INTRO

« Le sot projet qu'il eut de nous apprendre à mieux penser »

 

Le projet d'apprendre à ses contemporains à mieux penser peut paraître passablement prétentieux et arrogant, voire provocateur, du moins dans cette formulation un peu abrupte. Est-il nécessaire d'expliquer pourquoi il n'en est rien ?

Disons simplement, pour faire bref :

- que je n'ai nullement la prétention de penser mieux que les autres (cela dépend évidemment de quels autres nous parlons, mais même ici nous aurions à poser le problème de la relativité : en tant qu'individu ouvert, relativement informé, soucieux de valeurs humanistes, je pense a priori mieux qu'un électeur FN sur bien des points, mais on ne peut exclure que tel électeur FN pense mieux que moi dans un domaine bien précis, qu'il manie par exemple la logique propre au jeu d'échecs (il doit bien y avoir quelques électeurs du FN qui jouent aux échecs, non ?) mieux que moi qui n'y joue pas, tant il est vrai qu' « on est toujours le con de quelqu'un », comme disait Frédéric Dard).

- que ce « kit de survie » propose simplement de rassembler et rappeler quelques principes utiles pour mieux penser, ainsi que quelques applications sur différents sujets. Ces principes, nous avons tous tendance à les oublier dans le feu de l'action, même lorsque nous les connaissons parfaitement, sous le coup des circonstances, de nos émotions, de nos sentiments, et surtout évidemment de nos intérêts. Je me fixe ici pour objectif de rappeler quelques uns de ces principes, et surtout de rappeler qu'ils doivent absolument primer sur toute autre considération si nous voulons pouvoir prétendre à une pensée « juste ».

Il s'agit donc seulement (mais c'est déjà beaucoup par les temps qui courent) d'essayer de fixer au clair quelques principes de base pour ne pas se laisser manipuler et penser aussi objectivement que possible, en contredisant au passage quelques idées reçues (enfin, à mon avis : c'est à vous d'en juger, c'est le principe même de la pensée autonome), afin d'être un peu mieux armé pour affronter les arguments de nos adversaires (et de ceux qui les croient en toute bonne foi). Recevez par avance toutes mes excuses si la plupart de ces rappels vous semblent insultants : je sais que vous le savez déjà, mais il s'agit aussi de s'en souvenir dans le besoin (et également de transmettre certains principes à ceux qui n'ont pas la bonne fortune de les avoir à l'esprit).

 

Ceci n'est pas un cours de logique ou de philosophie.

Je ne suis absolument pas qualifié pour cela et je renvoie les personnes désireuses de recevoir un tel enseignement à la Logique d'Aristote et à toutes les grandes références de la pensée, de Platon à Luke Ferry.

Je ne me suis donné d'autre fin que de créer ce qui n'existait pas encore : un kit de survie pour ces temps troublés, un petit guide qui fournisse ou rappelle quelques outils fondamentaux. Aussi, lecteur, ce n'est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain. Adieu donc.

 

La nécessité d'un tel kit de survie me semble urgente :

- parce que nous vivons une époque où nous pouvons à tout instant basculer dans le cauchemar (en admettant que nous n'y soyons pas déjà).

- parce que la pensée est à mon avis le seul moyen de trouver de véritables solutions.

- parce qu'une vaste opération (délibérée ou non, peu importe) d'abrutissement sape de plus en plus notre aptitude à penser de manière à la fois autonome et rigoureuse, grâce aux medias mais aussi par la destruction progressive de l'école en tant qu'instrument de diffusion du savoir et de la réflexion.

Il est effrayant d'entendre autant de gens qui ne pensent pas (et qui en général affirment en être fiers pour se donner une contenance) ou qui pensent ce qu'on leur dit de penser, ce qui revient au même. Entre les deux tours des présidentielles de 2002, j'ai été rassuré par l'ampleur des manifestations d'opposition au Front National, mais terrifié par l'absence totale d'arguments chez certains manifestants interrogés par des journalistes. Quasiment lobotomisés par la pensée unique, le prêt-à-penser taille unique, on se bat contre le FN parce que c'est « mal » : pourquoi est-ce mal ? parce qu'on nous a appris que c'était mal et basta ! Il ne s'agit pas de jeter la pierre à ces personnes, mais de se rendre compte du danger d'une éducation négligeant la réflexion et reposant quasi-exclusivement sur des dogmes, fussent-ils antifascistes : une personne qui sait très exactement pourquoi elle s'oppose à l'extrême-droite risque assez peu de changer d'avis, tandis qu'une personne qui n'a pas été formée à penser par elle-même risque de passer au FN à la première déception face aux partis « démocratiques ». Et comme de telles déceptions sont apparemment inévitables ...

