THE UNOFFICIAL JOHN DOGGETT's BLOG

2014



25 décembre : HAÏKU

Les employés de banque

miroitent au matin

comme des calamars.

(Kaneko Tôta)


2 décembre : SCHNOKS ET HUMORISTES

Parmi les publications actuelles, la revue Schnock n'est pas désagréable, encore qu'on puisse à mon avis jeter un bon tiers de son contenu consacré à des trucs réellement sans intérêt. Autre réserve d'importance : son positionnement politique est des plus flous. On pourra, en étant très généreux, dire qu'elle rassemble des anars de droite comme de gauche (mais plus souvent de droite ?...) Sa ligne éditoriale anti-jeunisme est en tous cas bien caractéristique du dépassement des clivages traditionnels droite/gauche, mais méfions-nous de ce qui peut se cacher derrière un dépassement des clivages en lui-même tout à fait justifiable. De manière générale, je trouve que les sujets abordés sont plus intéressants que la manière, au mieux superficielle mais amusante, dont ils sont traités.

Passons.

Dans un article consacré à Karl Zéro, un type qui a travaillé avec lui me confirme qu'il a réussi à se créer une image d'anarchiste de gauche alors qu'il est en réalité, comme le reste de sa famille, Frigide Barjot en tête, un fieffé bigot, en relations amicales avec des tas de Pasquas.

Et je me dis qu'il y aurait toute une étude à faire (parallèlement à celle, déjà menée par certains, du tournant idéologique des années 80 qui vit triompher le libéralisme comme pensée unique) sur l'évolution de l'humour provocateur. Pour faire simple, il me semble que cette forme d'humour était dans les années 50-60-70 l'apanage de véritables anars de gauche, de Brassens à Cavanna en passant par bien d'autres, alors qu'elle est désormais plutôt le fait de types de droite, étiquetés ou non "anars" de droite, à plus ou moins juste titre, ou imposteurs jouant à l'home de gauche comme Karl Zéro, ou même clairement "de droite", voire d'extrême-droite (Dieudonné, etc.)

On pourrait s'intéresser à la progression (liée bien entendu au triomphe libéral dont je parlais, même si certains provocateurs de droite sont justement anti-libéraux, anti-européens, etc. : comme je le disais, les clivages ont changé) qui a mené à cette évolution, en passant par un génie incontestable et intègre comme Desproges (qui avait tout de même quelques obsessions anti-PS qui, pour justifiées qu'elles aient été, ont permis à d'autres d'exploiter le filon dans une toute autre intention) ou par des individus plus douteux, comme Ardisson ou comme, justement, l'équipe de Jalons des frères "Zéro" et de leur barjotte, dont je trouvais les productions fort drôles à la fin des années 80 (car, du talent, ils en avaient) sans voir suffisamment (seuls quelques articles avaient fini par m'alerter) le tournant idéologique que cette entreprise de dérision apparemment gratuite essayait de mettre en place.

Il y aurait beaucoup à dire aussi sur les implications morales de cette évolution. On passe d'une provocation "de gauche" fondée sur des valeurs et des idéaux, ou tout au moins sur une révolte, à une provocation purement instrumentalisée : au service (plus ou moins affiché) d'idéologies nauséabondes, ou dans le moins pire des cas au service d'une carrière personnelle ("la provocation a un public, ça marche bien, essayons de nous faire un nom sur ce terrain !"). Les conséquences d'une telle évolutions mériteraient une vaste réflexion, mais pour ma part je m'en tiendrai là.

Je terminerai simplement par une question : mais alors, où sont passé les humoristes de gauche ?

On pourra bien sûr (heureusement) trouver encore quelques spécimens plus ou moins doués (un Didier Porte ? un Christophe Alévêque ?) ou encore invoquer quelque dinosaure survivant (mais à part Guy Bedos, je n'en vois guère, pas même son fils ; Philippe Val est paraît-il encore vivant, mais dans l'état moral que nous savons et sans plus aucun rapport ni avec la provocation, ni avec l'humour, ni même avec la gauche). Restent ces sympathiques humoristes niais soutiens du PS, façon Djamel Debbouze, et justement, on constate que désormais les "humoristes" qui se disent "de gauche" (ah oui, là, il faudrait des guillemets à chaque mot) ne font plus vraiment dans la provocation. La provocation de droite a gagné et elle le sait, et elle le dit. Lors d'une confrontation avec Guy Bedos, Ardisson lui balance (argument suprême) qu'il est passé de mode, q'il y a eu une époque où les gens aimaient Guy Bedos mais qu'aujourd'hui, les gens, ils aiment Eric et Ramzy.

