Sous l'effet de notre propre ignorance dans le domaine concerné ou sous l'effet de la fermeté avec laquelle le premier crétin venu pose parfois ses élucubrations en évidences, la tentation est parfois forte de prendre pour argent comptant toute déclaration qui nous est servie (en particulier lorsqu'elle semble également servir nos propres intérêts).
Posons donc, même s'il ne suffit pas de l'affirmer pour que cela soit démontré, qu'affirmation n'est pas raison et qu'il ne suffit pas de poser quelque chose comme vrai pour que ce quelque chose soit démontré.
Une affirmation, en d'autres termes ce que je dis de quelque chose (le prédicat de mon sujet, pour causer comme tout le monde), n'est a priori que l'opinion plus ou moins valable et plus ou moins honnête que je me suis formé de cette chose à partir de ce que j'en sais. En tant que récepteur d'une affirmation, il m'appartient donc avant tout :
- de me demander ce que celui qui émet cette affirmation sait du sujet dont il parle (en général, la réponse est "rien") et si cette connaissance qu'il en a lui suffit à émettre un avis sérieux.
- dans le cas où l'émetteur connaît plutôt bien son sujet, de me demander si l'opinion émise est en cohérence avec les faits connus et surtout s'il est capable de la démontrer (ce que je suis en droit de lui demander).
Tout ceci étant un peu abstrait, nous allons prendre un exemple concret, mais alors vraiment bien concret, très très concret, on peut pas plus concret, un des exemples les plus foutrement concrets qui soient. Imaginons donc que quelqu'un pose l'affirmation suivante : "Florent Pagny est un con chantant".
Nous ne nous attarderons pas sur "chantant", étant entendu que Florent Pagny chante en effet (bien ou mal, ce n'est pas le fond du débat).
Mais peut-on affirmer que Florent Pagny est un con ?
Il me semble tout d'abord que ne pas connaître personnellement Florent Pagny est certes un immense bonheur, mais également un facteur handicapant pour pouvoir se prononcer sur son hypothétique connerie. Je ne peux guère me fonder que sur les déclarations publiques de cet individu, en particulier celles concernant sa liberté de penser face à l'ISF. Je devrais donc plutôt dire : "Lorsqu'il fait ce genre de déclarations, Florent Pagny est vraiment con" ou "a vraiment l'air d'un con", ou éventuellement "joue au con" mais c'est plus douteux.
Reste à démontrer que ces propos (à défaut de Florent Pagny lui-même et de manière absolue) sont cons.
On examinera d'abord la position de Pagny au sujet du fisc, ce que Gad Elmaleh appellerait son "avis d'imposition", position qui dénote une absence totale de réflexion sur l'intérêt collectif, une incapacité à raisonner au-delà de son propre cas et de son propre intérêt. Passons : nous ne sommes pas là pour donner des leçons de civisme. Libre à chacun de raisonner égoïstement : ce qui est con, c'est de le dire publiquement, en croyant que tout le monde va être d'accord avec nous sur le fait que nous, Florent Pagny, payons trop d'impôts, et de croire de surcroît que tout le monde va se précipiter pour acheter l'album dans lequel nous geignons sur notre sort d'assujetti à l'ISF. Ceci dit, ce n'est pas si con que ça puisqu'il a vendu son disque et trouvé des cons pour le plaindre. D'où il ressort bien après analyse, que notre affirmation de départ était erronée et que le plus con n'est pas du tout Florent Pagny mais ceux qui ont acheté son disque (nous excepterons bien sûr d'un tel jugement les mélomanes avertis qui n'ont acheté ce disque que pour des raisons purement esthétiques).
D'autre part, on pourra souligner à quel point il est ridicule de se poser en rebelle et en victime, de mettre en avant une atteinte intolérable à une liberté de pensée dont on n'a pas soi-même l'usage, lorsque dans le monde des gens sont emprisonnés ou mis à mort pour avoir osé exercer ladite liberté de pensée. D'où il ressort bien après analyse, que notre affirmation de départ était erronée et que Florent Pagny n'est pas aussi con qu'il est grotesque.
Tout ceci montre bien à quel point la moindre affirmation mérite d'être vérifiée, pesée et nuancée.