LES SECRETS DU FANTOMAS CODE

 (zone en friche)


1) Dieu est Fantômas

2) Structures narratives bibliques et mythologiques

3) Caractéristiques divines

4) Une toute-puissance approximative

5) Le dieu mauvais

6) La création littéraire d'une figure divine

 


"Fantômas, qui êtes aux Cieux ..." (Ernest Moerman )

 

1) Dieu est Fantômas

La Paranoïa universelle : et si Dieu n'était autre que ...

Aspect esthétique : la perfection dans le Mal.

Aspect religieux : cette perfection fait de Fantomas une divinité.

Mouvement logique du Nouveau à l’Ancien Testament : l’association Fantômas = Christ dérive directement de l’inversion satanique. Mais il y a aussi, au contraire, des correspondances beaucoup plus complexes en faisant intervenir Dieu : il ne s’agit plus d’une simple et sacrilège « Imitation de Jésus-Christ », mais d’une remise en cause des limites entre Bien et Mal, et de la véritable nature de Dieu.

Si Fantômas est Dieu, alors la série des aventures de Fantômas constitue une suite logique après l’Ancien et le Nouveau Testament : le dernier volume de ses divines (et imaginaires ?) aventures.

Une divinité un peu comique (canularesque) parce qu’elle est connue comme imaginaire et que ses livres sacrés sont des romans populaires à 65 centimes (à propos de texte sacré, cf. le début du Rour dans la préface de Lacassin) mais qui demeure malgré tout terrifiante.


2) Structures narratives bibliques et mythologiques

On pourrait diviser l’étude, du moins au départ, en fonction des épisodes bibliques, selon leur chronologie, ou plutôt selon l’intérêt respectif des interprétations qui en découlent.

Préciser que l’on met bien entendu l’accent sur les épisodes les plus connus, ceux qui peuvent marquer la mémoire. Dans une éducation chrétienne, qui plus est catholique, axée avant tout sur les Evangiles, les épisodes marquants de l’Ancien Testament sont limités : Genèse surtout, sacrifice d’Abraham, David, Salomon,... Mais bon, pas d’a priori ! la culture religieuse était tout de même plus vaste à l’époque et puis il y a l’influence complémentaire de la poésie à sujet biblique : Ruth et Booz sont surtout connus de nous grâce à Hugo !)

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Le divin Fantômas est Saturne lorsqu’il fait tuer ses propres enfants (mais aussi Dieu envoyant à la mort son fils). Bien sûr, ceux-ci ressuscitent et ce sont ces incessantes résurrections qui permettent la multiplicité des situations et des mythes. La série des romans permet une exploration de tous les possibles avec une base de personnages principaux. Variations. “ Complétude ”.


 3) Caractéristiques divines

Dans L'Agent secret (à vérifier), Thérèse Auvernois se refuse à prononcer le nom de Fantômas (imprononçable comme celui de Dieu ?).

Le nom secret (cf. Aspects du Mythe, Eliade) ou le nom nouveau donné par Dieu (à Abraham, Isaac, Jacob,...) se retrouve avec Charles Rambert métamorphosé par Juve (ici divinité positive) en Jérôme Fandor (nom consciemment choisi comme proche de celui de Fantômas).

"le Tortionnaire" : rarement le fait de bandits isolés, la torture est davantage celui du Pouvoir, d'un pouvoir injuste ou d'un pouvoir au sein de la pègre (maffia). Tortionnaire, ayant sur tous droit de vie et de mort (Train Perdu ?), Fantômas est ici dieu et monarque.

Malgré les fréquents emplois de l'adjectif "tragique" (à creuser, en parallèle avec les théories du Tragique), les morts nombreuses ne suscitent guère de compassion. Plus de terreur que de pitié. Les victimes sont vite oubliées, objets, voire jouets (de Fantômas) comme le Mort qui tue. Nouvel élément divin : Fantômas est au-dessus des hommes et les contrôle à sa guise. Juve a lui aussi un statut supérieur : héros ? demi-dieu ?