Que de pistes à creuser ! Avis aux amateurs : moi, je fatigue, face au triomphe de tous ces cons.

PS 1 : A notre époque de large fusion-confusion entre libéralisme et libertarisme, on peut d'ailleurs se demander si la notion d'anar de droite a encore un sens aujourd'hui. Elle a correspondu autrefois à une réalité (disons Jean Yanne, par exemple), mais elle n'est aujourd'hui le plus souvent qu'une jolie étiquette mensongère servant à dissimuler ce qui n'est bien souvent qu'un simple CONNARD de droite, d'une droite décomplexée et libérée des scrupules religieux, ce qui lui semble l'autoriser à se croire et à se dire "anarchiste".

PS 2 : Quant à préciser ce que j'entends par humour de gauche ou humour de droite (ce qu'ils sont réellement et non ce qu'est l'humour pratiqué aujourd'hui par des gens qui se disent de gauche), disons pour faire très simple qu'un humour de gauche s'attaque aux dominants et aux vainqueurs au lieu de s'acharner sur les victimes. Or, nous avons aujourd'hui toute une flopée de gens pour qui la provocation consiste à braver le "politiquement correct" (en réalité, les seuls aspects du politiquement correct qui vont à l'encontre de leur idéologie) en se moquant des faibles (ce qui relève en fait du "comique" plus que de l'humour : je ris du type qui se casse la gueule, bien persuadé que cela ne m'arrivera jamais). Comme je le disais, ce glissement a pu se faire en partie grâce à la caution (bien contre leur gré) de véritables humoristes qui ont pu sembler s'attaquer aux victimes mais le faisaient de manière totalement ironique et pour mieux dénoncer le discours arrogant des cons. Aujourd'hui, les cons triomphants rient entre eux de la façon la plus décomplexée qui soit, plus aucun humoriste personne ne s'attaque sérieusement aux puissants et les soi-disant humoristes soi-disant de gauche font des sketches sur le téléphone portable, le port des tongs à la plage et autres sujets aussi brûlants que périlleux.


4 août : EPOQUE

Euripide aurait écrit que "c'est une honte de se taire et de laisser parler les barbares." Ce devrait être un rappel pour tous ceux qui se soucient un peu de raison et de valeurs morales, à notre époque où les barbares, sous toutes leurs formes, semblent de nouveau triompher. Euripide a bien entendu raison, mais les barbares parlent aujourd'hui si haut et font tant d'adeptes qu'en ce qui me concerne je suis un peu fatigué et je laisse à d'autres le soin de parler face aux barbares.


1° août : LA MODESTIE DU PHILOSOPHE

Le philosophe (et ex-ministre de Chirac) Luke Ferry conclut ainsi la quatrième de couverture de son récent ouvrage, L'Innovation destructrice : "Que mon lecteur accepte de me suivre un instant dans cette analyse et il comprendra vite combien elle est irremplaçable pour la compréhension du temps présent."

Il y a certainement beaucoup de penseurs ou prétendus tels qui en pensent autant de leurs analyses, mais nul ne l'avait sans doute déclaré aussi explicitement depuis Platon faisant régulièrement dire à certains personnages de ses dialogues : "cela est merveilleusement exact, Socrate !"


23 mai : METIERS INUTILES

Il existe des métiers dont la seule fonction semble être (outre de rapporter de l'argent à ceux qui en font profession) d'emmerder le monde, comme de téléphoner aux gens pour leur vendre des choses dont ils n'ont aucun besoin, de charger leurs boîtes aux lettres de prospectus pour les même raisons, et tout ce qui relève de la publicité en général. Et je ne parle même pas des métiers carrément nuisibles tels que lobbyiste du tabac, trader, sarkozy, etc. Juste des métiers qui font chier le monde sans rien apporter de positif en contrepartie (nombre d'automobilistes mal garés assureront ainsi que les contractuelles "font chier le monde" avec leurs contraventions, mais l'utilité de faire respecter les lois n'en est pas moins une réalité). Bref, la pub est un bon exemple de ce dont je parle. Et les responsables n'en sont évidemment pas les pauvres diables qui, pour un salaire de misère et dans des conditions de travail souvent lamentables, font directement chier le monde, mais ceux qui les chargent de le faire et qui en tirent grand profit. Ceux-ci comme ceux-là objecteront que ces activités procurent un travail (et quel travail !) à des gens et qu'il serait donc criminel de vouloir les supprimer. L'argument porte évidemment d'autant mieux en période de chômage permanent (par exemple, concernant l'emploi, nous sommes actuellement et provisoirement dans une phase délicate depuis le milieu des années 70 du siècle dernier...) mais n'en est pas moins contraire au bon sens et acceptable uniquement par qui accepte la fatalité de la logique ultralibérale qui nous gouverne.