 

Pourquoi je me décide à rédiger ce kit ?

Comme je l'ai dit, je ne suis ni logicien ni philosophe, bref je ne suis pas particulièrement qualifié pour ce travail : mais il faut bien que quelqu'un s'y mette. Si ce n'est que moi, ce sera toujours mieux que rien ou (pire que rien) mieux que Luke Ferry (totalement disqualifié désormais, s'il en était besoin, aussi bien en tant que ministre qu'en qualité de « philosophe »).

En outre, je ne suis ni engagé, ni militant d'aucun parti, syndicat ou autre. Je n'en nie absolument pas l'intérêt mais je suis trop individualiste pour me plier aux contraintes d'un mouvement organisé et trop sceptique pour croire qu'une quelconque chapelle détient la Vérité.

(11/08/2003)


INTRO 2015

 

... "parce que nous vivons une époque où nous pouvons à tout instant basculer dans le cauchemar (en admettant que nous n'y soyons pas déjà)"

J'ignore si nous y étions déjà en 2003, mais je sais aujourd'hui que les cauchemars de l'époque avaient un certaine charme comparés à l'abjection quasi-universelle d'aujourd'hui. Force est de constater que l'Humanité n'a ABSOLUMENT PAS pris la peine de consulter les judicieux conseils à Elle gracieusement fournis par ce kit de survie. Hormis les électeurs grecs de Syriza, tout le monde fait des trucs de plus en plus inadéquats, pour ne pas dire de plus en plus cons.

Les individus supposés nous aider à réfléchir, mûs plus ou moins consciemment par des intérêts de groupe ou des a priori idéologiques, obscurcissent le débat au lieu de l'éclairer. C'est ainsi, par exemple, que nous avons des AlainFinkielkrauts (par exemple) qui trouvent que les puissants sont excusables et que condamner leurs crimes et délits relève d'un détestable ressentiment, et des SylvainBourmeaux (par exemple) qui trouvent que tout ce qui est commis par des "opprimés" est excusable.

Face à cela, je maintiens qu'au lieu de plier la réalité à la façon dont nous souhaitons l'interpréter, il faut s'établir des critères de jugement aussi objectifs que possible, indépendamment de toute subjectivité, de tout intérêt personnel, et, seulement ensuite, appliquer aux événements la grille de lecture ainsi construite. Le présent kit de survie n'est pas censé fournir ladite grille de lecture (il revient à chacun de se la construire au mieux en son âme et conscience), mais quelques principes de construction. Cela dit, je doute que de multiples tentatives individuelles pour élaborer une telle grille selon des critères fiables, sains et raisonnables fournisse des résultats extrêmement divers, originaux et inconciliables. C'est d'ailleurs le principal défaut d'un tel kit : il ne permet pas de briller en société par des saillies inédites, comme aime à en produire le philosophe (sic) Raphaël Enthoven en soutenant par exemple que le chanteur Renaud incarne le summum du snobisme. Non, un tel kit permet uniquement d'essayer de penser et de dire le moins de conneries possible et d'avancer laborieusement à contre-courant de la barbarie qui nous submerge.

Bref ... Le combat est plus nécessaire que jamais. Quelque peu écoeuré par la pente aussi fatale qu'absurde où je vois le monde glisser toujours plus allègrement, je n'aurais sans doute plus aujourd'hui l'énergie de réaliser le moindre kit, et encore moins de me retaper la lecture de la Logique de Port-Royal. Mais peu importe, puisque tout est là, plus que jamais d'actualité, hélas ! Il n'y aurait qu'à remplacer certains exemples de la décennie précédente par de plus récents, mais chacun trouvera lui-même sans difficulté des exemples ultra-contemporains d'horreur, de stupidité, d'horrible stupidité et d'horreur stupide.

Depuis 2003, il y a eu dans le même sens quelques tentatives plus ambitieuses, plus complètes (et plus diffusées !), comme le Petit Cours d'autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon. Mais enfin, les tentatives sont complémentaires et malheureusement pas si nombreuses. Cela vaut toujours mieux que rien ou (ce qui est pire que rien) mieux qu'un kit de survie élaboré par Raphaël Enthoven.


 

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