LA LOGIQUE DE PORT-ROYAL - Première partie : les Idées

 

1) Rappel des catégories d'Aristote

2) D'un curieux cas de déraillement logique chez les logiciens de Port-Royal

3) De l'importance de la clarté des concepts utilisés

4) L'éclaircissement du contexte


1) Rappel des catégories d'Aristote (Chapitre III)

Afin de formuler des jugements valides, il importe que les idées utilisées soient claires. On peut distinguer les substances ou choses dont on parle (1° catégorie), qu'elles soient corporelles ou spirituelles (en clair qu'il s'agisse de donner son avis sur un caillou, sur la liberté ou sur Arielle Dombasle), et leurs accidents (ce qu'on peut en dire), qu'Aristote énumère à travers les neuf catégories suivantes :

2) la quantité : le nombre ("il n'y en a pas deux comme Arielle Dombasle"), mais aussi la "quantité" de temps ("Arielle Dombasle a 21 ans") ou d'espace, que ce soit longueur ("Pour connaître la hauteur exacte d'Arielle Dombasle, consultez la fiche technique."), profondeur,...

3) la qualité : forme (ou formes), qualités et défauts, etc.

4) la relation d'une chose à une autre : père/fils, maître/valet, épouse de BHL, semblable à, plus grand que, etc.

5) l'agir : action accomplie par le sujet ("Arielle Dombasle chante")

6) le pâtir : action subie par le sujet ("le public est électrisé par la voix stridente d'Arielle")

7) : répond aux questions concernant le lieu ("Arielle Dombasle est née dans le Connecticut")

8) quand : répond aux questions concernant le temps ("Arielle Dombasle est née en 1987")

9) la situation : être assis, couché, à droite, etc. "Les gens me demandent : est-ce qu'elle est à droite, Mireille Mathieu ? Mais Mireille Mathieu, elle n'est ni à droite ni à gauche : elle est là où on la pose." (Guy Bedos)

10) avoir : ce que l'on a sur soi ("Arielle Dombasle portait pour l'occasion une robe commandée à La Redoute.")

Arnauld et Nicole précisent cependant que cette classification assez arbitraire ne sert pas à grand chose.


2) D'un curieux cas de déraillement logique chez les logiciens de Port-Royal

  "Ainsi le mot de véritable religion ne signifie qu'une seule et unique religion, qui est dans la vérité la catholique, n'y ayant que celle-là de véritable. Mais parce que chaque peuple et chaque secte croit que sa religion est la véritable, ce mot est très-équivoque dans la bouche des hommes, quoique par erreur. Et si on lit dans un historien qu'un prince a été zélé pour la véritable religion, on ne saurait dire ce qu'il a entendu par là, si on ne sait de quelle religion a été cet historien ; car si c'est un protestant, cela voudra dire la religion protestante ; si c'est un Arabe mahométan qui parlât ainsi de son prince, cela voudrait dire la religion mahométane, et on ne pourrait juger que ce serait la religion catholique, si on ne savait que cet historien était catholique."

Voici donc des gens capables de démêler les équivoques avec intelligence et précision, mais qui ne voient même pas l'incroyable ineptie qu'ils profèrent lorsqu'ils affirment benoîtement que l'expression de "religion véritable" ne devrait désigner en réalite que la religion catholique ! des gens qui ne voient même pas pourquoi ils tombent dans une telle absurdité, alors que la cause est là, dans leurs propres mots, dans les lignes-mêmes où ils profèrent cette ânerie : "chaque peuple et chaque secte croit que sa religion est la véritable". Apparemment ce relativisme concerne tout le monde ... à l'exception des catholiques ! N'incriminons pas trop vite l'esprit du temps. Un siècle auparavant, Montaigne était parfaitement capable de pousser un tel raisonnement jusqu'à ses conclusions logiques. Le temps ne fait donc rien à l'affaire.