Fallait-il maintenir la peine de mort uniquement pour permettre aux exécuteurs des hautes oeuvres de conserver leur emploi ? Faut-il cesser d'encourager l'arrêt de la tabagie pour ne pas faire péricliter les buralistes ? Quid du crime organisé ? L'éradiquer totalement ne reviendrait-il pas à supprimer de nombreux emplois ?

Lorsqu'il s'agit de fermer des mines, des chantiers navals, de liquider la sidérurgie et d'autres activités faisant vivre des régions entières, on est pourtant moins regardant et on envoie sans le moindre scrupule des milliers de gens pointer au chômage. Et cela parce qu'il a été décrété que leur activité n'était "plus assez rentable". Plus assez rentable selon quels critères et surtout pour qui ? Voilà ce qu'on n'estime pas nécessaire de préciser. Je me contenterai de dire que, moins rentables ou pas, les sidérurgistes ou les mineurs, au moins, faisaient quelque chose d'utile et ne faisaient chier personne.


20 mai : BOBOS

Finkielkraut a consacré sa dernière émission au "Monde des Bobos" et l'on pouvait s'attendre au pire. Bonne surprise, au contraire : les deux invités, en particulier Thomas Legrand, ont parfaitement exposé le sujet en rectifiant un certain nombre d'erreurs et de confusions, à tel point que Finkielkraut a conclu l'émission en disant qu'ils avaient réussi à lui rendre les bobos sympathiques.

En ce qui me concerne, cela m'a confirmé dans l'idée que les bobos, malgré leurs défauts, leurs contradictions, leur engagement politique parfois trop mollasson (Verts-PS) à mon goût, sont tout de même la frange de la population la moins susceptible de dérives glauques, et sans doute la seule de laquelle on peut encore espérer une évolution positive de la société, si évolution positive il y a de nouveau un jour.

Il a fallu expliquer à Finkielkraut la différence entre le bobo et le bling-bling : il considérait que c'était à peu près pareil ! Aux définitions données, je serais tenté d'ajouter cette distinction entre le bobo et le bourgeois non-bohème en général : le bobo défend avant tout (bien ou mal c'est une autre question) des valeurs et non son intérêt. Ce qui suffit déjà à le rendre respectable.

(bon, OK, le fasciste aussi défend des valeurs, mais des valeurs haineuses : ne compliquons pas ! d'autant que le risque est faible de confondre un bobo avec un électeur du Front National)


15 mai : LA MISE A MORT DU TRAVAIL

C'est le titre d'un excellent documentaire de Jean-Robert Viallet, réalisé en 2009, dont je n'avais pu voir qu'une partie lors de sa diffusion télévisée et que je viens de retrouver en DVD.

Il y est question d'abord du développement sidérant de la souffrance au travail, tant physique que psychologique, et du coût de tout cela pour la Sécu (mais la Sécu et les responsables de cette situation ont des comptes séparés, donc tout va bien, ce ne sont pas eux qui paient les pots cassés).

Un chiffre étonnant, tant on nous rebat les oreilles depuis des décennies sur "les Français, peuple paresseux et privilégié, qui compromettent la compétitivité de leur pays par leur manque d'ardeur au travail" : le Bureau International du Travail classe la France au 3° rang mondial de la productivité du travail horaire, derrière Norvège et Etats-Unis.


12 avril : EUTHANASIE

Finkielkraut reconsacre ce samedi une émission à l'euthanasie, un des rares sujets, avec l'école, sur lesquels il ait encore un discours sensé. Face à lui et au cancérologue Bernard Lebeau, la neurochirurgienne Anne-Laure Boch, dont le principal argument est que la légalisation de l'euthanasie serait comprise (je reformule) comme une invite au suicide pour tous. Evoquant Mourir dans la dignité, elle nous explique que le nom de cette association est terrible car il fait comprendre aux autres, aux malades qui s'accrochent à la vie, que leur attitude à eux n'est PAS digne.