Sans ascendance (terrestre) connue, Fantômas est d’essence divine. Il est Satan chassé des cieux, frère maudit de l’archangélique Juve (ultime révélation de La Fin de Fantômas). Juve qui, sans être le Christ (auquel cas il vaincrait définitivement) incarne le Bien, mais avec des moyens purement humains. Comme Fandor, il est un apôtre. Juve-Pierre (ou Paul ?) et Fandor-Jean ?

Il est responsable, comme Dieu selon la théologie, de tout ce qui se passe, y compris des apparents accidents. Le naufrage du Titanic/Gigantic, c’est Fantômas. Une épidémie de peste, c’est encore lui.

Train Perdu, 81 : “ N’est-ce pas le maître de tous, de tout ? ”

Sur le roman policier dans ses rapports avec la métaphysique, cf. Eco, Apostille.

Pg 9 du premier volume : miracle (la lettre dont le texte disparaît).

Pg 10 : Juve croit "se trouver en présence d'une manifestation de Fantômas".

 


4) Une Toute-puissance approximative

Evidemment, la toute-puissance de Fantômas n'est jamais totale ni définitive, elle comporte des failles sans lesquelles le récit serait impossible, ou du moins ennuyeux. Norman Spinrad a expérimenté ce principe dans Rêve de fer, présenté comme le roman de science-fiction qu'aurait pu écrire Hitler si son destin avait bifurqué avant son arrivée au pouvoir. Reflet des fantasmes de son auteur supposé, le roman décrit comment de méchants envahisseurs sont anéantis avec une grande facilité, facilité qui rend rapidement les "méchants" plus sympathiques que les "bons", qui rend cette croisade rapidement écoeurante et qui rendrait le récit ennuyeux s'il n'était pas construit pour être lu au second degré.

Les récits mythologiques de toutes les cultures (y compris ces versions modernes qu'en sont les histoires de super-héros) n'existent et n'intéressent que par la faille occasionnelle ou potentielle des héros et des dieux, leur talon d'Achille pour en citer l'exemple le plus évident. Pas de rebondissements, pas de suspense, avec des personnages qui triomphent systématiquement et immédiatement. Même la chanson programmatique du générique de Starsky et Hutch le souligne : "Deuc flics un peu rêveurs et rieurs mais qui gagnent toujours à la fin." "Toujours", certes, mais seulement "à la fin" ! Sans quoi leurs aventures n'auraient plus le moindre intérêt (sic) pour qui les regarde. Tout en sachant que Starsky et Hutch (ou Columbo, ou Superman, ou Bruce Willis, ou Sarkozy) finiront forcément pas vaincre à la fin de l'épisode, leur réussite doit pendant un moment nous sembler compromise.

Les mythologies païennes, avec leurs dieux variés et imparfaits, pourvus des défauts et des faiblesses de l'humanité, permettent de créer des récits particulièrement efficaces. La mythologie judéo-chrétienne, qui repose sur un dieu assez abstrait et théoriquement parfait, est plus faiblarde, et la lecture de la Bible (d'un point de vue narratif en tous cas) peut sembler parfois aussi indigeste que le serait celle de Rêve de fer si Rêve de fer n'était pas l'oeuvre parodique d'un Spinrad mais l'oeuvre d'un illuminé se prenant au sérieux.

Toutefois, outre les rebondissements que permettent les protagonistes humains, la Bible nous propose, à y regarder de près, un Dieu à qui il arrive aussi de se tromper et d'échouer. Evidemment, on affirmera que Dieu, étant omniscient, ne peut commettre d'erreur. Mais comment un Dieu omniscient peut-il placer Adam et Eve en situation de tentation alors qu'il sait d'avance ce qui se passera ? Comment peut-il s'offusquer des péchés humains au point de détruire Sodome et Gomorrhe, voire d'anéantir presque toute l'humanité sous le Déluge, alors que son omniscience lui faisait savoir, avant même qu'il l'ait créée, que l'humanité agirait ainsi ? Comment un Dieu omniscient peut-il envoyer à son "peuple élu", durant des siècles, des prophètes annonçant la venue de son Fils, et rater son affaire au point que le Fils en question sera reconnu comme Messie par quasiment tout le monde, sauf par le peuple élu ? On trouvera un recensement systématique et agréablement mis en forme de toutes ces incohérences dans la version parodique que François Cavanna fit de la Bible. (1)

