MANIFESTE MELIORISTE


A période à la con, terminologie à la con :

Le méliorisme n'est pas une idéologie. C'est une attitude personnelle face au débat politique (si tant est que ce dernier existe encore), une sorte de pierre de touche destinée à échapper à des termes dont la signification a été sérieusement manipulée : "progressiste", "réactionnaire", "réformiste", "anti-réformiste",... De tels mots, réduits le plus souvent aujourd'hui à leur dimension chronologique (ce qui est nouveau est forcément meilleur que ce qui précède, une réforme est par définition positive, etc.), entretiennent la confusion dans de nombreux esprits. D'où l'intérêt de mettre en avant un terme extrêmement inélégant, mais qui a le mérite de la clarté, et c'est là le seul intérêt du "méliorisme", invitation à considérer avant tout, entre diverses solutions, laquelle est la meilleure. Le mélioriste sera donc réactionnaire, lorsqu'il estimera que la situation présente est une dégradation par rapport à une situation antérieure, et progressiste, lorsqu'il estimera que telle option constituerait une avancée positive, au lieu d'être progressiste ou réactionnaire par principe comme tant de crétins. C'est donc un mot à la con, franchement ridicule, pas esthétique pour deux ronds, certes, mais malheureusement nécessaire dans une époque stupide au point d'avoir oublié que le mot "progrès" suppose une évolution vers le mieux et non une évolution vers n'importe quoi pourvu que ça ait l'air moderne et que ce soit bien empaqueté.

On pourrait donc idéalement se passer de ce néologisme grotesque pour se contenter de parler de "progressisme" ou de "souci de l'intérêt commun", si ces choses-là n'étaient actuellement monopolisées et privées de leur sens par des gangsters et/ou des jean-foutre.

 

Meilleur pour qui ?

Pas pour une minorité de sangsues, évidemment : meilleur pour la collectivité. Nationale, mais aussi internationale. Pour l'humanité, mais aussi pour la planète. Etc.

Pas seulement meilleur pour la majorité (je dis bien "pour" et non "aux yeux de" la majorité, ne compliquons pas !). On ne peut soutenir, à mon avis, une chose qui serait bonne pour la majorité tout en nuisant lourdement à une minorité. La lutte contre la fraude fiscale, une augmentation de l'impôt sur les fortunes les plus élevées, constitueraient par exemple des mesure positives pour l'immense majorité et d'un inconvénient léger pour les grandes fortunes (il s'agit là d'un jugement objectif bien sûr, car il est évident que bon nombre des personnes concernées pousseraient aussitôt des cris de putois et menaceraient de s'expatrier). En revanche, donner le droit à la majorité des gens de jeter des pierres aux hommes roux, qui sont ici une minoruté, dans la mesure où elle n'apporte à la majorité qu'un avantage superficiel, crétin, de type palliatif (lapider des roux ne réglera aucun de leurs problèmes mais soulagera au mieux l'aigreur née de l'impuissance à régler ses véritables problèmes), tandis qu'elle constiterait pour la minorité des roux un indéniable inconvénient.

Prenons un exemple d'actualité : l'instauration d'un service minimum en cas de grève dans les transports publics. A première vue, la mesure est positive car elle satisfait une majorité (les usagers, jusque là "odieusement pris en otage", comme dit la chanson de Jean-Pierre Pernaud) et n'impose à la minorité des cheminots (et autres "feignasses de même acabit") qu'un inconvénient léger, puisqu'on n'interdit pas le droit de grève et qu'on oblige simplement les grèvistes à maintenir un service minimum raisonnable pour le confort des braves gens. Mais voir les choses ainsi, c'est bien entendu garder le nez sur le court terme. Je l'ai suffisamment rabâché ailleurs, je crois, pour me contenter ici d'abréger : le service minimum rend la grève moins gênante, donc moins perceptible, donc inopérante ; dès lors, toute forme de résistance à n'importe quelle réforme inique devient impossible, c'est, à moyen et à long terme, la porte ouverte à toutes les dégradations, pour les salariés concernés comme pour les usagers. Le service minimum ne correspond donc pas aux critères de qualité mélioristes : certes, toute grève occasionne une gêne, mais l'approche mélioriste serait plutôt de se dire qu'il ne devrait plus y avoir de raisons de faire grève, qu'au XXI° siècle la France, qui en a les moyens, devrait se soucier d'améliorer (au minimum de maintenir) la qualité de vie de ses citoyens, au lieu de multiplier les régressions pour satisfaire les appétits de quelques râclures.

