LA LOGIQUE DE PORT-ROYAL - Quatrième partie : la Méthode

1) Deux sortes de méthodes

2) Bien définir la question

3) Analyse

4) Synthèse

5) Axiomes

6) Démonstrations

7) Comment résoudre les problèmes de foi

Conclusion


1) Deux sortes de méthodes

* Pour découvrir la vérité : analyse ou méthode de résolution (ou méthode d'invention).

* Pour faire comprendre la vérité aux autres une fois qu'on l'a trouvée : synthèse ou méthode de composition (ou méthode de doctrine).

On se sert de l'analyse pour résoudre une question donnée. On distingue les questions de mots (où l'on cherche quelque chose à travers des mots, par exemple en cherchant à déchiffrer une énigme) et les questions de choses, qui peuvent être de quatre espèces :

- quand on cherche la cause par les effets : étudier les marées pour découvrir leur cause.

- quand on cherche les effets par la cause : chercher quelle application pratique on pourrait faire du mouvement des marées.

- quand, par les parties on cherche le tout : c'est le principe des opérations mathématiques d'addition et de multiplication.

- quand, ayant le tout et une partie, on cherche une autre partie : c'est le principe des opérations mathématiques de soustraction et de division.

Cependant, dans les deux derniers types de questions, il faut prendre "partie" dans un sens très large et l'étendre à tous les attributs d'une chose (ses modes, ses extrémités, ses accidents, ses propriétés,...). C'est par exemple chercher un tout par les parties que de chercher l'aire d'un triangle par sa hauteur et par sa base, et c'est chercher une partie par le tout que de chercher le côté d'un rectangle par la connaissance qu'on a de son aire et d'un autre de ses côtés.


2) Bien définir la question

Quelle que soit la question à résoudre, la première chose à faire est de bien la comprendre, nettement et distinctement. Il s'agit de savoir exactement ce qu'on l'on cherche, en tenant compte des divers éléments de l'énoncé, sans en ajouter ni en oublier.

Considérons cette fameuse énigme : Quel est l'animal qui marche sur quatre pattes le matin, sur deux pattes à midi et sur trois le soir ? Il est implicitement convenu dans ce type d'énigmes qu'une certaine équivoque dans les termes et possibles et notamment que certains peuvent être pris comme des métaphores, ce qui est le cas ici de "matin", "midi" et "soir" qui désignent en réalité les périodes de la vie, tandis que la troisième patte du soir est en réalité une patte artificielle, à savoir une canne. Celui qui ajouterait au problème la condition selon laquelle chacun des mots de l'énigme doit être pris littéralement (et chercherait donc un animal dont le nombre de pattes varie deux fois dans la même journée) ajouterait à l'énoncé une condition qui ne s'y trouve pas et qui rend la résoution impossible. Inversement, celui qui oublierait un élément de l'énoncé, par exemple "sur deux pattes à midi", se facilite la tâche mais risque évidemment d'aboutir à une fausse solution (par exemple : c'est un loup qui s'est fait prendre une patte dans un piège durant la journée).


3) Analyse

Une fois qu'on a bien examiné ce qu'il y a d'inconnu dans la question, ce que l'on cherche, le x de l'équation, il faut examiner ce qu'il y a de connu, puisque c'est par là qu'on doit arriver à la connaissance de ce qui est inconnu. C'est dans cette attention à ce qu'il y a de connu dans la question que consiste principalement l'analyse : il s'agit de tirer de cet examen beaucoup de vérités qui puissent nous mener à la connaissance de ce que nous cherchons.

On progresse de ce qui est le plus connu vers ce qui l'est moins, comme dans le cas de la synthèse, mais ici, on trouve ces vérités connues dans l'examen particulier de la chose que l'on cherche à connaître et on monte par degrés vers des vérités générales, tandis que la synthèse commence par l'établissement de vérités générales.

L'analyse ne présente les maximes claires et évidentes qu'à mesure qu'elle en a besoin, alors que la synthèse les établit d'abord.

Analyse et synthèse sont en quelque sorte le même trajet reliant montagne et vallée, l'un accompli en montant, l'autre en descendant. Pour découvrir que telle personne X descend de Saint Louis, je dois partir de X, considérer quel est son père, remonter au grand-père, et ainsi de suite jusqu'à tomber sur Saint Louis (analyse). En revanche, pour exposer ensuite ma découverte, la manière la plus ordinaire est de partir de Saint Louis, de ses fils, et d'arriver ainsi jusqu'à X (synthèse).

Rappel des 4 règles données par Descartes :

1 - Ne rien accepter pour vrai sans être absolument certain de cette vérité, c'est-à-dire éviter soigneusement la précipitation et la prévention et ne rien faire entrer d'autre dans ses jugements que ce qui se présente si clairement à l'esprit qu'on n'a aucune raison d'en douter.

2 - Décomposer chaque difficulté qu'on examine en autant de subdivisions, de sous-questions, qu'il est possible et qu'il est nécessaire pour résoudre cette difficulté.

