Depuis les présidentielles de 2002, on assiste à un phénomène nouveau. Certaines catégories socio-professionnelles (ou du moins une certaine fraction de ces catégories), estimant que telle mesure gouvernementale atteint leurs intérêts (par exemple, les buralistes, que la hausse dissuasive du prix du tabac empêche de continuer à empoisonner leurs concitoyens avec autant d'intensité et de profit qu'auparavant) ou que leurs revendications n'ont pas été satisfaites (par exemple, les restaurateurs réclamant une baisse de la TVA dans leur secteur d'activité), ces catégories, donc, utilisent une forme nouvelle de pression qui consiste à menacer, s'ils ne sont pas entendus et obéis illico presto, de sanctionner le gouvernement en reportant leur vote « aux extrêmes ».

On appréciera au passage le doux euphémisme que constitue ce pluriel qui ne trompe personne : « les » extrêmes, c'est évidemment l'extrême-droite. On les imagine assez mal voter Besancenot.

Que la France ait frôlé le fascisme, qu'elle ait en tous cas connu le déshonneur de voir un candidat d'extrême-droite accéder au second tour des élections présidentielles, et cela au III° millénaire, cela ne fait visiblement pas le même effet à tout le monde. Certains, loin de mesurer la catastrophe évitée (au profit d'un autre fléau, certes, mais un fléau qui reste démocratiquement éjectable à la prochaine occasion) et de s'inquiéter de l'avenir, jouent avec le feu et menacent de le rallumer si on les embête. Un tel sens des responsabilités impressionne et l'on est soulagé à la pensée que les buralistes ne disposent pas de bombes atomiques pour si on les agace.

Cette insouciance face au danger avec lequel s'amusent ces gens nous amène à en déduire (mais nous l'avions déjà deviné) que ceux qui menacent sans états d'âme de voter « aux extrêmes » sont des gens qui votent DEJA Front National. Menteurs et tricheurs en plus d'être poujadistes !

En conséquence de quoi, il est particulièrement stupide d'accorder satisfaction (ce que fait systématiquement le gouvernement) à des gens qui feront de toutes façons ce qu'ils menacent de faire.

Il serait infiniment plus judicieux de compter les troupes en demandant aux buralistes, restaurateurs et autres qui sont prêts à voter « aux extrêmes » d'apposer une petite affichette sur leur devanture, ainsi libellée par exemple, au-dessus d'une flamme tricolore en pointillés :

Cela permettra au moins de savoir où nous foutons les pieds lorsque nous allons faire provision de graisses et de goudrons.