Ce sera une approche forcément relativiste, qui considérera les problèmes au cas par cas, indépendamment de toute idéologie globale, indépendamment de la politique nationale (existante ou inexistante). Ce qui n'exclut évidemment, en parallèle et en complément, une approche globale et idéologique.

Par exemple, la voiture à air comprimé que j'ai longuement évoquée dans le blog du 5 janvier 2008, peut-être considérée comme une solution meilleure que d'autres en matière de transport. Qu'elle soit fabriquée dans le cadre d'une économie libérale ou planifiée, par une entreprise privée ou publique, cela reste secondaire et peut varier selon l'idéologie de chacun : mais sur le fond, produire et diffuser ce véhicule serait par nature un acte "mélioriste".

L'approche mélioriste, tout en étant par nature soucieuse de l'intérêt commun, peut rester une approche individualiste. Exemple : si mes contemporains refusent massivement de passer de l'essence à l'air comprimé, cela ne m'empêche pas d'être le seul con à le faire (le seul avec Claude R. cela dit, car nous sommes déjà au moins deux cons dans la même ville à vouloir le faire). Le souci minimal de l'intérêt général, c'est d'exprimer honnêtement ce que l'on juge être l'intérêt général et de ne rien faire contre cet intérêt général. Mais on ne s'obstinera pas vainement à vouloir convaincre 53% de crétins que l'intérêt général n'est pas là où ils l'ont cru le 6 mai 2007 (d'autant qu'il n'était certainement pas non plus dans le choix "opposé"). Tandis que le pays s'enfonce toujours plus, le mélioriste se consolera en faisant autant qu'il le peut des choix individuels intelligents (je songe évidemment à tout ce qui concerne la décroissance, par exemple). Ayant exprimé son avis, le mélioriste n'aura guère de scrupules à regarder la majorité de ses cons de contemporains étouffer sous la logique inhumaine du "travailler plus pour consommer plus". Le mélioriste essaiera au contraire de "travailler moins (et si possible mieux, du moins si son travail le mérite) pour vivre mieux."

 

Le méliorisme sauvera-t-il le monde ?

Bien sûr !

Non, je déconne.

Le méliorisme peut, dans l'état actuel des choses, rendre plus supportable et un peu plus longtemps l'existence de ceux qui en auront fait le choix, et peut permettre à l'humanité de survivre un peu plus longtemps sur la planète, de retarder le moment où cela deviendra réellement infernal, tant socialement qu'écologiquement, etc.

Rien de plus à mon avis, tant que subsisteront deux problèmes majeurs :

- l'aveuglement face au problème de la surpopulation (voire le délire idélogique consistant à inciter la population à croître toujours plus pour créer de plus en plus de consommateurs).

- l'existence d'individus à la voracité illimitée, prêts à tout pour accumuler des milliards supplémentaires dont ils n'ont pas le moindre besoin. Tant que de tels sociopathes auront le pouvoir d'agir sur les choses (d'autant qu'ils sont en réalité à peu près les seuls à monopoliser ce pouvoir d'action), tant qu'on ne leur aura pas limé les dents ou expliqué qu'il y a d'autres moyens de s'épanouir qu'en détruisant le monde et les hommes pour grapiller encore et toujours plus de prestige, de pouvoir, de richesse,... alors ils feront tout ce qu'ils pourront pour rendre impossible un progrès véritable. Si un jour la quasi-intégralité de l'humanité faisait le choix de la décroissance dans tous les domaines où elle est possible, alors on peut compter sur ces parasites pour nous faire payer (au prix fort) le droit de respirer un air sain, de boire une eau saine, etc.

 


NB : Après vérification et malgré son inesthétisme, le terme de méliorisme a déjà été utilisé, en particulier par Alain et en référence aux conclusions de Voltaire dans Candide. Grosso modo, la définition ne contredit pas celle que j'en donnais ci-dessus (le contraire eut été étonnant dans la mesure où le mot a été choisi ici pour sa clarté) et je n'ai fait que l'adapter un peu plus à notre époque.


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