Il est pourtant évident que personne ne dit cela et qu'il n'y a pas de choix plus subjectif que celui-là. On évoque souvent (et elle ne s'en prive pas, prétendant même n'avoir jamais rencontré que cela) les gens qui demandent l'euthanasie puis changent d'avis ensuite, mais cette réalité ne doit nous inciter qu'à ne pas pratique l'euthanasie dans la précipitation (mais qui y songe ???) et à laisser autant que possible le temps de la réflexion. En faire un argument contre l'euthanasie est malhonnête. Il y a en effet les gens qui changent d'avis. Il y a ceux qui n'envisagent pas un seul instant l'euthanasie. Et il y a ceux qui l'envisagent immédiatement et n'en démordront jamais. Chacun réagit à sa manière et aucun de ces choix n'est indigne. Ce qui est indigne, c'est de continuer à interdire l'un de ces choix, surtout en se drapant dans un discours de miséricorde, en assurant que toute personne effrayée par la perspective de la démence sénile finit, si on lui conseille de s'accrocher à la vie, par prendre goût à son état (le fait d'avoir affaire à des patients atteints de dégradation intellectuelle ne semble pas conduire Mme Boch à s'interroger sur la valeur de ces changements d'avis systématiques qu'elle encourage).

Pointant les limites de la loi Leonetti, Bernard Lebeau évoque le cas d'une personne de sa famille, atteinte d'Alzheimer, à laquelle on a fini, devant la dégradation de son état mental, par appliquer la loi en vigueur, à savoir ici cesser de l'alimenter et de l'hydrater : cette personne ayant par ailleurs conservé une parfaite santé physique, son agonie dura vingt-sept jours, résultat d'une "miséricorde" un peu trop tempérée.

Pour en revenir à la subjectivité, chaque malade a ses opinions, ses souffrances et sa manière de les endurer (ou non), chaque patient a ses limites, et tout cela devrait être respecté. Il y a des gens capables d'endurer la plus cruelle agonie jusqu'à la fin et on peut les admirer pour cela. Il en est d'autres qui se mettent à souhaiter l'euthanasie rien qu'en entendant Anne-Laure Boch pérorer et justifier toutes les horreurs au nom des bons (de SES bons) sentiments.


6 avril : MANENT ET FINKIELKRAUT PLUS MALINS QUE MONTAIGNE

Invité de Répliques, le catholique Pierre Manent s'attache à minimiser quelque peu la valeur de Montaigne, auquel il semble avoir consacré pas mal d'années d'étude dans le seul but de pouvoir nous expliquer que Montaigne n'est pas si humble qu'il en a l'air. Et alors ? Pierre Manent est assez habile pour saper en partie l'image de celui qui a contribué à saper la crédibilité et le dogmatisme de son cher catholicisme, mais il est fort naïf s'il pense que cela contribuera à redonner vie à ses superstitutions personnelles ! Et il perd d'autant plus son temps que bien assez d'autres choses (l'ignorance, la peur de la mort) parviennent au même résultat (redonner vigueur aux religions) de façon bien moins subtile mais bien plus efficace.

Mais accordons au moins à Pierre Manent de ne pas rentrer dans le jeu de Finkielkraut lorsque celui-ci se lance dans un paradoxe pour le moins douteux. Selon lui, en combattant les certitudes ethnocentriques, Montaigne est très représentatif de la mentalité européenne, apte à se remettre en question, contrairement à d'autres que nous ne nommerons pas. On a envie de lui répondre (ce que fera en substance Pierre Manent, grâces lui soient rendues !) : "Mais pauvre imbécile ! c'est justement grâce à quelques penseurs comme Montaigne que l'Europe a commencé à se remettre en question !" et d'ajouter (ce que Pierre Manent ne fera malheureusement pas) : "Et d'ailleurs, cette prétendue spécificité européenne semble avoir encore du chemin à faire pour être générale, quand on entend les conneries des électeurs FN ou, dans une moindre mesure, d'un Finkielkraut comme toi."