Autant de ratages que les théologiens expliqueront à grand renfort d'arguties, de libre arbitre, etc. Cavanna souligne cependant bien (même si notre formulation sera ici à peine moins lapidaire que la sienne) à quel point un Dieu qui crée les hommes en sachant qu'ils le décevront et devront être punis, est soit un imbécile, soit un sadique (dans les deux cas, peu de choses à voir avec la perfection divine). Plus récemment, Fred Vargas souligna elle aussi l'imperfection du Dieu judéo-chrétien en ces termes : "Un type qui boude depuis 30.000 ans la créature qu'il préfère est caractériel." (2)

Mais au-delà de ces problèmes de cohérence théologique, constatons simplement que le récit biblique serait nettement moins palpitant sans ces erreurs divines : pas d'affaire de pomme, pas de Déluge, etc. Donc, comme nous le disions, l'imperfection divine est un ingrédient narratif indispensable, qu'il s'agisse de mettre en scène un dieu bon ou un dieu mauvais comme Fantômas. Certes, l'histoire d'un dieu mauvais qui ferait le mal en permanence sans entraves serait un peu plus amusante que celle d'un dieu bon qui ferait le bien sans entraves ("les peuples heureux n'ont pas d'Histoire", en tous cas pas d'histoire captivante), mais elle finirait rapidement par lasser elle aussi. C'est pourquoi la toute-puissance apparente de Fantômas est régulièrement contredite par ses échecs face à Juve et Fandor. Non que Fantômas soit un dieu mineur, mais simplement parce que l'intérêt de la narration l'impose.

La toute-puissance est donc là pour rendre le personnage terrifiant, et les failles de cette toute-puissance pour permettre au récit de durer et de captiver.

Peut-être trouvera-t-on des théologiens fantômassiens pour expliquer que failles et échecs sont délibérés. Comme Dieu, Fantômas, qui pourrait en principe tout régler à sa guise, choisit de maintenir une tension, un risque, bref un intérêt, en compromettant lui-même sa puissance, en la remettant sans cesse en jeu. Capable de détruire Juve (comme Dieu est capable de détruire toute l’Humanité par le Déluge), il préfère se conserver cet amusant antagoniste (de même que Dieu choisit de sauver quelques spécimens pour permettre à l'histoire de continuer, tout en sachant parfaitement, omniscience oblige, que l'humanité qui sortira de Noé ne vaudra pas mieux que celle qu'il vient de détruire).

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(1) Cavanna, Les Ecritures : les Aventures de Dieu et du petit Jésus (1982)

(2) Fred Vargas, Petit traité de toutes vérités sur l'existence (2001)


5) Le Dieu mauvais

Il me semble que Borges (ou Eco) rapporte quelque part une hérésie assimilant Satan et Dieu : à rechercher.

Matzneff écrit dans Ivre du vin perdu : “ Ce qui fait tout le charme de la religion, ce sont les hérésies. ” (178).

Quoi qu'il en soit, il y a évidemment toute une recherche à faire du côté du gnosticisme.

 


6) La création littéraire d'une figure divine

De tous les Génies du Mal, Fantômas est le seul qui parvienne à se hisser au rang de divinité implicite, car les autres n’atteignent pas à une perfection absolue, pour une raison ou pour une autre, et, par delà les causes internes, parce qu’une volonté littéraire veut fixer des limites, nuancer leur psychologie ou demeurer réaliste.

A noter : on s’extasie sur les Chants plus que sur Maldoror, alors que c’est le personnage de Fantômas qui fascine.

La Bible + Lautréamont = Fantômas.