3) De l'importance de la clarté des concepts utilisés

On peut résumer grossièrement l'essentiel de la première partie à ceci : pour former des jugements valides, il est essentiel d'utiliser des termes (et donc des idées) clairs et bien définis, ainsi que de tenir compte de la nature et de l'ampleur des idées mises en jeu (genre ou espèce, caractéristique propre ou accidentelle,...). On peut ainsi affirmer que "tous les chiens sont des canidés", mais pas que "tous les canidés sont des chiens" ; que "tous les animateurs de télévision sont des quasi-analphabètes", mais pas que "tous les analphabètes peuvent devenir animateurs de télévision" (du moins pas encore, même si Steevy a ouvert la voie).

Il nous est rappelé également que lorsqu'un terme peut avoir plusieurs significations, il convient d'abord de préciser ce qu'on l'on désigne ainsi, chose suffisamment évidente pour que nous ne nous y attardions pas ici.

Nous nous contenterons d'un seul exemple. Les générations hyper-créatives qui se sont succédé depuis la seconde moitié du XX° ont mis au point un vocabulaire extrêmement économique, parvenant à dire un maximum de choses avec un minimum de mots, principalement grâce à l'emploi de termes richement polysémiques, tels que "cool", qui n'obligent pas à préciser ou nuancer sa pensée. Dans le cadre logique, il sera cependant nécessaire d'indiquer quel sens on donne à ces termes. Par exemple, parlant de l'oeuvre de Louis-Ferdinand Céline, on pourra aussi bien dire que "Céline, c'est cool" (si l'on parle du plaisir produit sur le lecteur par la qualité de la prose célinienne) ou que "Céline, c'est pas cool" (si l'on se réfère aux virulentes pages antisémites de cet écrivain). En d'autres termes, les textes de Céline sont stylistiquement cool mais idéologiquement pas cool (ou, pour mieux dire, craignos).


4) L'éclaircissement du contexte

Anticipons partiellement sur la partie suivante en précisant que l'équivocité d'une affirmation peut également venir d'un manque de précision, non pas exactement dans les termes, mais dans le contexte.

Par exemple, Jacques Brel aurait dit : "Je préfère me tromper que me taire." Difficile de juger efficacement d'une telle proposition. On peut aussi bien y voir une sotte exaltation de la liberté d'expression coupée de tout exercice de la réflexion, à la Florent Pagny (équivalent possible : "il est plus important de s'exprimer que de chercher à se rapprocher de la vérité"), qu'un appel à l'engagement et à l'action lorsque la situation l'exige (équivalent possible : "dans certaines circonstances, il est important de témoigner, de parler, de prendre position, même si l'on n'est pas absolument sûr d'avoir raison."). Je n'ai pas réussi à clarifier le contexte réel de la citation, mais il semble assuré que beaucoup de gens la réutilisent, sans se soucier du moindre contexte, dans le sens que nous avons cité en premier lieu, et ce afin de justifier leur paresse d'esprit, de même que beaucoup mettent en avant la belle notion de sincérité afin de justifier leur agressivité verbale à l'égard des autres (par exemple, lorsque Patrick Devedjian qualifie Anne-Marie Comparini de "salope", il n'est ni vulgaire, ni insultant, il a simplement son "franc-parler" et il ne tombe pas dans le piège de la "langue de bois" et du "politiquement correct", bref il n'est pas craignos, mais super cool, en fait).

Autre exemple, la manière dont Jean Anouilh, en reprenant le Chêne et le Roseau dans ses propres Fables, publiées en 1946, renverse totalement la moralité de La Fontaine (voir les deux versions), dénonçant la tendance à plier alors que La Fontaine semblait plutôt l'encourager. Loin de se contredire, les deux positions se comprennent chacune dans un contexte historique et social différent. Alors que La Fontaine conseille la prudence aux aristocrates, leur conseille de modérer leur orgueil lorsqu'il le faut, c'est-à-dire devant le Roi, Anouilh songe peut-être au choix impliqué par l'Occupation allemande : se plier ou rester debout et défendre ses valeurs au risque de sa vie.


 

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