25 mars : L'ELECTEUR F.N. PLUS MALIN QUE LES VICTIMES DU DISCOURS DOMINANT

Il est indéniable qu'une grande partie de la population se laisse plus ou moins nettement enfumer par le discours des medias dominants. Je suis persuadé que c'est pour beaucoup d'électeurs du Front National un motif de fierté et une raison de se sentir plus malins que tous ces gens : "Nous, électeurs du FN, nous ne sommes pas dupes de toutes ces manipulations et par conséquent nous sommes fort intelligents".

Tout ceci peut sembler paradoxal à qui a déjà eu l'occasion de mesurer l'insondable bêtise des électeurs frontistes. L'explication est pourtant simple. Le citoyen moyen se laisse plus ou moins manipuler par les médias parce qu'il prend connaissance de ce que disent ses medias, parce qu'il comprend tout ou partie de ce discours, parce qu'il constate qu'une partie de ce discours est conforme à la réalité et obéit dans l'ensemble à des règles de cohérence logique, qu'il est en grande partie sérieux et crédible et que le citoyen en question a la faiblesse d'en déduite qu'il peut donc avoir globalement confiance en ce discours. Bref, le citoyen relativement éclairé peut se laisser prendre à la manipulation médiatique parce qu'il comprend en grande partie le discours des medias et parce que ce discours est loin d'être uniformément mensonger.

L'électeur FN au contraire ne comprend que dalle au discours médiatique (si tant est qu'il prenne la peine de s'informer du monde réel qui l'entoure) et, d'une intelligence en réalité (mais qui en a jamais douté à part l'électeur FN lui-même ?) très inférieure à celle du citoyen manipulé dont nous parlions tout à l'heure, il dénonce fièrement le caractère manipulatoire des medias (caractère manipulatoire à mon avis réel, indéniable, même s'il est beaucoup moins massif et moins simpliste que ce qu'en croit l'électeur FN) et il prétend dénoncer les arrières-pensées d'un discours dont il n'est pas même capable de comprendre le sens apparent. Comment sait-il que ce discours est mensonger ? Uniquement parce qu'on (les chefs qui pensent à sa place) le lui a dit. Ce pourrait aussi bien être faux, il le croirait tout de même : il est un peu comme ces fanatiques religieux qui pensent que Darwin n'a raconté que des âneries parce qu'on leur a dit qu'il en était ainsi, mais qui seraient bien incapables de lire et de comprendre le moindre paragraphe de Darwin. Il ne comprend rien à rien mais joue les sceptiques à peu de frais en croyant sur parole les démagogues qui lui disent ce qu'il souhaite entendre.

C'est particulièrement frappant chez les jeunes frontistes, dont la paresse intellectuelle comme la révolte adolescente trouvent leur issue idéale dans cette dénonciation d'un discours médiatique qu'on n'a pas besoin de se donner d'abord la peine de comprendre puisqu'on sait d'avance (le Führer l'a dit) qu'il est mensonger.


9 mars : JUSTIFIER LA REGRESSION ?

Il m'est arrivé (comme Philippe Muray) de vitupérer ces sociologues désoeuvrés et autres abrutis qui se donnent bonne conscience (et bonne presse) en recensant les tares (antisémitisme, homophobie, etc.) de personnages du passé. "J'accuse Emile Zola d'avoir parfois utilisé des stéréotypes antisémites dans ses romans", aurait pu dire l'un de ces crétins si "j'accuse" n'avait risqué de réveiller en lui une étincelle de réflexion. Passons. La question que je me pose concerne le temps présent. Si l'on excuse la vague homophobie d'un Voltaire au nom de la mentalité de l'époque, pourquoi ne devrait-on pas excuser toutes les régressions actuelles (vers ces mêmes préjugés racistes, sexistes ou autres, et vers le crétinisme en général) au nom de la mentalité de notre temps ?

La réponse est contenue dans la question. A partir du moment où il y a régression (et une régression qui n'est pas liée à la disparition pure et simple de la plupart des sources de connaissance, comme dans l'Occident médiéval), il n'y a guère d'excuse à ignorer que les gens étaient globalement un peu moins cons il y a vingt ans (il y a vingt ans, je n'aurais jamais pensé écrire cela un jour, mais je n'aurais jamais cru non plus voir les scores du FN monter si haut). Et l'excuse tient d'autant moins que nous vivons dans une société où l'éducation et l'information sont accessibles à tous.

Certes, on peut ensuite discuter des responsabilités respectives dans cette évolution, estimer que les nouvelles générations sont moins responsables de cette régression que les médias abrutissants et l'école pédagogiste qui ne font plus vraiment leur travail. Mais ces nuances n'enlèvent rien au fait que toutes ces régressions sont injustifiables.


