Force est de constater que, depuis l'album Kama Sutra, Michel Polnareff n'a plus produit grand chose, en quantité comme en qualité.
J'ai eu le relatif plaisir de le voir en concert durant sa tournée française 2007. Plaisir relatif car, si le show est parfaitement en place, si la voix et la présence scénique de Polnareff demeurent impeccables, je n'ai pu m'empêcher de trouver que tout cela manquait un peu d'âme et d'humanité, comme si Polnareff n'était plus que l'interprète (doué) d'un artiste qui avait cessé d'exister.
Un des éléments les plus décevants est la manière dont il reprend désormais (déjà dans l'album Live at the Roxy) la chanson Je suis un homme, à l'origine un petit chef-d'oeuvre d'humour et d'ambiguïté. La version originale, provocatrice et rendue ambiguë par une diction délibérement efféminée, "Les gens qui me voient / Passer dans la rue / Me traitent de pédé / Mais les femmes qui le croient / N'ont qu'à m'essayer" est désormais devenue, et sans plus la moindre ambiguïté d'intonation, "Les gens qui m'voyaient / Passer dans la rue / Me traitaient de pédé / Mais les femmes qui le croyaient / M'ont depuis essayé." L'ambiguïté et la provocation ne sont plus assumées, on tombe dans une espèce de cliché beauf, et voilà. Je passe sur le fait que Polnareff, lorsqu'il en vient sur scène à "Ni d'un expert / Pour constater / Qu'elles sont en nombre pair", juge bien inspiré de se toucher les roubignoles (pour ceux qui n'auraient pas compris le texte).
Mettant aujourd'hui le comble à cette dérive, Polnareff a accepté d'animer le bal du 14 juillet du régime sarkozyste, sans doute contre quelque promesse de résolution de ses vieux problèmes avec le fisc.
Je n'ai pas envie d'être trop dur, même si cette évolution m'écoeure un peu.
Polnareff a cessé d'être un artiste créatif après le succès de son opération des yeux. Il y avait au départ chez lui une fragilité ; même dans la période "culturisme californien", la fragilité restait présente, nourrissant la création musicale, et elle revenait de plus belle dans les textes de Kama Sutra, juste avant l'opération.
On ne peut que se réjouir pour l'homme Polnareff qu'il soit désormais beaucoup plus heureux et épanoui. Quelqu'un qui a déjà une telle production derrière lui peut se permettre de ne plus être créatif. Polnareff a déjà donné, beaucoup donné. On ne peut pas lui reprocher de vivre désormais et de ne plus être créatif.
L'artiste Polnareff est mort. Michel Polnareff n'est désormais plus qu'un homme : quoi de plus naturel en somme ?
On peut juste déplorer que l'homme en question soit un beauf caractériel qui adresse des menaces de mort à un ancien attaché de presse et qui s'abaisse à servir Sarkozy.
Cet événement me rend schizophrène.
Pour :
- la musique de Polnareff reste irrésistible.
- le concert face à la Tour Eiffel a de la gueule.
Contre :
- Polnareff a vieilli : après avoir montré son cul et chanté "L'amour avec toi", il se laisse instrumentaliser par Sarkozy, l'homme qui prétend, entre autres, liquider l'héritage de mai 68 (bon, là j'exagère, Polnareff n'a jamais été un théoricien soixante-huitard, mais quand même ...)
- Polnareff a vieilli : sa voix est un peu merdique sur les premiers titres.
- Polnareff a vieilli : il ressemble à Sardou qui aurait mis une perruque pour une soirée queer.
Bilan : bon, on ne connaît pas ses motivations, ça reste un excellent musicien, ne lui en demandons pas plus et ne lui jetons pas la pierre, enfin pas trop fort.
Il conclut son concert en remerciant Sarkozy, mais d'une façon qui me laisse assez perplexe : "Dans notre métier, on ne dit pas bonne chance, on dit merde : alors, Monsieur le Président, je vous dis merde." Chacun peut le comprendre comme il le veut, finalement.
Il paraît qu'un nouvel album est en préparation. J'espère sincèrement m'être trompé dans mon diagnostic.
Le 14 juillet reste une affaire douteuse, mais on doit peut-être avoir l'indulgence de mettre cela sur le compte du sens de la communication de Sarkozy (qui a préféré choisir des musiciens fédérateurs et moins marqués politiquement que son pote Johnny) plutôt que d'en accuser Polnareff, qui pouvait sans doute difficilement refuser une aussi belle proposition.
Et puis surtout, malgré la tentation du boycott, je n'ai pas cessé le moins du monde d'écouter Polnareff malgré cette affaire, tout simplement parce que c'est vraiment un musicien formidable. On continue bien à lire et admirer Céline malgré son comportement durant l'Occupation. Certes, Polnareff n'a pas le génie littéraire de Céline, mais d'un autre côté sa compromission est nettement moins grave, alors bon, pardonnons à Polnareff.