3 - Conduire ses pensées par ordre, en commençant par les objets les plus simples et les plus faciles à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusqu'à la connaissance des plus complexes , cet ordre de l'analyse étant sans rapport nécessaire avec le fait que ces objets se précèdent naturellement les uns les autres ou non.

4 - Toujours faire des dénombrements si entiers, des passages en revue si complets, qu'on soit certain de n'avoir rien oublié.


4) Synthèse

Elle part des choses les plus générales et les plus simples, pour passer aux moins générales et les plus complexes. Cet ordre permet d'éviter les redites : si on traitait les espèces avant le genre, comme il est impossible de bien connaître une espèce sans en connaître le genre, il faudrait expliquer à chaque fois la nature du genre lors de l'explication de chaque espèce.

Règles préconisées en géométrie :

1 - Ne laisser aucune ambiguïté dans les termes.

2 - N'établir les raisonnements que sur des principes clairs et évidents (les axiomes : vérités si évidents qu'il n'est pas nécessaire de les démontrer).

3 - Prouver démonstrativement toutes les conclusions que l'on avance.

Ce que l'on peut préciser un peu de la manière suivante :

Pour les définitions :

Règle 1 : Ne laisser aucun terme un peu obscur ou équivoque sans définition.

Régle 2 : N'employer dans les définitions que des termes parfaitements connus ou déjà expliqués.

 

Pour les axiomes :

Règle 3 : Ne poser comme axiomes que des choses parfaitement évidentes.

 

Pour les démonstrations :

Règle 4 : Prouver toutes les propositions un peu obscures, en n'employant à leur preuve que les définitions qui ont précédé, ou les axiomes qui ont été accordés, ou les propositions qui ont déjà été démontrées.

Règle 5 : Ne jamais abuser de l'équivoque des termes en oubliant d'y substituer mentalement les définitions qui les restreignent et qui les expliquent.

 


5) Axiomes

L'évidence d'une proposition ne tient évidemment pas au fait que personne ne la contredit, puisqu'on trouvera toujours quelques excités qui s'obstinent à nier des évidences, et qu'à l'inverse une proposition douteuse peut très bien ne trouver aucun contradicteur, soit parce que, sur un point sans grande importance (ce qui fait qu'on ne sera pas tenté d'approfondir) elle a une apparence de vérité qui trompe facilement (un kilo de plomb est plus lourd qu'un kilo de plumes), soit parce qu'elle s'accorde si bien avec les intérêts de chacun, que chacun préfère y croire en toute mauvaise foi (l'être humain est la plus merveilleuse créature de l'univers, ce que tout humain aura envie de croire, omettant de considérer des vérités plus évidentes, à savoir que les plus merveilleurs créatures de l'univers sont le chat et l'hippocampe-feuille).

Règle 1 : Lorsque pour voir clairement qu'un attribut convient à un sujet, on n'a besoin que de considérer ce sujet et cet attribut avec une attention même médiocre pour voir, sans l'aide d'aucune troisième idée, on a le droit de prendre cette proposition comme axiome qui n'a pas besoin d'être démontré (parce qu'il a déjà toute l'évidence que pourrait lui donner une démonstration).

On distinguera la simple explication d'un axiome (reformulation plus développée permettant de mieux le faire comprendre, ce qui est parfois nécessaire, même pour un axiome) d'une véritable démonstration (faisant appel à des idées non-contenues dans la proposition).

Règle 2 : Quand la seule considération des idées du sujet et de l'attribut ne suffit pas à voir clairement que la proposition est vraie, cette proposition ne doit pas être prise comme axiome, mais doit être démontrée, en se servant d'autres idées pour faire apparaître la liaison entre sujet et attribut.

On notera que certaines personnes (les amateurs de surnaturel, par exemple) ont tendance à rejeter les explications fondées sur des principes qu'ils peuvent comprendre et à préférer celles qui se fondent sur des principes mystérieux et incompréhensibles.

Quelques axiomes utiles dans la vie de tous les jours :

* Il est impossible qu'une même chose soit et ne soit pas.

* Tout ce qui est contenu dans l'idée claire et distincte d'une chose peut s'affirmer avec vérité de cette chose. Exemple : Parce qu'avoir tous les diamètres égaux est contenu dans l'idée de cercle, je peux affirmer de n'importe quel cercle que tous ses diamètres sont égaux.

*Si l'on peut concevoir clairement une chose, alors cette chose existe, au moins potentiellement.

