LA PARANOÏA UNIVERSELLE

 


 

Dans sa préface à l'édition Bouquins, Francis Lacassin signale que les journalistes contemporains de la publication prirent vite l'habitude de suggérer ironiquement que Fantômas pourrait se cacher derrière tel ou tel fait réel, par exemple le mauvais état des routes turques : "Qu'a-t-on fait des crédits affectés à leur entretien ? Fantômas ..." C’est exactement ce qui se passe dans les romans de la série : Fantômas est derrière TOUS les crimes. Ou presque, l'affaire des routes turques n'ayant jamais été abordée de front par Allain et Souvestre. En revanche, c'est bien Fantômas qui est par exemple responsable du naufrage du Titanic, devenu Gigantic dans le roman.

Fantômas est donc capable de TOUT, est donc caché derrière TOUT, mais surtout, il est caché derrière TOUS. Tout le plaisir d'une série de romans telle que Fantômas, comme de séries télévisées telles que Les Envahisseurs ou X-Files, tient au principe d'une paranoïa universelle. Comme les extra-terrestres dans ces séries, Fantômas peut se dissimuler sous l'apparence de n'importe qui, et même le plus souvent (tant qu'à faire !) sous le masque de serviteurs du Bien : médecin, policier (voire chef de la police anglaise), magistrat, banquier,... A noter que dans ces romans, lorsqu'un banquier s'avère malhonnête, c'est forcément qu'il s'agit de Fantômas !

A côté de la Terreur et de la fascination du Mal qu'il fait naître chez le lecteur, Fantômas incarne donc également la relativité de la Vérité, le triomphe de l’Equivoque et de l’Illusion. Il peut être n’importe où et n’importe qui.

Il existe toute une littérature de la paranoïa, qui peut procurer un réel plaisir à ceux qui ne la prennent pas trop au sérieux (et abrutir les autres) : le secret des Templiers, Rennes-le-Château, les secrets de l'Ile de Pâques, les mystérieux hommes en noir, la cité souterraine d'Agartha,... De tels sujets ont été développés au premier degré par une multitude d'auteurs illuminés tels que Robert Charroux, ou de façon plus ambiguë (quant aux limites entre discours sérieux et plaisir littéraire) dans Le Matin des magiciens de Pauwels et Bergier (1960). La synthèse la plus jubilatoire et la plus intelligente demeure sans doute celle qu'effectua Umberto Eco dans son Pendule de Foucault (1988), illustrant parfaitement l'approche que conseillera Hugo Pratt dans (1992), le dernier volume des aventures de Corto Maltese : "J'ai vu dans le Pacifique des murailles qui rappellent les temples mayas, des sculptures que l'on croirait olmèques. Fariboles, mythes, mensonges ... trop beaux pour ne pas s'y arrêter, trop naïfs pour que l'on y croie."

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Dire que Fantômas est une incarnation du Mal et qu’on peut donc le trouver derrière tout être mauvais, c’est trop peu dire. Fantômas ébranle les certitudes, rend illusoires les façades du Vrai et du Faux, du Bien et du Mal. Il est le Mal mais un Mal qui peut agir (et c'est généralement ce qu'il fait) sans se dévoiler, en prenant l’apparence du Bien.

Evidemment, Fantômas, répétons le (et espérons le) n’existe pas réellement. Mais si nous devions suspecter sa présence sous le masque de personnalités historiques ou contemporaines, il ne serait pas très fantômassien de dire que "Dutroux (ou Ben Laden, ou Sarkozy), c’est Fantômas" (vous parlez d'une révélation !) ; en revanche, il le serait beaucoup plus de deviner Fantômas sous la soutane d'un Abbé Pierre ou celle d'un Bernard Kouchner (oui, "celle", sa soutane, c'est bien ce que j'ai écrit : ce jésuite de la pseudo-gauche bien-pensante est en effet équipé d'une soutane intérieure).

Agissant dans ces romans sous le masque du Bien, le Mal n’y est à chaque fois finalement identifié que par la ténacité d’une poignée de représentants du véritable Bien (Juve, Fandor, Fuselier,...). Mais si ceux-ci sont de sincères agents du Bien, il se peut pourtant que Fantômas nous trompe en prenant parfois également leur apparence : il peut donc bien être PARTOUT, y compris sous le masque de Juve. De même d'ailleurs que Juve peut se faire passer pour Fantômas, mais c'est une autre affaire ... Toujours est-il qu'une grande part du plaisir que nous prenons à lire ces romans tient aux coups de théâtre permanents que permet cette paranoïa universelle.

Mais revenons à présent, à la lumière de cette paranoïa, aux références religieuses explorées dans les sections précédentes. Dire que Fantômas est une représentation inversée du Christ, c’est peut-être en réalité deviner que le Christ lui-même, derrière ses actes et ses paroles en apparence bienveillants, derrière ses miracles et ses messages d'Amour et de Charité, n’était autre que ... Fantômas !

   

 

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