigolade est passé.

- dès le départ exigence du paiement des jours de grève passés et à venir, sans quoi, aucune reprise du travail à attendre (ce point doit faire partie explicitement de nos revendications, sans quoi nous sommes à la merci du découragement et de l'usure)

- Information maximale en direction des collègues hésitants, des parents et de toutes les catégories concernées par les réformes, afin d'étendre le mouvement au maximum. Et si nécessaire, puisque le gouvernement ne respecte pas les règles du jeu démocratique, cessons de les respecter nous aussi : informons aussi les élèves du monde qu'on leur prépare, tant pis pour le devoir de réserve (les medias qui nous bourrent le crâne n'appliquent aucun devoir de réserve, eux) ! Informons les honnêtement, sans chercher à les manipuler, puis à eux de voir ... Mais s'ils descendent dans la rue eux aussi, ça va commencer à faire beaucoup. Le gouvernement CRS n'a pas hésité à cogner sur des femmes : cognera-t-il aussi des jeunes ?

- Obligeons les medias à faire leur travail d'information, au besoin en occupant leurs locaux et en présentant le JT à la place de Pernaud : les incompétents et les collabos, ça se remplace.

- Enfin, pour apaiser la conscience de ceux qui font passer une année scolaire ou un examen avant le sauvetage de notre avenir commun : on radicalise, on agit vite et fort, on fait tomber Raffarin (parce que maintenant il n'y a plus à faire dans la dentelle de ce côté-là) en une semaine, deux maximum, et hop, à la mi-septembre on reprend le boulot et on rattrape le retard vite fait.

Voilà. J'exagère peut-être, mais sûrement pas assez.

Bonne non-rentrée à tous.


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