Celui-ci peut sembler un peu douteux (et d'usage bigot). L'argument utilisé (et déjà l'on peut considérer que, s'il faut argumenter, ce n'est pas le top de l'axiome) est que c'est lorsqu'une idée présente des contradictions qu'on se dire qu'une telle chose ne peut être : or, le principe d'une idée claire et distincte est de pas présenter de contradictions : donc une chose ainsi clairement imaginée peut être vraie. On peut d'abord objecter que la réaction de l'individu n'est pas une preuve : le fait qu'une idée présente des contradictions ou des difficultés à notre esprit n'est pas la preuve qu'elle ne correspond à aucune réalité (sans quoi il faut sans doute admettre que l'infini n'existe pas). Inversement, le fait de pouvoir concevoir une chose clairement n'implique pas qu'elle existe (je peux concevoir assez clairement un cercle ou un triangle parfaits, mais il se pourrait très bien qu'il n'existe rien de tel dans la nature). D'ailleurs, bien conscients du problème, les auteurs prennent soin de préciser que l'existence d'une chose qu'on conçoit clairement est simplement "possible". Il est honnête de poser cette limite mais on se demande alors à quoi peut servir un tel axiome ...

* Le néant ne peut être cause d'aucune chose. On en retiendra que rien d'existant ne peut avoir le néant ou une chose inexistante pour cause de son existence. Laissons de côté les autres corrolaires tirés de cet axiome, dont l'intention théologique est là encore trop évidente pour être honnête, de même que les axiomes suivants, qui sont, précise d'ailleurs le texte, "le fondement de la foi".

* Les faits attestés par un très grand nombre de personnes de diverses époques, de divers pays, de divers intérêts, personnes que l'on ne peut soupçonner d'avoir conspiré ensemble pour appuyer un mensonge, doivent passer pour aussi indubitables que si on les avait vus de nos propres yeux.

Celui-ci n'est guère plus satisfaisant comme axiome, mais c'est, faute de mieux, la source de la plupart de nos connaissances. On peut regretter l'absence de nuance et de prudence dans sa formulation : on sait bien, surtout aujourd'hui qu'internet l'illustre en permanence, qu'il arrive souvent qu'un type dise une connerie, qu'un autre la recopie, puis un autre, jusqu'à ce qu'on se retrouve avec des dizaines, voire des centaines, de témoignages ou d'avis concordants, forcément.


6) Démonstrations

 Une vraie démonstration demande deux choses :

- que dans son contenu il n'y ait rien qui ne soit certain et indubitable, ce qu'on obtient en respectant la règle 4.

- qu'il n'y ait rien de vicieux dans sa forme, ce qu'on obtient essentiellement en respectant la règle 5 (il existe d'autres vices de l'argumentation que celui qui vient de l'équivoque des termes, mais c'est le risque majeur).


7) Comment résoudre les problèmes de foi

Les derniers chapitres concernent la foi et l'autorité, dont on a déjà eu l'occasion de dire qu'elles n'avaient guère leur place à l'Académie Fédérale des Investigations Anti-dogmatiques, laquelle est un institut sérieux et non un ramassis de jansénistes. On excluera donc totalement de notre propos ce qui touche à la foi divine (considérer que Dieu est un gars honnête et fiable, à la parole duquel on peut se fier, repose sur le présupposé qu'il existe un Dieu), mais il faut bien tenir compte du fait qu'un nombre important de nos connaissances repose sur la foi humaine, c'est-à-dire sur la confiance que nous accordons à l'autorité de tel spécialiste ou au témoignage d'autrui.

On considérera d'abord que l'existence ou non d'événements passés, ou la probabilité d'événements futurs, relève largement de la contingence et qu'on ne peut y appliquer les mêmes règles qu'à des vérités concernant la nature essentielle des choses : ce que je peux affirmer d'un triangle rectangle est vrai pour tous les triangles rectangles, mais il serait absolument déraisonnable de croire qu'un événement a eu lieu sous prétexte qu'il est possible. La seule possibilité d'un événement n'est pas une raison suffisante pour y croire. Pour juger de la vérité d'un événement, on considérera, en plus de sa possibilité, les circonstances qui l'accompagnent, circonstances intérieures (appartenant au fait lui-même) et circonstances extérieures (témoignages) : selon le nombre et la nature de ces circonstances, on pourra éventuellement décider d'y croire, même s'il ne peut s'agir d'une certitude absolue, ou au contraire estimer préférable de supposer la chose fausse, ou encore de suspendre son jugement. De même, pour un événement futur (risques divers, jeux de hasard,...), il ne faut pas seulement considérer le bien ou le mal en soi (j'ai très envie de gagner une fortune, donc je joue à tous les jeux de hasard qui se présentent / Je n'ai aucune envie de recevoir une météorite sur la tête, donc je ne sors plus de ma cave), mais aussi et surtout la probabilité que cela arrive ou pas.


Conclusion

On voit que cette dernière partie n'apporte rien d'essentiel, ce qui confirme bien que tout se joue à la base, qu'une bonne définition et compréhension des idées entraîne assez naturels des jugements solides, lesquels permettent des raisonnement corrects, lesquelles conduisent assez naturellement aux principes de la méthode. On trouvera un tableau récapitulatif en cliquant sur le mot suivant.

Ici s'achève cette adaptation de la Logique de Port-Royal.

 


 

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