Toutes les analogies (sauf cas isolés, clins d’œil déjà notés : marche sur les eaux, résurrection au bout de trois jours) ne semblent pas conscientes. Relèvent d’archétypes mythiques (Mircea Eliade pourrait être utile ici). Inconsciemment repris.

Quand ils font du roman d’aventures (action, péripéties,...), les auteurs montrent un Fantômas nettement humain, parfois même vulnérable (avec Lady Beltham et surtout avec Hélène) : nécessaire pour maintenir l’intérêt, le suspense et faire évoluer les choses. Mais lorsqu’ils se concentrent sur la volonté de peindre le Génie du Mal (surtout dans les conversations SUR Fantômas), le personnage prend alors une ampleur métaphysique.

 


 Pistes et éléments divers :

 * Etudier la transcription laïque de Satan avec quelques ouvrages de théologie et d'ésotérisme. On pourrait montrer par les points communs que, sans qu’il y ait reprise d’éléments connus (contrairement aux Evangiles), l’esprit humain retrouve les mêmes schèmas lorsqu’il imagine un être maléfique, que ce soit Satan ou Fantômas. A noter que Fantômas n’est nullement adepte d’un Satan dont il ne parle pas plus que de Dieu. Il n’y a ni dieux, ni diables dans l'univers de Fantômas, mais seulement, tout-puissant, un demi-dieu : Fantômas.

* Régis Debray, dans une émission de juillet 2016 sur France Culture consacrée à la figure de Dieu, souligne à quel point l'absence de représentation divine qui prévaut le plus souvant dans les trois monothéismes permet à chacun de voir Dieu comme il le veut. "Un Dieu sans visage peut devenir, selon le lieu et le moment, un dieu de cour, un dieu de ville, un dieu des faubourgs ; il peut devenir le protecteur des gens de bien, dans les beaux quartiers, et le vengeur des gens de rien, dans les banlieues." On peut facilement rapprocher cette observation de notre sujet.

 * Courriel de M. Dominique Kalifa concernant le degré d'imprégnation catholique des auteurs : "Oui, la mère de Allain était très catholique. Allain raconte dans ses souvenirs (ceux que j'ai édités en 93 chez Joëlle Losfeld, je crois) des anecdotes à ce propos. Quant à Souvestre, breton de souche, collaborateur dans les années 1905 de la presse catholique et réactionnaire, il est difficile de ne pas l'envisager de culture voire de conviction très catholique."

 * Dans le combat métaphysique et moral entre Bien et Mal, cf. aussi les romans du Moyen-Age (Perceval,...), avec initiations, etc. Persistance des mêmes schèmas de la Bible au roman populaire.

 * Gérard, dans le Train perdu, accuse Fantômas de l’avoir “perdu” en faisant de lui un criminel. Il sera livré aux flammes (de l’Enfer ?) pour s’être écarté de la voie du Mal et avoir refusé d’y revenir. Inversion des châtiments qui n’est pas systématique, d’où l’ambiguïté permanente. La figure "christique" apparaît ici non plus en Sauveur, mais en Destructeur. Le thème du Salut est remplacé par celui de la Perte : Fantômas travaille à la perte de nombreuses personnes, dont Juve, qui lui-même cherche la perte de Fantômas. Il y a parfois intervention du Salut : pour l’amour d’Hélène, Fantômas épargne Fandor.

 * Prince (surnoms de Fantômas, titre de son fils) : le terme porte diverses connotations religieuses (Christ ; prince = premier, au ciel comme en enfer) et sexuelles (jeunesse et beauté).

 * JUVE – JUIVE – JUDEX – JUDE : le nom évoque la justice mais également le peuple juif, "ennemi du Christ" : mais puisque ici le Christ est le Mal, il est logique que Juve (le Juif errant ? à lire ...) soit le défenseur du Bien. Voir si l’on trouve dans les romans des références à la religion de Juve : impossible a priori de prouver par le texte qu’il est juif, mais on peut vérifier s’il est ou non explicitement désigné comme catholique.


    

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