1. Ne jamais accepter aucune affirmation sans en avoir au préalable examiné la validité.
A notre époque où un savoir encyclopédique devient difficilement envisageable, je ne peux vérifier toutes les informations qui me parviennent. Je peux me contenter de faire confiance aux spécialistes dans des domaines extrêmement pointus qui n'ont pas d'impact sur mon existence, par exemple la connaissance des dinosaures. Un minimum de culture générale associé à une réflexion rigoureuse peut cependant m'éviter de gober n'importe quoi, même en matière d'oeufs de dinosaures.
2. Ne jamais accepter aucune information sans l'avoir parfaitement comprise.
Comme je ne peux tenir pour vraie une démonstration que je n'ai pas comprise, je m'abstiendrai de juger de sa validité tant que je ne l'aurai pas comprise. L'incompréhension peut résulter de trois causes :
A - c'est moi qui suis trop con pour comprendre (auquel cas je peux essayer de m'améliorer)
B - la communication a été imparfaite (malentendus, imprécisions, confusions) : dans ce cas, un dialogue honnête devrait permettre de résoudre le problème.
C - l'autre essaie de m'enfumer : soit parce qu'il me ment sciemment, soit par simple besoin d'épater la galerie en se faisant passer pour plus intelligent que tout le monde. Rappelons à cette occasion qu'Umberto Eco expliquait ainsi l'obscurité de ses premiers ouvrages critiques, contrastant avec la limpidité des plus récents (je cite de mémoire, de façon non-littérale) : "J'avais besoin de me faire un nom et donc d'impressionner les gens en étant incompréhensible. Aujourd'hui, je suis connu, je peux me permettre le luxe d'être clair."
ATTENTION : il est évidemment tentant de choisir en toutes circonstances l'explication C plutôt que l'explication A. Rappelons donc également ici que reporter systématiquement la faute sur autrui ne favorise guère notre évolution personnelle (qui doit pourtant être notre priorité, bien plus que le plaisir niais d'avoir le dernier mot) et que l'explication C ne doit être envisagée que lorsque A et B n'ont rien donné malgré notre bonne volonté.
3. Distinguer clairement ce qui est démontré, ce qui est simplement probable et ce qui est incertain.
Le théorème de Pythagore est démontrable ; l'existence d'un dieu est parfaitement incertaine, indémontrable dans l'état actuel des choses et n'est donc qu'une affaire de foi et je n'ai pas à ériger mes croyances en vérités incontestables. J'ai donc le droit de brûler quelqu'un s'il refuse de croire au théorème de Pythagore, mais pas s'il refuse de croire à l'existence de Dieu.
4. Toujours se demander si celui qui parle a intérêt à ce que j'adhère à ses propos et pourquoi.
Voir le point C de la règle n° 2, concernant l'enfumage. Une méfiance quasi-paranoïaque est de mise dans de nombreux domaines. Lorsqu'un savant, même Prix Nobel, m'assure que les OGM ou le nucléaire ne sont pas dangereux, je me demande d'abord pour quelle somme minimale un Prix Nobel accepte de prostituer la vérité scientifique à une multinationale. Si je suis capable de comprendre ses arguments de spécialiste, je les examine, ainsi que ceux de ses adversaires. Si j'en suis incapable (ce qui risque fort d'être le cas, sans quoi je serais Prix Nobel à sa place, y a pas de raison), je me range au principe de précaution.
5. Respecter autant que possible dans ma réflexion les règles élémentaires de la logique.
Entre autres, le principe de non-contradiction qui fait que je ne peux affirmer simultanément une chose et son contraire, que le petit chat est mort et qu'il est en même temps vivant. En revanche, un petit chat peut être à la fois blanc et noir, il n'y a pas contradiction. Il peut être noir ET blanc, mais attention, il ne peut être en même temps totalement noir et totalement blanc. Oui, je sais, c'est compliqué, mais les chats sont des êtres mystérieux, c'est comme ça.
Exemple :
Chat Noir - Notre économie, devenue grâce au machinisme capable de se passer de plus en plus de la main-d'oeuvre et plaçant, selon sa logique libérale, le profit d'une minorité avant la justice sociale, génère du chômage depuis des dizaines d'années. A moins d'une régression scientifique et technique brutale suite à quelque cataclysme ou d'une chute colossale de la population, il n'y a aucune raison pour que le plein emploi revienne un jour.