8 mars : BEAUTES DE LA CHANSON ANGLOPHONE

C'est sans raison et sans ironie cette fois que je consigne ici cette courte liste de chansons formidables (parmi d'autres, évidemment, mais pas si nombreuses, au fond) :

- Fotheringay, par Sandy Denny

- I Saved the World Today, Eurythmics

- Out of Time, Rolling Stones

- Lazy Bones, Green day

Fragiles remèdes au spleen engendré par le monde ambiant.


5 mars : BEAUTES DE LA GRANDE GUERRE

Antoine Compagnon consacre cette année son cours aux écrivains dans la Grande Guerre. Les citations qui suivent en sont tirées.

Montherlant, enthousiaste, écrit dans le Songe : "La guerre existera toujours, parce qu'il y aura toujours des garçons de vingt ans pour la faire naître, à force d'amour." Il explique également que son héros est très heureux à la guerre : "Pourtant, sous ses joies vivait un regret, celui de n'avoir pas tué. Quoi ! Cette occasion de la guerre passerait donc en vain !"

En réalité, à en croire les lettres écrites à sa grand-mère, Montherlant est parti au front tardivement et par opportunisme, sentant qu'il serait en quelque sorte "exclu" socialement s'il n'y participait pas. Il écrit qu'il rêve de recevoir au plus vite une "bonne blessure" qui lui permette à la fois d'obtenir une décoration et de quitter le front, blessure qu'il recevra en effet très rapidement, grâce à un éclat d'obus dans le dos, non pas au combat mais durant un exercice. Réponse de la grand-mère ("aussi cynique que lui", précise Antoine Compagnon) : "Tu auras toujours la satisfaction de prouver que tu as été blessé avant un mois au front et cela bouchera un coin aux salauds qui t'ont traité d'embusqué". Ne risquant plus rien de la guerre, Montherlant se met alors dans ses lettres à en faire le même éloge, digne d'un forcené, que dans ses écrits destinés à la publication : "Je reviendrai de la guerre un vrai requin, un vampire, un épervier formidable d'égoïsme, sans plus un seul scrupule. Mais mon grand regret sera de n'avoir pas démoli quelqu'un, boche ou français, peu importe." (*)

Chez Barbusse, entendant rapporter les propos de quelqu'un qui, à l'arrière, parlait des attaques en disant "ça doit être beau à voir", un soldat s'exclame : "Beau ? Ah merde alors ! C'est tout à fait comme si une vache disait : ça doit être beau à voir, à la Villette, ces multitudes de boeufs qu'on pousse en avant !"

(*) : Adèle Van Reeth, philosophe radiophonique branchouille, disciple d'Enthoven le Velouté, présentait le lundi 24 mars une émission intitulée "Osons le cynisme : la provocation de Montherlant, Nimier et Drieu la Rochelle". Il n'y manquait guère que les pamphlets de Céline et le recueil des meilleurs calembours de Jean-Marie Le Pen, eux aussi joyeusement "cyniques" et sainement "provocateurs".


25 février : BEAUTES DU THATCHERISME

Je découvre Testament à l'anglaise (What a Carve Up !), l'excellent roman satirique de Jonathan Coe sur les années Thatcher. Le triomphe de tant de personnages répugnants a de quoi déprimer, mais l'humour de Coe aide à faire passer la chose, un peu comme celui de Rambaud l'a fait pour nous en direct durant les années Sarkozy.

L'ignoble Hilary Winshaw et ses chroniques démago-poujadistes, qui contribue si bien à faire "évoluer les mentalités", déclare en virant le producteur télé de gauche qui l'a fait débuter : "Les barbares ne sont plus à la porte, Alan. Malheureusement, vous avez laissé la porte grande ouverte. Nous sommes donc entrés, et maintenant nous avons les meilleurs sièges et nous pouvons poser nos pieds sur la table. Et nous avons l'intention de rester ici longtemps, très longtemps."

Henry Winshaw, d'abord travailliste par simple opportunisme, puis devenu soutien des conservateurs, n'est pas sans rappeler sur ce point nos judas locaux, du genre Claude Allègre. Coe écrit d'ailleurs qu'il ne cessait "d'apparaître dans les débats télévisés, où il profitait pleinement de son indépendance envers les partis pour se rallier servilement à n'importe quelle orientation politique cynique que le gouvernement décidait d'adopter."