Chat Blanc - D'autre part, on m'affirme depuis quelques années qu'une baisse de la démographie française va rendre nécessaire une réforme du système des retraites, car il y aura de plus en plus de vieux parasites et de moins en moins de jeunes pour payer leurs retraites.
Chat Noir ET Blanc ? - Ces deux problèmes sont toujours soigneusement dissociés dans le discours des medias et des politiciens, quoiqu'ils concernent finalement tous deux le domaine du travail. On attend de moi que je me contente de prendre pour argent comptant le discours alarmiste sur le problème des retraites. Pourtant, si j'envoie chier les fourgueurs de contre-vérités et si je relie ces éléments avec un tout petit peu de logique et de bon sens, je m'avise d'une chose, qui est celle-ci : même s'il y avait plus de jeunes dans l'avenir, nous n'aurions pas de boulot à leur donner. Non seulement ils ne cotiseraient pas pour payer les retraites, mais il faudrait en outre assurer la subsistance de ces chômeurs supplémentaires. J'en conclus donc qu'on se fout de ma gueule et que s'il y a bel et bien un problème des retraites, il n'a rien à voir avec la diminution de la population active, mais simplement avec l'allongement de la durée de vie, et qu'il ne peut être réglé QUE par une répartition plus juste des richesses et en particulier des profits.
6. Envisager le problème étudié de façon aussi objective que possible.
L'objectivité totale est impossible, mais cette triste réalité ne doit pas nous servir d'excuse pour nous vautrer sans retenue dans la subjectivité la plus débridée. Celle-ci est acceptable en ce qui concerne les goûts et les couleurs (qui, comme chacun sait, "ne se discutent pas"), encore que l'objectivité y ait sa place : une personne a le droit de ne pas aimer Bach et de le dire, mais elle n'a pas celui de nier à Bach la moindre qualité musicale sous prétexte qu'elle ne perçoit pas cette qualité. Elle pourrait en revanche démontrer rigoureusement, par des arguments, l'absence de valeur d'un compositeur, à la limite, mais en tous cas, pas de Bach.
Mais il est des tas d'autres domaines où je me dois de résister à la tentation de la subjectivité, en jugeant des choses d'un point de vue différent du mien, celui d'une autre personne ou, idéalement, d'un point de vue totalement neutre (ce qui est tout de même le principe de l'objectivité, mais bon, adopter le point de vue d'autrui est déjà un premier pas intéressant). Le piège le plus courant est évidemment d'affirmer qu'on est objectif alors qu'on ne fait qu'un vague effort, très insuffisant pour sortir réellement de la subjectivité.
7. En matière de morale, raisonner en déclinant ce principe de base : "la liberté de chacun s'arrête là où commence celle des autres".
En d'autres termes, privilégier les solutions qui concilient au mieux les intérêts individuels et l'intérêt général. Il ne s'agit certainement pas de se sacrifier au groupe, mais il ne s'agit pas non plus de lui faire subir nos fantaisies. La capacité de se mettre provisoirement à la place des autres mérite d'être développée en chacun.
8. S'en tenir à la plus stricte honnêteté intellectuelle.
Ca peut paraître évident, presque insultant, mais il est bon de le rappeler malgré tout. On peut avoir tendance parfois à se laisser aller à la mauvaise foi pour le simple plaisir d'avoir raison (je ne parle évidemment pas de la mauvaise foi affichée comme telle qui est délectation, en particulier pour agacer les sales cons). Sans parler de la tentation de se mentir à soi-même lorsqu'une vérité nous dérange. Soit une chose est indéniablement vraie et je dois l'accepter, soit elle est fausse et si je veux vraiment m'en assurer (et me rassurer), charge à moi de le prouver. Il est important de cesser de considérer la réflexion comme un combat d'individus, un moyen de s'imposer en imposant son discours. Tout cela est grotesque : soit je me rapproche davantage de la vérité que mon "adversaire", soit ce n'est pas le cas. A quoi me sert de réussir à convaincre les autres que c'est moi qui ai raison si tel n'est pas réellement le cas ? Laissons ces jeux stériles aux enfants et aux hommes politiques !
Ne croyez pas vous en tirer avec ces 8 règles seulement : je suis sûr qu'il y en a d'autres, et je ne manquerai pas de compléter la liste si je les trouve (vos suggestions sont les bienvenues).