Au même Henry, encore étudiant, son oncle Lawrence Winshaw affirmait en 1948 que, "pour le moment, tout le monde était beaucoup trop à gauche, par réaction contre Hitler."


23 février : BEAUTES DE LA FOI

Parmi les nombreux hurluberlus que compte le courant gnostique (hurluberlus comparés aux chrétiens qui pensent par exemple que leur dieu se transforme en pain), citons les euchites, ou messaliens, qui prétendaient voir les démons et sautaient de tous côtés pour les écraser. Cette approche de la spiritualité annonçait déjà les activités de Gilbert Bourdin et de ses disciples, tirant des pétards sur les lémuriens venus des Enfers de Mars pour détruire le Bouclier de la Terre.


1° février : BEAUTES DE LA LANGUE : "ETRE SUR DU ..."

Dans Science-Culture du 24 janvier dernier, à propos des ambiances sonores dans les magasins, Michel Alberganti demande à un type qui s'occupe de les concevoir avec quels responsables du magasin concerné il est en rapport pour cela :

- Là, on était directement en lien avec l'agence en charge du site web de ce magasin. Après, quand on est sur du point de vente, on peut très bien être sur du directeur de réseau, du directeur de communication, du responsable marketing.


28 janvier : HOMME vs ANIMAUX, RELATIVITE ET VANITE DE TOUTES CHOSES

Hormis les accros au sens littéral de leurs textes "sacrés", il est aujourd'hui évident pour toute personne sensée que l'homme est un animal. Mais un animal doté de caractéristiques (intelligence supérieure, conscience, etc.) qui en font une réussite admirable de l'évolution : c'est par exemple plus ou moins ainsi que Desmond Morris formule les choses.

J'en resterai d'ailleurs au même point de vue et je ne tiens pas à sombrer dans les excès consistant à régler des droits égaux pour les animaux. Cependant, nous établissons notre "supériorité" sur le fait que nous ayons un cerveau bien plus évolué que celui des autres animaux : mais en quoi ce critère est-il plus valable qu'un autre ? Si tant est qu'il puisse évaluer les choses, un scolopendre ne se sent-il pas comme nous supérieur à toutes les autres espèces par le nombre supérieur de ses pattes, ou certains requins par le nombre et l'efficacité de leurs dents ?


23 janvier : FRINGANT PISSE-FROID

Le dernier album des Cowboys Fringants, Que du vent, semble inspiré par notre philosophe national du samedi matin, le pétulant Alain Finkielkraut :

Ca déplore le cynisme ambiant

A l'égard des politiciens

Mais ça parle un peu moins souvent

De leur mépris du citoyen.


4 janvier 2014 : ENGAGEMENT

La découverte fortuitement conjointe de deux films des années soixante, Chronique d'un été de Jean Rouch et Masculin Féminin de Godard (d'ailleurs un des rares films de Godard que j'aie réellement apprécié, pour l'interprétation de Léaud, pour l'humour du film, pour le choc des discours), m'a conduit à mieux prendre la mesure du contexte historique dans la formation intellectuelle et politique. Pour ceux qui sont nés dans une France pacifiée (et en attendant quelque guerre civile née de la renaissance du fascisme), il est difficile de se représenter ce qu'était l'époque de ces films pour une jeunesse encore vouée à la guerre, celle d'Algérie en l'occurence. Savoir qu'on allait presque inévitablement se trouver embarqué dans cette sinistre affaire créait certainement une tension qui explique la force des engagements à cette époque, dans un camp comme dans l'autre. Et c'était évidemment bien plus vrai encore dans les années 40 !

Respecter et comprendre les difficultés de l'époque, avoir conscience de la relative facilité au sein de laquelle nous nous sommes construits par rapport aux générations précédentes, tout cela est souhaitable, mais la médaille a son revers et les engagements forts ne sont pas exempts d'erreurs et d'errances, d'autant plus catastrophiques justement que les engagements sont forts. Profitons de la chance qui fait que, sans pression excessive (pour l'instant ?) de la part des événements, nous pouvons raisonner librement, de manière aussi objective, aussi intemporelle que possible, à partir de valeurs et non dans la tourmente.

Evidemment, au raisonnement objectif comme à l'engagement passionné, on peut opposer le calcul d'intérêts. Celui-ci est de tous les temps.

 


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